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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 


Date : 20120717

Dossier : T-1495-07

Référence : 2012 CF 898

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 17 juillet 2012

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

ACTION RÉELLE ET PERSONNELLE EN MATIÈRE D’AMIRAUTÉ

 

ENTRE :

 

NAVAMAR LTD.

 

 

demanderesse

et

 

 

RODEL ENTERPRISES INC.

 

et

 

LE NAVIRE FEDON

 

et

 

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE FEDON

 

 

défendeurs

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’un appel d’une décision (l’ordonnance) rendue en date du 13 janvier 2012 par le protonotaire Morneau, en vertu du pouvoir discrétionnaire dont il est investi en sa qualité de juge responsable de la gestion de l’instance, ordonnant la radiation du dossier de la Cour d’un rapport d’expert, au motif qu’il ne constituait pas « strictement un rapport en réplique » aux termes d’une ordonnance rendue en date du 7 juillet 2011 (l’ordonnance de gestion de l’instance).

[2]               Les deux parties avaient déposé leurs rapports d’experts. Au cours d’une conférence préalable à l’instruction tenue le 6 juillet 2011, la demanderesse Navamar Ltd. (Navamar) a demandé l’autorisation de déposer un rapport additionnel en réplique au rapport d’expert de Rodel Enterprises Inc. (Rodel) (sans signifier de requête écrite ou d’avis à cet effet et après avoir été en possession du rapport d’expert de Rodel pour plus d’un an). En dépit des objections de Rodel, le protonotaire responsable de la gestion de l’instance fit droit à la demande et autorisa le dépôt d’un rapport qui serait « strictement un rapport en réplique » du rapport d’expert de Rodel. Le procès d’une durée de dix jours doit se tenir en février 2013.

 

[3]               Après le dépôt du rapport d’expert, Rodel déposa une requête pour s’opposer à ce rapport, au motif que Navamar tentait ainsi de fractionner sa preuve.

 

[4]               Le protonotaire entendit les procureurs des parties et rendit une ordonnance de neuf pages, dans laquelle il expliqua que le dernier rapport d’expert devait être « strictement un rapport en réplique » du rapport d’expert de Rodel. En se fondant sur des passages précis de la requête et des représentations écrites de Rodel, qui comprenaient un tableau de référence détaillé, le protonotaire responsable de la gestion de l’instance en vint à la conclusion que le rapport d’expert n’était pas « strictement un rapport en réplique » et que Navamar tentait effectivement de fractionner sa preuve. Il radia donc le rapport et condamna Navamar aux dépens.

 

[5]               Navamar est d’avis que l’ordonnance du protonotaire fait une description précise des faits et qu’elle reproduit fidèlement l’argumentaire de Rodel. Cela étant dit, Navamar se plaint par la suite que l’ordonnance ne décrit pas ou ne fait nulle mention des deux rapports d’experts et que le protonotaire ne précise pas s’il en a pris connaissance. En outre, elle mentionne que l’ordonnance ne contient aucun commentaire sur la façon dont le rapport d’expert de Navamar réplique au rapport d’expert de Rodel ou encore s’il est « strictement un rapport en réplique ». La demanderesse, Navamar, soutient que l’ordonnance aurait dû justifier la radiation du rapport [TRADUCTION] « […] au lieu de faire tout simplement siennes les prétentions de Rodel suivant lesquelles […] ‘le rapport […] constitue un fractionnement de la preuve et que son admission en preuve pourrait conduire à un flot de rapports d’experts ».

 

[6]               Dans sa requête en appel, Navamar ne dit pas que la radiation du rapport est de nature à lui causer un préjudice qui pourrait avoir une incidence sérieuse sur l’issue de la cause.

 

[7]               Les parties s’entendent pour dire que l’ordonnance rendue par le protonotaire responsable de la gestion de l’instance est discrétionnaire. Elle est également de nature interlocutoire et une telle décision ne peut être infirmée que lorsqu’il est démontré que l’ordonnance est manifestement mal fondée et que l’exercice du pouvoir discrétionnaire repose sur un principe erroné ou sur une appréciation erronée des faits (voir Orient Overseas Container Line Ltd c Sogelco International, 2011 CF 1466, au paragraphe 16).

 

[8]               La gestion de l’instance est une tâche exigeante et de longue durée. Elle requiert la connaissance du dossier, la maîtrise de nos Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, et de l’expérience dans la compréhension des subtilités de la procédure et du rôle que chaque partie doit jouer avec l’assistance d’un avocat. Lorsque des décisions sont rendues, elles sont le résultat de la connaissance des faits tels qu’ils se présentent et des questions de droit en jeu. Dans de telles circonstances, celui qui entend amener le tribunal siégeant en appel à intervenir pour écarter les conclusions du juge responsable de la gestion de l’instance ou du protonotaire doit se décharger d’un très lourd fardeau (voir j2 Global Communications, Inc c Protus IP Solutions Inc, 2009 CAF 41, aux paragraphes 5 et 16, et aussi Apotex Inc c Lundbeck Canada Inc, 2008 CAF 265, aux paragraphes 5 et 6).

 

[9]               Navamar soutient essentiellement que les motifs énoncés à l’ordonnance ne suffisent pas à étayer sa conclusion. Cela étant dit, de nombreuses décisions sont rendues dans le cadre de la gestion d’une instance et on ne peut s’attendre à ce qu’elles soient volumineuses et couchées en termes précis en plus d’être assorties d’amples citations, ce qui ne refléterait pas le rôle et la finalité de la gestion de l’instance. Dans la mesure où de telles décisions sont généralement compréhensibles, instructives et répondent aux requêtes soumises, elles doivent être lues à la lumière de l’ensemble des circonstances et des représentations des parties (voir Savanna Energy Services Corp c Technicoil Corp, 2005 CF 842, au paragraphe 19, et Novopharm Ltd c Nycomed Canada Inc, 2011 CF 109, aux paragraphes 23 et 24).

 

[10]           Selon Navamar, l’ordonnance de gestion d’instance de juillet 2011 est contredite par l’ordonnance de janvier 2012. Premièrement, lors de la conférence préparatoire, Nevamar a demandé verbalement la permission de déposer un rapport qui serait « strictement un rapport en réplique ». Comme la demande fut présentée verbalement, rien ne permet à la Cour de connaître les raisons pour lesquelles Navamar avait alors senti le besoin de faire une telle demande. Le protonotaire responsable de la gestion de l’instance acquiesça à la demande à la condition que ce soit « strictement un rapport en réplique ». Dans sa requête en contestation du rapport d’expert, Rodel a soutenu que le rapport ne constituait pas « strictement un rapport en réplique » et que, par conséquent, il s’agissait essentiellement d’une tentative de fractionnement de la preuve.

 

[11]           Il ressort clairement de la simple lecture de l’ordonnance de janvier 2012 que le protonotaire était d’accord avec les représentations de Rodel (qui comprenaient un tableau de références détaillé) suivant lesquelles le rapport ne constituait pas « strictement un rapport en réplique » et qu’il en résultait une tentative de la part de Navamar de fractionner sa preuve. Il est vrai qu’en se fondant sur les représentations de Rodel, le protonotaire responsable de la gestion de l’instance n’écrivait pas ses propres motifs, mais aucune erreur n’a été commise à cet égard. Dans la mesure où des références précises sont clairement apportées, comme ce fut le cas en l’espèce, un juge peut se fonder sur les représentations faites par l’une des parties (voir Es-Sayyid c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CAF 59, aux paragraphes 51à 63). Selon les faits et les questions de droit en jeu et le contexte dans lequel la décision est rendue, cela peut ne pas être la meilleure façon de procéder dans tous les cas. Il s’agissait toutefois d’une façon appropriée de procéder en l’espèce, et je ne vois aucune raison de faire droit à l’appel.

 

[12]           Il m’apparaît que les motifs avancés pour justifier l’ordonnance étaient suffisants et que le fait qu’elle se fonde sur les représentations de Rodel était approprié et instructif dans les circonstances. On conçoit que Navamar eut préféré un résultat différent ou au moins des motifs différents qui auraient exposé les raisons pour lesquelles l’ordonnance a conclu que le rapport d’expert ne constituait pas « strictement un rapport en réplique » et les raisons pour lesquelles les solutions de rechange à la radiation du rapport n’ont pas été adoptées, mais ce n’est pas l’approche que le protonotaire a suivie, étant donné que l’exercice de son pouvoir discrétionnaire l’a mené à conclure différemment.

 

[13]           Dans l’ensemble l’approche suivie par le protonotaire dans son ordonnance visait à favoriser le principe fondamental suivant lequel le demandeur doit faire valoir sa cause au moyen d’une preuve principale et le défendeur doit faire valoir la sienne au moyen de sa propre contre-preuve. Une réplique à la contre-preuve ne sera admise que de façon exceptionnelle. Navamar s’est vue offrir cette possibilité, mais il s’est avéré que le rapport d’expert qui fut déposé n’était pas « strictement un rapport en réplique » au sens où l’ordonnance de gestion d’instance du protonotaire l’entendait et que cela constituait plutôt une tentative de fragmentation de la preuve de la part de Navamar. L’ordonnance rendue par le protonotaire au mois de janvier ne se fondait pas sur un principe erroné.

 

[14]           Navamar a également tenté de soutenir que l’ordonnance se fondait sur une appréciation erronée des faits ce qui a résulté en un exercice abusif du pouvoir discrétionnaire. L’examen des représentations écrites soumises par Navamar aux paragraphes 39 et 40 démontre qu’il s’agit d’une tentative d’inviter la Cour à reconsidérer la preuve. Ma compréhension des faits et des questions me permet de décliner une telle invitation pour les motifs exposés ci-dessus.

 

[15]           Rodel n’a demandé aucuns dépens dans ses représentations écrites ni lors de l’audition du présent appel et par conséquent aucuns dépens ne sont accordés.

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que l’appel de l’ordonnance du protonotaire Morneau, datée du 13 janvier 2012, est rejeté. Aucuns dépens ne sont accordés.

 

                                                                                                 «Simon Noël»

                                                                                     _________________________

                                                                                                            Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                       T-1495-07

 

INTITULÉ :                                     NAVAMAR LTD c RODEL ENTERPRISES INC ET AUTRES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 9 juillet 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            JUGE S.NOËL

 

DATE :                                              Le 17 juillet 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Léon Moubayed

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Jean-Marie Fontaine

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS AU DOSSIER :

 

Davies Ward Phillips et Vineberg S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

 

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