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Date : 20140530


Dossier : IMM‑5863‑13

Référence : 2014 CF 520

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 mai 2014

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

FELIX EBERECHUK NWOBI

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le défendeur, M. Felix Eberechuk Nwobi, est un chrétien ibo de citoyenneté nigériane. Le 14 octobre 1991, de violents affrontements ont éclaté entre musulmans et chrétiens dans la ville de Kano, dans le nord du Nigeria. M. Nwobi était parmi les personnes ayant mis le feu à une mosquée à la suite d’une violente émeute au cours de laquelle des chrétiens ibos, dont son oncle, sa tante et leur enfant, ont été tués, et des églises et d’autres immeubles ont été détruits. Craignant pour sa vie parce qu’il avait incendié la mosquée, M. Nwobi est allé s’installer à Kaduna puis, plus au sud, à Ibadan. En septembre 1992, M. Nwobi s’est enfui vers l’Allemagne où il a obtenu un permis de séjour délivré par l’Union européenne. En 2006, après avoir été mis en disponibilité et comme il n’était pas admissible à des prestations d’assurance‑chômage, il a accepté de transporter de la cocaïne de Cologne à Munich pour 500 euros. Il a été arrêté et accusé de possession de 300 grammes de cocaïne en vue d’en faire le trafic. Il a plaidé coupable et a été condamné à une peine d’emprisonnement de trois ans et neuf mois. Il a été libéré le 15 juillet 2010 et il a été autorisé à demeurer trois mois de plus en Allemagne. Le 15 octobre 2010, il est arrivé au Canada et il a demandé l’asile.

[2]               Le ministre de la Sécurité publique est intervenu en faisant valoir que M. Nwobi était interdit de territoire en application de l’alinéa 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, R.T. Can. 1969, no 6 [la Convention] au motif qu’il avait commis un crime grave de droit commun en Allemagne. Si elle avait été commise au Canada, cette infraction serait punissable d’une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité. Par conséquent, le ministre a soutenu que M. Nwobi devait être exclu en vertu de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] qui dispose que : « la personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger ». Toutefois, dans sa décision datée du 15 août 2013, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] a reconnu à M. Nwobi la qualité de réfugié au sens de la Convention en vertu de l’article 96 de la LIPR et jugé qu’il n’était pas exclu, en vertu de l’article 98 de la LIPR et de l’alinéa 1Fb) de la Convention, de la protection offerte aux réfugiés.

[3]               Le demandeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le ministre], conteste la légalité de cette décision pour deux motifs. Il considère tout d’abord déraisonnable la conclusion de la Commission suivant laquelle la possession de cocaïne en vue d’en faire le trafic ne constitue pas un crime grave de droit commun. En second lieu, à titre de motif de contestation subsidiaire, il soutient que la Commission a omis de se demander si le rôle joué par le défendeur lors de l’incendie de la mosquée au Nigéria constituait un crime grave de droit commun. Le ministre ne conteste pas les conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité du défendeur ou de sa crainte de persécution.

[4]               Les parties conviennent que l’exclusion prononcée par la Commission en vertu de l’article 98 de la LIPR est une question mixte de fait et de droit qui devrait par conséquent être assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404, au paragraphe 14, [2009] 4 RCF 164 [Jayasekara]). Bien que, comme la Cour d’appel l’a expliqué, l’analyse de la Commission suppose « l’exercice d’un certain pouvoir discrétionnaire », il n’en demeure pas moins que la décision de la Commission doit « appart[enir] aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190).

[5]               La Cour est d’avis que la conclusion de la Commission suivant laquelle le défendeur n’était pas exclu, en application de l’alinéa 1Fb) de la Convention, de la protection accordée aux réfugiés ne constituait pas une issue possible acceptable pouvant se justifier au regard des faits et du droit. D’entrée de jeu, il convient toutefois de souligner qu’une condamnation pour possession de cocaïne en vue d’en faire le trafic n’emporte pas automatiquement interdiction de territoire en application de l’alinéa 1Fb). Ainsi que la Commission l’a souligné à juste titre, la présomption de gravité peut être réfutée en tenant compte des cinq facteurs énumérés dans l’arrêt Jayasekara, à savoir : les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et, enfin, les circonstances atténuantes et aggravantes sous‑jacentes à la déclaration de culpabilité (au paragraphe 12).

[6]               Le ministre admet que la Commission était bien au courant de l’arrêt Jayasekara de la Cour d’appel fédérale, qu’elle qualifie d’ailleurs, dans la décision attaquée, d’« arrêt de principe » en matière d’interprétation de l’alinéa 1Fb) de la Convention. Il y a présomption de gravité lorsqu’en l’absence de facteurs politiques, l’infraction aurait, si elle avait été commise au Canada, été punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans. Il ne s’agit cependant pas d’une présomption irréfragable : elle peut être réfutée à la suite de l’appréciation, par la Commission, de l’ensemble des circonstances (Jayasekara, au paragraphe 44; Feimi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 262, au paragraphe 22, 406 FTR 14 [Feimi], confirmée par la Cour d’appel fédérale, 2012 CAF 325, 442 NR 374).

[7]               La Cour a confirmé des décisions dans lesquelles la Commission avait tenu compte d’une foule de « circonstances atténuantes et aggravantes ». Parmi ces circonstances, mentionnons les suivantes : l’admission, par le demandeur d’asile, de sa culpabilité, la négociation d’une peine favorable et une enfance difficile (Gudima c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 382, [2013] ACF no 405); l’âge du demandeur d’asile, le fait qu’aucune déclaration de culpabilité n’avait été prononcée contre lui auparavant, la quantité relativement faible de drogue et le fait qu’il s’agissait pas méthamphétamine pure mais plutôt d’une substance contenant de la méthamphétamine (Sanchez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 913, 19 Imm LR (4th) 275); le fait que le demandeur d’asile avait le statut de réfugié et vivait dans un quartier marginalisé (Shire c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 97, [2012] ACF no 111]). Dans la décision Vucaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 381, aux paragraphes 38 à 40, 431 FTR 53, la Cour a fait droit à la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur d’asile en partie en raison du fait que la Commission n’avait pas examiné les circonstances aggravantes et atténuantes. Parmi ces dernières, il y avait lieu de mentionner la dépendance du demandeur d’asile aux antidouleurs après qu’il eut été blessé en se bagarrant avec des membres d’un gang criminel, le fait qu’il avait collaboré avec les autorités et qu’il avait été un témoin clé de la poursuite dans le cadre du procès, ainsi que le fait qu’il n’utilisait pas d’arme lorsqu’il se livrait au trafic de drogue et que l’infraction n’avait occasionné aucune blessure grave.

[8]               Toutefois, comme la Cour l’a expliqué dans la décision Partida c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 359, 430 FTR 197 [Partida], la Commission « ne pouvait se contenter d’énumérer les circonstances atténuantes et aggravantes pour tirer ensuite sa conclusion sans expliquer pourquoi les circonstances atténuantes, évaluées en fonction des autres aspects du crime, n’avaient pas suffisamment de poids pour réfuter la présomption de crime grave » (au paragraphe 6, se référant à la décision Guerrero c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 384 [Guerrero]). La Commission doit effectivement pondérer les circonstances atténuantes et aggravantes pour démontrer en quoi l’absence de violence et d’arme atténuerait la présumée gravité du crime de possession de cocaïne en vue de faire le trafic. Si tant est que la Commission ait effectivement procédé à cette « pondération », elle l’aurait fait dans trois paragraphes de sa décision (paragraphes 16, 17 et 18) qui, selon ce que les parties conviennent, sont les seuls paragraphes qui posent problème.

[9]               Bien que la Commission ait fait observer que le « Canada considère le trafic de stupéfiants comme un crime grave et qu’une personne reconnue coupable de cette infraction pourrait être condamnée à une peine d’emprisonnement à perpétuité », il semble qu’elle ait refusé d’accepter que ce crime doive « être considéré comme un crime aussi préjudiciable que le meurtre, le viol, l’incendie criminel et le vol à main armée en raison du préjudice qu’il cause à la société » [Non souligné dans l’original]. Mais pourquoi cette conclusion ? La réponse à cette question se trouve dans les observations et conclusions suivantes de la Commission :

Le 11 juillet 2013, le paragraphe 5(3) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances a été modifié. Il précise maintenant la peine minimale d’emprisonnement à infliger à une personne reconnue coupable de trafic d’une substance inscrite à l’annexe I. La durée de l’emprisonnement ne peut être inférieure à un an si la personne a eu recours ou a menacé de recourir à la violence au cours de la perpétration de l’infraction, portait ou a utilisé ou menacé d’utiliser une arme au moment de la perpétration de l’infraction, ou a, au cours des 10 dernières années, été reconnue coupable d’une infraction désignée ou purgé une peine d’emprisonnement relativement à une telle infraction. Le tribunal en déduit que le trafic de cocaïne peut fort bien être traité comme une infraction punissable par procédure sommaire.

[Non souligné dans l’original]

[10]           Aux deux paragraphes suivants, la Commission poursuit en faisant observer que rien ne permettait de penser que M. Nwobi avait eu recours ou avait menacé de recourir à la violence,qu’il portait une arme ou qu’il avait déjà été reconnu coupable d’une infraction désignée. La Commission a également fait observer que M. Nwobi n’avait pas participé à la distribution ou à la vente de cocaïne et qu’il semblait que son implication dans le trafic de stupéfiants n’était qu’un incident isolé. De plus, la Commission a fait observer que la personne qui avait retenu les services de M. Nwobi pour transporter la cocaïne avait été condamnée à une peine de dix ans d’emprisonnement en Allemagne, tandis que, pour sa part, M. Nwobi avait été condamné à trois ans et neuf mois d’emprisonnement. La Commission a fait observer que « la peine infligée en Allemagne semble démontrer que les autorités allemandes ne croyaient pas que la participation du demandeur d’asile justifiait une peine plus sévère ».

[11]           D’abord et avant tout, j’abonde tout à fait dans le sens de l’avocat du ministre lorsqu’il affirme que la Commission s’est totalement méprise sur la volonté du législateur et qu’elle a mal interprété les modifications apportées en 2013 à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, c 19 [la Loi]. D’ailleurs, l’avocate de M. Nwobi a admis que la Commission avait mal énoncé les règles de droit applicables : la loi prévoit une peine minimale obligatoire d’emprisonnement en cas de circonstances aggravantes, mais elle ne prévoit pas de peines plus légères en cas de trafic de drogue. Les deux parties sont par conséquent d’accord pour dire que le trafic de cocaïne ne pouvait pas être traité comme une infraction punissable par procédure sommaire. Pourtant, l’avocate de M. Nwobi affirme que cette erreur n’a eu aucune incidence véritable sur la décision, étant donné que M. Nwobi n’aurait pas été condamné à la peine minimale obligatoire d’emprisonnement s’il avait commis l’infraction au Canada, puisqu’aucune des circonstances aggravantes énumérées n’était présente. Il ne me paraît pas possible de partager cette manière de voir. La Commission a mal interprété la Loi en estimant que celle‑ci considérait un crime comme moins grave lorsqu’il n’y a pas de circonstances aggravantes. C’est la raison pour laquelle la Commission a insisté sur l’absence d’arme et de violence. L’observation faite par la Commission au sujet de « l’infraction punissable par procédure sommaire » ne se voulait pas une simple affirmation au sujet de la gravité de la peine au Canada, mais plutôt l’expression d’une conviction erronée suivant laquelle certaines formes de l’infraction elle‑même pouvaient être moins graves en droit canadien. Ainsi, bien que la Commission ait fait observer à juste titre que la peine maximale prévue pour le trafic était l’emprisonnement à perpétuité, elle a estimé à tort que le crime pour lequel M. Nwobi pouvait être condamné était, en tant qu’éventuelle infraction punissable par procédure sommaire, punissable d’une peine maximale de seulement six mois d’emprisonnement selon le paragraphe 787(1) du Code criminel, LRC 1985, c C‑14 [Code criminel].

[12]           À mon humble avis, l’erreur de droit commise par la Commission est déterminante et entache sa conclusion que le défendeur « n’a pas commis de crime grave de droit commun en Allemagne ». J’estime également que la Commission a commis une erreur en tenant compte de la peine plus lourde purgée par l’individu qui avait payé le défendeur pour faire le trafic de cocaïne. Dans l’arrêt Jayasekara, au paragraphe 44, la Cour d’appel a déclaré que l’on ne doit pas tenir compte de « facteurs étrangers aux faits et aux circonstances sous‑jacents à la déclaration de culpabilité » pour se prononcer sur la gravité de l’infraction. Le fait que l’individu qui a distribué la drogue s’est vu infliger une peine plus sévère est un facteur étranger aux faits et aux circonstances sous‑jacents à la déclaration de culpabilité du défendeur. Ce fait ne permet pas de savoir si la peine à laquelle M. Nwobi a été condamné était moins lourde : il a été condamné à une peine de presque quatre ans d’emprisonnement. Bien que la présente demande de contrôle judiciaire ne puisse porter que sur la décision de la Commission au sujet de l’exclusion de M. Nwobi en raison de sa condamnation en Allemagne, je vais aborder l’argument secondaire du ministre suivant lequel la Commission a également commis une erreur en ne cherchant pas à savoir si l’incendie d’une mosquée au Nigéria constituait un crime grave de droit commun.

[13]           Le ministre affirme que l’incendie de la mosquée au Nigéria constitue un incendie criminel au sens de l’article 434 du Code criminel, un acte criminel dont l’auteur est passible d’un emprisonnement maximal de 14 ans. Le ministre affirme que, même si son représentant n’a nullement soulevé la question dans son avis d’intervention ou à l’audience, la Commission avait l’obligation de déterminer si la clause d’exclusion s’appliquait. L’avocate de M. Nwobi, affirme, en revanche, que le ministre avait l’obligation de soulever la question de l’incendie de la mosquée comme motif d’exclusion possible. L’omission du ministre l’empêche de soulever maintenant ce facteur dans le cadre du présent contrôle judiciaire. À l’audience, l’avocate de M. Nwobi semblait établir un lien entre la préclusion proposée et la doctrine de l’irrecevabilité : le ministre a eu amplement la possibilité de soulever la question au cours de l’enquête, mais il ne l’a pas fait. Il serait injuste de permettre maintenant au ministre de soulever une nouvelle question dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

[14]           L’avocate de M. Nwobi a cité de la jurisprudence suivant laquelle on ne peut reprocher à la SPR de ne pas avoir examiné un argument que le demandeur d’asile n’avait pas soulevé à l’audience. En particulier, dans la décision Emamgongo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 208, [2010] ACF no 244 [Emamgongo], la Cour a réaffirmé que la Commission n’avait pas commis d’erreur en ne procédant pas à une analyse distincte de l’argument fondé sur l’article 97 de la LIPR et de l’argument fondé sur l’article 96 au sujet duquel la Commission avait déjà conclu qu’elle ne disposait d’aucun élément de preuve permettant de penser que les demandeurs étaient des personnes à protéger. À mon avis, cette jurisprudence ne s’applique pas en l’espèce, étant donné qu’elle repose sur l’idée que, si la preuve présentée à l’appui des deux volets de la demande est identique, et dans la mesure où le demandeur d’asile n’a pas produit de renseignements additionnels concernant l’application de l’article 97, il n’est alors pas nécessaire de procéder à une analyse distincte de ce volet (voir également Ayaichia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 239, aux paragraphes 19 et 20, 309 FTR 251 citée dans la décision Emamgongo).

[15]           De plus, la jurisprudence de notre Cour affirme qu’« il est clairement établi que dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour ne peut trancher une question qui n’a pas été soulevée devant l’autorité dont la décision fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire » (Tozzi c Canada (Procureur général), 2007 CF 825, au paragraphe 22; dans Toussaint c Canada (Commission des relations du travail), 160 NR 396, au paragraphe 5, [1993] ACF no 616 (CAF); or, la Cour ne cherche pas en l’espèce à trancher la question de savoir si M. Nwobi devrait être exclu par application de l’alinéa 1Fb) de la Convention en raison de l’incendie de la mosquée. La Cour déborderait certainement le cadre de son mandat si elle tentait de le faire. Toutefois, la Cour a effectivement toute latitude pour se demander si la Commission a commis une erreur en ne soulevant pas cette question en tant que motif d’exclusion possible, et ce, même si les parties ne l’ont pas soulevé elles‑mêmes.

[16]           Il convient de signaler que le rôle que joue la Commission lorsqu’elle se prononce sur la question de savoir si une personne doit être interdite de territoire en application de l’alinéa 1Fb) de la Convention au motif qu’elle a commis un crime grave de droit commun est distinct de celui qui incombe un juge qui préside un procès civil. Dans la décision Ospina Velasquez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 273, au paragraphe 15, 429 FTR 143, la juge Gleason s’est demandé si la Commission avait commis une erreur en concluant que le demandeur d’asile devait être interdit de territoire en application de l’alinéa 1Fb) de la Convention même si le ministre n’était pas intervenu. Bien qu’il n’ait pas contesté la compétence de la Commission de « décider, de sa propre initiative, s’il y a lieu de refuser toute protection, étant donné les attributions et le rôle que la LIPR confie à la Commission », le demandeur soutenait que la Commission n’avait pas accordé suffisamment d’importance à la décision du ministre de ne pas intervenir (au paragraphe 13). La juge Gleason a écarté cet argument au motif que « la Commission n’est pas tenue d’accepter la position d’une partie à la présente affaire, et elle est même tenue par la loi d’appliquer la LIPR. Aux termes de la Loi, le rôle de la SPR est de nature inquisitoire. » [Au paragraphe 15.]

[17]           La juge Gleason a cité les Directives no 7 : Directives concernant la préparation et la tenue des audiences à la Section de la protection des réfugiés données par le président de la Commission, qui prévoient ce qui suit :

2.1 Sous le régime de la LIPR, les commissaires de la SPR sont investis des pouvoirs d’un commissaire nommé en vertu de la Loi sur les enquêtes. Ils peuvent procéder à tous les actes qu’ils jugent utiles à la manifestation du bien‑fondé de la demande. En d’autres termes, ils cernent les questions qui doivent être réglées pour qu’ils puissent rendre leurs décisions.

2.2 Le rôle du commissaire diffère donc du rôle du juge. Le rôle principal du juge est d’examiner les éléments de preuve et les arguments présentés par les parties adverses; le juge ne dit pas aux parties comment présenter leur cause. La jurisprudence a clairement établi que la SPR est maître de sa propre procédure. La SPR décide du déroulement de l’audience et donne les instructions à cet égard. Les commissaires doivent prendre une part active aux audiences pour que le travail d’enquête de la SPR soit efficace.

[18]           Qui plus est, notre Cour a déjà conclu que la Commission peut être tenue d’examiner des moyens non soulevés par les parties. Dans la décision Varga c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 494, au paragraphe 5, 18 Imm LR (4th) 96 [Varga], le juge Rennie a récemment déclaré que la Commission devait « tenir compte de chaque motif soulevé par la preuve, même si le demandeur d’asile n’en fait pas expressément état : Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689; Viafara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1526, au paragraphe 13 ». Il a notamment déclaré que « l’omission de la Commission de tenir compte d’un motif de persécution qui ressort du dossier constitue un manquement à l’équité procédurale » (au paragraphe 6). Bien que la décision Varga soit fondée sur l’idée que la Commission doit attirer l’attention du demandeur d’asile sur un élément du dossier qui pourrait améliorer sensiblement l’issue de sa cause, il indique néanmoins que, dans l’exercice de son rôle inquisitoire, la Commission n’est pas limitée par les actes de procédure des parties lorsque la preuve versée au dossier révèle l’existence d’éléments différents ou additionnels (au paragraphe 7, citant l’arrêt rendu par la Cour d’appel de l’Angleterre dans l’affaire R c Special Adjudicator Ex p. Kerrouche (No 1) (1997), [1997] EWCA Civ 2263, [1997] Imm AR 610).

[19]           La Commission a l’importante responsabilité de s’assurer que le Canada respecte ses obligations en vertu de la Convention en n’accordant pas l’asile à des individus dont on a des raisons sérieuses de penser qu’ils ont commis un crime de guerre ou un crime contre l’humanité ou un crime grave de droit commun ou qu’ils se sont rendus coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. Par conséquent, la Commission ne peut se limiter aux seuls moyens soulevés par le demandeur ou par le défendeur lorsqu’un motif d’exclusion est au cœur de la demande. À ce propos, la Cour estime que la Commission a commis une erreur en n’examinant pas d’autres motifs d’exclusion possible se trouvant au cœur de la demande d’asile ou en n’en vérifiant pas l’existence. Dans le cas qui nous occupe, la demande d’asile de M. Nwobi était axée sur son implication dans l’incendie d’une mosquée.

[20]           Pour ces motifs, la demande doit être accueillie. La conclusion de la Commission suivant laquelle le défendeur n’était pas exclu, en application de l’alinéa 1Fb) de la Convention, de la protection accordée aux réfugiés entache sa conclusion finale suivant laquelle M. Nwobi a la qualité de « réfugié au sens de la Convention » au sens de l’article 96 de la LIPR. Les avocats conviennent qu’il n’y a pas de question de portée générale à certifier par la Cour.

 


JUGEMENT

LA COUR ACCUEILLE la demande. La décision de la Commission est annulée et l’affaire est renvoyée à la Commission pour qu’un autre commissaire tienne une nouvelle audience et rende une nouvelle décision au sujet de la demande d’asile. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5863‑13

 

INTITULÉ :

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c FELIX EBERECHUK NWOBI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbeC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 MAI 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE MARTINEAU.

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 MAI 2014

 

COMPARUTIONS :

Daniel Latulippe

 

pour le demandeur

 

Annick Legault

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec

 

PoUR LE DEMANDEUR

 

Annick Legault

Montréal (Québec)

 

PoUR LE DÉFENDEUR

 

 

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