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Date : 20140520


Dossier :

IMM-2176-13

Référence : 2014 CF 481

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 20 mai 2014

En présence de monsieur le juge de Montigny

ENTRE :

GEFRI LANDAZURI MORENO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Gefri Landazuri Moreno (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision, datée du 28 février 2013, rendue par un agent principal (l’agent) de Citoyenneté et Immigration Canada, par laquelle l’agent a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (CH) présentée depuis le Canada.

[2]               L’agent a rejeté la demande, parce qu’il a statué que les craintes du demandeur selon lesquelles ses enfants seraient kidnappés, exploités sexuellement et seraient utilisés comme main-d’œuvre servile constituaient des facteurs qui n’étaient pas admissibles à examen au sens du paragraphe 25(1.3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), et ce, dans un contexte où le reste des éléments de preuve pertinents à l’intérêt supérieur des enfants et à leur établissement au Canada était insuffisant pour justifier l’octroi d’une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi.

[3]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que la demande devrait être rejetée.

I.                   Les faits

[4]               Le demandeur est un citoyen de 49 ans de la Colombie qui occupe un emploi dans l’industrie de la construction. D’après la documentation présentée dans le cadre de la présente demande, le demandeur est arrivé au Canada le 15 juin 2008 en provenance des États-Unis où il résidait illégalement depuis le 1er février 1999.

[5]               Pendant qu’il était au Canada, le demandeur a fait la connaissance de Gabriela Adame Camacho, une citoyenne de 44 ans du Mexique, revendicatrice du statut de réfugié, arrivée au Canada le 9 mai 2008.

[6]               Le demandeur dit s’être engagé dans une union de fait avec Mme Adame Camacho le 1er avril 2009, et le couple a eu par la suite deux enfants nés au Canada. Le premier, Isaac Landazuri-Adame, est né en avril 2010, alors que la seconde, Andrea, est née en février 2012.

[7]               Le 14 mai 2010, la demande de statut de réfugié du demandeur a été rejetée. En rejetant la demande du demandeur, le tribunal de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu qu’il n’était pas crédible et qu’il n’avait pas de crainte subjective d’être persécuté, parce qu’il n’avait pas demandé l’asile aux États-Unis pendant les neuf années où il avait résidé sans statut dans ce pays. Mme Adame Camacho a également présenté une demande d’asile en avril 2011, demande qui a été rejetée le 10 septembre 2013.

[8]               Le 23 février 2012, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente, depuis le Canada, pour des considérations d’ordre humanitaire. Dans sa demande, le demandeur a inclus sa conjointe de fait, Mme Adame Camacho, et son propre fils, David Eduardo Landazuri Ruiz, né le 24 septembre 1993 en Colombie, et résidant chez sa mère aux États-Unis en tant que résident permanent.

[9]               Dans une lettre de son avocate jointe à sa demande, le demandeur a fait valoir que les facteurs d’ordre humanitaire suivants constituaient des difficultés justifiant sa demande : 1) la séparation du couple et de leurs enfants dans l’éventualité où on l’obligerait à quitter le Canada, le demandeur et sa conjointe de fait n’ayant pas de statut dans leurs pays d’origine réciproques; 2) si toute la famille devait retourner en Colombie ou au Mexique, selon les documents présentés sur la situation prévalant dans ces pays, il y a un risque pour les enfants d’être kidnappés dans les deux pays, de même qu’un risque d’assassinat, de prostitution forcée et d’utilisation comme main‑d’œuvre servile au Mexique.

[10]           Le demandeur a fait valoir que sa capacité et celle de son épouse de conserver un emploi dans l’industrie de la construction et l’absence de déclarations de culpabilité en matière criminelle constituaient des preuves positives qui justifiaient de demeurer au Canada. Il a présenté à l’appui des lettres de collègues et d’employeurs attestant son emploi dans divers postes dans l’industrie de la construction, des copies de son avis de cotisation de 2010 émanant de l’Agence du revenu du Canada comme preuve de revenus, ainsi que des photographies de famille.

[11]           Le 28 février 2013, la demande du demandeur a finalement été rejetée, et ce dernier sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

II.                La décision faisant l’objet du contrôle

[12]           En rejetant la demande de résidence permanente du demandeur, l’agent a tenu compte de la preuve présentée par celui-ci en ce qui touche aux éléments suivants : 1) les facteurs de risque dans le pays d’origine; 2) l’établissement de la famille au Canada; 3) l’intérêt supérieur des enfants; 4) la séparation de la famille.

[13]           En ce qui concerne les risques allégués auxquels s’exposeraient le demandeur et sa famille s’ils devaient retourner au Mexique ou en Colombie, l’agent a conclu que les observations portant sur le kidnapping, l’exploitation sexuelle et la main-d’œuvre servile au Mexique et en Colombie représentaient des facteurs à considérer dans le cadre d’une demande d’asile présentée au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi. Par conséquent, l’agent a conclu que le paragraphe 25(1.3) de la Loi empêchait de tenir compte de ces facteurs aux fins de la demande du demandeur pour considérations d’ordre humanitaire.

[14]           Quant à l’intérêt supérieur des deux enfants du demandeur nés au Canada, l’agent a conclu qu’il serait dans leur intérêt de demeurer avec leurs parents, et qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant qu’ils ne pourraient pas émigrer avec leurs parents. L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas présenté des éléments de preuve suffisants pour établir que l’intérêt supérieur de ces enfants ne pourrait pas être assuré en Colombie ou au Mexique. Compte tenu de leur jeune âge, l’agent a conclu que les difficultés associées à un nouvel établissement seraient minimales, et les demandeurs n’ont pas présenté d’éléments de preuve établissant que les enfants seraient privés d’accès à l’éducation, aux soins de santé et à d’autres services, ou que leur bien‑être serait autrement compromis advenant le retour de la famille dans l’un ou l’autre des pays.

[15]           Concernant le fils de 20 ans du demandeur résidant aux États-Unis, l’agent a constaté que le demandeur n’avait présenté ni observations ni éléments de preuve permettant d’établir comment ce fils éprouverait des difficultés si le demandeur quittait le Canada.

[16]           Sur la question de l’établissement, l’agent a reconnu les facteurs positifs quant à l’établissement du demandeur au Canada et a pris acte de son emploi au Canada et de ses activités de bénévolat dans la communauté. Toutefois, l’agent a conclu que l’établissement du demandeur n’atteignait pas le niveau de difficultés excessives requis pour justifier une dispense, cet établissement n’allant pas, selon lui, au-delà de ce à quoi on pouvait normalement s’attendre. L’établissement du demandeur n’était ni le résultat d’une incapacité prolongée de quitter le Canada ni le résultat de circonstances hors de son contrôle.

[17]           Pour ce qui est de la séparation de la famille, l’agent a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté de son obligation de fournir des éléments de preuves objectifs suffisants pour établir que la famille ne pouvait pas demeurer ensemble au Mexique ou Colombie. Le demandeur n’a pas non plus fourni d’éléments de preuve suffisants pour démontrer que le retour des membres de la famille dans l’un ou l’autre de ces pays où ils étaient nés, avaient fait leurs études et avaient travaillé, constituait une difficulté suffisante pour justifier la demande.

[18]           L’agent a par conséquent conclu qu’il n’existait pas suffisamment de facteurs, dans l’ensemble, pour justifier l’octroi d’une dispense.

III.             La question en litige

[19]           La seule question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la décision de l’agent était raisonnable.

IV.             Analyse

[20]           Il est bien établi que la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un agent d’immigration dans le cadre d’une décision fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, notamment celle qu’un agent prend en application du paragraphe 25(1.3) de la Loi, est la norme de la décision raisonnable : voir Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189 (Kisana), au paragraphe 18; Kanthasamy c Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2014 FCA 113, au paragraphe 37 (Kanthasamy).

[21]           Aux termes du paragraphe 25(1) de la Loi, les dispenses fondées sur des considérations d’ordre humanitaire sont des décisions exceptionnelles et discrétionnaires qui obligent l’agent d’immigration à examiner des situations qui ne sont pas prévues par la Loi : Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, au paragraphe 15. En examinant la demande, l’agent doit déterminer, en s’aidant des facteurs énoncés aux sections 5.10 et 5.11 du chapitre IP5 du Guide de l’immigration – Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaires (le Guide IP5), si le demandeur subirait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il devait quitter le Canada et qu’on l’obligeait à faire sa demande de résidence permanente depuis l’étranger; Serda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 356 (Serda), au paragraphe 20; Kanthasamy, précité, aux paragraphes 45 à 55.

[22]           Un demandeur doit satisfaire à un critère élevé lorsqu’il demande d’être dispensé de l’application de la Loi, et c’est à lui qu’incombe la responsabilité de présenter les considérations d’ordre humanitaire sur lesquelles sa demande repose et d’établir les faits de celle-ci : Kisana, précité, au paragraphe 28; Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, au paragraphe 8.

[23]           En l’espèce, le demandeur soutient que l’agent a commis trois erreurs susceptibles de contrôle : 1) il a commis une erreur en concluant que le paragraphe 25(1.3) de la Loi l’empêchait de tenir compte du risque de kidnapping des enfants du demandeur; 2) dans le cours de son analyse relative à l’établissement, il a appliqué à tort le critère des « personnes qui sont dans une situation semblable »; 3) il n’a pas raisonnablement appliqué le critère de l’intérêt supérieur des enfants dans son analyse.

[24]           En ce qui a trait au premier argument portant sur le risque auquel s’exposeraient ses enfants, selon le demandeur, s’ils retournaient au Mexique ou en Colombie, il soutient que l’agent a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon abusive en ne tenant pas compte de ce risque. Étant donné que la SPR ne s’était pas encore prononcée sur la demande d’asile de l’épouse du demandeur au moment de la décision CH, l’omission de l’agent d’examiner le risque de kidnapping pouvait donner lieu à un résultat absurde où le risque pouvait ne jamais être évalué par un agent CH ou un tribunal de la SPR. Autrement, le tribunal de la SPR pouvait conclure que les facteurs de risque invoqués par le demandeur n’étaient que des risques généralisés, qu’ils pouvaient certes constituer du harcèlement ou un mauvais traitement, mais qu’ils n’équivalaient pas à de la persécution. Enfin, le demandeur soutient que l’agent n’a pas tenu compte de la preuve documentaire objective produite démontrant le risque de kidnapping des deux enfants en Colombie.

[25]           Ces arguments sont mal fondés. Le paragraphe 25(1.3) de la Loi, lequel est entré en vigueur le 29 juin 2010 (avant la présentation de la demande du demandeur), interdit expressément de tenir compte des facteurs liés aux articles 96 et 97 de la Loi dans l’évaluation d’une demande CH, mais il doit être tenu compte des difficultés auxquelles le demandeur fait face. Ce paragraphe est ainsi libellé :

Non-application de certains facteurs

25 (1.3) Le ministre, dans l’étude de la demande d’un étranger se trouvant au Canada, ne tient compte d’aucun des facteurs servant à établir la qualité de réfugié — au sens de la Convention — aux termes de l’article 96 ou de personne à protéger au titre du paragraphe 97(1); il tient compte, toutefois, des difficultés auxquelles l’étranger fait face.

[Non souligné dans l’original.]

Non-application of certain factors

25 (1.3) In examining the request of a foreign national in Canada, the Minister may not consider the factors that are taken into account in the determination of whether a person is a Convention refugee under section 96 or a person in need of protection under subsection 97(1) but must consider elements related to the hardships that affect the foreign national.

[Emphasis added.]

[26]           Tout récemment, la Cour d’appel fédérale a donné des explications sur la preuve en matière de risque et sur la façon dont l’agent doit tenir compte de cette preuve :

[traduction]

À mon sens, il s’agit d’une bonne description de la façon de procéder dans le cadre de l’article 25, maintenant que le paragraphe 25(1.3) a été adopté – la preuve présentée dans les instances antérieures engagées au titre des articles 96 et 97, tout comme toute autre preuve que le demandeur souhaite présenter, est admissible dans les instances engagées au titre du paragraphe 25(1). Toutefois, l’agent doit apprécier cette preuve en fonction du critère de l’existence de difficultés, critère prévu au paragraphe 25(1), et se demander si le demandeur subirait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

Ainsi donc, le rôle de l’agent est de tenir compte des faits présentés en fonction de l’existence de difficultés, et non pas d’effectuer une nouvelle évaluation du risque au sens des articles 96 ou 97 ou de substituer sa décision aux conclusions que la Section de la protection des réfugiés a tirées, fondées sur les articles 96 et 97. La tâche de l’agent n’est pas d’exécuter la même évaluation du risque que celle menée dans le cadre des articles 96 et 97. L’agent doit examiner les faits en fonction des difficultés, et non pas les facteurs se rapportant aux risques.

Des questions comme la crainte fondée de persécution, la menace à la vie et le risque de traitement ou de peines cruelles inusitées – des facteurs prévus aux articles 96 et 97 – pourraient ne pas être pris en compte au titre du paragraphe 25(1), aux termes du paragraphe 25(1.3), mais les faits sur lesquels ces facteurs sont fondés pourraient néanmoins être pertinents dans la mesure où ils se rapportent à la question de savoir si le demandeur éprouverait directement ou personnellement des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

Kanthasamy, précité, aux paragraphes 73 à 75.

[27]           En l’espèce, la seule preuve que le demandeur a présenté à l’appui de son assertion était une preuve documentaire objective sur les conditions prévalant au Mexique et en Colombie à l’égard du kidnapping. Cette preuve ne constitue pas une preuve établissant, selon le critère énoncé dans l’arrêt Kanthasamy, que le demandeur serait personnellement et directement exposé à ce risque. Par conséquent, la conclusion de l’agent selon laquelle l’évaluation du risque débordait du cadre de l’examen de la demande CH est raisonnable au vu du dossier.

[28]           D’ailleurs, je note que la SPR a depuis rejeté la demande d’asile de l’épouse du demandeur au motif que la crainte de celle-ci que ses enfants soient kidnappés s’ils retournaient au Mexique était spéculative. La SPR a conclu que les agents de persécution allégués n’avaient rien fait d’autre de concret que de suivre la demanderesse et sa sœur et qu’elle n’avait pas établi de possibilité sérieuse de persécution ou un risque de préjudice dans l’éventualité où elle retournerait au Mexique. Certes, cette décision n’a pas été rendue pendant que l’agent examinait la demande CH, mais elle démontre néanmoins qu’il était raisonnable de présumer que la SPR considérerait toutes les allégations de risque qui avaient été faites dans la demande d’asile. En conséquence, on ne peut pas dire que l’agent a entravé son pouvoir discrétionnaire ou s’est lavé les mains des allégations de risque : cela dépassait clairement le cadre de son mandat, et on peut présumer à juste titre que la SPR se serait prononcée à cet égard.

[29]           Le demandeur avance comme deuxième argument que l’agent a commis une erreur en appréciant l’établissement selon le critère « des personnes qui sont dans une situation semblable ». Il prétend que les éléments de preuve que lui et son épouse ont présentés touchant leur emploi au Canada, les lettres de recommandation de la communauté, les baux, les avis de cotisation et les photos de familles, constituent des éléments de preuve suffisants pour démontrer leur établissement sur une base individuelle.

[30]           Encore là, je ne saurais donner raison au demandeur qui, en fait, soutient que l’agent aurait dû apprécier différemment la preuve. Comme il a été déjà mentionné, les décisions CH sont des décisions discrétionnaires où l’agent doit déterminer si le demandeur ferait face à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. La section 11.5 du Guide IP5 indique clairement que « [l]e fait que le demandeur a un certain degré d’établissement au Canada ne satisfait pas nécessairement au critère relatif aux difficultés ». C’est au demandeur qu’incombe la responsabilité de faire valoir les motifs sur lesquels repose sa demande et d’en établir les faits.

[31]           Le demandeur en l’espèce n’a pas convaincu l’agent que sa situation personnelle était telle que les difficultés auxquels il serait exposé s’il devait demander la résidence permanente depuis l’extérieur du Canada de la manière habituelle seraient inhabituelles, injustifiées ou excessives. L’agent a examiné les éléments de preuve présentés par le demandeur au sujet de son établissement au Canada, notamment le relevé d’emploi du demandeur et celui de son épouse, ainsi que leurs activités de bénévolat dans la collectivité. Il a aussi noté que leur établissement n’était pas le résultat d’une incapacité prolongée de quitter le Canada, ou qu’il était attribuable à des circonstances hors de leur contrôle. En analysant tous ces facteurs, l’agent a conclu que l’établissement du demandeur n’avait pas atteint un niveau exceptionnel.

[32]           J’estime que la conclusion de l’agent était raisonnable au vu du dossier dont il disposait, et qu’elle appartient clairement, eu égard à la situation du demandeur, aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et droit. Dans sa lettre à l’appui de la demande CH du demandeur, l’avocate du demandeur a affirmé que le couple qu’elle défendait risquait de se séparer s’il était forcé de quitter le Canada. Mais la lettre est succincte et ne renferme aucun témoignage ou explication sur les raisons qui empêcheraient la famille d’être réunie en Colombie ou au Mexique. Lorsqu’elle a été interrogée précisément sur cette question à l’audience, l’avocate du demandeur a reconnu qu’elle ne voyait aucun obstacle qui empêcherait l’un ou l’autre des époux de parrainer leurs enfants et de se parrainer réciproquement en Colombie ou au Mexique.

[33]           Enfin, le demandeur prétend que l’agent a commis une erreur en concluant à l’existence d’une preuve insuffisante permettant d’inférer que l’intérêt supérieur des enfants ne serait pas respecté en Colombie ou au Mexique. Le demandeur avance que sa preuve documentaire, à savoir l’Indice de développement de l’enfant dont fait rapport Save the Children (une ONG), qui établit que le Canada se classe mieux que la Colombie ou le Mexique en matière de facteurs de développement, équivaut à une telle preuve. Puisque l’agent n’a pas fait référence explicitement à ce rapport, le demandeur soutient qu’il ne s’est pas montré « réceptif, attentif et sensible » à tous les aspects touchant l’intérêt supérieur des enfants, et qu’il n’a pas examiné un élément de preuve pertinent.

[34]           Je ne peux me ranger à cet argument. Le critère juridique pour apprécier l’intérêt supérieur d’un enfant exige effectivement de l’agent qui analyse une demande CH qu’il se montre « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur de l’enfant : Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 75. Toutefois, cette analyse ne se fait pas dans l’abstrait; elle doit se faire dans le contexte du traitement que fait l’agent d’une demande CH : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Hawthorne, 2002 CAF 475, au paragraphe 5.

[35]           Étant donné les renseignements limités fournis par le demandeur au sujet de ses enfants mineurs, l’application de ce critère par l’agent était raisonnable. La demande CH du demandeur ne mentionne aucunement ses deux enfants mineurs comme faisant partie de sa demande. Dans la lettre de son avocate jointe à sa demande, la seule référence aux enfants (hormis le risque généralisé de kidnapping déjà évoqué) est le fait qu’ils n’ont pas de statut dans les pays d’origine réciproques des parents. Le demandeur n’a pas expliqué comment l’intérêt supérieur de ses enfants ne serait pas servi s’ils retournaient en Colombie ou au Mexique.

[36]           Il ne suffit pas de décrire simplement les conditions générales qui sont pires dans le pays de renvoi, comparativement aux conditions prévalant au Canada. Le demandeur doit démontrer la probabilité que lui et ses enfants soient assujettis à ces conditions personnellement. Comme je l’ai écrit dans la décision Serda, au paragraphe 31 :

Enfin, les demandeurs font valoir que la situation en Argentine est pitoyable et néfaste pour les enfants. Ils citent des statistiques tirées de la preuve documentaire que l’agente d’immigration a elle-même examinée pour démontrer que le Canada est un endroit plus agréable pour vivre en général. Mais le fait que le Canada soit un endroit plus agréable pour vivre n’est pas un facteur déterminant dans l’issue d’une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaires [...]; s’il en était autrement, il faudrait donner à la vaste majorité des personnes qui vivent illégalement au Canada le statut de résident permanent pour des raisons d’ordre humanitaire. De toute évidence, telle n’était pas l’intention du Parlement lorsqu’il a promulgué l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

[37]           En l’absence d’éléments probants de nature personnelle démontrant le contraire, l’agent pouvait raisonnablement conclure que l’intérêt supérieur des enfants était de demeurer aux bons soins de leurs parents et qu’on pouvait s’attendre raisonnablement que les difficultés associées à leur réinstallation seraient minimales compte tenu de leur jeune âge. Aucune preuve n’indiquait que les enfants n’accéderaient pas aux soins de santé et à l’éducation en Colombie ou au Mexique, et il n’était assurément pas suffisant de démontrer que le Canada est un endroit plus agréable pour vivre que le pays d’origine de leurs parents. Il convient également de présumer que l’agent a examiné le rapport présenté par le demandeur, même s’il n’y a pas fait mention spécifiquement.

[38]           Pour tous les motifs qui précèdent, je conclus que rien ne justifie l’intervention de la Cour, et la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Le demandeur ne m’a pas persuadé que l’agent avait commis une erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire ou que sa décision était déraisonnable, compte tenu des faits qui lui avaient été soumis et du droit applicable. Aucune question n’a été proposée aux fins de la certification et aucune ne sera certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Yves de Montigny »

juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

C. Laroche

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-2176-13

 

INTITULÉ :

GEFRI LANDAZURI MORENO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 MAI 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

 

LE 20 MAI 2014

COMPARUTIONS :

Suha Abu-Jazar

 

For Le demandeur

 

Maria Green

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsany

Avocats

Calgary (Alberta)

 

For Le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

pour la défenderesse

 

 

 

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