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Date : 20140626


Dossier : IMM-2200-13

Référence : 2014 CF 623

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 26 juin 2014

En présence de monsieur le juge Annis

Dossier : IMM-2200-13

ENTRE :

MANUEL ALEJANDRO HERNANDEZ ESTEVEZ ET AUTRES

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’espèce

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], de la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rendue le 20 février 2013. Le commissaire a conclu que le demandeur et demandeur d’asile principal, Manuel Alejandro Hernandez Estevez, ainsi que sa conjointe de fait et leurs deux enfants, n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.                Faits

[3]               Le demandeur et son associé ont lancé une entreprise de télécommunications dans leur pays d’origine, la Colombie, le 15 janvier 2008. L’entreprise offrait des services d’Internet et de transmission de données dans des régions négligées par les principaux fournisseurs en raison de l’absence d’infrastructure. Elle avait principalement comme clients des floriculteurs en périphérie de Bogota. Pour fournir le service, l’entreprise avait recours à des répéteurs placés au sommet de deux collines. L’un des répéteurs était installé à 350 mètres d’une station de télécommunications au cœur de la base d’un bataillon de l’armée sise sur la même colline.

[4]               Le 7 novembre 2010, le demandeur s’est fait voler son véhicule. Il a déclaré le vol aux policiers du centre d’intervention immédiate, mais allègue que la police n’a pas été d’un grand secours. Le lendemain, il est allé au poste de police pour faire une déposition officielle, et on lui a dit de revenir dans un mois pour voir où en était l’enquête.

[5]               Le demandeur soutient que, le même soir, il a reçu un appel téléphonique d’un homme qui s’est identifié comme étant membre des FARC. L’homme a dit au demandeur de ne pas s’adresser à la police parce que les FARC seraient les premières à savoir qu’il avait fait une déposition. Il lui a dit que sa voiture lui serait remise s’il leur rendait un service, puis a raccroché.

[6]               Le demandeur soutient qu’il n’a pas déclaré l’appel téléphonique à la police parce que les FARC et les groupes paramilitaires avaient infiltré les rangs de la police.

[7]               Le 23 janvier 2011, l’entreprise du demandeur a commencé à recevoir des signaux faisant état d’une défectuosité du matériel installé sur la colline où est située la base militaire. Le demandeur et son associé ont tenté de réparer la défectuosité à distance, en vain. Ils sont allés au sommet de la colline, où ils ont constaté la disparition de l’antenne et du radioémetteur. Ils ont remplacé l’équipement manquant. Le demandeur a affirmé qu’il n’avait pas déclaré la disparition du matériel à la police parce qu’il s’affairait à contacter ses clients au sujet de l’interruption du service.

[8]               Le demandeur allègue qu’il a reçu en soirée un appel sur son téléphone cellulaire d’une personne qui s’est identifiée comme étant membre des FARC. L’interlocuteur a mentionné le vol du véhicule et a dit que les FARC avaient aussi volé l’antenne et le radioémetteur. L’interlocuteur a fait savoir au demandeur qu’il devait installer une caméra vidéo et une connexion Internet sur la tour braquée sur la base militaire de sorte que les FARC puissent utiliser la caméra à distance. Il a dit au demandeur de ne pas prévenir la police et que les FARC savaient tout de sa famille. Il a précisé que les FARC le rappelleraient pour lui remettre la caméra.

[9]               Le demandeur a informé son associé des appels téléphoniques, et celui‑ci lui a conseillé de quitter le pays pour assurer la sécurité de sa conjointe et de leurs enfants. Le lendemain, le demandeur a conduit sa famille chez le frère de son épouse, à cinq heures de route, laissant derrière lui la maison, l’entreprise et ses bureaux.

[10]           Le demandeur allègue que son associé a par la suite reçu un appel téléphonique des FARC, lui disant que le demandeur leur avait promis de faire quelque chose pour elles et qu’il devait prendre la relève. L’associé a indiqué au demandeur que lui aussi prévoyait de quitter la Colombie, mais le demandeur ne sait pas où est son associé. Ils ne sont pas en contact.

[11]           Le demandeur s’est enfui aux États‑Unis avec sa famille le 3 février 2011 et est arrivé au Canada le 15 février 2011, où lui et sa famille ont demandé l’asile.

III.             Décision visée par le contrôle

[12]           Le commissaire a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité en ce qui concerne l’entreprise du demandeur. Le demandeur n’a pas pu fournir de données financières quant à son entreprise, en dépit du fait qu’il a affirmé qu’elle était florissante. De plus, le demandeur a indiqué sur sa demande d’asile qu’il craignait les FARC parce qu’elles l’avaient désigné comme objectif militaire, mais il n’a pas pu fournir d’éléments de preuve convaincants à cet égard.

[13]           De plus, le commissaire a conclu qu’il y avait une protection de l’État suffisante en Colombie et que le demandeur n’avait pas réfuté cette présomption. Il n’existait aucune preuve en l’espèce de complicité de la part du gouvernement. La Colombie est un pays démocratique, et, par conséquent, la présomption de la protection de l’État est forte. De plus, les éléments de preuve au dossier soulignent que la police colombienne arrête et poursuit les auteurs d’actes criminels, y compris les actes commis par des membres des FARC.

[14]           Le commissaire a reconnu que les éléments de preuve font état de graves problèmes persistants, les plus sérieux étant l’impunité dont jouissent certains groupes, un pouvoir judiciaire inefficace, la corruption et la discrimination. Il a toutefois souligné que le gouvernement avait reconnu les problèmes du passé et déployait des efforts sérieux pour remédier, notamment, aux problèmes de corruption et d’impunité. En ce qui concerne l’appréciation de ces problèmes en fonction des efforts déployés par le gouvernement pour y faire échec, le commissaire a écrit :

La Commission reconnaît qu’il y a quelques incohérences dans plusieurs sources contenues dans la preuve documentaire présentée par la SPR et les demandeurs d’asile. Toutefois, la prépondérance de la preuve objective concernant les conditions actuelles dans le pays porte à croire que l’État offre une protection adéquate, bien qu’imparfaite, aux victimes d’actes criminels en Colombie.

[15]           Le commissaire a renvoyé à des éléments de preuve qui montrent que le gouvernement de la Colombie a constitué une police nationale pour le renforcement et la reconstruction du territoire qui privilégie la lutte contre les guérillas et qui a neutralisé les menaces pesant sur Bogota, selon diverses ONG. Le commissaire a aussi renvoyé à d’autres mesures positives prises par le gouvernement de la Colombie, y compris la création d’une unité d’élite du ministère de la Défense appelée les Groupes d’action unifiée pour la liberté personnelle, une organisation de renseignement de sécurité appelée le Centre de consolidation du renseignement de sécurité du commandement général des Forces armées et une stratégie intitulée Opération Sabre d’honneur axée sur des activités de surveillance par les forces aériennes et la marine. Le commissaire a fait mention d’opérations fructueuses de l’armée contre les FARC, y compris l’élimination d’un groupe de guérilleros, la mise en détention d’un autre groupe, la mise au jour de plans d’attaque de stations de police de Bogota ébauchés par les FARC, la découverte d’hôpitaux clandestins appartenant aux FARC et la saisie d’obus de mortier et d’autres explosifs et matériel appartenant aux milices urbaines des FARC.

[16]           Le commissaire a également parlé de la création par le gouvernement de l’Unité nationale de protection qui a protégé 10 806 personnes à risque, dont des défenseurs des droits de la personne et des syndicalistes, et divers autres programmes, notamment une coalition d’ONG œuvrant de concert pour prévenir les attaques et protéger la vie des personnes à risque comme les militants pour les droits de la personne.

[17]           Le commissaire, et cet élément est des plus pertinents ici, a décrit un programme récemment lancé par le procureur général de la Colombie qui est offert aux victimes et aux témoins dans les procès criminels. L’aide fournie sans frais comprend : la relocalisation dans une autre région du pays en un lieu choisi par les autorités du programme pour assurer à l’intéressé toutes les mesures de sécurité voulues, une aide financière et d’autre nature pendant la relocalisation, la délivrance de documents et un soutien psychologique et médical. En 2011, 5 307 demandes ont été reçues, dont le dixième, soit 540, ont été accueillies.

[18]           Pour le commissaire, tous ces éléments de preuve reflètent l’importance que la Colombie accorde à la protection de ses citoyens et l’efficacité des mesures prises par ce pays pour améliorer la sécurité de tous ses citoyens.

[19]           En ce qui concerne les gestes posés par le demandeur, le commissaire a souligné que celui‑ci n’a jamais rapporté à la police ni à toute autre autorité qu’on lui avait demandé de placer une caméra vidéo sur la tour et de configurer des logiciels de sorte que les FARC puissent surveiller à distance l’activité à la base militaire. Le demandeur a toutefois déclaré le vol de son véhicule, et la police a réagi en prenant sa déposition et lui disant de revenir dans un mois. Le commissaire a souligné que cela ne voulait pas dire que la police avait négligé de faire enquête et d’accomplir les tâches requises. Quoi qu’il en soit, le demandeur n’a pas fait savoir à la police que les FARC avaient volé sa voiture. De plus, même si la police n’a pas fait preuve de suffisamment de zèle à l’égard du vol du véhicule, le risque d’atteinte aux activités militaires par l’espionnage serait beaucoup plus grave que le vol de véhicule et aurait entraîné des réactions plus vigoureuses de la part de la police. Le commissaire n’était pas convaincu que la police ne mènerait pas enquête relativement aux allégations du demandeur si celui‑ci était renvoyé en Colombie et continuait d’avoir des démêlés avec les FARC.

IV.             Questions en litige

[20]           Les questions juridiques pertinentes en l’espèce sont les suivantes :

1.         La conclusion du commissaire voulant que le demandeur n’a pas réfuté la présomption de la protection de l’État est‑elle raisonnable?

2.         Le commissaire a‑t‑il commis une erreur en négligeant d’effectuer une analyse individuelle pour chaque demandeur figurant au dossier?

V.                Norme de contrôle

[21]           La Cour d’appel fédérale a statué dans Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 38, que les questions concernant le caractère adéquat de la protection étatique sont des questions mixtes de fait et de droit susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité; voir aussi Cobian Flores c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 503, aux paragraphes 20 et 21.

VI.             Analyse

1.                  La présomption de la protection de l’État

a)                  Fardeau, norme de preuve et approche contextuelle applicable à la protection de l’État

[22]           Il ressort clairement de la jurisprudence qu’il y a une présomption de la protection de l’État et que le demandeur d’asile qui cherche à réfuter cette présomption doit produire « [...] une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l'État en question est insuffisante » (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Carrillo, 2008 CAF 94, au paragraphe 30 [Carrillo]).

[23]           Les demandeurs ont cité l’arrêt  Salamanca c Canada, 2012 CF 780 [Salamanca], au paragraphe 17, dans lequel il est fait mention du critère relatif au caractère adéquat de la protection de l’État est le suivant :

Si une seule parmi un grand nombre de personnes obtient la protection, peut‑on dire que celle‑ci est adéquate? Aucun État n’offre une protection parfaite et il y aura toujours des cas de personnes incapables d’obtenir une protection adéquate, voire même une quelconque protection, mais j’estime qu’une protection de l’État est « adéquate » lorsqu’il est beaucoup plus probable que le contraire que la personne sera protégée.

[24]           J’estime que cet extrait a été pris hors contexte et ne représente pas le droit relatif à la protection de l’État en ce qui concerne l’appréciation du caractère adéquat de la protection de l’État ou la partie à qui il incombe de démontrer celui-ci. Étant donné que l’expression  « beaucoup plus probable que le contraire » décrit la norme de preuve de la prépondérance des probabilités, l’ajout du mot  « beaucoup » à la norme décrit une norme de preuve plus exigeante que celle de la prépondérance des probabilités.

[25]           De plus, je ne comprends pas qu’il incombe au défendeur de démontrer que le degré de protection de l’État est adéquat. Comme le dit le passage extrait de Carrillo, précité, il incombe aux demandeurs de convaincre la Commission au moyen d’éléments de preuve pertinents, fiables et convaincants, selon la prépondérance des probabilités, que la protection de l’État était insuffisante. De plus, devant la Cour, les demandeurs doivent démontrer que la décision de la Commission sur le caractère adéquat de la protection (estimant qu’il s’agissait d’une question déterminante) n’appartient pas aux issues possibles acceptables et raisonnables au regard des faits et du droit.

[26]           Il est certainement vrai qu’une analyse de la protection de l’État doit prendre en compte la situation personnelle du demandeur. Dans LAO c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1057, au paragraphe 24, et dans Torres c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 234, aux paragraphes 37 à 43, le juge Zinn a fait remarquer que la protection de l’État ne peut pas être déterminée isolément, et que l’analyse de la protection de l’État commande une approche contextuelle qui tient compte de la situation personnelle de chaque demandeur d’asile. Le juge Zinn a aussi souligné dans Salamanca, au paragraphe 8, la nécessité de prendre en considération, soupeser, mentionner et faire ressortir les éléments de preuve qui « contredisent de façon frappante » les conclusions de la Commission.

b)                  Arguments des demandeurs

[27]           Les demandeurs, à qui incombe le fardeau de la preuve, prétendent que le commissaire a omis de prendre en compte les éléments de preuve dont il disposait et qui, selon eux, réfutent clairement sa conclusion relative à la protection de l’État. Ils soutiennent, en premier lieu, que les éléments de preuve montrent que M. Estevez ne serait admissible à aucun des programmes de protection auxquels renvoie le commissaire et, en second lieu, que même s’il y était admissible, la protection n’est pas suffisante et ne s’étendrait pas à sa famille.

[28]           En ce qui a trait à la question de l’admissibilité, les demandeurs soulignent que l’Unité nationale de protection ne protège que les membres d’organisation munis des documents requis et les défenseurs des droits de la personne, ce qui exclut le demandeur. Ils soutiennent de plus que la protection offerte par le Programme de protection et d’aide aux victimes et aux témoins du procureur général vise uniquement les personnes qui sont des témoins dans un procès criminel et sont exposées à des risques en raison de leur qualité de témoins, ce qui n’est pas le cas du demandeur. Quoi qu’il en soit, le dixième seulement des personnes ayant présenté une demande au titre du programme ont été acceptées. De plus, les demandeurs infèrent que, pour que M. Estevez soit admissible au programme, il aurait fallu qu’il dépose une plainte criminelle à la police et que des accusations soient portées contre les auteurs des crimes, ce qui, selon eux, est improbable à la lumière de l’impunité qui prévaut dans la grande majorité des cas, comme le montrent, d’après eux, les éléments de preuve.

[29]           Je suis convaincu de la raisonnabilité de l’inférence du commissaire selon laquelle, si les demandeurs avaient rapporté les menaces proférées par les FARC afin de pouvoir utiliser les tours de M. Estevez pour espionner les installations militaires, ils auraient pu bénéficier de la protection des témoins prévue dans le programme du procureur général. La protection de l’intégrité des programmes militaires revêt la plus haute importance pour les agences de sécurité étant donné que le dévoilement de leurs opérations réduirait l’efficacité de leurs efforts. Il est aussi logique que le procureur général veuille encourager les dénonciateurs issus de la communauté à se manifester pour empêcher que des éléments criminels minent le système policier. Le commissaire a tiré une autre inférence raisonnable en affirmant que le fait de dévoiler l’intention des FARC de porter atteinte à la sécurité militaire ferait de M. Estevez un témoin important dans des poursuites, ce qui augmenterait la probabilité que les demandeurs reçoivent une protection en vertu du programme du procureur général.

[30]           Le second argument des demandeurs est celui voulant qu’il existe une abondante documentation concluant que la police ne saurait pas protéger adéquatement M. Estevez et sa famille. Les demandeurs soutiennent que le commissaire a lu de manière sélective la réponse à une demande d’information, omettant de citer l’information émanant de sources fiables selon laquelle les FARC peuvent en toute impunité rechercher et blesser ou tuer des membres ciblés de la société colombienne.

[31]           Comme il a été déjà mentionné, le commissaire a souligné qu’il y a des lacunes dans la sécurité assurée par la police et les autres organismes de protection en Colombie, signalant « qu’il y a quelques incohérences dans plusieurs sources contenues dans la preuve documentaire présentée par la SPR et les demandeurs d’asile ». Il faut se rappeler que la Cour suprême dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses] a insisté sur le fait que les principes énoncés dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, prévoient qu’il est très possible de conclure que la décision rendue par un décideur spécialisé appartient aux issues raisonnables malgré qu’il n’ait pas fait référence à tous les éléments de preuve dans ses motifs.

[32]           Quoi qu’il en soit, mon examen des documents auxquels renvoyaient les demandeurs faisant état des lacunes dans la protection que le gouvernement de la Colombie offre à ses citoyens ne révèle aucune description de déficiences dans le programme de protection des témoins du procureur général, sinon les limites déjà mentionnées quant au nombre de places disponibles. Le commissaire fait confiance aux efforts sérieux et déterminés déployés par le gouvernement pour maîtriser la situation. Il a soupesé les éléments de preuve et conclu que la « prépondérance de la preuve objective concernant les conditions actuelles dans le pays porte à croire que l’État offre une protection adéquate, bien qu’imparfaite, aux victimes d’actes criminels en Colombie ». Je ne peux pas conclure que le commissaire a omis de prendre en compte les éléments de preuve qui « contredisaient de façon frappante » ses conclusions, non plus qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de ses conclusions.

2.                  Obligation de fournir une analyse distincte pour chaque demandeur

[33]           Les demandeurs soutiennent aussi que le commissaire aurait dû effectuer une analyse indépendante quant à la possibilité pour la conjointe de fait et les enfants du demandeur de se prévaloir de la protection de l’État. Ils soutiennent qu’il convient de prendre en compte la protection de l’État pour les autres personnes (Tufino c Canada, 2005 CF 1690) et d’apprécier séparément la demande d’asile d’un demandeur mineur et les éléments de preuve relatifs à la protection de l’État qui lui est offerte (SRH c Canada, 2012 CF 1271).

[34]           Dans Gilbert c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1186, le juge O’Keefe a examiné un argument très semblable concernant une demanderesse principale et son fils mineur. La demanderesse avait allégué que la Commission avait manqué à son obligation d’équité à l’égard du demandeur d’âge mineur en ne rendant pas dans son cas une décision distincte. De plus, comme en l’espèce, les demandes d’asile des demandeurs étaient entendues simultanément et reposaient sur la même crainte alléguée, en dépit du fait qu’ils alléguaient que les demandes d’asile devaient être examinées séparément parce que, malgré le fait que la demande d’asile de la demanderesse principale reposait sur sa situation de femme victime de violence, celle de son fils reposait sur le fait qu’il avait été victime de mauvais traitements pendant son enfance. Le juge O’Keefe a rejeté l’argument, soutenant que pendant la procédure, la demanderesse principale ou son avocat n’avait jamais affirmé que la demande d’asile de son fils devait être traitée comme étant sensiblement différente pour ce motif.

[35]           Le juge O’Keefe a affirmé au paragraphe 26 :

Les demandes d'asile jointes des demandeurs ont été rejetées au motif qu'ils pouvaient se prévaloir de la protection de l'État. La Commission n'a pas commis d'erreur en estimant implicitement que le demandeur mineur pourrait et pouvait se prévaloir de cette même protection à l'encontre de l'agent de persécution.

[36]           De plus, le juge Near a souscrit à la position du juge O’Keefe à cet égard dans Castanon Garcia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1080, aux paragraphes 22 et 23, où il a écrit :

[...] il était raisonnable pour la Commission de ne pas effectuer un examen indépendant des demandes d’asile des mineurs. Toutes les demandes étaient fondées sur des faits assez similaires, la crainte de continuer à subir des menaces et des mauvais traitements aux mains de Pedro après le retour au Mexique. Les questions propres aux enfants ont été abordées par la demanderesse principale, laquelle n’a pas exprimé le désir qu’elles soient traitées séparément.

[37]           Le même raisonnement s’applique en l’espèce. Les demandes d’asile des demandeurs étaient jointes, M. Estevez étant le demandeur d’asile principal, et jamais les demandeurs n’ont semblé avoir demandé que leurs demandes d’asile soient examinées de façon indépendante. De plus, il n’y avait aucune allégation voulant que la présumée crainte diffère pour chaque demandeur d’asile. J’ai déjà souligné qu’il est raisonnable de conclure que la protection de l’État serait accordée à la famille d’un dénonciateur lorsqu’un membre de la communauté intervient pour assurer l’intégrité des services de police. Par conséquent, le commissaire n’a pas commis d’erreur en tirant la conclusion selon laquelle la conjointe de fait et les enfants du demandeur auraient dû se réclamer de la protection de l’État offerte avant de demander l’asile.

VII.          Conclusion

[38]           Je conclus que la décision appartient aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit, qu’elle est justifiée, transparente et intelligible et qu’aucun motif ne justifie l’intervention de la Cour. Par conséquent, la demande est rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.

VIII.       Jugement

Pour les motifs exposés, la Cour statue :

1.                   La demande est rejetée;

2.                   Aucune question n’est certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Peter Annis »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Line Niquet

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2200-13

 

INTITULÉ :

MANUEL ALEJANDRO HERNANDEZ ESTEVEZ ET AUTRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 JUIN 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 26 JUIN 2014

 

COMPARUTIONS :

LEIGH SALSBERG

 

POUR LES DEMANDEURS

 

NICOLE PADURARU

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LEIGH SALSBERG

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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