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Date : 20140528


Dossier : IMM‑5436‑13

Référence : 2014 CF 516

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 28 mai 2014

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

KAILASH NATH MAHAPATRA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La présente affaire porte sur l’équivalence entre une infraction pour laquelle le demandeur a été déclaré coupable à l’étranger et une infraction correspondante au Canada.

[2]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 7 août 2013 par laquelle la Section de l’immigration a décidé que le demandeur était interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 36(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Le contrôle judiciaire est sollicité en application de l’article 72 de la LIPR.

[3]               En raison de la conclusion d’interdiction de territoire, une mesure d’expulsion a été prise à l’égard du demandeur en vertu de l’article 229 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227.

I.                   Faits

[4]               Les faits de la présente affaire sont relativement simples. Le demandeur, né en 1957, est citoyen de l’Inde et n’est ni citoyen ni résident permanent du Canada.

[5]               Le demandeur a été déclaré coupable d’attentat à la pudeur au deuxième degré d’un enfant (agression sexuelle) aux termes de l’article 8.3, chapitre 37, titre 11 (§ 11‑37‑8.3) des State of Rhode Island General Laws, R.I. Gen. Laws § 6‑1‑1 (les lois générales du Rhode Island). Un jury a conclu que le demandeur était coupable de l’infraction et ce dernier a été condamné le 17 avril 2003. Un appel a été interjeté devant la Cour suprême du Rhode Island, à la suite duquel la déclaration de culpabilité a été confirmée en juillet 2005.

[6]               Personne ne conteste que le demandeur a été déclaré coupable de l’infraction susmentionnée. Toutefois, il ne cesse de nier que les faits appuyant la déclaration de culpabilité se sont réellement produits.

[7]               L’infraction pour laquelle la déclaration de culpabilité a été prononcée s’est produite en 1997. La victime était alors âgée de 13 ans.

[8]               À l’époque, le demandeur était chargé de cours à l’Université Yale. Dans le jugement rendu par la Cour suprême du Rhode Island, les faits ont été décrits comme suit :

[traduction] Lors d’un procès devant jury, en janvier 2003, la plaignante, que nous appellerons Ashley, a déclaré que l’accusé, un ami de la famille, l’avait, de façon inappropriée, touchée et embrassée à plusieurs occasions. L’incident qui a entraîné les accusations criminelles s’est produit en décembre 1997 alors qu’Ashley était âgée de 13 ans. Ashley a passé la nuit chez une amie commune à Coventry. Après que les enfants furent allés se coucher et que les adultes eurent commencé à visionner un film, l’accusé a réveillé Ashley pour jouer une partie de hockey sur coussin d’air. Cependant, lorsque la table de jeu a fait défaut, Ashley est retournée se coucher. L’accusé s’est allongé à côté d’elle sur un lit jumeau superposé. Alors qu’Ashley était allongée sur le côté, faisant face au mur, l’accusé lui a caressé les seins par‑derrière et a tenté de glisser ses mains dans son sous‑vêtement – elle a réussi à l’en empêcher en se pressant contre le mur et en bougeant son corps pour se dérober aux mains de l’accusé.

[9]               Le demandeur a été condamné au total à 10 ans d’emprisonnement, soit les trois premières années sous forme d’assignation à résidence et le reste sous forme de peine à purger dans la collectivité, mais en probation.

II.                Norme de contrôle

[10]           Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable pour ce qui est de déterminer s’il y a équivalence entre les infractions prévues dans deux pays est celle de la raisonnabilité. Je suis d’accord. Il y a moins d’un an, notre Cour s’est penchée sur la question et, jurisprudence à l’appui, a conclu que la norme à appliquer est celle de la raisonnabilité (Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 804). Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit qui commande l’application de cette norme. De ce fait, la Cour n’a pas à être convaincue que la décision de la Section de l’immigration est correcte, mais plutôt convaincue de la justification de la décision ainsi que de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel. En dernière analyse, la Cour doit déterminer si la décision appartient aux issues possibles et acceptables qui peuvent se justifier au regard des faits et du droit.

III.             Arguments

[11]           À titre d’observation préliminaire, la Couronne soutient que la Cour ne devrait pas être saisie de l’affaire parce que le demandeur n’est pas sans reproche lui‑même. Le ministre est d’avis que le demandeur a utilisé abusivement le système de droit de l’immigration de notre pays en venant au Canada de façon répétée muni de visas de visiteur qu’il a obtenus sans respecter l’obligation de divulgation complète que lui impose la loi. Sa présence au Canada aurait été autorisée à quelque 12 occasions. Par ailleurs, lorsque le demandeur a finalement été arrêté par les autorités, il aurait tenté de soutenir que c’était une erreur. De ce que nous comprenons, le demandeur venait au Canada dans le but de visiter sa famille aux États‑Unis. Quoi qu’il en soit, le refus de communiquer tous les renseignements que la loi oblige à fournir, y compris le fait d’avoir commis une infraction dans un autre pays, constitue un problème grave.

[12]           Toutefois, compte tenu de la conclusion que j’ai tirée quant au bien‑fondé de l’affaire, il ne sera pas nécessaire d’examiner davantage l’application possible, en l’espèce, de la théorie du plaideur irréprochable.

[13]           Le demandeur invoque devant la Cour deux motifs pour qu’il soit fait droit à sa demande de contrôle judiciaire. D’abord, il soutient que la Section de l’immigration n’a pas exposé les motifs l’ayant menée à conclure qu’il y avait équivalence entre l’infraction pour laquelle il a été déclaré coupable au Rhode Island et l’article 271 du Code criminel du Canada, LRC 1985, c C‑46. Le demandeur ne conteste pas le fait que les arrêts Hill c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1987), 73 NR 315 [Hill], et Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1996 CanLII 4086 (CAF) s’appliquent en l’espèce. En fait, il soutient plutôt que la Section de l’immigration s’en est tenue à reproduire les dispositions législatives et faire état des libellés de chacune sans offrir une analyse plus approfondie pour expliquer comment l’équivalence a été établie.

[14]           Le demandeur soutient également que la Section de l’immigration n’a pas été en mesure de bien comparer les faits qui sous‑tendent la déclaration de culpabilité et l’infraction qui aurait pu être commise au Canada selon ces mêmes faits.

IV.             Analyse

[15]           Malgré l’argument valable présenté par l’avocat du demandeur, la Cour doit conclure au rejet de la demande de contrôle judiciaire.

[16]           La première étape de l’analyse consiste à examiner la disposition aux termes de laquelle on a jugé que le demandeur était interdit de territoire. L’alinéa 36(1)b) de la LIPR se lit comme suit :

Grande criminalité

Serious criminality

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

[17]           La deuxième étape de l’analyse consiste bien entendu à examiner les trois méthodes possibles pour établir l’équivalence entre les infractions. Comme il a déjà été mentionné, l’arrêt Hill, de la Cour d’appel fédérale, est celui qui fait jurisprudence. Voici comment la Cour a résumé ce que les décideurs doivent faire :

[T]out d’abord, en comparant le libellé précis des dispositions de chacune des lois par un examen documentaire et, s’il s’en trouve de disponible, par le témoignage d’un expert ou d’experts du droit étranger pour dégager, à partir de cette preuve, les éléments essentiels des infractions respectives;

[E]n second lieu, par l’examen de la preuve présentée devant l’arbitre, aussi bien orale que documentaire, afin d’établir si elle démontrait de façon suffisante que les éléments essentiels de l’infraction au Canada avaient été établis dans le cadre des procédures étrangères, que les mêmes termes soient ou non utilisés pour énoncer ces éléments dans les actes introductifs d’instance ou dans les dispositions légales;

[E]n troisième lieu, au moyen d’une combinaison de cette première et de cette seconde démarches.

[18]           Non seulement la conclusion de la Section de l’immigration est‑elle raisonnable, mais elle est, à mon avis, inattaquable. Dans le cadre d’une analyse minutieuse, la Section de l’immigration a étudié la loi aux termes de laquelle le demandeur avait été déclaré coupable, a cerné ses éléments essentiels et a comparé ces derniers à l’infraction figurant à l’article 271 du Code criminel.

[19]           L’article 11‑37‑8.3 des lois générales du Rhode Island (State of Rhode Island General Laws) se lit comme suit :

[traduction] § 11‑37‑8.3 Attentat à la pudeur au deuxième degré d’un enfant (agression sexuelle) – Est coupable d’attentat à la pudeur au deuxième degré d’un enfant (agression sexuelle), quiconque se livre à des contacts sexuels avec une autre personne de quatorze (14) ans ou moins.

[20]           La loi définit également le terme « contact sexuel », définition qui renvoie le lecteur à une définition de « parties intimes ». Le « contact sexuel » s’entend des [traduction] « attouchements intentionnels des parties intimes de la victime ou de la personne accusée, avec ou sans vêtements, s’il peut être raisonnablement interprété que ces attouchements intentionnels par la personne accusée ont été perpétrés à des fins de stimulation, de gratification ou d’agression sexuelles ». Pour ce qui est des « parties intimes », elles sont définies comme étant [traduction] « les parties génitales ou anales, l’aine, l’intérieur des cuisses ou les fesses de toute personne, ou les seins d’une personne de sexe féminin ».

[21]           De toute évidence, le jury du Rhode Island est venu à la conclusion que l’infraction avait été commise hors de tout doute raisonnable. Comme c’est le cas dans tous les systèmes inspirés de la common law et de la tradition anglo‑saxonne, chaque élément de l’infraction doit être prouvé hors de tout doute raisonnable pour qu’un verdict de culpabilité soit approprié.

[22]           Peu importe ce que le demandeur peut dire aujourd’hui à propos des faits de cette affaire, on ne peut contester que l’autorité compétente, en l’occurrence un jury, a conclu qu’il avait commis tous les éléments essentiels de l’infraction. Le demandeur ne conteste pas le fait qu’il a été déclaré coupable. Il soutient que les faits ne se sont pas produits de la façon dont ils ont été décrits lors du procès. La Section de l’immigration ne peut commettre une erreur en acceptant le verdict prononcé par le jury à l’égard du demandeur.

[23]           Le seul point à examiner est celui de savoir si l’infraction pour laquelle le demandeur a été déclaré coupable à l’étranger constituerait une infraction, aux termes d’une loi fédérale, punissable d’une peine d’emprisonnement d’au moins 10 ans. En l’espèce, l’infraction en cause est celle de l’article 271 du Code criminel.

[24]           Selon l’article 271 du Code criminel, l’infraction d’agression sexuelle est punissable d’une peine d’emprisonnement de 10 ans. Si on peut dire que l’infraction commise au Rhode Island constitue une infraction d’agression sexuelle visée à l’article 271 du Code criminel du Canada, il serait évidemment satisfait aux exigences prévues à l’alinéa 36(1)b) de la LIPR.

[25]           Comme le démontre l’examen des lois du Rhode Island, le consentement de la victime ne constitue pas un élément essentiel du crime. Il suffit qu’il y ait contact sexuel, tel qu’il est défini, avec une personne âgée de moins de 14 ans. Pour sa part, le Code criminel définit les voies de fait comme suit :

Voies de fait

Assault

265. (1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas :

265. (1) A person commits an assault when

a) d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement;

(a) without the consent of another person, he applies force intentionally to that other person, directly or indirectly;

Application

Application

(2) Le présent article s’applique à toutes les espèces de voies de fait, y compris les agressions sexuelles, les agressions sexuelles armées, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles et les agressions sexuelles graves.

(2) This section applies to all forms of assault, including sexual assault, sexual assault with a weapon, threats to a third party or causing bodily harm and aggravated sexual assault.

[26]           En ce qui nous concerne, il suffira de renvoyer à l’annotation qui figure dans le Martin’s Annual Criminal Code, 2014 Edition, (Edward L. Greenspan, les juges Marc Rosenberg et Marie Henein, Martin’s Annual Criminal Code, 2014 Edition, (Toronto : Canada Law Book, 2014), p. 590) pour ce qui est de la signification d’agression sexuelle. Voici ce qu’on peut lire à l’annotation concernant l’article 271 du Code criminel :

L’agression sexuelle est une agression, au sens de l’une ou l’autre des définitions de ce concept [au par. 265(1)], qui est commise dans des circonstances de nature sexuelle, de manière à porter atteinte à l’intégrité sexuelle de la victime. Le critère qui doit être appliqué pour déterminer si la conduite reprochée comporte la nature sexuelle requise est objectif : Compte tenu de toutes les circonstances, une personne raisonnable peut‑elle percevoir le contexte sexuel ou charnel de l’agression? […] La partie du corps qui est touchée, la nature du contact, la situation dans laquelle cela s’est produit, les paroles et les gestes qui ont accompagné l’acte, et toutes les autres circonstances entourant la conduite, y compris les menaces avec ou sans emploi de la force, constituent des éléments pertinents […]. L’intention ou le dessein de la personne qui commet l’acte, dans la mesure où cela peut ressortir des éléments de preuve, peut également être un facteur à considérer pour déterminer si la conduite est sexuelle. Si le mobile de l’accusé était de tirer un plaisir sexuel, dans la mesure où cela peut ressortir de la preuve, il peut s’agir d’un facteur à considérer pour déterminer si la conduite est sexuelle. [L]’existence d’un tel mobile constitue simplement un des nombreux facteurs dont on doit tenir compte : R. c Chase, [1987] 2 RCS 293, 37 C.C.C. (3d) 97 (6:0).

[27]           Il semble plutôt évident que la définition d’agression sexuelle figurant dans la loi canadienne englobe l’infraction décrite dans les lois générales du Rhode Island à l’égard de laquelle le demandeur a été déclaré coupable. La seule difficulté qui pourrait être soulevée est celle de déterminer s’il y a équivalence sur la question du consentement. Le consentement ne représente pas un élément du crime pour lequel le demandeur a été déclaré coupable, alors qu’il est possible, aux termes de la loi canadienne, qu’une personne consente à des contacts ou à l’imposition de la force sur son corps. Toutefois, le consentement d’une victime âgée de 13 ans au moment où l’infraction a été commise n’est pas pris en compte en vertu de la loi canadienne. Ce sont les paragraphes 150.1(1) et (2) du Code criminel qui s’appliquent dans les circonstances. Les voici :

Inadmissibilité du consentement du plaignant

Consent no defence

 

150.1 (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (2.2), lorsqu’une personne est accusée d’une infraction prévue aux articles 151 ou 152 ou aux paragraphes 153(1), 160(3) ou 173(2) ou d’une infraction prévue aux articles 271, 272 ou 273 à l’égard d’un plaignant âgé de moins de seize ans, ne constitue pas un moyen de défense le fait que le plaignant a consenti aux actes à l’origine de l’accusation.

150.1 (1) Subject to subsections (2) to (2.2), when an accused is charged with an offence under section 151 or 152 or subsection 153(1), 160(3) or 173(2) or is charged with an offence under section 271, 272 or 273 in respect of a complainant under the age of 16 years, it is not a defence that the complainant consented to the activity that forms the subject‑matter of the charge.

Exception — plaignant âgé de 12 ou 13 ans

Exception — complainant aged 12 or 13

(2) Lorsqu’une personne est accusée d’une infraction prévue aux articles 151 ou 152, au paragraphe 173(2) ou à l’article 271 à l’égard d’un plaignant âgé de douze ans ou plus mais de moins de quatorze ans, le fait que le plaignant a consenti aux actes à l’origine de l’accusation constitue un moyen de défense si l’accusé, à la fois :

(2) When an accused is charged with an offence under section 151 or 152, subsection 173(2) or section 271 in respect of a complainant who is 12 years of age or more but under the age of 14 years, it is a defence that the complainant consented to the activity that forms the subject‑matter of the charge if the accused

a) est de moins de deux ans l’aîné du plaignant;

(a) is less than two years older than the complainant; and

b) n’est ni une personne en situation d’autorité ou de confiance vis‑à‑vis du plaignant ni une personne à l’égard de laquelle celui‑ci est en situation de dépendance ni une personne qui est dans une relation où elle exploite le plaignant.

(b) is not in a position of trust or authority towards the complainant, is not a person with whom the complainant is in a relationship of dependency and is not in a relationship with the complainant that is exploitative of the complainant.

[28]           Étant donné que le demandeur était de plus de deux ans l’aîné de la plaignante et que cette dernière était âgée de 13 ans à l’époque, aucun moyen de défense s’offre à l’accusé, qu’il y ait eu consentement ou non de la part de la plaignante. Autrement dit, la question du consentement n’est pas pertinente.

[29]           Le demandeur soutient qu’il faut, pour mener une bonne analyse, [traduction] « démontrer l’équivalence en comparant la loi étrangère à la loi canadienne » (mémoire des faits et du droit du demandeur, au paragraphe 26). Je suis moins que certain qu’une analyse suivant laquelle on considérerait d’abord la loi canadienne pour voir si elle correspond à la loi étrangère serait inappropriée. En fin de compte, le premier critère établi dans Hill exige de comparer la loi étrangère à l’infraction visée par la loi canadienne. Que la comparaison se fasse dans un sens ou dans l’autre, il faut satisfaire au critère d’équivalence. Quoi qu’il en soit, dans les circonstances, je suis parti de la loi américaine pour comparer l’infraction qu’elle crée à l’infraction visée par la loi canadienne. En effet, c’est ce que j’estimais que la Section de l’immigration avait fait dans les circonstances de cette affaire.

[30]           L’argument du demandeur consiste à dire que les motifs de la Section de l’immigration sont, à tous égards, insuffisants. Cet argument me pousse à formuler deux commentaires. D’abord, l’insuffisance des motifs ne suffit pas pour juger qu’une décision d’un tribunal d’une instance inférieure est déraisonnable. À ce sujet, on peut lire ce qui suit au paragraphe 14 de l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland and Labrador Nurses’ Union] :

[14]      Je ne suis pas d’avis que, considéré dans son ensemble, l’arrêt Dunsmuir signifie que l’« insuffisance » des motifs permet à elle seule de casser une décision, ou que les cours de révision doivent effectuer deux analyses distinctes, l’une portant sur les motifs et l’autre, sur le résultat (Donald J. M. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), §§12:5330 et 12:5510). Il s’agit d’un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles. Il me semble que c’est ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir en invitant les cours de révision à se demander si « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » (par. 47).

[31]           Le juge qui siège en révision cherche à comprendre comment on est parvenu à la décision. Encore une fois, dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, on peut lire, à la fin du paragraphe 16 : « En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables ».

[32]           L’analyse menée par la Section de l’immigration en l’espèce ne laisse aucune place à l’interprétation. Toutes les dispositions ont été examinées attentivement et, bien que l’on n’ait pas mis les points sur tous les « i » ni la barre sur tous les « t », le critère du paragraphe 16 de l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union a été à tous égards rempli. De ce fait, ma deuxième observation est qu’il ne faut pas s’attendre à des traités juridiques lorsque des tribunaux d’instance inférieure cherchent à déterminer s’il y a équivalence. Les constatations claires au sujet des éléments essentiels de l’infraction visée par la loi étrangère et de l’infraction visée par la loi canadienne ont mené à la conclusion plutôt limpide présentée au paragraphe 68 de la décision de la Section de l’immigration :

[68]      Bien que les libellés des infractions d’agression sexuelle dans le Code criminel du Canada et d’attentat à la pudeur au deuxième degré d’un enfant à l’article 11‑37‑8.3 des lois générales du Rhode Island comportent des différences, les éléments essentiels des infractions respectives sont équivalents lorsque le plaignant est âgé de 14 ans ou moins.

Je ne vois pas ce que l’on pourrait exiger de plus pour qu’il soit satisfait au critère de raisonnabilité.

[33]           Cela aurait suffi pour établir l’équivalence, en fonction du critère de l’arrêt Hill. Néanmoins, la Section de l’immigration ne s’est pas arrêtée là et a constaté que le deuxième critère de l’arrêt Hill avait été rempli dans les circonstances. La Section de l’immigration a jugé qu’elle devait préférer la description des faits donnée par le Cour suprême du Rhode Island à celle qui a été présentée par le demandeur. Comme je l’ai souligné plus tôt, cela est tout à fait raisonnable, et d’ailleurs inévitable. Devant la Cour, le demandeur a soutenu que le fait d’avoir préféré la version de la Cour suprême était une erreur. Selon lui, les motifs du jugement du Rhode Island rendus lors du procès auraient constitué une meilleure preuve.

[34]           Comme il a déjà été mentionné, l’affaire a été tranchée par un jury, et le jugement rendu à l’issu du procès ne peut être consulté en vue d’un examen plus approfondi. La meilleure preuve en l’espèce est la conclusion du jury que chacun des éléments essentiels de l’infraction a été prouvé hors de tout doute raisonnable, comme en fait foi le verdict de culpabilité.

[35]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties ont indiqué qu’il n’y a, de leurs points de vue respectifs, aucune question à certifier. Je suis d’accord.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

« Yvan Roy »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Stéphanie Pagé, traductrice

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5436‑13

 

INTITULÉ :

KAILASH NATH MAHAPATRA c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 MAI 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 MAI 2014

 

COMPARUTIONS :

Stephen J. Fogarty

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Jocelyne Murphy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fogarty Law Firm

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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