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Date : 20140224

Dossier : T-1543-12

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 février 2014

En présence de madame la juge McVeigh

 

ENTRE :

 

NANCY FORWARD ARIAS

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

Gendarmerie royale du Canada

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

VU la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) de ne pas statuer, en vertu de l’alinéa 41(1)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 (la LCDP), sur la plainte présentée par Nancy Forward Arias (la demanderesse) contre son ancien employeur, la Gendarmerie royale du Canada (la GRC), parce que la Commission a conclu que la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle était fondée;

 

APRÈS avoir lu les observations écrites et entendu les plaidoiries des parties;

 

APRÈS avoir examiné le dossier certifié du tribunal (le DCT);

 

ET APRÈS avoir conclu que la présente demande devrait être rejetée pour les motifs suivants.

 

[1]               La demanderesse a travaillé pour la GRC de septembre 1989 à juin 2006, lorsqu’on lui a demandé de démissionner ou de prendre sa retraite pour des raisons médicales.

 

[2]               La demanderesse a déposé sa plainte à la Commission le 6 janvier 2012.

 

[3]               Dans sa plainte, la demanderesse prétend qu’entre 1998 et 2006, elle a été victime de harcèlement et de diffamation de la part de collègues et de superviseurs.

 

[4]               Dans sa demande, elle allègue que ce traitement avait trait à deux accusations criminelles portées contre elle auprès du Service de police d’Ottawa par un collègue relativement à des incidents qui se seraient déroulés sur son lieu de travail et pour lesquels elle déclare qu’aucune accusation criminelle n’a été portée.

 

[5]               Pour l’essentiel, voici les accusations telles qu’elles sont présentées par la demanderesse :

         En 1998, un collègue l’a accusée de l’avoir physiquement agressé au travail;

         En 2001, le collègue l’a accusée d’avoir proféré des menaces de mort;

         Elle soutient que la GRC ne lui a pas offert, à la suite de ces plaintes, un milieu de travail sécuritaire et sain, parce que cette dernière n’a pas effectué d’enquête appropriée relativement à l’incident en cause.

 

[6]               Le 17 avril 2012, la Division des services de règlement de la Commission a rendu un rapport relatif aux articles 40 et 41 (le rapport) qui recommandait que la Commission exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas statuer sur la plainte, pouvoir qui est prévu à l’alinéa 41(1)c).

 

[7]               Il ressortait du rapport que, le dernier acte discriminatoire aurait eu lieu en juin 2006, et que la demanderesse n’a communiqué pour la première fois avec la Commission que par une lettre datée du 30 septembre 2011, et qu’elle a déposé sa plainte dans les formes requises le 6 janvier 2012.

 

[8]               La recommandation du rapport était fondée sur la conclusion que le retard dépendait entièrement de la demanderesse, et qu’elle n’avait fourni aucune explication raisonnable pour ne pas avoir déposé la plainte à temps et n’avait fait preuve d’aucune diligence dans le dépôt de sa plainte. En outre, il ressortait du rapport que la demanderesse avait soulevé des questions de nature privée, et que la défenderesse subirait un préjudice si elle enquêtait sur la plainte.

 

[9]               Le 20 mai 2012, la demanderesse a présenté une réponse au rapport, et pour démontrer qu’elle avait fait preuve de diligence dans la poursuite de sa demande, elle a invoqué les motifs suivants :

         Entre 2004 et 2006, à la suite du retrait de son grief, elle a intenté une action en Cour supérieure de l’Ontario, puis en Cour d’appel de l’Ontario. Celles‑ci ont été ultimement rejetées en raison de l’absence de compétence;

         Entre 2008 et 2010, à la suite de l’incendie de sa maison en 2007, elle a déposé une plainte auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Cette plainte a été déclarée prescrite, parce que la demanderesse ne l’avait pas déposée dans un délai de 90 jours;

         Entre 2010 et 2011, la demanderesse a continué, de son propre chef, à explorer des voies de recours. En 2011, après avoir obtenu la réponse de la Commission l’informant qu’elle pouvait s’adresser à elle, la demanderesse a commencé à préparer sa plainte;

         Dans la réponse aux observations, la demanderesse s’est penchée sur la conclusion du rapport selon laquelle la défenderesse subirait un préjudice en raison du retard et elle a soutenu que les raisons de son retard étaient valides et que sa plainte devrait être instruite sur le fond;

         Dans une décision datée du 4 juillet 2012, la Commission a décidé en vertu de l’alinéa 41(1)e) de la LCDP de ne pas statuer sur la plainte de la demanderesse, parce que la plainte avait été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle était fondée;

         Les décisions prises par la Commission de statuer sur les plaintes en vertu du paragraphe 41(1) de la LCDP sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Ayangma c Canada (Procureur général), 2012 CAF 213, au paragraphe 56 (Ayangma); Exeter c Canada (Procureur général), 2012 CAF 119, au paragraphe 6 (Exeter);

         Cette norme de contrôle s’applique également aux décisions prises par la Commission en vertu de son pouvoir discrétionnaire de statuer sur les plaintes, prévu à l’alinéa 41(1)e) de la LCDP, qui autrement seraient prescrites (Bredin c Canada (Procureur général), 2008 CAF 360, aux paragraphes 5 et 16; Richard c Canada (Procureur général), 2010 CAF 292, au paragraphe 9).

 

[10]           La demanderesse conteste la décision pour les motifs suivants :

         Elle soutient que la décision de la Commission de refuser de statuer sur sa demande équivaut à une application trop stricte de l’alinéa 41(1)e). Elle affirme que les circonstances exceptionnelles de son cas soit, le retard mis par la GRC à enquêter sur les accusations criminelles portées contre elle, ainsi que la nature constante et continue des incidents dont elle a été victime constituent des circonstances exceptionnelles qui justifient de ne pas tenir compte du délai de prescription, et que la Commission ne peut rejeter une plainte en vertu de l’article 41 que [traduction] « dans les cas les plus évidents »;

         Elle soutient que la décision de la Commission de ne pas statuer sur sa plainte est contraire à la jurisprudence et à des lignes directrices ministérielles non citées qui régissent la façon dont la Commission exerce son pouvoir discrétionnaire prévu à l’alinéa 41(1)e). Elle se fonde sur la décision Oster c International Longshore & Warehouse Union (Section maritime), section locale 400, 2001 CFPI 1115, pour affirmer que des exceptions à l’application de l’alinéa 41(1)e) peuvent et devraient être faites au cas par cas en tenant compte des critères contenus dans les lignes directrices;

         Le dernier motif qu’elle conteste est la conclusion de la Commission selon laquelle la GRC subirait un préjudice en raison de l’enquête, parce que les personnes citées ne travaillent plus à la GRC, conclusion qui a été tirée sans tenir compte des faits. À l’appui de cet argument, elle soutient que cinq personnes crédibles directement touchées ont présenté des affidavits selon lesquels elles étaient prêtes à participer à une enquête.

 

[11]           Les principes juridiques applicables lorsqu’on décide de statuer sur les plaintes sont les suivants :

         En vertu du paragraphe 41(1) de la LCDP, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime qu’il est évident que la plainte est irrecevable pour l’un des motifs énoncés aux alinéas a) à e) qui permettent à la Commission de refuser de statuer sur la plainte (Société canadienne des postes c Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (Association canadienne des maîtres de poste et adjoints), [1997] ACF no 578 (1re inst), 130 FTR 241, confirmé par [1999] ACF no 705);

         En vertu de l’exception prévue à l’alinéa 41(1)e), la Commission peut refuser de statuer sur une plainte dont le délai est expiré, c’est-à-dire si la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle était fondée;

         Toutefois, lorsque la Commission estime que le délai pour le dépôt de la plainte est expiré en application de l’alinéa 41(1)e), la Commission conserve le pouvoir de statuer sur cette plainte, lorsqu’elle estime approprié de le faire dans les circonstances;

         Ces décisions de la Commission de statuer néanmoins sur des plaintes qui autrement seraient prescrites équivalent à des décisions discrétionnaires et le demandeur a le fardeau de fournir des explications satisfaisantes pour le retard que la Commission considère raisonnable dans les circonstances (Bredin c Canada (Procureur général), 2007 CF 1361, au paragraphe 27; Bredin c Canada (Procureur général), 2008 CAF 360, au paragraphe 5).

 

[12]           La Commission a justifié son refus en faisant siennes les conclusions du rapport qui recommandait de la même façon de ne pas statuer sur la plainte de la demanderesse.

 

[13]           Lorsqu’une commission fournit seulement des motifs succincts justifiant l’adoption de recommandations contenues dans le rapport d’un enquêteur, le rapport de l’enquêteur fait partie du raisonnement du commissaire et est susceptible de contrôle judiciaire selon la même norme de contrôle comportant un degré très élevé de retenue (Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404, aux paragraphes 37 et 38; Bergeron c Canada (Procureur général), 2013 CF 301, aux paragraphes 28 et 35). En l’espèce, le rapport est détaillé, de sorte qu’il n’est pas nécessaire que la recommandation soit longue et détaillée.

 

[14]           La Cour a décidé qu’un plaignant a néanmoins l’obligation de communiquer avec la Commission dans le délai prescrit d’un an pendant qu’il explore d’autres voies de recours (Bredin c Canada (Procureur général), 2007 CF 1361, au paragraphe 40).

 

[15]           Le caractère raisonnable a trait à la question de savoir si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, lorsqu’on tient à la fois compte de la décision en cause et du processus adopté par le décideur (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59; Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle‑Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, au paragraphe 44).

 

[16]           La conclusion de la Commission selon laquelle le retard dépendait de la demanderesse, et qu’elle n’a pas fait preuve de diligence dans le dépôt de sa plainte appartient aux issues possibles acceptables.

 

[17]           L’argument de la demanderesse selon lequel la GRC n’a pas subi de préjudice ne peut pas être accepté. Les décisions discrétionnaires de la Commission qui invoquent la nature préjudiciable de l’écoulement du temps comme motif de refus de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de statuer, en vertu de l’alinéa 41(1)e), sur les plaintes prescrites ont été maintenues (Richard c Canada (Procureur général), 2010 CAF 292, aux paragraphes 3, 4 et 19).

 

[18]           Selon moi, la décision de la Commission de refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire est étayée par les motifs, et elle appartient aux issues possibles.

 

[19]           La demanderesse a désigné la « Gendarmerie royale du Canada » comme défenderesse. Comme il en a été décidé pendant l’audience, l’intitulé est modifié par la désignation de « Canada (Procureur général) » comme défendeur.

 

[20]           La demande est rejetée.

 

 

LA COUR STATUE que :

1.                  La présente demande est rejetée;

2.                  L’intitulé est modifié, « Gendarmerie royale du Canada » étant remplacé par « Canada (Procureur général) » à titre de défendeur;

3.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Glennys L. McVeigh »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale

 

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