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Date : 20140509


Dossier :

IMM-1136-13

Référence : 2014 CF 447

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 mai 2014

En présence de monsieur le juge de Montigny

ENTRE :

EDITHA MORILLO DE OCAMPO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie de la présente demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 2 janvier 2013 (la décision) par un agent des visas (l’agent) du haut-commissariat du Canada à Singapour et selon laquelle la demanderesse ne satisfaisait pas aux exigences de l’obtention d’un permis de travail à titre d’aide familiale dans le cadre du Programme des aides familiaux résidants (le PAFR).

[2]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que le défendeur a enfreint le droit à l’équité  procédurale de la demanderesse. En conséquence, je considère qu’il y a lieu de faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire.

I.                   Les faits

[3]               La demanderesse, Editha Morillo de Ocampo, est une citoyenne des Philippines et une aidante familiale qualifiée. Sa sœur et son beau‑frère (Amy et Gene Paul Pineda) vivent au Canada; ils ont deux enfants, lesquels étaient âgés de 7 et 9 ans à l’époque de la demande, et travaillent tous deux à temps plein.

[4]               En juillet 2011, M. et Mme Pineda (les employeurs) ont conclu avec la demanderesse  un contrat de prestation de services de soignant. Ils ont présenté à Service Canada une demande d’avis relatif au marché du travail (AMT) et ont obtenu une réponse favorable le 22 septembre 2011. Ils ont envoyé une copie de la confirmation à la demanderesse, laquelle a alors présenté une demande de permis de travail temporaire au Canada dans le cadre du Programme concernant les aides familiaux résidants (PAFR) aux environs du 20 mars 2012.

[5]               Le 16 avril 2012, le haut-commissariat a envoyé aux employeurs une lettre relative à l’équité procédurale leur demandant de remplir un « Formulaire de renseignements supplémentaires » en donnant des précisions sur leur logement et sur leur aptitude à remplir les conditions du contrat d’emploi. Le 4 mai 2012, les employeurs ont transmis l’information requise au haut-commissariat.

[6]               Le 24 octobre 2012, l’agent du haut-commissariat a écrit par courriel à la demanderesse pour la convoquer à une entrevue fixée au 5 novembre 2012, et à laquelle elle s’est présentée.

II.                La décision contestée

[7]               Le 2 janvier 2013, l’agent a rejeté la demande de permis de travail temporaire que la demanderesse  avait présentée dans le cadre du PAFR. L’agent avait conclu que l’offre d’emploi n’était pas authentique. Le passage pertinent des motifs de l’agent, figurant dans les notes inscrites le 2 janvier 2013, se lit comme suit :

[traduction]

CDF interviewée le 5 nov. 2012. Notes inscrites aujourd’hui. Expérience de travail : Arrivée [à Singapour] en sept. 2010 pour travailler comme aide domestique. S’occupe de l’enfant de 5 ans [de l’employeur à Singapour]. Offre d’emploi : L’employeur canadien est la sœur de la CDF; elle a 2 enfants aujourd’hui âgés de ? [sic] et 7 ans. CDF dit que sa sœur lui offre cet emploi pour l’aider (elle doit faire vivre son enfant). Heures de travail de CDF : 8 h – 17 h ou 7 h – 16 h (lun.‑vendr.). Heures passées par les enfants à l’école : CDF ne sait pas. À la question de savoir qui s’occupe actuellement de l’enfant, CDF répond qu’elle l’ignore. L’employeur canadien n’a pas embauché d’autre aide familial résidant depuis le départ du dernier, en février 2010. L’employeur canadien a inscrit ses enfants à un service de garderie. Logement : 3 Je ne crois pas que cette offre d’emploi de l’employeur canadien est authentique. CDF occupera la plupart de ses heures de travail comme ménagère plutôt que comme aide familial, vu son horaire de travail et les heures pendant lesquelles les enfants seront à l’école. Les enfants ne semblent pas avoir de besoins particuliers ni ne semblent être laissés à eux-mêmes. J’ai conclu que l’offre d’emploi a pour objet de faire venir VFG [au Canada] et qu’elle n’est pas authentique. Demande rejetée.

III.             Question à trancher

[8]               La seule question à trancher dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire consiste à savoir si l’agent a manqué à l’équité procédurale.

IV.             Analyse

[9]               Il est bien établi que la norme de contrôle applicable aux questions de justice naturelle et d’équité procédurale est celle de la décision correcte (voir les arrêts Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, aux paragraphes 53 et 54; Mudalige Don c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CAF 4, au paragraphe 36).

[10]           La demanderesse soutient que l’agent a manqué à l’équité procédurale parce qu’il a fondé sa décision sur un point qu’il n’avait mentionné ni à elle ni à ses employeurs, à savoir l’authenticité de l’offre d’emploi. Je suis d’accord avec la demanderesse sur ce point.

[11]           Tout d’abord, je constate que les employeurs pouvaient indiquer dans une case du Formulaire de renseignements supplémentaires la raison pour laquelle ils avaient maintenant besoin d’un aidant familial, mais il était aussi mentionné sur le formulaire que les employeurs ne devaient remplir cette case que s’ils n’avaient jamais parrainé un aidant familial auparavant. Comme ce n’était pas le cas, les employeurs n’ont rien écrit dans cette case, conformément aux instructions. À l’audience, le conseil du défendeur a reconnu qu’il était possible de comprendre par les instructions que les employeurs ne devaient justifier leur besoin d’un aidant familial que s’ils n’avaient jamais embauché d’aidant familial auparavant.  Cette interprétation est d’autant plus raisonnable du fait que la demanderesse et les employeurs pouvaient raisonnablement supposer que Service Canada avait déjà évalué ce besoin dans le cadre de l’examen de la demande d’Avis relatif au  marché du travail (AMT). D’après le Guide opérationnel de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), l’une des fonctions et, de fait, des responsabilités de Service Canada consiste à examiner la demande d’AMT pour déterminer si l’éventuel employeur a effectivement besoin d’un aide familial (se reporter au chapitre « OP 14 Traitement des demandes aux termes du programme des aides familiaux résidants », partie 7 « Procédure : Processus de validation de l’offre d’emploi – rôles et responsabilités de EDSC/Service Canada ».  

[12]           En outre, le haut-commissariat a clairement fait savoir aux employeurs dans sa lettre relative à l’équité qu’en dépit du contrat d’emploi, CIC devait être sûr que les employeurs pouvaient satisfaire aux exigences de ce contrat. C’est pourquoi le haut-commissariat a demandé aux employeurs de remplir un Formulaire de renseignements supplémentaires, de fournir une preuve de propriété, un plan officiel de l’aménagement du domicile ainsi que la preuve de leur aptitude financière à respecter les modalités du contrat d’emploi. Il n’a mentionné nulle part que l’authenticité de l’offre d’emploi était une source de préoccupation.

[13]           L’agent aurait aussi dû demander des explications aux employeurs s’il avait des réserves quant à l’authenticité de l’offre d’emploi. Dans leur lettre d’accompagnement, les employeurs avaient souligné au haut-commissariat de [traduction] « ne pas hésiter à communiquer avec nous pour tout autre renseignement » et avaient inscrit leur adresse courriel et leurs coordonnées. Le défendeur a répondu que le haut-commissariat avait interrogé la demanderesse et lui avait directement posé des questions sur divers aspects de sa demande. Or, aucun élément de preuve ne permet d’établir que la question de l’authenticité a été clairement posée à la demanderesse à l’entrevue. En fait, la demanderesse affirme : [traduction] « On n’a pas cherché à savoir si mon employeur avait "prouvé qu’elle avait besoin de faire appel à un aide familial" ». Quoi qu’il en soit, cette question aurait dû être posée aux employeurs et non à la demanderesse, puisqu’ils étaient certainement mieux placés pour dissiper les doutes qu’aurait pu avoir l’agent quant à l’authenticité de l’offre d’emploi.

[14]           L’obligation d’équité procédurale prévoit, à tout le moins, d’aviser le demandeur en bonne et due forme des questions qui se posent et de lui donner la possibilité de présenter des observations par écrit à ce sujet (voir, par exemple, l’arrêt Mavi c Canada (Procureur général), 2011 CSC 30, au paragraphe 79, et la décision AFPC c Canada (Procureur général), 2013 CF 918, aux paragraphes 57 à 60). Ce principe s’applique tout autant dans le contexte de l’immigration (décision Tang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1284, aux paragraphes 37 et 38).

[15]           Le conseil du défendeur a prétendu que l’authenticité d’une offre d’emploi est toujours une considération pertinente et le fardeau de la preuve en incombe au demandeur. Suivant cette thèse, les instructions figurant dans le Formulaire de renseignements supplémentaires ne libéraient pas la demanderesse de cette obligation ni ne donnaient lieu à l’attente légitime que le haut-commissariat ne demanderait pas de plus amples renseignements. Cependant, cet argument n’est pas appuyé par les décisions citées par le défendeur ni par le guide pertinent de CIC.

[16]           Les décisions citées par le défendeur n’appuient effectivement pas ses arguments. Dans la décision Soor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1344, la demande présentée au titre du PAFR a également été rejetée au motif du manque d’authenticité de l’offre d’emploi. Cependant, en l’espèce, l’agent n’a pas mentionné à la demanderesse que l’authenticité de l’offre était en question (au paragraphe 7), et la Cour a conclu que l’agent avait donné à la demanderesse la possibilité de dissiper ses préoccupations (au paragraphe 15). Dans la décision Bondoc c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 842, la Cour a statué sur le caractère raisonnable de la décision de l’agent des visas selon laquelle l’offre d’emploi n’était pas authentique; elle n’a pas traité de l’équité procédurale.

[17]           Pour ce qui est du guide de CIC, la partie 5.7 énonce les exigences relatives à un contrat d’emploi. Les employeurs doivent prouver qu’ils disposent d’un revenu suffisant pour accorder à l’aide familial résidant le salaire et les avantages sociaux correspondant aux taux de rémunération de la province. L’emploi doit-être à plein temps et l’employeur doit résider au Canada. Il doit fournir à l’aide familial résidant un logement adéquat tel qu’un appartement privé ou une chambre avec serrure. L’aide familial résidant doit vivre au domicile de l’employeur pour être admissible au Programme. Bien entendu, ces exigences visent à garantir l’authenticité de l’offre d’emploi, et je conviens avec le défendeur que cette condition est implicite. Si toutes les exigences sont remplies, je ne vois pas comment il serait possible de rejeter une demande au motif que l’offre d’emploi n’est pas authentique, surtout lorsqu’on a laissé entendre aux employeurs et à la demanderesse que les seules préoccupations avaient trait au droit de propriété et à l’aménagement de la propriété.

[18]           Pour tous ces motifs, je suis d’avis que l’agent a agi d’une manière inéquitable et a enfreint le droit de la demanderesse à l’équité procédurale. La demande de contrôle judiciaire est par conséquent accueillie, la décision de l’agent relativement à la demande de permis de travail est annulée et le dossier sera renvoyé à un autre agent des visas pour nouvelle décision à la lumière de ces motifs.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision de l’agent relativement à la demande de permis de travail est annulée et que le dossier sera renvoyé à un autre agent des visas pour nouvelle décision à la lumière de ces motifs. Aucune question n’est à certifier.

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Marie-Michèle Chidiac, trad. a.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-1136-13

 

INTITULÉ :

EDITHA MORILLO DE OCAMPO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER MAI 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 MAI 2014

 

COMPARUTIONS :

Ali Amini

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Manuel Mendelzon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ali Amini

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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