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Date : 20140529

Dossier : IMM-4221-13

Référence : 2014 CF 521

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 mai 2014

En présence de monsieur le juge Simon Noël

ENTRE :

AHMED AWADH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

I.          Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], de la décision rendue oralement le 16 mai 2013 par Stéphane Morin, commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [le commissaire de la SPR], qui a conclu que le demandeur n’a ni qualité de réfugié au sens de l’article 96 de la LIPR ni celle de personne à protéger suivant le paragraphe 97(1) de la LIPR.

II.        Faits

[2]               Le demandeur est un Bidoon (apatride) né en octobre 1989 au Koweït, son pays de résidence habituelle. Sa mère est Koweïtienne et son père est aussi un Bidoon.

[3]               Le demandeur a quitté le Koweït et est arrivé au Canada le 5 novembre 2011. Il a présenté une demande d’asile, alléguant craindre d’être persécuté dans son pays de résidence habituelle du fait de son appartenant au groupe des Bidoons (apatrides).

III.             Décision faisant l’objet du contrôle

[4]               Le commissaire de la SPR a instruit la demande d’asile du demandeur le 16 mai 2013 et l’a rejetée dans le cadre d’une décision rendue de vive voix le même jour.

[5]               Dans sa décision, le commissaire de la SPR a commencé par résumer les allégations du demandeur. Ce dernier affirme entre autres que son statut de Bidoon l’a empêché de faire des études universitaires et de trouver un emploi. Selon le commissaire de la SPR, la question déterminante était celle de savoir si la discrimination vécue par le demandeur équivalait à de la persécution.

[6]               Le commissaire de la SPR mentionne ensuite que les Bidoons sont victimes de discrimination, mais que la documentation sur le pays établit une distinction entre les Bidoons qui sont reconnus par l’État et ceux qui ne le sont pas. Ces derniers s’en tirent moins bien que les Bidoons reconnus par l’État. En l’espèce, le commissaire de la SPR a conclu que le demandeur faisait partie des Bidoons reconnus par l’État puisque ses liens avec le Koweït remontent à avant 1965. Le commissaire de la SPR fait également observer que le gouvernement a remis au demandeur une carte de contrôle et d’autres documents que les Bidoons de l’autre groupe ne peuvent pas obtenir. Le demandeur a aussi suivi un traitement pour l’asthme dans un hôpital pendant 10 ou 11 ans. Le commissaire de la SPR a également conclu que le demandeur avait accès à certains services au Koweït.

[7]               Les personnes qui font partie du même groupe que le demandeur sont encore victimes de discrimination et ne jouissent pas des mêmes droits que les citoyens du Koweït, mais le commissaire de la SPR a conclu qu’elles peuvent travailler et qu’elles sont traitées comme des travailleurs migrants étrangers enregistrés. Le commissaire de la SPR fait aussi observer que la preuve ne précise pas clairement pendant combien de temps le demandeur a cherché du travail avant de quitter le pays, les documents délivrés en 2010 indiquant qu’il était alors encore étudiant. De toute manière, le commissaire de la SPR a conclu sa décision en affirmant ce qui suit : « [M]ême considérée dans son ensemble, même en tenant compte de la discrimination dont fait l’objet une personne dans votre situation au Koweït, je ne peux pas conclure que cette discrimination équivaut à de la persécution. » Par conséquent, le demandeur n’avait pas droit à la protection offerte au titre de l’article 96 ou du paragraphe 97(1) de la LIPR.

IV.             Observations du demandeur

[8]          Le demandeur prétend que le commissaire de la SPR n’a pas appliqué le bon critère, comme l’indique l’extrait suivant des motifs :

Par conséquent, je conclus qu’il n’existe pas de possibilité sérieuse que vous soyez persécuté au Koweït ou que, selon la prépondérance des probabilités, vous soyez personnellement exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à votre vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités au Koweït.

Le demandeur affirme que ce passage de la décision montre que le commissaire de la SPR voulait une preuve que le demandeur était personnellement persécuté, alors que le véritable critère pouvait aussi être satisfait en démontrant que les personnes qui se trouvent dans une situation semblable sont victimes de persécution.

[9]               En guise de deuxième argument, le demandeur soutient principalement que la Commission a simplement déclaré avoir examiné l’effet cumulatif de la discrimination sans expliquer pourquoi cela n’équivalait pas à de la persécution. Plus précisément, le demandeur souligne qu’il s’est aussi plaint d’avoir reçu des soins de santé inadéquats et d’avoir été victime de discrimination sur le plan scolaire, mais le commissaire de la SPR n’a pas analysé ces incidents et a simplement déclaré qu’ils étaient de nature discriminatoire et qu’il ne s’agissait pas d’actes de persécution. L’absence d’analyse critique entraîne l’annulation de la décision.

[10]           Le demandeur a précisé ces arguments dans son mémoire en réplique. Il conteste la conclusion du commissaire de la SPR selon laquelle le demandeur aurait accès aux services du gouvernement parce que des pièces d’identité lui ont été remises. Une telle distinction entre les groupes de Bidoons n’était pas justifiée. La preuve fait plutôt état d’une situation beaucoup plus complexe, où même les Bidoons reconnus par l’État sont traités comme des résidents illégaux. De l’avis du demandeur, le commissaire de la SPR n’a pas correctement examiné cette preuve et s’est simplement empressé de formuler une décision défavorable.

V.                Observations du défendeur

[11]           En ce qui concerne l’argument selon lequel le mauvais critère a été appliqué, le défendeur soutient que le commissaire de la SPR a à juste titre mentionné qu’il cherchait une « possibilité sérieuse » de persécution. De plus, une analyse individualisée comme celle que le commissaire de la SPR a effectuée en l’espèce est nécessaire pour déterminer si la possibilité de discrimination atteint le seuil de persécution. Quoi qu’il en soit, le défendeur fait valoir que le commissaire de la SPR a bel et bien tenu compte des personnes se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur, et il a jugé que le demandeur faisait partie du groupe de Bidoons jouissant d’une situation relativement plus favorable.

[12]           Pour ce qui est du deuxième argument, le défendeur affirme que les conclusions étaient raisonnables étant donné que le commissaire de la SPR a examiné tous les éléments de preuve se rapportant à chacune des allégations de discrimination et a expressément conclu que l’effet cumulatif n’équivalait pas à de la persécution. De plus, la preuve appuie la distinction faite par le commissaire de la SPR entre les Bidoons du Koweït munis de papiers et les Bidoons du Koweït sans papiers, et il était raisonnable de conclure que le demandeur appartenait à la première catégorie. En effet, le demandeur possédait plusieurs pièces d’identité, avait terminé ses études secondaires et avait reçu des traitements médicaux pendant de nombreuses années. Le commissaire de la SPR a raisonnablement conclu que les difficultés auxquelles le demandeur pouvait se heurter sur le plan des études, de l’emploi et de l’accès aux autres services du gouvernement n’atteignaient pas le niveau de mauvais traitements graves correspondant à de la persécution.

VI.             Questions en litige

[13]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève deux questions :

1.  Le commissaire de la SPR a-t-il commis une erreur en appliquant le mauvais critère juridique pour déterminer si la crainte de persécution du demandeur était fondée?

2.  Le commissaire de la SPR a-t-il mal évalué la discrimination à laquelle était exposé le demandeur en concluant que cette discrimination n’équivalait pas à de la persécution?

VII.          Norme de contrôle

[14]           Les parties s’entendent sur les normes de contrôle applicables.

[15]           La question de savoir si le commissaire de la SPR a appliqué le bon critère juridique est une question de droit qui doit être examinée selon la norme de la décision correcte (Kumarasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 203, au paragraphe 12, [2010] ACF no 239). En ce qui concerne cette première question, aucune déférence n’est nécessaire – le commissaire de la SPR a ou n’a pas appliqué le bon critère (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 50, [2008] ACS no 9 [Dunsmuir]).

[16]           La deuxième question – celle consistant à savoir si les incidents de discrimination équivalent à de la persécution – est une question mixte de fait et de droit qui doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable (Sefa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1190, au paragraphe 21, [2010] ACF no 1660 [Sefa]; voir aussi Liang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 450, au paragraphe 12, [2008] ACF no 572). Une décision est raisonnable uniquement si les motifs sont suffisamment transparents pour permettre « à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708; voir aussi Dunsmuir, au paragraphe 47).

VIII.       Analyse

A.       Le commissaire de la SPR a-t-il commis une erreur en appliquant le mauvais critère juridique pour déterminer si la crainte de persécution du demandeur était fondée?

[17]           Pour ce qui est de savoir quel aspect du critère servant à déterminer si la crainte de persécution est fondée le commissaire de la SPR a mal compris selon le demandeur, ce n’est pas vraiment clair. Aux paragraphes 26 et 27 de son mémoire initial, le demandeur affirme que le commissaire de la SPR a exigé à tort une preuve qu’il serait personnellement visé par des actes de persécution. Toutefois, rien dans la décision ne fait état d’une telle erreur. Au contraire, la Commission a expressément dit « qu’il n’existe pas de possibilité sérieuse que [le demandeur soit] persécuté au Koweït » [non souligné dans l’original], et c’est bien ce que le demandeur devait démontrer pour que sa crainte soit jugée objectivement fondée (Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 RCS 593, au paragraphe 120, 128 DLR (4th) 213 [Chan]).

[18]           Ainsi, la plainte du demandeur semble être fondée sur le fait qu’il ne devrait pas avoir à prouver qu’il a été personnellement visé par des actes de persécution dans le passé, ce qui est juste (Fi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1125, aux paragraphes 13 à 16, [2007] 3 RCF 400 [Fi]; Salibian c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 250, à la page 259, 73 DLR (4th) 551 [Salibian]). Une preuve établissant que d’autres personnes se trouvant dans une situation semblable sont victimes de persécution sera souvent jugée convaincante parce qu’elle démontre généralement que le demandeur serait exposé aux mêmes risques (Chan, précité, au paragraphe 137; Fi, précitée, au paragraphe 14; Salibian, précité, à la page 259). Cependant, cela ne change rien au fait que c’est le demandeur qui doit être exposé à une possibilité sérieuse de persécution. Le commissaire de la SPR a correctement mentionné le critère à deux reprises, et rien dans sa décision ne porte à croire qu’il a ignoré les éléments de preuve concernant des personnes se trouvant dans une situation semblable.

[19]           Au contraire, le commissaire de la SPR s’est montré assez sensible à cet égard et il a examiné la situation des Bidoons de façon plus générale, mais il a jugé que le demandeur faisait partie du groupe des Bidoons dont les difficultés au Koweït n’atteignent pas le seuil de la persécution, et rien dans les motifs ne donne à penser que la Commission n’a pas tenu compte des expériences des autres Bidoons seulement parce qu’elles n’ont pas été vécues par le demandeur.

[20]           Par conséquent, la Cour juge que le commissaire de la SPR a appliqué le bon critère.

B.       Le commissaire de la SPR a-t-il mal évalué la discrimination à laquelle était exposé le demandeur en concluant que cette discrimination n’équivalait pas à de la persécution?

[21]           La conclusion selon laquelle les Bidoons sans papiers sont victimes d’une plus grande discrimination que les autres Bidoons est bien étayée par le dossier. Dans ses motifs, le commissaire de la SPR renvoie au paragraphe 3.8.11 de la note d’orientation opérationnelle [Operational Guidance Note] sur le Koweït publiée par l’agence frontalière du Royaume‑Uni. Ce document fait mention d’une longue liste de problèmes auxquels se heurtent les Bidoons sans papiers et indique que les Bidoons munis de papiers se trouvent aussi dans une situation discriminatoire, mais qu’ils sont au moins autorisés à travailler et qu’ils sont traités comme des travailleurs migrants étrangers qui sont enregistrés.

[22]           Selon ce rapport, la capacité d’une personne à obtenir des pièces d’identité dépend en grande partie de sa capacité à établir l’existence de liens de résidence remontant à 1965. Un autre rapport mentionné par le commissaire de la SPR, le rapport de Human Rights Watch intitulé Prisoners of the Past: Kuwaiti Bidun and the Burden of Statelessness (juin 2011), précise également que la situation des Bidoons dépend [traduction] « d’un certain nombre de facteurs, dont le fait de posséder une carte de sécurité, le fait d’avoir pu conserver un emploi au sein de la police ou de l’armée, le fait d’avoir des parents de premier degré Koweïtiens ou une mère Koweïtienne et le fait d’avoir été enregistré dans le cadre du recensement de 1965 ».

[23]           Contrairement à l’agence frontalière du Royaume‑Uni, Human Rights Watch conclut son rapport en affirmant que les Bidoons [traduction] « ne peuvent légalement avoir un emploi au Koweït, qu’ils possèdent ou non une carte de sécurité », alors que l’organisme avait mentionné précédemment que les Bidoons avaient accès à certains emplois. Quoi qu’il en soit, Human Rights Watch reconnaît aussi que les Bidoons munis d’une carte de sécurité (aussi appelée carte de contrôle ou carte verte) peuvent inscrire leurs enfants à l’école privée (le gouvernement paie les frais pour certains élèves), souscrire une assurance-maladie à bas prix et obtenir des certificats de naissance, de mariage et de décès après avoir obtenu l’autorisation du comité des Bidoons.

[24]           Le demandeur a lui‑même confirmé que sa mère était Koweïtienne et qu’il possédait une carte de contrôle. Compte tenu de ce témoignage, le commissaire de la SPR a raisonnablement conclu que le demandeur faisait partie du groupe des Bidoons dont les liens de résidence remontent au recensement de 1965 et que les personnes de ce groupe sont victimes d’une moins grande discrimination que les autres Bidoons. Le commissaire de la SPR n’a donc commis aucune erreur en comparant la situation du demandeur à celle des Bidoons se trouvant dans une position relativement plus favorable.

[25]           Cela dit, le demandeur soutient que l’évaluation du commissaire de la SPR quant à la gravité de la discrimination faite à l’endroit de ce groupe était aussi déraisonnable. Le demandeur fait valoir que les actes de discrimination qui ne constituent pas des actes de persécution individuels peuvent néanmoins susciter une crainte de persécution fondée lorsqu’on tient compte de l’effet cumulatif sur le demandeur, et que le commissaire de la SPR a le devoir d’évaluer cette possibilité (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Munderere, 2008 CAF 84, au paragraphe 41, [2008] ACF no 395).

[26]           Le commissaire de la SPR a mentionné avoir tenu compte de l’effet cumulatif, mais le demandeur soutient qu’une simple déclaration en ce sens, non accompagnée d’une analyse critique, ne suffit pas. En l’espèce, la Cour conclut autrement. Bien que le simple fait d’énoncer le critère ne soit pas toujours suffisant (voir Hegedüs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1366, au paragraphe 2, [2011] ACF no 1669), cela montre à tout le moins que le commissaire de la SPR savait qu’il était tenu d’examiner l’effet cumulatif de la discrimination. De plus, la décision pouvait tout de même être comprise, puisque le commissaire de la SPR a examiné toutes les répercussions que les divers actes de discrimination ont entraînées ou entraîneraient pour le demandeur (voir Sefa, précitée, au paragraphe 34). En pareil cas, on a du mal à imaginer ce que le commissaire de la SPR aurait pu dire de plus sinon qu’il a examiné l’effet cumulatif et non pas les répercussions une à une.

[27]           En l’espèce, la majeure partie de l’analyse effectuée par le commissaire de la SPR était raisonnable. La Commission a noté que le demandeur avait reçu des pièces d’identité et avait été guéri chaque fois qu’il s’était rendu à l’hôpital à cause d’une crise d’asthme, ce qui répond directement à deux des allégations de discrimination du demandeur. Comme il a été mentionné précédemment, il était également raisonnable de conclure que ces faits montrent que le demandeur s’en tirait mieux que bon nombre de Bidoons, bien que le commissaire de la SPR ait néanmoins reconnu que « ce statut suscite une certaine discrimination ». En ce qui concerne la question de l’emploi, la conclusion selon laquelle certains emplois sont accessibles aux Bidoons munis de papiers est étayée par la preuve documentaire sur laquelle elle est fondée et, de ce fait, elle ne peut être qualifiée de déraisonnable.

[28]           Cependant, dans ses motifs, le commissaire de la SPR ne se penche pas vraiment sur l’allégation de discrimination en matière d’éducation. Il mentionne que le demandeur a formulé cette allégation, et il a de toute évidence examiné son bulletin scolaire qui démontre qu’il a terminé ses études secondaires, mais le demandeur s’était plaint de ne pas pouvoir faire d’études universitaires. Dans l’exposé circonstancié de son Formulaire de renseignements personnels, le demandeur a déclaré ce qui suit :

[traduction]

[...] même durant mes études, tout le monde se moquait de moi. Les gens me demandaient pourquoi je voulais terminer mes études secondaires puisque je n’aurais aucun avenir de toute façon, que je ne pourrais pas poursuivre mes études ou obtenir un emploi parce que je suis un Bidoon. Je n’y ai plus repensé avant la fin de mes études secondaires.

Mes parents ont tenté d’obtenir une place pour moi à l’Université du Koweït. Ils croyaient que la situation de mon père en tant que prisonnier de guerre m’aiderait à être accepté à l’université, mais ce ne fut pas le cas, même si ma mère est une citoyenne du Koweït. Pas d’études, pas d’emploi, c’est la loi.

[...]

Mes amis koweïtiens qui ont été à l’école avec moi ont poursuivi leurs études parce qu’ils sont Koweïtiens, mais moi, ma vie s’est arrêtée. J’étais sans emploi à cause de la loi. La loi m’empêche d’acquérir un savoir. [...]

[29]           Des éléments de preuve documentaire viennent par ailleurs appuyer cette allégation. À la page 36 du rapport de Human Rights Watch, on peut lire que la plupart des Bidoons vivent dans la pauvreté et n’ont pas les moyens d’inscrire leurs enfants dans des universités privées, et que l’Université du Koweït, un établissement public, n’accepte pas les personnes dont la nationalité n’est pas spécifiée. Même si l’Université du Koweït accepte certains Bidoons dont la mère est Koweïtienne (comme le demandeur), la réponse du gouvernement du Koweït à l’organisme Human Rights Watch (page 11) donne à penser que le nombre de places réservées à ces étudiants est limité. De même, cela pourrait avoir une incidence sur l’allégation de discrimination en matière d’emploi, puisque Human Rights Watch mentionne aussi dans son rapport, à la page 6, que ces barrières entravant l’accès aux études postsecondaires nuisent aux chances des Bidoon d’obtenir les quelques emplois qui leur sont accessibles.

[30]           On pourrait dire qu’il ne s’agit tout de même peut-être pas de persécution et que cela n’aurait eu aucune incidence sur la décision du commissaire de la SPR, mais il n’appartient pas à la Cour d’apprécier cet élément de preuve. Cette tâche revenait plutôt au commissaire de la SPR, et il a omis de le faire. Ses motifs comportent donc une lacune qu’on ne peut pas combler par inférence ou en consultant le dossier (voir Komolafe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 431, au paragraphe 11, [2013] ACF no 449; Newfoundland Nurses, précité, au paragraphe 15). En l’absence d’une analyse de l’allégation de discrimination en matière d’éducation ou de conclusions de fait à cet égard, la Cour ne peut pas comprendre comment le commissaire de la SPR est parvenu à sa décision ni déterminer si cette décision peut se justifier au regard des faits et du droit.

[31]           Par conséquent, il sera fait droit à la présente demande de contrôle judiciaire et l’affaire sera renvoyée au même commissaire de la SPR pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

[32]           Les parties ont été invitées à soumettre une question aux fins de certification, mais aucune n’a été proposée.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.      La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.      L’affaire est renvoyée au même commissaire de la SPR pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

3.      Aucune question n’est certifiée.

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Stéphanie Champagne

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-4221-13

 

INTITULÉ :

AHMED AWADH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

oTTAWA (ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 MAI 2014

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LE JUGE S. NoËl

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 MAI 2014

 

COMPARUTIONS :

Isaac Owusu-Sechere

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Orlagh O’Kelly

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Isaac Owusu-Sechere

Avocat et notaire

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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