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Date : 20140423


Dossier : IMM-5711-13

Référence : 2014 CF 379

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 avril 2014

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

HAMID REZA ASADNEJAD

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Il semblerait que M. Asadnejad ait trop voulu en rajouter. La commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada qui a entendu la demande d’asile politique que ce demandeur iranien a présentée en invoquant ses opinions politiques a estimé que l’intéressé avait tellement exagéré les faits que sa crédibilité avait été mise en cause. Elle a conclu qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention des Nations Unies et de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ni une personne à protéger aux termes de l’article 97 de la Loi. La Cour est ici saisie du contrôle judiciaire de la décision.

[2]               M. Asadnejad était un contrôleur de la navigation aérienne. Voici les faits qui l’ont poussé à quitter l’Iran. Deux autres contrôleurs de la circulation aérienne et lui‑même ont voulu documenter leurs inquiétudes au sujet de la sécurité aéronautique en Iran et les transmettre à l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) et à la Fédération internationale des associations de contrôleurs du trafic aérien (IFATCA). Pour cacher leur identité et se protéger, ils ont créé des comptes de courrier électronique spéciaux et transmis leurs messages depuis un cybercafé.

[3]               Le demandeur a par la suite été alerté au fait que les agents de la sécurité iranienne le recherchaient. En raison de ses démêlés avec les autorités, il s’est enfui au Canada. Il allègue que ses deux collègues ont été arrêtés.

[4]               M. Asadnejad fait un lien entre cet incident et d’autres incidents passés. Pendant qu’il fréquentait le Civil Aviation Technology College de Téhéran, de 1998 à 2001, il a pris part à la fondation de l’Iranian Air Traffic Controllers Association, laquelle a par la suite été enregistrée auprès de l’IFATCA. Il a également participé à une grande manifestation où il s’est adressé à des étudiants en grève. Il a été arrêté, interrogé, fouetté et suspendu de ses fonctions pendant six mois.

[5]               Par la suite, il a été embauché comme contrôleur de la circulation aérienne à l’aéroport de Lar. Il estimait que cet aéroport n’offrait aucune possibilité d’avancement et que, pour lui, cela équivalait à un exil intérieur. Quoi qu’il en soit, il serait difficile de prétendre que c’était de la persécution.

[6]               Plus tard, après s’être apparemment racheté, il a été transféré à Shiraz, une ville dotée d’un grand aéroport. Toutefois, durant son séjour, il a proposé que la section locale des contrôleurs de la circulation aérienne invite Mir Hossein Moussavi à leur faire une conférence. Ce réformiste s’était présenté à l’élection présidentielle de 2009. Pour le remercier de sa suggestion, des agents du renseignement ont arrêté le demandeur et l’ont accusé de se livrer à des activités politiques. Là encore, il a été fouetté et « exilé » à l’île de Kish, pour y exercer des fonctions de contrôleur aérien.

[7]               Il y a lieu de mentionner aussi qu’il a obtenu l’autorisation de se rendre en Iraq en 2010, mais qu’il est retourné en Iran par la suite.

[8]               Après son arrivée au Canada, il a reçu des lettres de son cousin qui l’avait aidé à s’enfuir ainsi que de son frère. Son frère le blâmait pour les épreuves qu’avaient dû subir les membres de sa famille restés en Iran.

I.                   Question à trancher

[9]               La véritable question en cause réside dans la crédibilité et le manque de ce que la commissaire a considéré comme des éléments de corroboration. Le demandeur prétend qu’elle a omis de tenir compte de certains éléments de preuve objective, dont un rapport médical qui indiquait clairement que le corps de M. Asadnejad portait deux séries de cicatrices qui auraient dû corroborer son allégation selon laquelle il avait été fouetté à deux occasions, soit en 1999 et en 2008.

II.                Analyse

[10]           M. Asadnejad fait un lien entre le fait qu’il avait fait rapport à l’OACI et l’IFATCA en 2011 et le fait qu’il était apparemment recherché par les autorités et des incidents antérieurs. La commissaire a manifestement estimé qu’il avait versé dans l’exagération. Le demandeur est retourné en Iran en 2010, ce qui n’est pas compatible avec une crainte subjective de persécution.  

[11]           La commissaire n’a pas omis de tenir compte des cicatrices sur son corps. Celles‑ci ont peut-être corroboré la version des faits du demandeur, étant donné que la documentation sur les conditions dans le pays indique que le fouet est un moyen de punition courant en Iran qui peut être infligé pour diverses raisons. La question était de savoir pourquoi il avait été fouetté, et non s’il avait été fouetté.

[12]           Le fait d’être affecté à des aéroports de régions éloignées, et d’être rémunéré pour son travail, ne constitue pas de la persécution.

[13]           Tout cela a naturellement suscité des doutes chez la commissaire quant à la question de savoir si le demandeur avait effectivement transmis un rapport à l’OACI et à l’IFATCA. M. Asadnejad n’en avait pas gardé de copies et ses efforts ultérieurs auprès des deux organisations pour en obtenir étaient insuffisants et tardifs.

[14]           La commissaire a relevé avec raison qu’il était possible de réfuter la présomption que le demandeur disait la vérité (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF). L’avocat de M. Asadnejad soutient que la commissaire a mentionné cette décision pour la forme seulement puisqu’elle a fait remarquer encore et encore qu’il n’existait aucune preuve corroborante. Bien qu’il soit erroné en droit de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité d’un demandeur du seul fait qu’aucun document n’a été produit pour appuyer la demande d’asile, une conclusion défavorable est justifiée lorsque la crédibilité du demandeur est mise en cause, comme c’était le cas en l’espèce (Lopez Aguilera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 173, [1980] ACF n180 (QL); Henriquez Pinedo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1118, [2009] ACF no 1585 (QL); Ahortor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 65 FTR 137 (CFPI); Nechifor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1004, [2003] ACF no 1278 (QL)).

III.             La norme de contrôle

[15]           La norme de contrôle à appliquer en l’espèce est celle de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, la Cour suprême déclare ceci au paragraphe 47 :

La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[16]           Il faut faire preuve de déférence à l’égard de la commissaire qui a eu la possibilité d’observer M. Asadnejad. Si j’avais instruit l’affaire en première instance, ma conclusion aurait peut-être été différente. Toutefois, je dois garder à l’esprit la mise en garde qu’a faite le juge Iacobucci dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c Southam Inc., [1997] 1 CSC 748, [1996] ACS no 116 (QL), au paragraphe 80 :

En guise de conclusion de mon analyse de cette question, je tiens à faire observer que le décideur chargé du contrôle de la décision, et même un décideur appliquant la norme de la décision raisonnable simpliciter, sera souvent tenté de trouver un moyen d’intervenir dans les cas où il aurait lui-même tiré la conclusion contraire. Les cours d’appel doivent résister à cette tentation.  Mon affirmation selon laquelle je ne serais peut-être pas arrivé à la même conclusion que le Tribunal ne devrait pas être considérée comme une invitation aux cours d’appel à intervenir dans les cas comme celui qui nous intéresse, mais plutôt comme une mise en garde contre pareille intervention et comme un appel à la retenue.  La retenue judiciaire s’impose si l’on veut façonner un système de contrôle judiciaire cohérent, rationnel et, à mon sens, judicieux.

 


JUGEMENT

POUR CES MOTIFS,

LA COUR STATUE que :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Sean Harrington »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Marie-Michèle Chidiac, trad. a.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


doSSIER :

imm-5711-13

 

INTITULÉ :

ASADNEJAD c MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :

vANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 MARS 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 AVRIL 2014

 

COMPARUTIONS :

Lesley Stalker

Carolyn McCool

POUR LE DEMANDEUR

 

Marjan Double

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lesley Stalker

Avocate

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Carolyn McCool

Avocate

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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