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Date : 20140403


Dossier :

IMM-28-13

 

Référence : 2014 CF 324

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 avril 2014

En présence de monsieur le juge Russell

 

ENTRE :

Y. […] S. […]

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], à l’encontre de la décision, en date du 10 décembre 2012 [la décision], par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié [la SPR ou la Commission] refusé au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention et la qualité de personne à protéger, aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

 

CONTEXTE

[2]               Le demandeur, citoyen du Sri Lanka, est d’origine tamoule et de religion hindoue, tant par ses antécédents que par ses croyances. Il est né dans le nord du Sri Lanka, et c’est là qu’il a été élevé.

 

[3]               Le demandeur a fui le Sri Lanka, car il craignait d’être persécuté et tué par l’armée sri lankaise (SLA), l’Agence centrale du renseignement (CID) et une milice armée appelée Parti démocratique populaire de l'Eelam (PDPE).

 

[4]               Le Formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur fait état de plusieurs incidents de violence l’ayant opposé à l’ASL au cours d’une période de 10 ans.

 

[5]               En 2001, le demandeur prétend avoir été interpelé et sauvagement battu par une patrouille de l’ASL. On le soupçonnait d’appartenir aux Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET) en raison des cicatrices qu’il portait au visage, bien qu’il ait expliqué que celles-ci provenaient d’un accident survenu lorsqu’il était enfant.

 

[6]               En 2003, avec l’aide de sa famille, il a ouvert une boutique et, pendant les trois ans qui suivirent, vécut en paix avec son épouse.

 

[7]               En décembre 2006, une nuit, une bombe a éclaté près de chez lui. Alors que, le lendemain matin, il quittait son domicile pour se rendre au travail, le demandeur s’est vu accuser par l’ASL d’avoir planté la bombe et d’appartenir aux TLET. Il fut battu et maintenu sous garde. Il fut relâché le soir même, grâce à l’aide du chef de son village, à condition toutefois de se présenter chaque semaine au camp de l’ASL. On l’avertit sous peine de mort de n’en parler à personne. Il fut à nouveau battu après avoir raconté à des soldats ce qu’il lui était arrivé alors qu’il quittait le camp.

 

[8]               Entre 2007 et 2009, à chaque fois qu’il y avait un accrochage entre l’ASL et les TLET, le demandeur était interrogé, battu et torturé par des membres de l’ASL.

 

[9]               En novembre 2009, la mère du demandeur a acheté l’immeuble dans lequel était établi son commerce. Ayant été mis au courant de cette acquisition, quatre membres armés de l’EPDP exigèrent du demandeur qu’il leur verse une forte somme d’argent. Ayant refusé de payer, le demandeur a fait l’objet d’un dernier avertissement qu’on le tuerait s’il n’obtempérait pas. C’est alors qu’il a fermé sa boutique et est allé se cacher. Lorsqu’il ne se présenta pas au camp de l’ASL, son domicile fut saccagé. L’occasion de s’échapper s’est présentée au demandeur en janvier 2010, et il a quitté Colombo. Obligé de quitter l’auberge où il s’était installé, faute de pouvoir présenter une attestation de l’armée, il a quitté le pays pour la Thaïlande.

 

[10]           En Thaïlande, il a appris que son fournisseur de pièces détachées avait reçu une demande semblable d’extorsion et que son fils avait été enlevé et tué après que le père eut lui aussi refusé de payer.

 

[11]           Le demandeur a pris place à bord du navire Sun Sea, le 20 avril 2010, et est arrivé au Canada le 13 août 2010. Il a présenté le jour même une demande d’asile, faisant valoir qu’il craignait avec raison d’être persécuté en raison de sa race, de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social.

 

[12]           Le 10 décembre 2013, la SPR a décidé que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[13]           La SPR a rejeté la demande d’asile présentée par le demandeur, invoquant pour cela diverses raisons : le demandeur n’était pas crédible; la crainte subjective qu’il invoquait ne reposait sur aucune preuve objective; les conditions touchant les Tamouls au Sri Lanka ont changé de façon tangible et durable et aucune raison impérieuse ne justifie d’accueillir sa demande. La SPR a en outre conclu que le demandeur ne peut pas être considéré comme un réfugié « sur place » et que le risque d’extorsion dont il a fait état est un risque généralisé relevant de l’alinéa 97(1)b) de la Loi.

 

[14]           Pour ce qui est de la crédibilité du demandeur, la SPR a jugé contradictoire le témoignage qu’il a livré au sujet d’une blessure reçue dans son enfance, constatant qu’au départ il avait dit que l’incident s’était produit lorsqu’il avait 10 ou 12 ans, alors que plus tard, il a prétendu avoir 16 ou 17 ans à l’époque. Son explication, selon laquelle il ne se souvenait pas de l’époque à laquelle la chute en question s’était produite, a été jugée déraisonnable. Le demandeur n’a en outre pas pu fournir de copie du rapport médical concernant l’incident qui, en 2001, l’aurait opposé à des membres de l’ASL. Sur ce point, le demandeur a affirmé dans son témoignage que le rapport médical [traduction] « s’était vraisemblablement perdu ».

 

[15]           La SPR a en outre relevé des contradictions dans le témoignage du demandeur concernant l’arrivée de soldats après l’explosion de la bombe. Il a d’abord dit qu’ils étaient arrivés deux ou trois heures après l’explosion, mais a par la suite affirmé qu’au moment même de l’explosion, il avait entendu des coups de feu tirés par des soldats. Il a expliqué que des soldats se trouvaient sur place au moment de l’explosion, mais que d’importants renforts étaient arrivés quelques heures plus tard. Cette explication n’a pas été jugée raisonnable. Le demandeur n’a fourni aucune preuve de l’explosion. La SPR n’a pas été convaincue par l’explication du demandeur, selon lequel cette absence de preuve est due au fait qu’il n’y aurait pas eu de victimes ou de dégâts. La SPR a en outre jugé invraisemblable que l’ASL puisse penser que l’auteur d’un attentat à la bombe se trouverait, deux ou trois heures après l’explosion, à l’arrêt d’autobus situé juste à côté, et invraisemblable qu’il soit relâché le même jour.

 

[16]           En ce qui concerne le commerce du demandeur, la SPR a estimé que son témoignage était contradictoire et a souligné que le demandeur n’avait fourni aucune preuve crédible de son existence. La SPR a par ailleurs relevé que, dans sa demande d’asile, le demandeur n’avait rien dit de la crainte que lui inspirait le PDPE, ce qui, selon elle, allait à l’encontre à la fois de ce que le demandeur avait consigné dans son FRP, et de ce qu’il avait déclaré lors de son témoignage à l’audience.

 

[17]           En ce qui concerne maintenant la crainte objective dont fait état le demandeur, la SPR a reconnu que les personnes soupçonnées d’entretenir des liens avec les TLET demeurent exposées à des risques, mais a cependant conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n’était pas soupçonné de participer aux activités des TLET ou d’être en rapport avec eux. Selon la SPR, le demandeur a un profil qui ne l’expose à aucun risque de la part de la police ou des autres autorités sri lankaises. Quand bien même elle aurait cru le récit du demandeur, la SPR était d’avis que les incidents dont il faisait état n’équivalaient pas à de la persécution.

 

[18]           Rappelant que le critère permettant d’accueillir une demande d’asile a un caractère prospectif, la SPR a conclu à une amélioration sensible du traitement réservé, au Sri Lanka, aux civils de la minorité tamoule. Cela étant, la SPR a estimé que le demandeur ne risquait pas sérieusement d’être persécuté ou d’être personnellement exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitement ou peine cruels et inusités de la part du gouvernement sri lankais, ou d’être soumis par lui à la torture.

 

[19]           En outre, après s’être demandé si des raisons impérieuses la portaient à accueillir la demande d’asile, malgré l’amélioration au Sri Lanka de la situation des civils appartenant à la minorité tamoule, la SPR a estimé que l’exception prévue au paragraphe 108(4) de la Loi ne s’appliquait pas en l’occurrence étant donné que la crainte de persécution alléguée par le demandeur reposait sur des événements que la SPR ne jugeait pas plausibles.

 

[20]           Ayant examiné le risque auquel le demandeur serait exposé en tant que tamoul rentrant dans son pays, la SPR a conclu à l’insuffisance des preuves tendant à démontrer qu’il s’exposerait à l’un des risques prévus au paragraphe 97(1) de la Loi.

 

[21]           La SPR a par ailleurs estimé qu’étant donné qu’il était arrivé au Canada à bord du navire Sun Sea, le demandeur ne pouvait pas être considéré comme un réfugié « sur place ». Même dans l’hypothèse où les autorités sri lankaises apprendraient qu’il s’était trouvé à bord du navire, il n’y a guère de preuves que, selon la prépondérance des probabilités, le simple fait d’avoir été passager à bord de ce navire l’exposerait à un risque accru.

 

[22]           Pour ce qui est du risque d’extorsion allégué par le demandeur, la SPR a estimé que si le demandeur avait effectivement fait l’objet d’une demande d’extorsion, c’est parce que l’on pensait qu’il avait les moyens de payer. Bien qu’il s’agisse là d’un risque auquel le demandeur est exposé personnellement, il s’agit en même temps d’un risque généralisé auquel sont exposés tous ceux qui ont les moyens de payer et, partant, d’un risque qui relève de l’exception prévue au sous-alinéa 97(1)b)(ii).

 

[23]           Cela étant, la SPR a conclu que le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention, ou une personne à protéger au sens des articles 96 ou 97 de la Loi.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[24]           Dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur soulève les questions suivantes :

a.                   La SPR a-t-elle commis une erreur de droit dans son interprétation et son application de la définition de réfugié au sens de la Convention énoncée à l’article 96 de la Loi?

b.                  La SPR a-t-elle commis une erreur en n’appliquant pas les bons critères?

c.                   La SPR a-t-elle commis une erreur dans ses conclusions quant à la crédibilité du demandeur?

d.                  La SPR a-t-elle commis une erreur en décidant qu’il n’y a pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté au Sri Lanka?

e.                   La SPR a-t-elle commis une erreur en refusant de reconnaître au demandeur la qualité de réfugié « sur place »?

f.                   La SPR a-t-elle commis une erreur dans sa conclusion concernant le caractère généralisé du risque encouru?

 

[25]           Je reformulerais les questions en litige de la manière suivante :

a.                   La SPR a-t-elle commis une erreur dans son interprétation de la définition que l’article 96 de la Loi donne de ce qu’est un réfugié au sens de la Convention, ou a‑t-elle appliqué le mauvais critère à l’un des éléments de cette définition?

b.                  La SPR a-t-elle commis une erreur dans ses conclusions quant à la crédibilité du demandeur?

c.                   La SPR a-t-elle commis une erreur en jugeant qu’il n’y a pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté au Sri Lanka?

d.                  La SPR a-t-elle commis une erreur en refusant de reconnaître au demandeur la qualité de réfugié « sur place »?

e.                   La SPR a-t-elle commis une erreur en estimant que le risque auquel serait exposé le demandeur est un risque généralisé?

 

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[26]           Dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a précisé qu’en ce qui concerne la question de la norme de contrôle applicable, il n’est pas dans chaque cas nécessaire de se livrer à une analyse, car lorsque la jurisprudence a déjà établi de manière satisfaisante la norme applicable à une question donnée, la cour de révision peut tout simplement l’adopter. Lorsque cette démarche se révèle infructueuse, où lorsque la jurisprudence pertinente semble devenue incompatible avec l’évolution récente des principes de common law en matière de contrôle judiciaire, la cour de révision doit se pencher sur les quatre éléments de l’analyse permettant de déterminer la norme applicable : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 [Agraira].

 

[27]           Pour ce qui est de la première question en litige, lorsque la jurisprudence a fermement établi le critère applicable à certains des éléments de la définition de ce qu’est un réfugié au sens de la Convention, il n’est pas loisible au décideur d’appliquer un critère différent, et en cas de contrôle judiciaire, c’est le critère de la décision correcte qui s’applique : Ruszo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1004 [Ruszo], aux paragraphes 17 à 23; voir également Buri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 45, aux paragraphes 16 et 17. Cependant, lorsqu’il s’agit de dire si la Commission a commis une erreur dans son application d’une jurisprudence constante aux circonstances particulières de l’affaire, c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique : Ruszo, précité, au paragraphe 22; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c A068, 2013 CF 1119 au paragraphe 12.

 

[28]           Les conclusions tirées par la SPR quant à la question de la crédibilité relèvent, elles, de la norme de la décision raisonnable (voir Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR  315, [1993] ACF no 732 (CAF); Elmi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 773, au paragraphe 21; Aguilar Zacarias c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1155, au paragraphe 9. Pour ce qui est de la troisième question en litige, la norme de contrôle applicable est par conséquent celle de la décision raisonnable.

 

[29]           En ce qui concerne la troisième question en litige, une question mixte de fait et de droit, la norme de contrôle applicable est, là encore, celle de la décision raisonnable (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[30]           La conclusion à laquelle la SPR est parvenue pour refuser au demandeur la qualité de réfugié « sur place » relève de la norme de la décision raisonnable (voir B198 c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1106, au paragraphe 24; Ganeshan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 841, au paragraphe 9).

 

[31]           En ce qui concerne la conclusion à laquelle la SPR est parvenue à propos du caractère généralisé du risque, c’est, là encore, la norme de la décision raisonnable qui s’applique (voir VLN c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 768, aux paragraphes 15 et 16; Vasquez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 477, aux paragraphes 13 et 14; Innocent c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1019.

 

[32]           Lors de l’examen d’une question au regard de la norme de la décision raisonnable, l’analyse s’intéresse « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59 [Khosa]. Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision était déraisonnable, c’est-à-dire dans la mesure où elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES EN L’ESPÈCE

[33]           Les dispositions de la Loi applicables en l’espèce sont les suivantes :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa  nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a)        soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b)        soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a)    soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au  sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

 b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

    (i)    elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

 

    (ii)   elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

    (iii)  la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou  occasionnés par elles,

 

    (iv)  la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

[…]

 

Convention refugee

 

96.  A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a)   is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b)   not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a)   to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning ­ of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b)   to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

    (i)    the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

    (ii)   the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

    (iii)   the risk is not inherent or  incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards,

 

 

 

    (iv)  the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

[…]

 

ARGUMENTS

Le demandeur

[34]           Le demandeur affirme que, lors de l’examen de sa demande d’asile fondée sur l’article 96 de la Loi, la SPR a appliqué plusieurs critères qui n’étaient pas appropriés. Le critère ne consiste pas à se demander si « le demandeur d’asile est exposé à un risque personnel plus élevé au Sri Lanka aujourd’hui », ou si « le demandeur d’asile ne serait pas […] exposé à un risque accru à son retour au Sri Lanka ». Il s’agit, plutôt, de se demander s’il y a des chances raisonnables ou une possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté s’il était renvoyé dans son pays d’origine. Selon le demandeur, le critère applicable est moins strict que celui de la prépondérance des probabilités, mais il exige plus qu’une simple possibilité (Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 RCS 593, au paragraphe 120; Ponniah c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 13 Imm L R (2d) 241 (CAF)).

 

[35]           Selon le demandeur, la SPR a, dans sa décision, fait appel à d’autres critères erronés, cherchant notamment à préciser si les conditions s’étaient ou non « améliorées », si la situation était devenue « plus sécuritaire » ou si elle s’était « détériorée », et si, « selon la prépondérance des probabilités, qu’advenant le retour du demandeur d’asile au Sri Lanka, il n’existe pas […] de possibilités sérieuses qu’il soit personnellement victime de persécution » et si il était « recherché par les autorités du Sri Lanka »». Selon le demandeur, le droit canadien relatif aux réfugiés reconnaît depuis longtemps qu’il n’est pas nécessaire que l’intéressé soit visé personnellement (Salibian c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 250; Kang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1128, au paragraphe 10; Fi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1125, au paragraphe 14) et la question n’est pas de savoir si le demandeur est activement recherché (Rayappu Joseph c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (24 octobre 2012), IMM-8712-11, aux paragraphes 2 à 7 (CF); Sinnathamby c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (21 janvier 2013), IMM-3828-12, au paragraphe 6 (CF)).

 

[36]           Pour ce qui est de la conclusion à laquelle la SPR est parvenue quant à sa crédibilité, le demandeur affirme que la SPR a commis une erreur en ce qu’elle n’a pas clairement motivé sa décision de tenir pour déraisonnable des explications qu’il avait fournies (Armson c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 9 Imm LR (2d) 150; Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 15 Imm LR (2d) 199; Rahman c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 8 Imm LR (2d) 170; Bains c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 20 Imm LR (2d) 296 [Bains]; Vodics c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 783, aux paragraphes 9 et 11; Dong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1151, au paragraphe 3). Le demandeur affirme par ailleurs que c’est à tort que la SPR a attaqué sa crédibilité au motif qu’aucune documentation ne corroborait ses dires alors que ce qui peut entraîner une conclusion défavorable au plan de la crédibilité c’est le défaut d’explication raisonnable quant au manque de preuves documentaires corroborantes (Ahortor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 65 FTR  137, [1993] ACF no 705, (C.F. 1re inst.); Poshteh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1034, au paragraphe 7; Osman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 921, aux paragraphes 37 à 39; Taha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1675, au paragraphe 9; Liang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 341, au paragraphe 8 (C.F. 1re inst.); Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1274, au paragraphe 15; Giraldo Cortes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 329, au paragraphe 3).

 

[37]           Le demandeur fait par ailleurs valoir que la SPR a examiné à la loupe les éléments de preuve qui ont été produits. La Commission a estimé que le demandeur a livré un témoignage contradictoire concernant la nature de son commerce, et l’heure à laquelle les soldats étaient arrivés sur les lieux de l’explosion, mais ces détails n’ont guère d’importance pour ce qui est de la demande d’asile et la Cour a, à de multiples reprises, mis en garde contre les conclusions fondées sur un examen microscopique de la preuve (Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 99 NR  168 (CAF); Moute c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 579, au paragraphe 15; Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1490, au paragraphe 19).

 

[38]           Le demandeur soutient par ailleurs que c’est par simple conjecture que la SPR s’est prononcée sur la vraisemblance de ce qu’avait pu faire l’armée sri lankaise, conjecture contre laquelle la Cour a mis en garde (Giron c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 143 NR  238, à la page 239; Leung c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 81 FTR 303, au paragraphe 15; Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7 (C.F. 1re inst.); Yin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 544, au paragraphe 41).

 

[39]           En ce qui concerne la conclusion de la SPR selon laquelle il était, de la part du demandeur, contradictoire de ne pas avoir, dans sa demande d’asile, fait état de la crainte que lui inspirait le PDPE, alors qu’il a invoqué cette crainte à l’audience et qu’il en avait fait état dans son FRP, le demandeur affirme que si contradiction il y a, elle n’est qu’apparente et que c’est à tort que la SPR s’est fondée sur la contradiction qu’elle a cru relever (Triana Aguirre c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 571, au paragraphe 30; Wu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1102, au paragraphe 16).

 

[40]           C’est également à tort que la SPR a conclu qu’il n’y avait aucune possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté s’il était renvoyé au Sri Lanka car elle a fait de la preuve documentaire une lecture sélective (Toth c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1133, au paragraphe 26 (C.F. 1re inst.); Sivabalaretnam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 86 ACWS (3d) 580, 1999 CanLII 7598, aux paragraphes 3 et 4 (CF); Urrea Bohorquez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 808, aux paragraphes 11 à 13; Bibby‑Jacobs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1176, au paragraphe 13). La SPR s’est fondée sur des extraits d’un document publié par l’UNHCR, mais n’a rien dit des passages indiquant qu’existe encore une possibilité sérieuse de persécution pour les Tamouls de sexe masculin originaires du nord du pays renvoyés au Sri Lanka. La SPR n’a pas, non plus, évoqué certaines preuves documentaires allant dans le même sens, et c’est à tort qu’elle n’a pas tenu compte des preuves documentaires pertinentes allant directement à l’encontre de la conclusion qu’elle a tirée (Orgona c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 346, au paragraphe 31 (C.F. 1re inst.); Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR  35, 1998 CanLII 8667, au paragraphe 17 (CF); Toriz Gilvaja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 598, au paragraphe 38; Campos Quevedo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 297, au paragraphe 8; Packinathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 834, au paragraphe 9; Goman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 643, au paragraphe 13).

 

[41]           Le demandeur reproche en outre à la SPR d’avoir fait un exposé inexact des faits puisqu’elle décrit le demandeur comme étant un « Tamoul de sexe masculin originaire de Colombo, au Sri Lanka ». En effet, le demandeur est originaire du nord du Sri Lanka et, de toute sa vie, il a passé moins d’un mois à Colombo. La SPR s’est à nouveau trompée lorsqu’elle a conclu qu’il ne fait pas partie de la catégorie des personnes qui, au Sri Lanka, risqueraient la détention en raison des rapports qu’elles entretiennent avec les TLET. La preuve documentaire précise en effet que [traduction] « les jeunes hommes Tamouls, et en particulier ceux qui sont originaires du nord et de l’est du pays, peuvent être disproportionnellement touchés par les mesures de sécurité mises en place pour lutter contre le terrorisme en raison des liens qu’on leur soupçonne d’entretenir avec les TLET » (UNHCR – Lignes directrices pour la protection internationale des demandeurs d’asile du Sri Lanka, 5 juillet 2010, cité à la page 401 du dossier du demandeur). De plus, alors que selon la SPR on ne s’en prend pas aux Tamouls uniquement en raison de leur race, la preuve documentaire démontre que c’est le contraire qui est vrai (dossier du demandeur, à la page 413).

 

[42]           En ce qui concerne maintenant la conclusion à laquelle est parvenue la SPR pour refuser de reconnaître au demandeur la qualité de réfugié « sur place », celui-ci considère que c’est à tort que la SPR lui a refusé cette qualité étant donné l’absence totale de preuves que tous les passagers se trouvant à bord du navire Sun Sea étaient liés aux TLET. La SPR aurait par ailleurs appliqué le mauvais critère lorsqu’elle a affirmé ce qui suit : « [s]’il arrive que le gouvernement du Sri Lanka découvre qu’il était l’un des passagers du MS Sun Sea, j’estime, selon la prépondérance des probabilités, qu’il ne sera pas exposé à un risque accru pour cette raison ».

 

[43]           Le demandeur fait par ailleurs valoir que c’est encore à tort que la SPR a conclu que « le gouvernement du Sri Lanka ne percevrait pas le demandeur d’asile comme un membre ou un partisan des TLET simplement parce qu’il a été passager à bord du MS Sun Sea ». À l’appui de cet argument, le demandeur cite les observations écrites qu’il a présentées à la SPR, et qui contiennent des extraits d’un rapport d’Amnistie Internationale ainsi que de nombreuses coupures de presse sur les liens que les passagers auraient entretenus avec les TLET.

 

[44]           La SPR a également commis une erreur en estimant que le passage effectué par le demandeur à bord du navire Sun Sea n’a pas pour effet de le classer parmi les membres d’un groupe social car, selon le demandeur, sa demande d’asile repose sur le fait qu’en tant que Tamoul originaire du nord du Sri Lanka, et en tant que personne ayant effectué la traversée à bord du navire Sun Sea, on lui prête certaines opinions politiques.

 

[45]           Et, enfin, la SPR a commis une erreur en concluant qu’il « n’existe aucun lien avec l’un des motifs énoncés dans la Convention pour les victimes d’actes criminels ». Selon le demandeur, les notions de crime et de persécution ne s’excluent pourtant pas et si une personne est attaquée parce que son assaillant s’oppose à ses croyances politiques, il y a à la fois crime et persécution. En l’occurrence, le demandeur a subi des violences de la part d’un groupe politique poursuivant des objectifs politiques bien précis, en l’occurrence le PDPE. C’est à tort que la SPR n’a pas tenu compte du fait que, dans la mesure où ce groupe finance ses activités politiques par l’extorsion, tout refus ou toute hésitation à se rendre à ses exigences sera pris pour un signe d’opposition aux objectifs politiques du groupe.

 

[46]           Compte tenu de ce qui précède, le demandeur soutient que la crainte que lui inspire le PDPE est liée à un des motifs prévus dans la Convention, en l’occurrence l’opinion politique qu’on lui prêterait, et le fait de ne pas avoir analysé cet aspect de sa demande d’asile au regard de l’article 96 est constitutif d’une erreur (Ismaylov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 30, au paragraphe 9 [Ismaylov]; Clermont c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 848, aux paragraphes 3 et 4 [Clermont]). En outre, le fait de voir dans le risque en question un risque généralisé n’empêche aucunement de conclure à une persécution fondée sur l’un des motifs prévus dans la Convention (Dezameau c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 559, aux paragraphes 23, 31) et le fait d’introduire, dans le cadre d’une demande d’asile présentée au titre de l’article 96, une exigence propre à l’article 97 constitue une erreur de plus (Josile c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 39, au paragraphe 11).

 

[47]           Le demandeur affirme par ailleurs que la conclusion à laquelle la SPR est parvenue sur ce point est contradictoire. C’est à tort que la SPR a estimé à la fois que le risque en question était propre au demandeur et qu’il s’agissait d’un risque généralisé étant donné que tous les Sri Lankais y sont exposés.

 

[48]           Le demandeur fait valoir que, compte tenu des erreurs qu’il invoque, la décision en cause devrait être annulée et l’affaire renvoyée pour nouvel examen devant une autre formation de la SPR.

 

Le défendeur

[49]           Le défendeur affirme pour sa part que la SPR a appliqué les critères juridiques qui convenaient et que sa décision est raisonnable. L’examen de la preuve auquel s’est livrée la SPR est équilibré et correctement motivé; elle n’a commis aucune erreur flagrante dans ses conclusions de fait (Khosa, précité, au paragraphe 118). Cela étant, ce que le demandeur demande en fait à la Cour c’est de réévaluer la preuve.

 

[50]           Les motifs de la décision n’ont pas à être parfaits ou exhaustifs, et il n’est pas nécessaire qu’ils [traduction] « fassent état d’absolument tous les faits ayant servi de fondement » à la conclusion. En effet, « s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du Tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir » (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16 [Newfoundland Nurses]).

 

[51]           Selon le défendeur, des incohérences et des contradictions graves portant sur des points essentiels de la demande présentée par le demandeur sapent la crédibilité de ses principales allégations. Interrogé au sujet de certaines de ces contradictions, le demandeur n’a pu fournir aucune raison pour expliquer les divergences. Dans les cas où le demandeur a fourni une explication, celle-ci a été jugée peu satisfaisante par la SPR en raison de son invraisemblance et de divergences par rapport aux preuves documentaires. À propos de certaines conclusions, la SPR a relevé l’absence de preuves documentaires. Ses conclusions quant à la crédibilité du demandeur sont raisonnables compte tenu des preuves produites devant la SPR.

 

[52]           La SPR s’est à bon droit interrogée sur le point de savoir si, au Sri Lanka, en raison de son profil, le demandeur s’exposerait à des risques, et s’est livré à une comparaison entre le profil du demandeur et celui des personnes qui, au Sri Lanka, sont effectivement exposées à des risques. En ce qui concerne les articles 96 et 97, la SPR a appliqué les critères juridiques qui conviennent, posant la question de savoir s’il existe une possibilité sérieuse que le demandeur serait personnellement exposé à des persécutions, à une menace à sa vie ou au risque de traitement ou peine cruels et inusités de la part des autorités gouvernementales du Sri Lanka ou au risque d’être soumis par elles à la torture. La SPR a d’abord conclu au manque de lien avec les facteurs prévus à l’article 96, puis a procédé à une analyse fondée sur l’article 97 à la suite de laquelle elle a conclu que le risque encouru est un risque généralisé.

 

[53]           En réponse à l’argument du demandeur selon lequel la SPR n’a pas évoqué certains passages pertinents de la preuve documentaire, le défendeur affirme que le demandeur demande en fait à la Cour de réévaluer la preuve, ce qui, en droit, ne saurait justifier l’intervention de la Cour (Brar c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] ACF no 346 (CA); Ye c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 1233 (CA); Bains, précité, au paragraphe 29; Bhandal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 98 ACWS (3d) 1085, [2000] ACF no 1173 (C.F. 1er inst.)). Invoquant l’arrêt Newfoundland Nurses, précité, le défendeur soutient que, dans son ensemble, la décision ne contient aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire.

 

[54]           En ce qui concerne la demande d’asile fondée sur la qualité du réfugié « sur place », le défendeur fait valoir qu’aucune preuve n’étaye l’argument du demandeur qui soutient qu’il serait tenu pour membre ou partisan des TLET du simple fait qu’il a effectué la traversée à bord du navire Sun Sea. Étant donné le manque de preuves à cet égard, rien ne permet au demandeur d’invoquer cet argument à l’appui de sa demande. La SPR n’a commis aucune erreur dans son application du critère applicable à la détermination de la qualité de réfugié « sur place ».

 

[55]           Enfin, le défendeur fait valoir que les personnes victimes de demandes d’extorsion sont généralement choisies parmi les personnes dont on estime qu’elles ont les moyens de payer. En l’espèce, les preuves ne permettent pas d’affirmer qu’on s’en est pris au demandeur en raison des moyens financiers qu’on lui prête, ou qu’il y a un lien entre la tentative d’extorsion, si tant est qu’elle ait effectivement eu lieu, et un des motifs prévus dans la Convention. Les crimes commis par le PDPE ne sont pas tous liés aux objectifs politiques du groupe et il est, de la part du demandeur, entièrement conjectural d’affirmer qu’on s’en serait pris à lui en raison de ses opinions politiques.

 

La réponse du demandeur

[56]           Selon le demandeur, le fait que, dans d’autres parties de ses motifs, la SPR a correctement précisé le critère applicable n’a pas pour effet de remédier à ses erreurs. Il cite à l’appui de cet argument Sekeramayi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 845 et Paramsothy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1000, la Cour ayant estimé, dans les deux cas, que la Commission avait appliqué des normes de preuve disparates.

 

[57]           Le demandeur affirme ne pas tenter d’obtenir une réévaluation de la preuve, et fait simplement valoir que la SPR a commis une erreur de droit en faisant de la preuve documentaire une lecture sélective, et en ne tenant pas compte d’éléments pertinents allant directement à l’encontre de la conclusion à laquelle elle est parvenue.

 

[58]           Et enfin, ce n’est pas l’extorsion en soi que craint le demandeur, mais les persécutions qui feraient suite à son refus de céder aux demandes d’extorsion, refus qui est manifestement lié à ses opinions politiques qui, elles, constituent bien un des motifs prévus dans la Convention.

 

Observations complémentaires du défendeur

[59]           Selon le défendeur, les allégations de persécutions qui feraient, selon le demandeur, suite à la tentative d’extorsion demeurent vagues et ne sont étayées par aucun élément de preuve. Le demandeur n’a pas pu démontrer l’existence d’aucun lien à caractère politique avec la tentative d’extorsion qu’il allègue, et la conclusion à laquelle la SPR est parvenue est donc raisonnable.

 

[60]           Le défendeur fait à nouveau valoir que la SPR a, selon la prépondérance des probabilités, appliqué les bons critères juridiques. C’est en tant que description et dans des contextes précis, et non pas en tant que critère, que la SPR a employé l’expression [traduction] « risque accru en cas de renvoi ».

 

ANALYSE

[61]           J’estime que l’évaluation que la SPR a faite de la demande d’asile présentée par le demandeur en sa qualité de réfugié « sur place » est suffisamment déraisonnable en soi pour que l’affaire soit renvoyée pour nouvel examen.

 

[62]           Selon la SPR, les éléments de preuve versés au dossier ne permettent pas d’affirmer que les autorités sri lankaises sauront que le demandeur a effectué la traversée à bord du navire Sun Sea. Elle reconnaît, en même temps, que le demandeur, comme « toutes les personnes qui entrent au Sri Lanka, sera interrogé » :

Si les autorités du Sri Lanka croient qu’un rapatrié a des liens avec les TLET ou avec d’autres activités criminelles, cette personne sera vraisemblablement détenue et, malheureusement, tous les détenus au Sri Lanka, et pas seulement les Tamouls, peuvent être victimes d’abus de pouvoir de la part de la police ou de la CID.

 

[63]           Malgré cette constatation, la SPR a conclu que le demandeur ne serait pas « exposé à un risque accru pour cette raison » :

[119]    Compte tenu de ce qui précède, la preuve qui m’a été présentée n’est pas suffisante pour me permettre de conclure que le gouvernement du Sri Lanka présumerait que le demandeur d’asile a ou a eu des liens avec les TLET  simplement parce qu’il a voyagé à bord du MS Sun Sea. S’il arrive que le gouvernement du Sri Lanka découvre qu’il était l’un des passagers du MS Sun Sea, j’estime, selon la prépondérance des probabilités, qu’il ne sera pas exposé à un risque accru pour cette raison.

 

[64]           Ainsi que le fait remarquer la SPR, qui invoque à l’appui de son argument Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B380, 2012 CF 1334, « le fait d’avoir voyagé à bord du MS Sun Sea ne fait pas d’un passager un membre d’un groupe social ». On ne voit pas très bien si la SPR entend exclure le demandeur des mesures de protection prévues à l’article 96 en raison de l’insuffisance du lien entre le demandeur et la teneur de cet article. Mais, le demandeur a présenté sa demande d’asile en tant que jeune homme tamoul originaire du nord (c’est-à-dire au titre de son origine ethnique) et en raison des liens avec les TLET que l’on pourrait lui prêter ou lui imputer (c’est-à-dire ses opinions politiques). La Cour a déjà eu l’occasion d’affirmer que cela peut effectivement constituer un lien suffisant. Voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B420, 2013 CF 321, aux paragraphes 18, 19, 21; et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c A068, 2013 CF 1119.

 

[65]           Le fait que le demandeur ait été lavé de tout soupçon quant aux liens qu’il aurait pu, par le passé, entretenir avec les TLET, revêt en l’espèce une certaine importance, mais ne règle pas la question de sa qualité de réfugié « sur place ». La SPR était tenue d’envisager la qualité de réfugié « sur place » sous l’angle prospectif, dans l’idée que le demandeur pourrait être tenu avoir entretenu des liens avec les TLET étant donné son arrivée au Canada à bord du navire Sun Sea. Il demande asile au titre de son origine ethnique et de ses opinions politiques et son avocat a plaidé ces motifs. La SPR était par ailleurs tenue de prendre en compte, dans l’hypothèse où le demandeur serait renvoyé dans son pays d’origine, les risques envisagés à l’article 97.

 

[66]           Comme le confirme elle-même la SPR, en cas de renvoi, le demandeur sera interrogé et il lui faudra bien expliquer comment il est arrivé au Canada. La SPR a réglé la question en retenant l’insuffisance des éléments de preuve permettant « de conclure que le gouvernement du Sri Lanka présumerait que le demandeur d’asile a ou a eu des liens avec les TLET  simplement parce qu’il a voyagé à bord du MS Sun Sea ». Mais, ainsi que le reconnaît la SPR, toute personne revenant au Sri Lanka est interrogée à son retour et les Tamouls sont victimes « d’abus de pouvoir de la part de la police ou de la CID ».

 

[67]           Selon les éléments de preuve produits devant la SPR :

[traduction]

Le ministre de la Défense du Sri Lanka a accusé les passagers à bord du MS Sun Sea et du MS Ocean Lady d’avoir des liens avec les TLET, laissant entendre qu’il se trouvait parmi les passagers des dirigeants et des membres du groupe ainsi que des membres de leur famille. Selon Amnistie Internationale, toute personne soupçonnée d’appartenir aux TLET, ou d’entretenir des liens avec eux risque véritablement d’être torturée ou d’avoir à subir d’autres sévices en cas de renvoi forcé au Sri Lanka.

 

Inquiétudes manifestées par Amnistie Internationale à propos du refoulement au Sri Lanka des passagers des navires Ocean Lady et Sun Sea, 12 juin 2012, dossier du demandeur, à la page 342.

 

[68]           Dans d’autres affaires de demande d’asile, la SPR a conclu que les passagers des navires Sun Sea ou Ocean Lady qui seraient renvoyés dans leur pays d’origine risqueraient d’être torturés en raison des liens qu’on leur prêterait avec les TLET, même s’ils n’avaient jamais entretenu de tels liens. La Cour a avalisé ces décisions. Voir, par exemple, l’analyse du juge Blanchard dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c A032, 2013 CF 322, au paragraphe 17, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B377, 2013 CF 320.

 

[69]           En l’espèce, des preuves non négligeables démontrent que les autorités sri lankaises sont parfaitement au courant des liens qu’il peut y avoir entre les passagers du navire Sun Sea et les TLET. Cela ne veut aucunement dire qu’elles prêtent à tous les passagers du Sun Sea des liens avec les TLET, mais le passager rentrant au Sri Lanka est considéré comme suspect et interrogé à son arrivée. Les personnes à qui l’on a refusé asile sont interrogées de plus près. Le demandeur sera forcément interrogé sur la manière dont il est parvenu au Canada, et on saura tout de suite qu’il est arrivé à bord du navire Sun Sea. Cela veut dire qu’il sera détenu un certain temps afin de déceler, par exemple :

a.                   s’il fait partie des TLET;

b.                  s’il s’est livré, à l’étranger, à des travaux d’organisation pour le compte des TLET; et

c.                   s’il possède des renseignements sur les TLET.

Donc, à son retour, le demandeur sera détenu et interrogé au sujet des liens qu’il pourrait avoir avec les TLET. Selon Amnistie Internationale, en cas de renvoi au Sri Lanka, les personnes se trouvant dans la situation du demandeur risquent bel et bien la torture ou d’autres formes de sévices. La conclusion de la SPR selon laquelle il n’y a pas « suffisamment d’éléments de preuve pour déterminer si les autorités du Sri Lanka sauront que le demandeur d’asile était un des passagers du MS Sun Sea » et selon laquelle «  [elle n’a] pas suffisamment d’éléments de preuve [lui] permettant de croire que le gouvernement du Sri Lanka traiterait le demandeur d’asile différemment de tout autre rapatrié [...] » ne tient, selon moi, aucun compte des éléments de preuve qui ont été produits et de la réalité face à laquelle se trouve le demandeur.

 

[70]           Malgré les problèmes de crédibilité à propos des démêlés que le demandeur affirme avoir eus avec les autorités avant de quitter le Sri Lanka, et de son témoignage, dans lequel il nie avoir jamais entretenu de liens avec les TLET, il ne fait aucun doute que le demandeur est un jeune Tamoul originaire du nord (et non pas de Colombo, comme l’a dit la SPR) qui est arrivé au Canada à bord du navire Sun Sea. En raison de la traversée qu’il a effectuée à bord du Sun Sea, le demandeur sera, à son arrivée au Sri Lanka, détenu et interrogé. Bien qu’elle ait conclu que les Tamouls, comme d’autres, « peuvent être victimes d’abus de pouvoir de la part de la police ou de la CID », la SPR n’a pas pris en compte ce qui arrivera au demandeur lorsqu’il sera interrogé puisque, comme la preuve le démontre, les autorités sri lankaises s’intéressent de près aux liens qu’il peut y avoir entre les passagers du navire Sun Sea et les TLET, en dépit des preuves fournies par Amnistie Internationale que les individus [traduction] « soupçonnés d’appartenir aux TLET ou d’entretenir des liens avec eux risquent bel et bien d’être torturés ou d’avoir à subir d’autres sévices si on les renvoie de force au Sri Lanka ». Ces risques sont encourus non seulement par ceux qui entretiennent vraiment des liens avec les TLET, mais également par ceux que l’on soupçonne d’entretenir de tels liens. La SPR semble supposer que les autorités n’apprendront peut-être jamais que le demandeur a été passager à bord du navire Sun Sea (pourtant, ça se saura) et que, même si ça se savait, il ne risquerait pas d’être traité « différemment de tout autre rapatrié [...] puisqu’il n’a jamais eu de liens avec les TLET ». Je considère que les éléments de preuve produits en l’espèce ne justifient pas de telles conclusions. Pour ce seul motif, la décision est déraisonnable et l’affaire doit être soumise à réexamen.

 

[71]           Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier, et c’est également l’avis de la Cour.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                                          la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée pour réexamen devant une autre formation de la SPR; et

2.                                          aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

IMM-28-13

 

INTITULÉ :

YOGANATHAN SUNTHARALINGAM c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 4 DÉCEMBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE RUSSELL

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

                                                            LE 3 AVRIL 2014

COMPARUTIONS :

Jack Davis

 

Pour le demandeur

 

Jocelyn Espejo Clarke

 

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davis & Grice

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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