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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20120314

Dossier : IMM-6236-11

Référence : 2012 CF 307

Ottawa (Ontario), le 14 mars 2012

En présence de madame la juge Bédard 

 

ENTRE :

 

THIERNO AMADOU BALDE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur est citoyen de la Guinée appartenant à l’ethnie Peul. Il a déposé une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue par une agente d’immigration (l’agente) le 20 juin 2011, dans laquelle elle a rejeté sa demande de résidence permanente, faite à partir du Canada, dans le volet des considérations humanitaires (demande CH) fondée sur l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 [la Loi].

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

I. Contexte

[3]               Le demandeur est arrivé au Canada le 18 juillet 2007 en passant par les États-Unis et il a demandé l’asile à son arrivée. Sa demande était fondée sur des incidents qui seraient survenus entre juin 2006 et janvier 2007. Sa demande a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) parce qu’elle a jugé que son récit n’était pas crédible. Une demande de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée le 11 août 2010.

 

[4]               Le 16 janvier 2011, le demandeur a présenté sa demande CH qu’il a fondée sur son établissement au Canada, l’intérêt supérieur d’un enfant, sa nièce, et ses craintes de retour. La décision contestée a été rendue le 20 juin 2011.

 

[5]               Le demandeur a également fait une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) qui a fait l’objet d’une décision négative rendue le 4 juillet 2011, par la même agente d’immigration que celle qui a traité la demande CH.

 

II. La décision contestée

[6]               L’agente a énoncé le fardeau de preuve qui incombe à un demandeur CH, soit celui de démontrer que « son cas particulier est tel que la difficulté de devoir obtenir un visa de résident permanent de l’extérieur du Canada serait soit inhabituelle et injustifiée ou démesurée. »

 

[7]               Elle a ensuite analysé les trois considérations invoquées. Au chapitre de l’établissement, elle a noté quelques éléments positifs, mais jugé qu’ils n’étaient pas déterminants dans l’octroi d’une dispense de présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur. Quant à l’intérêt supérieur de la nièce du demandeur, l’agente a estimé qu’il n’avait pas été démontré avec satisfaction et qu’il ne justifiait pas l’octroi d’une dispense.

 

[8]               Il y a lieu de s’attarder un peu plus sur l’analyse que l’agente a faite des craintes de retour alléguées par le demandeur.

 

[9]               L’agente a noté que dans le cadre d’une demande CH présentant des craintes de retour, le facteur risque devait être évalué dans son ensemble et que le test applicable consiste à déterminer si les risques encourus par le demandeur sont tels qu’ils équivalent à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives justifiant de faire une demande de résidence permanente à partir du Canada. 

 

[10]           L’agente a d’abord noté que le demandeur avançait, entre autres, les mêmes allégations que celles que la Commission avait jugées non crédibles lors de la demande d’asile et elle n’a pas retenu ces risques, et ce même si le demandeur a invoqué que la décision de la Commission n’était pas « fiable ».

 

[11]           L’agente a également traité des nouveaux faits invoqués par le demandeur et qui seraient survenus depuis le rejet de sa demande d’asile.

 

[12]           Elle a noté que le demandeur invoquait que son père était membre actif du parti politique l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) depuis le mois d’août 2009 et qu’en raison de son appartenance à ce parti, le demandeur avait fait l’objet d’abus de la part des forces de sécurité, notamment lors d’événements survenus en septembre 2009. L’agente a accordé une « valeur minimale » à cette allégation. Elle a noté que ces faits se seraient produits avant l’audition de la demande d’asile qui a eu lieu le 8 décembre 2009, mais que le demandeur n’avait pas amendé son Formulaire de renseignements personnels ni relaté ces nouvelles allégations de risques lors de l’audition. L’agente a également accordé peu de valeur probante à la lettre portant l’entête de l’UFDG attestant de la qualité de membre du père du demandeur parce qu’elle n’était pas accompagnée de l’enveloppe d’envoi ni d’une copie de la carte de membre du père du demandeur. L’agente a de plus noté que même si elle donnait foi à cette lettre, elle permettait de prouver l’appartenance du père du demandeur au parti politique de l’UFDG, mais pas que la sécurité de ce dernier, et celle du demandeur par ricochet, était en péril. L’agente a noté que malgré les ennuis allégués, les parents et le frère cadet du demandeur vivaient toujours en Guinée et qu’ils avaient obtenu de nombreux visas, notamment pour les États-Unis, le Canada et les États Schengen.

 

[13]           L’agente a également traité des conditions générales prévalant en Guinée. Elle a noté l’élection d’Alpha Condé comme président du pays le 15 novembre 2010 et indiqué que des tensions ethniques avaient été observées lors du deuxième tour des élections entre Peuls et Malinké. Elle a également noté qu’une amélioration des libertés à certains chapitres était survenue depuis l’élection du président Condé, mais qu’il y avait encore des progrès à faire. Elle a estimé que le risque avancé par le demandeur n’était pas différent de celui vécu par l’ensemble de la population. Elle s’est exprimée comme suit :

Le risque avancé par le demandeur advenant un retour en Guinée ne serait pas différent de celui de l’ensemble de la population Guinéenne qui fait globalement face à une situation difficile dans un pays constamment aux prises avec des conditions de vie minées par la pauvreté et une situation politique instable. Somme toute depuis les dernières élections, l’on observe une timide amélioration de la situation générale en Guinée.

 

(…)

 

En vertu de ce qui précède, je ne suis pas satisfaite que les risques avancés par le demandeur advenant son renvoi vers la Guinée soient tels qu’il lui justifie une dispense en raison de motifs humanitaires.

 

 

III. Questions en litige

 

[14]           Le demandeur a attaqué la décision de l’agente à plusieurs égards, mais une seule question m’apparaît déterminante en l’espèce :

L’agente a-t-elle omis de tenir compte du profil du demandeur en tant que jeune homme Peul dans son évaluation des facteurs de risques en cas de retour en Guinée?

 

IV. La norme de contrôle

[15]           Il est bien établi qu’une dispense de présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada est une mesure exceptionnelle et que les décisions à l’égard de demandes CH font appel à un large pouvoir discrétionnaire de la part du ministre (Baker c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 (disponible sur CanLII); Legault c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, 212 DLR (4th) 139; Daniel c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 797au para 11 (disponible sur CanLII) [Daniel]; Mirza c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 50 au para 1, 382 FTR 211. La Cour doit faire preuve de retenue à l’égard de ces décisions qui sont révisables selon la norme de la décision raisonnable (Daniel, précité, aux para 11-12; Serda c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 356, 146 ACWS (3d) 1057).

 

V. Analyse

[16]           Je considère que l’agente CH a énoncé et appliqué les bons critères à l’égard de la demande CH du demandeur, mais qu’elle a omis de traiter l’un des éléments importants de la composante de risque de sa demande.

 

[17]           Dans sa demande CH, le demandeur a invoqué divers risques dont celui lié à son appartenance à l’ethnie Peul et à son lien avec son père, notamment en raison de l’appartenance de celui-ci à l’UFDG. Le demandeur soutenait à cet égard que les membres de l’ethnie Peul et/ou les partisans de l’UFDG étaient toujours ciblés et faisaient l’objet d’abus et de violence depuis les élections de novembre 2010.

 

[18]           Or, l’agente a limité son analyse des risques à ceux liés aux abus dont le père du demandeur aurait été victime en 2009. Elle n’a aucunement traité dans sa décision de l’allégation de risque fondée non pas sur les événements particuliers soi-disant vécus par le père du demandeur, mais sur la simple appartenance de ce dernier à l’UFDG et sur le profil ethnique du demandeur en tant que Peul.

 

[19]           Ces éléments étaient importants dans la demande CH du demandeur et la décision de l’agente ne permet pas de conclure qu’elle a considéré cet aspect précis de la demande.

 

[20]           Le défendeur invoque que ces risques spécifiques ont fait l’objet d’une décision rendue par la même agente à l’égard d’une demande d’ERAR faite par le demandeur qui n’a pas fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire. Une décision d’ERAR négative a en effet été rendue par l’agente le 4 juillet 2011. Dans cette décision, l’agente d’ERAR a effectivement traité spécifiquement de l’allégation de risque fondée sur l’appartenance du demandeur à l’ethnie Peul. Elle a fait une analyse de la situation qui a prévalu lors de l’élection de novembre 2010 et de l’évolution de la situation depuis l’élection. Elle a conclu, sur la base de la documentation, que les conditions s’étaient améliorées depuis l’élection du président Alpha Condé et qu’elle ne croyait pas que la vie du demandeur soit à risque en raison de son ethnicité. Elle a également conclu que le demandeur n’avait pas fait le lien entre la preuve documentaire et sa situation personnelle.

 

[21]           La décision de l’agente d’ERAR ne peut toutefois pas avoir d’incidence sur la présente demande.

 

[22]           D’abord, l’agente saisie de la demande d’ERAR a analysé les risques de retour sous l’angle de l’article 97 de la Loi et non sous l’angle de l’ampleur des difficultés qui découleraient de ces risques, tel que requis lors du traitement d’une demande CH. D’autre part, et cet élément est fondamental, la décision ERAR est postérieure à la décision rendue à l’égard de la demande CH et les conclusions factuelles de l’agente ne pouvaient être prises en considération dans le cadre de la demande CH, pas plus qu’elles peuvent l’être dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire de la décision qui a disposé de cette demande. Dans la décision ERAR, l’agente a bien traité du risque spécifique invoqué par le demandeur lié à son ethnicité, mais elle n’a fait aucune analyse de ce facteur de risque dans la décision qu’elle a rendue à l’égard de la demande CH du demandeur.

 

[23]           Je considère donc qu’en omettant de traiter de l’un des principaux facteurs de risque invoqués par le demandeur au soutien de sa demande CH, l’agente a rendu une décision déraisonnable (Voir au même effet : Ariyaratnam c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 608 aux para 21 et 22 (disponible sur CanLII); Kaur c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 805, aux para 12-18, 92 Imm. L.R. (3d) 48).

 

[24]           La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie. Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification et ce dossier n’en contient aucune.


 

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’agente d’immigration est cassée et le dossier du demandeur est retourné au ministre pour que sa demande de résidence permanente à partir du Canada fondée sur des considérations humanitaires soit réexaminée par un autre agent d’immigration. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

 

 

 

 

 

              


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6236-11

 

INTITULÉ :                                      THIERNO AMADOU BALDE c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 1er mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 14 mars 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Patil Tutunjian

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Thi My Dung Tran

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Doyon et Associés Inc.

Montréal, Québec

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal, Québec

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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