Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20140530


Dossiers : T-580-12

T-581-12

Référence : 2014 CF 529

Ottawa (Ontario), le 30 mai 2014

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

NABIL RIFAI

demandeur

Et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Dans cette décision, je me prononce sur deux demandes de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), ch F-7.

[2]               La première demande, le dossier T-580-12, se réfère au grief militaire 53856 déposé par le demandeur le 25 janvier 2010 concernant sa libération de la force de réserve des Forces canadiennes [le « Grief de libération »]. La décision de le libérer semble avoir été prise le 30 novembre 2009 et communiquée au demandeur oralement le ou vers le 8 décembre 2009. Après quelques discussions, le Lgén Devlin a été nommé comme autorité initiale [AI] pour ce grief. Le dossier du Grief de libération ne s’est jamais rendu jusqu’à une décision, ni jusqu’à l’étape de la décision finale par l’autorité de dernière instance [ADI].

[3]               La deuxième demande, le dossier T-581-12, se réfère à la décision rendue le 10 février 2012 par le Colonel [« Col »] Gauthier, le Directeur général de l’Autorité des griefs des Forces canadiennes [AGFC] et le délégataire du Chef d’état-major de la Défense [CÉMD], dans le grief 54810 déposé le 19 mars 2010 concernant une mesure corrective [le « Grief correctif »]. Le CÉMD est l’ADI en ce qui concerne tout grief, mais peut en certains cas déléguer cette tâche. Afin d’éviter de la confusion, le sigle « ADI » sera utilisé pour désigner le CÉMD et son délégué le Col Gauthier, à moins qu’il soit nécessaire de préciser davantage.

[4]               Je traite des deux demandes dans la même décision parce qu’ils s’influencent et il est essentiel pour comprendre le contexte des questions en litige que les deux chronologies factuelles soient intégrées. De plus, les deux dossiers ont été plaidés ensemble.

Auto représentation du demandeur

[5]               M. Rifai était sans représentation juridique quand il a déposé sa demande. Il a seulement mandaté un avocat quand il a éprouvé de la difficulté à suivre les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les « Règles »], concernant le dépôt de documents et a fait face à une requête du Procureur général visant à radier ses demandes. Il s’agit d’une cause complexe et son avocat semble avoir reçu un mandat limité. Le juriste n’a pas signé les plaidoiries écrites, y compris le mémoire du demandeur, et ne semble pas avoir tenté de mettre le dossier dans un meilleur ordre. En conséquence, des lacunes sérieuses persistent dans la documentation soumise par le demandeur, ce qui rend plus difficile la tâche de juger sur le fond.

[6]               En ce qui concerne les documents appuyant sa requête, le demandeur semble avoir fait de son mieux pour suivre les Règles. Il a cité une demi-douzaine de documents à l’appui de ses deux demandes. Toutefois, il a par la suite déposé deux cartables de documents, un pour chaque demande et chacun contenant la même collection de presque 400 pages, le tout présenté sans affidavit.

[7]               Le défendeur a ensuite déposé une requête comprenant un affidavit auquel étaient annexés les documents déposés par le demandeur. La requête était présentée par écrit en vertu de la règle 369 des Règles et décidée sur la base des prétentions dans le dossier de requête. Le défendeur demandait à la Cour d’exiger que le demandeur numérote les pages, relie chaque document à une ou des allégations, et en général mette de l’ordre dans son dossier. Le 28 juin 2012, le protonotaire Morneau a ordonné que le demandeur signifie et dépose un affidavit amendé qui corrigerait les défauts.

[8]               Le demandeur a par la suite déposé deux affidavits amendés qui faisaient référence à un grand nombre de documents, mais pas l’intégralité de ceux qui avaient été déposés initialement. En rendant sa décision, la Cour doit se limiter à cette documentation qui est déposée devant elle par voie d’affidavits.

[9]               En fin de compte, malgré le dépôt d’affidavits amendés, le demandeur n’a pas déposé plusieurs documents essentiels; il n’a même pas déposé les deux griefs, ni les recommandations du Comité indépendant des griefs des Forces canadiennes [« le CGFC » ou « le Comité »] concernant le Grief correctif - des recommandations qui ont été rejetées en partie par l’ADI en substituant une mesure plus sévère que celle qui avait été suggérée par le Comité.

[10]           Le Procureur général n’a pas déposé un affidavit. Il a contre interrogé le demandeur sur son affidavit. Il a profité de l’occasion pour déposer les deux griefs et des soumissions supplémentaires dans un des griefs, de même qu’un échange de courriels entre les parties qui a eu lieu suite au dépôt des avis de demande de contrôle judiciaire.

[11]           Le Procureur général semblerait comprendre qu’il y avait un devoir minimal de s’assurer que les documents de base soient en preuve pour que la Cour puisse savoir la nature des griefs. Cependant, le Procureur général ne s’est pas efforcé de mettre en preuve le restant des documents essentiels, telle la recommandation du Comité des griefs que le Colonel Gauthier avait rejetée. Aucun document ou autre preuve n’a été déposé pour expliquer la lenteur du traitement du Grief de libération.

[12]           La Cour est préoccupée par ce déroulement du dépôt des preuves. Elle reconnaît qu’elle n’est pas en mesure de tirer de conclusions définitives, surtout en vue du fait que le demandeur était représenté à la toute fin du processus. Reste que c’est difficile de comprendre que le demandeur auto représenté ait presque vu sa demande radiée en raison du manque d’organisation de sa documentation. Il semblerait qu’il aurait pu exercer ses droits sous la Règle 317 pour obtenir tous les documents pertinents au traitement des deux griefs, qu’il aurait ensuite pu déposer, ainsi mettant fin aux problèmes de présentation dans le dossier.

[13]           Sans être au courant de ce qui s’est passé pendant que le demandeur était sans aide juridique, la Cour se permet de noter qu’il existe un devoir de la part du procureur général du Canada de s’assurer qu’il n’y ait aucun déni de justice du fait qu’une partie agissant pour son propre compte ne connaît pas les notions de base qui éviteront que sa demande soit rejetée pour des raisons procédurales.

[14]           Le problème des parties auto représentées, en tant qu’aspect du souci de favoriser l’accès à la justice, en est un qui fait l’objet de préoccupation et de commentaires croissants de la part des cours. Le Conseil canadien de la magistrature a récemment mis à jour l’Énoncé de principes concernant les plaideurs et les accusés non représentés par un avocat, en ligne : http://publications.gc.ca/collections/collection_2007/cjc-ccm/JU14-6-2006F.pdf. Le Conseil a déclaré dans ce guide que:

Les juges, les administrateurs judiciaires, les avocats, les organismes d’aide juridique et les organismes de financement public ont tous la responsabilité de s’assurer que les personnes non représentées par un avocat aient un accès équitable à la justice et qu’elles soient traitées de façon égale devant les tribunaux;

(Page 1)

[Je souligne]

Ceci comprend l’obligation suivante :

Les juges, les tribunaux et les autres participants au système judiciaire ont la responsabilité de s’assurer que toutes les personnes, qu’elles soient représentées ou non, puissent comprendre et présenter efficacement leur cause. (Page 2)

[Je souligne]

[15]           Comme indiqué, la Cour n’a pas connaissance de ce qui s’est passé durant les étapes préliminaires précédant la demande de contrôle judiciaire. Toutefois, la perte d’un emploi par un demandeur est un sujet grave auquel les cours attachent une importance particulière, voulant s’assurer que des parties vulnérables ne subissent aucune injustice en raison de difficultés d’accès aux tribunaux résultant du fait de ne pas être représentées. En l’espèce, le demandeur ne savait pas qu’il existait une procédure pour demander les documents pertinents, une procédure qu’on aurait facilement pu porter à son attention de sorte que non seulement il éviterait le risque de voir radier sa demande pour lacunes procédurales, mais aussi la Cour bénéficierait d’un dossier complet.

Remèdes Recherchés

(1)      T-581-12 : Grief correctif

[16]           Dans la demande relative au Grief correctif, le demandeur recherche : « cancelation of any and all disciplinary measures invoked and issued against SLt Rifai. »

[17]           Je considère que la question centrale est de si l’ADI avait agi raisonnablement en rejetant la recommandation du Comité des griefs que la mesure corrective soit retenue mais allégée vu que la procédure obligatoire n’avait pas été suivie en émettant la mesure, et en concluant qu’il pouvait néanmoins décider d’une mesure corrective appropriée. Sur la base des faits non disputés, je trouve que c’était déraisonnable et j’infirme sa décision.

(2)      T-580-12 : Grief de libération

[18]           La demande relative au Grief de libération s’avère une instance où la Cour doit permettre au demandeur une certaine flexibilité pour s’assurer que sa demande soit considérée correctement. En premier lieu, le demandeur recherchait dans sa demande déposée en anglais: « a reinstatement, back pay, compensation, and an answer from the chief of land staff in this grievance. » L’avis de demande a été corrigé, apparemment au moment du dépôt, en y ajoutant à la main la phrase : « SLT Rifai requires a mandamus ».

[19]           Dans son mémoire, le demandeur cherche une ordonnance de mandamus. Toutefois, les questions en litige proposées par le demandeur soulèvent le thème de l’abus de procédure :

42.     Est-ce que les forces armées omettent illégalement ou refusent illégalement de prendre une décision concernant le grief du demandeur ou encore retardent-elles de manière déraisonnable le dossier du demandeur ?

43.     Est-ce que les forces armées commettent un abus de procédure ou de droit à l’égard du demandeur ?

[20]           La demande dans T-580-12 explique que :

Slt Rifai now seeks this enlightened court’s decision in this matter because the unjustified delays have compromised any and all faith SLt Rifai might have had in the grievance process. Slt Rifai seeks this legal remedy because the grievance process has demonstrated that it has not acted impartially, cannot act impartially and refuses to act impartially in this matter. The breach in impartiality is so severe so as to bring the grievance process into disrepute.

[21]           Le demandeur ajoute que :

First by the respondent’s behavior they have brought the grievance process into disrepute and this to a point where no applicant could ever believe or expect to receive an impartial adjudication in a grievance with the Canadian Armed forces.

[22]           En vue des circonstances de la rédaction de la demande et le fait que le demandeur était représenté seulement tard dans le processus, je considère qu’il est approprié de faire preuve de flexibilité en interprétant la description par le demandeur de sa demande. Je prends comme modèle le juge Décarie dans Canada c Roitman, 2006 CAF 266 [Roitman]. La Cour a écrit au paragraphe 16 :

[16]     Une déclaration ne doit pas être prise au pied de la lettre. Le juge doit aller au-delà des termes employés, des faits allégués et de la réparation demandée, et il doit s’assurer que la déclaration ne constitue pas une tentative déguisée visant à obtenir devant la Cour fédérale un résultat qui ne peut par ailleurs pas être obtenu de cette cour. [. . .]

[23]           Je suis conscient que dans Roitman, il s’agissait d’établir le sens d’un document dans le contexte d’une demande pour un résultat « impossible ». Dans le cas présent, où il s’agit de protéger les intérêts de la justice, le principe s’applique avec encore plus de force ; il faut s’assurer que la demande est interprétée selon sa véritable intention.

[24]           Le demandeur a bien placé devant cette Cour dans le contexte d’une demande en mandamus la question de si le défendeur a agi intentionnellement de mauvaise foi et a commis un abus de la procédure de griefs en retardant le traitement du Grief de libération pour la raison illégitime de décourager le demandeur et de l’empêcher de continuer jusqu’au bout.

CONTEXTE FACTUEL

Transfert vers la Réserve

[25]           Le demandeur s’est enrôlé dans les Forces canadiennes en septembre 2005 comme officier d’infanterie de la force régulière. Faisant face à des difficultés se rapportant principalement à sa situation familiale, il a voulu transférer à la force de réserve au début de 2008. Il a entrepris des démarches auprès de trois unités différentes de réserve à Montréal. Il a travaillé comme bénévole avec la première de celles-ci, les Fusiliers Mont-Royal [FMR], durant l’année d’entraînement allant de l’automne 2008 au printemps de 2009, mais a fini par trouver une place avec la troisième unité, le 4e Bataillon du Royal 22e Régiment [4R22R].

[26]           À l’automne de 2009, des officiers de la force régulière et de la force de réserve ont approuvé le transfert et un message à cet effet a été émis. Pour compléter la procédure de transfert, le demandeur devait quitter la force régulière et être enrôlé dans la force de réserve. Il est devenu officier du 4R22R à partir du 18 septembre 2009.

[27]           À ce moment, le demandeur a aussitôt accepté une offre de contrat de déploiement d’une durée de six mois pour participer à l’Opération Podium [OP], une mission opérationnelle des Forces en relation avec les Jeux olympiques d’hiver de 2010 à Vancouver.

[28]           Dans des circonstances qui seront décrites ci-dessous, le demandeur s’est retrouvé libéré des Forces le, ou vers le, 8 décembre 2009. Les faits sous-jacents aux deux griefs militaires fournissent le récit de ce qui s’est passé.

Questionnement sur le transfert et les qualités du demandeur

[29]           Les problèmes du demandeur ont commencé le matin du 22 septembre, lorsque le Lieutenant-colonel [Lcol] Roy, commandant du FMR, a contacté le Lcol Boisvert de l’état-major du Secteur Québec de la Force terrestre [SQFT] et a questionné les qualités du demandeur, nouvellement enrôlé comme officier du 4R22R, comme candidat pour un transfert à la réserve.

[30]           Le SQFT regroupe des formations et des unités régulières et de réserve de l’armée qui sont basées au Québec, notamment le 34e Groupe-brigade du Canada [34 GBC], une formation de réserve qui regroupe les unités de réserve de l’ouest de Québec, parmi eux le 4R22R et le FMR. Le quartier général [QG] du SQFT se trouve à Montréal.

[31]           Le demandeur a décrit le rôle du Lcol Roy dans son affidavit amendé comme suit :

97.    Depuis le début de cette affaires il est devenue claire que toute cette affaire a eu lieu, car le superviseur du SLt Rifai qui voulait donner un avertissement écrite en juillet 2009, le LCol Roy, n’était pas content que le Slt a décidé de changer vers une autre unité pour son transfert, plus du FMR vers le 4R22R.

98.     Il a donc entrepris une campagne caché contre le Slt avec d’autre membre supérieur des forces armée canadienne pour créer cette situation.

99.    Cette campagne a eu lieu à l’insu du Slt Rifai.

[Je souligne]

[32]           Suite à sa conversation avec le Lcol Roy, le Lcol Boisvert a demandé qu’on envoie le dossier de M. Rifai au QG du SQFT. Le Lcol Dufour, le chef d’état-major du 34 GBC, a demandé des explications avant qu’il fasse parvenir le dossier au SQFT. Entre le 22 septembre et le 1 octobre, dans une série de courriels, le Lcol Boisvert a expliqué au Lcol Dufour que seul le général commandant [GCmdt] du SQFT pouvait autoriser l’enrôlement du demandeur dans la force de réserve. Le message de transfert avait été émis le 1er septembre sur la foi d’assurances qu’il n’y avait aucun problème dans le dossier de l’individu, mais il s’avérait qu’il y avait en fait des problèmes.

[33]           Suite à sa conversation avec le Lcol Roy, le Lcol Boisvert avait constaté que le demandeur s’était retiré de la Phase 4 de l’entraînement de base comme officier d’infanterie en 2008 et que son mémo du 22 février 2008 demandant l’autorisation de se retirer prétextait son incapacité de gérer le stress. Le commentaire de l’école d’infanterie approuvant le retrait avait indiqué que le demandeur n’avait pas la ‘fibre morale’ pour être officier d’infanterie [je souligne]. Le Lcol Boisvert avait aussi constaté dans le dossier qu’une mesure corrective avait été émise à l’égard du demandeur durant les douze derniers mois et il avait noté que plutôt que de « faire face à la musique » le demandeur avait changé son transfert pour aller à une autre unité. De plus, le demandeur avait communiqué directement avec le commandant du 4e Groupe des services de santé durant sa recherche d’une autre unité. Étant donné cela, l’état-major se retrouvait en situation d’illégalité, le demandeur ayant été enrôlé comme réserviste sans autorisation en bonne et due forme.

La mesure corrective d’octobre 2009

[34]           À la fin de septembre 2009, le demandeur a été envoyé sur un exercice d’entraînement en préparation pour l’Op Podium. Le 15 octobre, un autre officier travaillant sur l’opération, le Major Blanchet, a communiqué avec un collègue, le Major Siket, à propos du demandeur. Major Blanchet dit qu’il a dû avoir une conversation avec M. Rifai relative à son rendement et à sa conduite, et que M. Rifai « est pleinement conscient que notre bde a présentement besoin de lui, dans notre cie Op Podium, comme offr de svc. »

[35]           Le lendemain, le 16 octobre 2009, dans un courriel envoyé à 7 h 55, le Lcol Dufour a dit au Major Blanchet et au Major Siket :

Messieurs,

Je veux que ce soit quand même clair que dans mon esprit son nom revient beaucoup trop à nos oreilles pour un SLt.

[Je] sais que nous sommes a court d’OD. Mais la Cie Podium n’amenera pas un cas problème a Vancouver et la question est quelle sont les chances qu’il fasse une niaiserie rendu la-bas ? Et si il fait une niaiserie le GCmdt va nous demander si nous nous y attendions et si oui pourquoi nous l’avons envoyé. Nous devons nous poser la question.

En bref, il faut le garder a l’œil.

[36]           Plus tard la même journée, le Lcol Dufour a placé le demandeur en mise en garde et surveillance [MG&S] pour ne pas avoir conformé aux directives. Le compte-rendu écrit de la mesure dit :

1. Vous avez fait preuve d’un manquement (cocher une case) ___ à la conduite ou x au rendement.

2. La description détaillée du manquement est la suivante:

Lorsqu’il était employé comme officier de service durant l’ex Athlète Rusé à Valcartier, dans le cadre de l’entraînement de la Cie Rés Tac FOIJ d’Op Podium, le Slt Rifai a démontré à plusieurs reprises son incapacité à se conformer aux directives émises (tâche ponctuelle d’estafette, obtention de tout le matériel figurant sur la liste d’équipement avant son arrivée en exercice, utilisation de son véhicule personnel à l’encontre des ordres émis), malgré le fait qu’il ait reçu des directives appropriées et répétées l’intimant de porter attention aux ordres émis.

[Je souligne]

[37]           Le formulaire précise par la suite que « Si vous ne corrigez pas le manquement susmentionné, d’autres mesures administratives pourront être prises à votre égard », après quoi on a ajouté à la main les mots « incluant la libération des forces ».

[38]           Il n’y a aucune preuve au dossier détaillant le comportement visé par la mesure corrective. La décision contestée par rapport à cette mesure (dans le dossier T-581-12) décrit certains faits, mais ils ne sont pas confirmés par une preuve quelconque, y compris les conclusions de faits tirées par le Comité des griefs, dont on parlera ci-bas.

La procédure pour mesures correctives

[39]           Les mesures correctives des Forces sont imposées selon les Directives et ordonnances administratives de la Défense [DOAD] 5019-4, « Mesures correctives » [les « Directives » ou le « DOAD 5019-4 »]. Elles ne sont pas des peines disciplinaires mais des mesures administratives visant à régler des écarts de conduite ou un rendement insuffisant. Il y a trois niveaux de mesures correctives qui peuvent être imposées à un membre des Forces. En ordre croissant de gravité, elles sont : une première mise en garde [PMG], un avertissement écrit [AÉ], et une mise en garde et surveillance [MG&S]. Une autorité de mise en œuvre peut sélectionner la mesure corrective appropriée sans être tenue de passer d’une PMG à un AÉ puis à une MG&S.

[40]           Les Directives stipulent que la MG&S, la mesure la plus sérieuse, comporte des répercussions sur la carrière; elle est accompagnée de l’inadmissibilité aux promotions, à la plupart des cours de formation professionnelle, et aux affectations (à part les déploiements opérationnels) durant au moins la période minimale de surveillance, qui est de six mois. Les Directives ordonnent que chaque manquement, que ce soit de rendement ou de comportement, fasse le sujet d’une mesure corrective distincte :

Un manquement peut être catégorisé comme un écart de conduite ou comme un rendement insuffisant, mais pas les deux. La catégorisation du manquement du militaire sert à cerner les objectifs de surveillance et à faciliter l’examen du dossier personnel du militaire par l’état-major ou une tierce partie.

Si le militaire fait preuve de différents manquements au même moment, chaque manquement doit être traité séparément [. . .].

[41]           Selon les Directives, pour imposer une mesure corrective, il est nécessaire d’émettre en premier un formulaire d’avis. Dans le cas d’un MG&S, c’est le Formulaire DND 2827 - Avis d'intention d'entreprendre une mise en garde et surveillance [le « Formulaire B »], qui donne l’avis de l’intention d’adopter la mesure.  Il est suivi par le Formulaire 2826 [le « Formulaire A »] qui détaille la mesure prise.

[42]           Quand l’autorité de mise en œuvre remet au militaire qui fait l’objet de la mesure corrective le Formulaire B, il doit aussi lui faire parvenir des copies de tous les documents qui justifient l’adoption de la MG&S proposée et qui seront examinés afin de prendre une décision finale. Le militaire doit être ensuite accordé un délai raisonnable, d’au moins 24 heures, pour qu’il puisse présenter des arguments par écrit à l’autorité de mise en œuvre. Le militaire peut demander de l’aide ou un délai supplémentaire afin de présenter ses arguments. L’autorité de mise en œuvre doit examiner les arguments du militaire, le cas échéant, et doit ensuite décider si une mesure corrective devrait être imposée et si oui, laquelle. Si la décision est prise d’imposer une MG&S, l’autorité de mise en œuvre doit alors remplir le Formulaire A et le remettre au militaire.

[43]           En l’espèce, aucun avis préalable par Formulaire B n’a été remis comme l’exige le règlement. Le demandeur n’a eu droit ni au délai de 24 heures ni à une opportunité de présenter ses arguments devant l’autorité de mise en œuvre, et il n’a pas eu droit à de l’aide comme exige la politique. Le tout s’est fait sur le champ.

[44]           Le demandeur affirme dans son affidavit que lors de la rencontre du 16 octobre, on a suggéré qu’il serait peut-être plus à l’aise dans les rangs que comme officier, mais qu’il a refusé.

Annulation du contrat de classe C relatif à l’OP

[45]           Quelques jours plus tard, le déploiement du demandeur a été terminé et il est retourné à Montréal. Le demandeur décrit la terminaison de son contrat de classe C pour l’OP dans son affidavit amendé dans le dossier T-580-12 ainsi :

51.     En Octobre le SLt Rifai a avisé verbalement ces supérieurs que des difficultés familiales se développaient à sa residence. Son épouse éprouvait certaines inquiétudes qui devaient possiblement être adressé par le SLt Rifai.

52.     Ces supérieurs lui ont avisé que des situations familiale se développait pour eu aussi et qu’il ne fallait pas trop s’en faire.

53.     Il est devenue de plus en plus claire que sa participation à cette opération n’était pas le bienvenue par ses supérieur.

54.     Le Slt Rifai a cherché conseils auprès de ces collègues et supérieurs. Il a avisé ses supérieurs qu’il demandera possiblement son retrait de la cie res tac FOIJ.

55.     Le 16 Octobre 2009, le Slt Rifai a reçu une mesure corrective, une mise en garde et surveillance, de la part du LCol Dufour, le Chef d’état major de la 34 GBC, nouvellement en poste.

56.    La mesure corrective qui est aussi devant cette cours (T-581-12).

57.     Lors de cette rencontre, il a été suggéré, par ses supérieurs que le SLt Rifai remet sa commission et joint les membres du rang. Le SLt Rifai a refusé.

58.     Le SLt Rifai a par la suite demandé pour des journées de congé qui ont été accordé mais avec terminaison du contrat Class C par ses supérieurs.

59.     Le SLt Rifai est partie de l’opération pour retourner à sa résidence.

[46]           Le 13 novembre 2009, le Major Blanchet a informé le Lcol Dufour par courriel qu’il avait mené une deuxième entrevue de suivie avec le demandeur relativement à une mesure corrective antérieure, mais qu’en vue de la MG&S du 16 octobre, cette mesure semblait avoir échoué, et que tout suivi subséquent devait être par référence à la MG&S. Major Blanchet note finalement :

« Je crois aussi que nous devons être honnête avec l’individu et lui faire part de l’intention de ne pas le conserver dans les FC [Forces canadiennes]. Je souhaite vous parler de vive voix de ce dossier. »

[Je souligne]

[47]           Aucune preuve au dossier ne démontre qu’on ait averti le demandeur à cette date que les Forces avaient l’intention de le congédier.

Annulation de l’enrôlement

[48]           Le 23 novembre 2009, le colonel commandant du 34 GBC, Colonel Lapointe, a envoyé une lettre pour exécution par le QG de SQFT et pour l’information du QG du 34 GBC et du Cmdt du 4R22R, disant que malgré le transfert non approuvé de la force régulière, on avait maintenu le contrat de classe C du demandeur parce qu’on avait besoin de lui pour Op Podium. Cependant, il s’était par la suite volontairement retiré de cette opération. Son dossier portait à questionner son leadership. Une décision du général commandant du SQFT était encore attendue, mais entretemps le Colonel Lapointe recommandait qu’on reconsidère voire qu’on annule l’enrôlement irrégulier. Les passages pertinents de la lettre sont :

1.  Suite à l’acceptation du message d’autorité à la référence A, [matricule] Slt Rifaï a été muté de la Force régulière à la Force de réserve, le 18 septembre 2009 au sein du 4R22R.

2.  L’échange de courriels entre le Lcol Boisvert et le Lcol Dufour (ci-joint) confirme que le GCmdt n’avait pas approuvé sa mutation de la Force régulière à la Première réserve.

3.  Le membre a été maintenu en Classe C au sein de l’OP PODIUM dans le but de ne pas nuire aux opérations.

4.  Le Slt N. Rifaï a fait une demande de retrait volontaire de la Cie Rés Tac d’OP PODIUM. Son emploi classe C a pris fin le 30 octobre 2009. Nous sommes en droit de nous questionner sur ses qualités de chef et son dévouement envers les Forces canadiennes.

5.  Sachant que le dossier est encore en attente de la décision du GCmdt, nous vous recommandons par la présente de bien vouloir reconsidérer, voire annuler l’enrôlement du précité au sein de la Première réserve.

[Je souligne]

[49]           Le 30 novembre, le Colonel Lapointe a écrit au Cmdt du 4R22R, le Lcol de Sousa, afin de lui remettre les documents mentionnés dans sa lettre à l’appui de sa recommandation d’annuler, ainsi que l’original de la mesure corrective de MG&S du 16 octobre et un avertissement écrit [AÉ] qui avait été donné au demandeur le 7 juillet 2009 alors qu’il effectuait du service volontaire avec les Fusiliers Mont-Royal. Le Colonel Lapointe s’attendait à ce que le Lcol de Sousa fasse le suivi administratif.

[50]           Une note manuscrite du Lcol de Sousa apposée à la lettre et datée le 30 novembre 2009 donne l’ordre d’annuler l’enrôlement : « À la lumière de ces nouvelles informations, veuillez annuler l’enrôlement du Slt Rifaï ».

[51]           Le 8 décembre, le Lcol de Sousa avise le demandeur pour la première fois, oralement, que sa demande d’enrôlement dans la réserve n’avait jamais été complétée et que suite aux événements, la chaine de commandement avait décidé de ne pas continuer avec son enrôlement. Le demandeur affirme dans son affidavit que :

60.     Le 8 décembre 2009 le SLt Rifai a été avisé par le Cmdt du 4R22R, le LCol De Soussa, que la demande d’enrôlement n’avait pas encore été bien complété et que la chaine de commandement a décidé suite aux événements et aux recommandations que son enrôlement au sien de la première réserve ne sera pas complété.

61.     Il a été informé que puisque sa sorti de la force régulière a été bien faite et que son enrôlement à la force de primaire réserve c’est mal faite, que le Slt Rifai c’est maintenant trouvé plus membre des forces armée canadienne.

62.     De plus il a été ordonné au Slt Rifai de ne plus se présenté à aucun fonction ou activité, opération ou que sa soit des forces armée canadienne.

Dépôt des deux griefs du demandeur

[52]           Le 10 décembre 2009, le demandeur a soumis une demande d’aide pour la formulation d’un grief. Dans son affidavit amendé, il a décrit plusieurs situations de fait, soutenues par des preuves documentaires, à l’appui de son allégation de mauvaise foi dans le processus de traitement des griefs. Premièrement, il a décrit le refus du demandeur de fournir l’officier assistant qu’il recherchait.

63.     Le 10 décembre le SLt Rifai a faite une demande d’aide pour la formulation d’un grief au 4R22R tel qu’il est de son droit selon les Ordonnances et Règlements royaux des forces Canadiennes (ORFC) (P-41).

64.     Aucuns des trois personnes nommés par le Slt Rifai pour l’aide ne lui a été fournit. Le Slt Rifai a été informé catégoriquement que les trois personnes étaient à l’extérieur du pays et n’était pas disponible.

65.     Le Slt Rifai a par la suite demandé à une des personnes nommés par lui ; il lui a informé qu’il était dans le pays, que aucune demande de la sorte ne lui a été faite par la chaine de commandement, et que nonobstant le précédent qu’il n’était pas confortable s’impliquer dans le dossier vue les personnes impliquées (P-42).

66.     Le SLt Rifai n’a pas encore eu de réponse sur cette question d’officier aidant et sur le fait qu’il a été menti sur cette demande par le ministère de la défense national.

67.     Le Slt Rifai n’a pas encore reçu de réponse à cette demande.

[. . .]

85.     Vue le sérieux et le temps qui s’écoule, le SLt Rifai a procédé avec le grief, même si il n’a pas eu l’aide et les conseils qui lui auront permit de mieux préparer et de mieux formuler ses demandes.

[53]           Le 25 janvier 2010, le demandeur a déposé une demande de redressement de grief contestant sa libération des Forces canadiennes (T-580-12, le Grief de libération). Il cherchait « à renverser la décision de ne pas compléter son enrôlement dans la force de réserve primaire au sein du 4R22R » ainsi que d’avoir « restitution de sommes, promotion et autres qu’il aurait reçus. » Il demandait « encore de l’aide pour rédiger, comprendre et suivre les étapes du processus de grief et pour comprendre tous les recours qui sont disponible. »

[54]           Le demandeur affirme que le 7 février 2010 il a reçu un avis de libération selon l’article 5E des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes [ORFC]. Ce document n’est pas devant la Cour. Toutefois, le demandeur a déposé un document intitulé « Descriptions des motifs de libérations ; Guide pour l’assurance-emploi » dans lequel sont indiqués des motifs différents de libération dont les trois exemples pertinents sont les suivants :

Motif

Description

Explication

5(d)

Ne peut être employé d’une façon profitable

Principalement pour raisons administratives seulement, les raisons peuvent être l’échec d’une étape d’entraînement, fardeau administratif HORS du contrôle du militaire, etc

5(e)

Enrôlement régulier

Plusieurs raisons tels que, niveau d’éducation non-conforme, problème médical existant lors de l’enrôlement, etc.

5(f)

Inapte à poursuivre son service

S’applique à tout militaire qui à cause de facteurs EN SON POUVOIR, impose un fardeau administratif excessif sans démontrer d’amélioration dans son comportement. Généralement considéré comme une libération disciplinaire.

[55]           Le 16 février 2010, le demandeur a déposé un addendum à son Grief de libération faisant référence à l’avis reçu le 7 février. Il demandait « un audit de la procédure qui a mené à ces circonstances ».

[56]           Le 19 mars 2010, le demandeur a déposé une demande de redressement de grief contestant la MG&S du 16 octobre 2009 (T-581-12, le Grief correctif) ; il demandait l’annulation de la mesure corrective.

[57]           Le demandeur a déposé un deuxième addendum à son Grief de libération le 26 avril 2010. Il demandait en premier lieu une copie de la correspondance citée ci-haut par la Cour, dont mention avait été faite dans les documents qu’il avait reçus, ainsi que tout autre document pertinent. Par après il a décrit dans son avis de demande le fait de ne pas avoir reçu cette documentation comme suit :

Sixth not all of the relevant information although in their possession was submitted to SLt Rifai. An email detailing a knowingly unlawful act committed to Slt Rifai by higher ranking military personnel that could have had an incidence on Slt Rifai was not given to him. And this also serves as motive for the continuing oppression [...].

[58]           Il soulevait également dans cet addendum son opposition à ce que ce soit le QG du SQFT qui agisse comme autorité initiale [AI] (le décideur au premier niveau du processus des griefs) pour le Grief de libération. Dans son affidavit amendé, le demandeur a expliqué son raisonnement, alléguant la mauvaise foi:

74.     De plus, lors du dépôt de son grief il a eu question de l’autorité initiale. À deux reprise le Slt Rifai c’est objecté sur la question de l’autorité initiale car il ne croyait pas que l’autorité initiale choisit était le plus approprié (P-44, P-45 et P-46).

75.     Et a deux reprises le ministère de la défense national lui a avisé que l’autorité initiale le plus approprié a été choisit. [Note de la Cour : Le demandeur fait référence à deux lettres dont le Lcol Boisvert était l’auteur.]

76.     Depuis le dépôt du grief, il est devenue clair que la personne et le niveau choisit était la personne et le niveau impliqué au cœur de se sujet, de se grief (P-47 et P-48).

77.     L’autorité initiale originale même si il prétendait être impartial et loin du sujet a été impliqué au cœur même du litige dès le début, croyant que leurs implications restera toujours caché derrière différent niveau hiérarchique.

78.     La seule et unique raison de l’insistance sur l’autorité initiale originale est pour trouver une manière de couvrir leurs arrières et faire en sorte que le grief finisse à l’autorité finale pour adjudication.

Le traitement des deux griefs

[59]           Il semblerait que l’AI chargée du Grief correctif n’a pas pu rendre une décision dans le délai de 60 jours autorisé par l’ORFC 7.07. Le demandeur a refusé d’accorder une prolongation. Le dossier a donc été envoyé directement à l’ADI. L’ADI a choisi de le référer au Comité indépendant (le régime de griefs sera examiné en bas).

[60]           Le dossier déposé à la Cour ne fournit pas d’autres renseignements sur ce grief à part ce qu’on peut trouver dans la décision du ADI rendue le 10 février 2012. Cependant, il est indiqué dans la décision de l’ADI qu’en novembre 2011 le Comité avait donné son avis que la mesure corrective du 16 octobre 2009 était invalide et devait être annulée, et avait estimé que les circonstances auraient donné lieu à une mesure de deux niveaux moins grave, c’est-à-dire une première mise en garde [PMG] plutôt qu’une MG&S.

[61]           L’ADI a accepté l’avis du Comité que la mesure n’avait pas été émise en conformité avec les Directives et n’était donc pas valide. Néanmoins, il a poursuivi son analyse en entreprenant une révision ‘de novo’ des faits sous-jacents. Distinguant sa situation de celle du Comité en ce qui concernait le manquement aux Directives, il a imposé au demandeur une mesure corrective d’avertissement écrit [AÉ], qui était plus sévère que la mesure recommandée par le Comité. Il estimait que le comportement du demandeur avait été « répréhensible » et a déclaré que « Ceci n’est pas un comportement d’un officier ».

[62]           Pendant ce temps, le Grief de libération demeurait avec une AI à Ottawa. Le 1 mars 2012, la sixième prolongation à laquelle le demandeur avait consenti a pris fin sans qu’on lui demande s’il en accordait une autre.

[63]           Le 20 mars 2012, le demandeur a déposé les présentes demandes de contrôle judiciaire - le dossier T-581-12 (le Grief de libération) et le dossier T-581-12 (le Grief correctif) - auprès de la Cour fédérale.

[64]           Il explique pourquoi il a déposé ses demandes comme suit :

107.     Le grief a été déposé de bonne fois, et le Slt Rifai est dans l’attente d’une résponse de l’autorité initiale (le deuxième) pour plus de 18 mois maintenant.

108.     Dans le passé l’autorité initiale, le Chef de l’état major l’armée de terre (CEMAT) demandait une extension, et ce a plusieurs reprise, toutefois lors de la dernière expiration aucune demande n’a été fait. Et le Slt Rifai a due tourner vers cette honorable cours.

109.     Le CEMAT refuse, néglige, omet de fournir une réponse au grief. Vien au-delàs des délais statuaires.

110.     Selon le Slt Rifai l’autorité initiale préfère ne pas donner une réponse et en conséquence force le grief au dernier palier, l’autorité final, le chef de la défense national.

111.     Un grief qui est envoyé à l’autorité final doit nécessairement passer au comité des griefs de la défense et qui émets une recommandation sur lequel l’autorité finale n’est pas tenue de suivre.

112.     De plus vue l’ensemble des circonstances dans ce dossier, il est claire que l’impartialité et la capacité au système de grief d’adjugée ce grief n’est plus possible.

[65]           Le 22 mars 2012, l’autorité de gestion des griefs a communiqué avec le demandeur par courriel pour savoir s’il voulait approuver un dernier prolongement pour le traitement du Grief de libération par l’AI. On n’a pas expliqué pourquoi après 18 mois d’attente l’AI était en mesure de rendre une décision avant la fin du mois suivant, tout juste après que la demande de contrôle judiciaire soit déposée.

Bonjour M. Rifai

Le CLS n’a pas encore rendue sa décision sur votre grief. Il est actuellement à l’extérieur en ce moment et sera de retours la semaine prochaine.

Je vous demande donc une dernière extension jusqu’au 30 avril 2012 pour permettre [au] CLS rende sa décision.

J’attend votre confirmation.

Merci.

[66]           Le demandeur a répondu que la date était déjà « passé due » et qu’il avait entamé des procédures judiciaires le 20 mars. L’officier de l’AGFC a envoyé un deuxième courriel pour vérifier s’il voulait dire qu’il accordait le délai ou non. Elle lui demanda aussi, dans le cas où il n’accorderait pas le délai au AI pour continuer de traiter du grief, s’il voulait exercer son droit d’exiger que le grief soit envoyé directement à l’ADI pour que celui-ci rende une décision.

[67]           L’officier a aussi offert comme alternative que le demandeur pouvait retirer son grief, sans expliquer pourquoi après toute la procédure qu’il avait suivie et après avoir déposé une demande en cour, le demandeur voudrait accepter cette suggestion.

Bonjour M. Rifai,

J’ai pris note de vos commentaires.

Cependant, vous n’avez pas répondu à ma question.

Accordez-vous le délai oui ou non ?

Si non, désirez-vous que votre dossier soit envoyé à directement à DGCFGA, soit l’autorité finale des griefs ? Ou bien désirez vous retirer votre grief.

Laissez-moi savoir.

Merci.

[Je souligne]

[68]           M. Rifai a répondu qu’il s’attendait à ce que le grief soit suspendu en attendant une décision de la Cour fédérale.

Le processus de traitement de griefs

[69]           Les griefs militaires sont régis par la Loi sur la défense nationale, LRC (1985), ch N-5, et les ORFC. La législation pertinente est reproduite à l’Annexe A. Je cite surtout les ORFC.

[70]           Un plaignant présente son grief à son commandant. Si celui-ci a la compétence pour agir, il agit comme autorité initiale [AI]. Sinon, le grief doit monter jusqu’à l’officier au prochain rang supérieur qui peut agir à titre d’AI. L’AGFC à Ottawa désignera cet officier. En l’espèce, le dossier devant la Cour n’explique pas qui était l’AI pour le Grief correctif, ce niveau ayant été dépassé très tôt de toute manière. Comme expliqué, le Lgén Devlin a été nommé comme AI pour le Grief de libération.

[71]           L’article 7.07 des ORFC oblige l’AI, dans les 60 jours suivants la réception du grief, d’informer le plaignant par écrit de sa décision et des motifs à l’appui. Si l’AI ne peut pas prendre de décision dans le délai réglementaire, le plaignant a le droit de demander que son grief soit envoyé directement au niveau supérieur, celui-ci étant l’autorité de dernière instance [ADI]. Également, si le plaignant demeure insatisfait suite à une décision par l’AI, il peut demander que son grief monte jusqu’à l’ADI. Comme indiqué ci-haut, l’ADI est le chef d’état-major de la défense [le CÉMD], désigné comme tel à l’article 7.08 des ORFC. En pratique, toutefois, la fonction est souvent accomplie par un officier délégué comme le Colonel Gauthier, l’officier qui a décidé du Grief correctif en l’espèce.

[72]           L’article 29.16 de la Loi sur la défense nationale crée le Comité des griefs des Forces canadiennes [le « CGFC » ou le « Comité »]. Le Comité est composé d’un président, d’au moins deux vice-présidents et des autres membres nécessaires à l’exercice de ses fonctions. Ses membres sont nommés par le gouverneur en conseil. Ceux qui œuvrent à temps plein se consacrent exclusivement à l’exécution des fonctions du Comité. L’article 29.21 confère au Comité les pouvoirs d’un tribunal indépendant ; il peut assigner des témoins, faire prêter serment, and recevoir les éléments de preuve nécessaires.

[73]           En vertu de l’article 7.12 des ORFC, l’ADI peut envoyer certains griefs au Comité et doit envoyer certains autres griefs au Comité, notamment ceux qui concernent une libération des Forces. Le Comité étudie alors le cas et formule des recommandations. En l’espèce l’ADI avait choisi d’envoyer le Grief correctif au Comité; il était obligé d’envoyer le Grief de libération au Comité. Le Comité présente ses recommandations à l’ADI et au plaignant. En l’espèce, aucune information n’a été fournie à la Cour concernant les motifs qui ont poussé l’ADI à référer le Grief correctif au Comité, vu le délai que ceci implique nécessairement.

[74]           En vertu de l’article 29.13 de la Loi sur la défense nationale, l’ADI n’est pas lié par les conclusions et recommandations du Comité. Cependant s’il choisit de s’en écarter, il doit motiver son choix dans sa décision.

[75]           En vertu de l’article 7.16 des ORFC, le traitement de tout grief doit immédiatement être suspendu si le plaignant prend un recours en vertu d’une loi fédérale autre que la Loi sur la défense nationale. Cela comprend les deux demandes de contrôle judiciaire à la Cour fédérale déposées par le demandeur dans la présente affaire.

Les questions en litige

[76]           Dans la demande T-581-12 – le Grief correctif :

1. Est-ce que la décision du Colonel Gauthier était raisonnable vu qu’il a accepté l’avis du Comité quant au vice de procédure dans la mesure originale ?

2. Est-ce que la décision du Colonel Gauthier était raisonnable malgré le fait qu’il a annulé la mesure basée sur le rendement et a créé une nouvelle mesure basée sur la conduite ?

[77]           Dans la demande T-580-12 – le Grief de libération :

1. Est-ce qu’un abus de pouvoir en retardant une décision pourrait justifier une ordonnance de mandamus ?

2. Si oui, est-ce que les faits de l’espèce démontrent un abus de pouvoir de la part du défendeur dans le retard occasionné au Grief de libération ?

Norme de Contrôle

[78]           La norme de contrôle applicable à la demande T-581-12 (le contrôle de la décision concernant le Grief correctif) est celle adoptée par cette Cour dans Tainsh c Canada (Procureur général), 2011 CF 1180 aux paragraphes 22 et 23 :

[22]     Le caractère approprié des motifs peut être considéré comme l'un des aspects de l'équité procédurale, et cet aspect est donc susceptible de contrôle selon la décision correcte (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, 2009 CarswellNat 434, au paragraphe 43).

[23]    Dans la décision Smith c. Canada (Défense nationale), 2010 CF 321, 363 F.T.R. 186, la Cour a statué que les décisions du CÉMD sont des questions mixtes de fait et de droit, susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Comme il est indiqué dans l'arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47, le caractère raisonnable "tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit".

[79]           En ce qui concerne T-580-12, la possibilité d'obtenir des ordonnances de mandamus est déterminée par l’application correcte des principes aux faits pertinents. Le test quand il s’agit d’une allégation de retard indu pour rendre une décision est décrit dans Liang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 758 aux paragraphes 24, 26 :

[24]     L'ordonnance de mandamus est une mesure discrétionnaire de réparation en equity. Les parties sont d'accord sur le critère juridique pour l'octroi d'une ordonnance de mandamus, tel qu'il est énoncé au paragraphe 45 de la décision Apotex Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742, confirmé par [1994] 3 R.C.S. 1100, et qui été appliqué au contexte de l'immigration (voir par exemple les décisions, Conille c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 CF 33; Vaziri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1159) :

1. Il doit exister une obligation légale d'agir à caractère public.

2. L'obligation doit exister envers le requérant.

3. Il existe un droit clair d'obtenir l'exécution de cette obligation, notamment :

a) le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

b) il y a eu (i) une demande d'exécution de l'obligation; (ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle-ci n'ait été rejetée sur-le-           champ; et (iii) il y a eu refus ultérieur, exprès ou implicite,        par exemple un délai déraisonnable;

4. Lorsque l'obligation dont on demande l'exécution forcée est discrétionnaire, les règles suivantes s'appliquent :

a) le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire ne doit pas agir d'une manière qui puisse être qualifiée d'"injuste", d'"oppressive" ou qui dénote une "irrégularité flagrante" ou la "mauvaise foi" ;

b)  un mandamus ne peut être accordé si le pouvoir discrétionnaire du décideur est "illimité", "absolu" ou "facultatif";

c) le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire "limité" doit agir en se fondant sur des considérations "pertinentes" par opposition à des considérations "non pertinentes" ;

d)            un mandamus ne peut être accordé pour orienter l'exercice d'un "pouvoir discrétionnaire limité" dans un sens donné;

e) un mandamus ne peut être accordé que lorsque le pouvoir discrétionnaire du décideur est "épuisé", c'est-à-dire que le requérant a un droit acquis à l'exécution de l'obligation.

5. Le requérant n'a aucun autre recours.

6. L'ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique.

7. Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l'équité, rien n'empêche d'obtenir le redressement demandé.

8. Compte tenu de la "balance des inconvénients" , une ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être rendue.

[. . .]

[26]   Les parties sont d'accord sur le fait que le critère pour savoir s'il y a eu un délai indu est tel qu'il est énoncé au paragraphe 23 de la décision Conille précitée :

[...] trois conditions s'imposent à ce qu'un délai soit jugé déraisonnable :

1) le délai en question a été plus long que ce que la nature du processus exige de façon prima facie;

2) le demandeur et son conseiller juridique n'en sont pas responsables; et

3) l'autorité responsable du délai ne l'a pas justifié de façon satisfaisante.

La demande T-581-12

Décision sur le Grief correctif

[80]           Le grief concernant la mesure corrective a été analysé par le Comité en vertu de l’article 7.13 des ORFC. Les conclusions et recommandations du Comité ne sont pas incluses dans la preuve devant cette Cour. Toutefois, il est reconnu dans la décision finale sur le grief que le Comité avait recommandé d’annuler la MG&S et avait conclu qu’une PMG aurait été adéquate dans les circonstances. D’après les motifs du Colonel Gauthier, le Comité s’était basé sur le grade subalterne du demandeur et le fait qu’il n’y eût aucune preuve au dossier démontrant qu’il s’agissait d’une récidive ou que le demandeur avait déjà été conseillé sur ce comportement.

[81]           Le demandeur avait déclaré dans ses commentaires supplémentaires du 10 octobre 2011 que la procédure d’avis d’intention en vigueur selon le DOAD 5019-4 n’avait pas été suivie avant d’imposer la mesure et qu’en conséquence, la mesure était invalide et devait être annulée en permanence. Cette argumentation a été rejetée par le Comité. En novembre 2011, le demandeur a reçu une copie des conclusions et recommandations du Comité. Après avoir étudié celles-ci, le Col Gauthier a rendu sa décision le 10 février 2012. Il n’y a pas de preuves à part le texte de la décision qui indiqueraient le processus suivi par l’ADI pour arriver à sa décision.

[82]           Le Col Gauthier explique dans son raisonnement qu’il a consulté plusieurs sources, y compris des officiers supérieurs d’état-major de la chaîne de commandement du demandeur à Montréal et des officiers conseillers au QG national à Ottawa, avant de rendre sa décision :

J’ai examiné toute la correspondance disponible. J’ai pris connaissance des commentaires des officiers supérieurs d’état-major de votre chaîne de commandement et du QG de la défense nationale qui ont le devoir de me conseiller quant aux sujets soulevés dans votre grief. J’ai de plus considéré les commentaires additionnels que vous avez soumis tout au long du processus, dont ceux du 10 octobre 2011. J’ai aussi étudié les conclusions et recommandations soumises par le Comité des griefs des Forces canadiennes (CGFC), qui, en vertu de l’article 7.12 (Renvoi discrétionnaire devant le Comité des griefs) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, a effectué une analyse indépendante de votre demande. Cette correspondance, ainsi que les conclusions et recommandations du CGFC, vous a été divulguée conformément aux principes d’équité procédurale. Je note finalement que vous avez choisi de ne pas fournir de commentaires supplémentaires suivant la réception des conclusions et recommandations du CGFC en choisissant de ne pas nous faire parvenir le formulaire réponse, tel que vous enjoignait de faire la lettre du CGFC du 25 novembre 2011.

[83]           Le Col Gauthier remarque qu’il partage la majorité des observations, conclusions et recommandations émises par le Comité dans son rapport et qu’il est satisfait que le résumé des faits pertinents du Comité est « complète et qu’elle représente fidèlement ma compréhension des enjeux de votre dossier ». Malheureusement, ce sommaire n’est pas devant la Cour.

[84]           Le Colonel accepte l’avis du Comité selon lequel la mesure corrective originale est invalide dû aux manquements à la procédure requise par le DOAD 5019-4. Il note que :

Puisque la DOAD 5019-4 ne laisse aucune discrétion en la matière à l’autorité de mise en œuvre, il est de l’avis du Comité que cette MG&S n’a pas été émise selon la procédure en vigueur et qu’en conséquence, elle doit être annulée. Je suis en accord avec cette conclusion.

[85]           Cependant, il est de l’avis qu’il peut corriger cette faute de procédure. Il explique :

Puisque vous avez maintenant eu plusieurs occasions pour faire part de vos observations concernant les fautes qui vous sont reprochées, je considère que ce manquement à l’équité procédurale corrigé. J’effectuerai donc moi-même une évaluation de novo des faits qu’on vous reproche afin de déterminer si une mesure corrective s’impose et, le cas échéant, laquelle.

[86]           Concernant les circonstances de l’avertissement écrit du 7 juillet 2009, le colonel ne voit pas de lien avec les manquements reprochés dans la MG&S annulée. En d’autres mots, il conclut qu’il faut se tenir aux faits d’octobre 2009.

[87]           Toutefois, le Col Gauthier n’est pas d’accord avec l’opinion du Comité qu’une PMG aurait été adéquate dans les circonstances. Il décrit ainsi les manquements du demandeur :

Selon la note du capitaine (capt) B. Leclerc, votre cmdt de compagnie (cie), vous avez eu une conduite répréhensible le 4 octobre 2009. En plus de ne pas suivre les directives que vous aviez reçues, vous ne sembliez pas les prendre au sérieux. Cet incident à lui seul aurait été suffisant pour vous placer en PMG. On vous a mentionné à cette occasion qu’il y aurait des conséquences advenant une récidive. Je suis satisfait qu’il s’agissait là d’un message clair, avec témoin qui plus est, et que vous vous saviez averti, même si une PMG en bonne et due forme ne fut pas écrite.

Au cours de la semaine suivante, vous avez une fois de plus désobéi aux ordres en ne recherchant pas d’autres tâches, comme on vous l’avait ordonné, lorsque vos quarts de travail d’officier en devoir prenaient fin. Encore une fois, au lieu de prendre responsabilité pour vos actes, vous avez, de façon nonchalante, répondu que vous aviez terminé votre « chiffre ». Ceci n’est pas un comportement d’officier, aussi subalterne puisse-t-il être.

[Je souligne]

[88]           Le Col Gauthier juge « qu’un AÉ est la mesure corrective minimum qui doit vous être remise dans les circonstances. » Il reproche au demandeur sa conduite, écrivant dans sa décision :

Vous êtes un officier. Bien que l’on reconnaisse qu’au grade de sous-lieutenant il puisse vous manquer des connaissances et de l’expérience pouvant influencer votre rendement, votre conduite, quant à elle, doit être irréprochable. Ça n’a pas été le cas dans les événements qui nous concernent. 

[Je souligne]

[89]           Le Col Gauthier ordonne que la MG&S originale soit annulée, et qu’elle soit remplacée par « un AÉ pour manquement à la conduite qui reprendra les mêmes termes que la MG et S ». Ceci semblerait impliquer que le nouvel AÉ comprendrait la note manuscrite voulant que la conséquence d’une récidive puisse inclure la libération des forces.

            Analyse de la décision

[90]           Je suis d’avis que la demande de contrôle judiciaire dans ce dossier doit être accueillie parce que les manquements procéduraux au DOAD ne peuvent pas être corrigés rétrospectivement par l’ADI. De plus, l’ADI a outrepassé son autorité en remplaçant une mesure invalide visant le rendement avec une nouvelle mesure visant le comportement.

A.  L’équité procédurale requise par le DOAD s’applique à l’ADI ainsi qu’au Comité.

[91]           Les Directives détaillent les éléments d’équité procédurale qui doivent être présents quand une mesure corrective est émise. Cela crée des attentes légitimes en ce qui a trait à la procédure à suivre (voir Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 174 DLR (4th) 193, au para 26).

[92]           En l’espèce, plusieurs éléments importants de la procédure n’ont pas été suivis lorsque la mesure corrective a été imposée sur le demandeur : on ne lui a donné ni un avis écrit de l’intention d’adopter une mesure de mise en garde et de surveillance, ni des copies de tous les documents qui justifiaient l’adoption de la MG&S proposée et qui allaient être examinés afin de prendre une décision finale. Également, le demandeur n’a pas eu droit au délai raisonnable d’au moins 24 heures après réception de l’avis écrit pour formuler des arguments en sa défense, n’a pas pu exercer son droit de demander de l’aide et un délai supplémentaire afin de présenter ses arguments, et n’a pas eu la possibilité de présenter des arguments au Lcol Dufour, qui était l’autorité de mise en œuvre. Le demandeur a reçu uniquement un avertissement verbal le ou vers le 15 octobre de la part du Major Blanchet, et la preuve ne démontre pas qu’on ait précisé qu’une mesure corrective était planifiée. Ensuite le 16 octobre la MG&S a été imposée.

[93]           Ces manquements au niveau procédural sont importants et compromettent l’équité procédurale de la décision. Le demandeur n’a pas eu la possibilité d’être entendu et d’avoir ses arguments considérés avant qu’une décision finale soit prise. De plus, il a été privé de la possibilité d’être informé d’avance par l’autorité de mise en œuvre et de voir les documents pertinents à la mesure corrective.

[94]           Par conséquent, j’estime que le Colonel Gauthier a agi raisonnablement en acceptant l’opinion du Comité que la mesure était invalide. Cependant, je rejette sa conclusion que les manquements à l’équité avaient été corrigés au cours du processus de redressement de grief et qu’il pouvait donc effectuer une nouvelle analyse et statuer sur le grief.

[95]           Dans Schmidt c Canada (Procureur général), 2011 CF 356 [Schmidt] aux para 16-20, le juge Barnes a précisé que la procédure de griefs des Forces canadiennes peut remédier à des vices de procédure ayant affecté la décision initiale lorsqu’elle « accorde au plaignant la possibilité de se prévaloir d’un examen de novo véritable de l’affaire » (para 20). Le juge Barnes cite au para 16 trois paragraphes de la décision Taiga Works Wilderness Equipment Ltd c Colombie-Britannique (Director of Employment Standards), 2010 BCCA 97 [Taiga Works], où la Cour d’appel de la Colombie-Britannique discute de ce point :

[36]    Cet examen de la jurisprudence démontre que Cardinal n’appuie pas le principe général invoqué par l’employeur selon lequel un tribunal d’appel n’a pas le pouvoir de remédier aux manquements aux règles de la justice naturelle et à l’équité procédurale. Il ressort de Supermarchés Jean Labrecque Inc. et de Mobil Oil que la Cour suprême du Canada a reconnu que Harelkin (et King) ainsi que Cardinal peuvent se concilier. Le fait que la Cour suprême du Canada a mentionné Harelkin et Cardinal en les approuvant tous les deux signifie qu’on ne peut estimer que Cardinal contredit le principe énoncé dans Harelkin (et King) selon lequel un tribunal d’appel peut remédier à un manquement aux règles de la justice naturelle ou à l’équité procédurale dans des circonstances appropriées.

[37]    J’estime que Cardinal permet d’affirmer qu’on ne saurait ignorer un manquement aux règles de la justice naturelle ou à l’équité procédurale au motif que la cour de révision ou le tribunal d’appel estime que l’issue aurait été la même s’il n’y avait pas eu de manquement. Comme le démontrent les arrêts postérieurs à Cardinal auxquels j’ai renvoyé, Harelkin et King permettent toujours d’affirmer que les tribunaux d’appel peuvent, dans des circonstances appropriées, remédier à des manquements à la justice naturelle ou à l’équité procédurale commis par un tribunal inférieur. La question qui se pose ensuite est celle de savoir comment déterminer s’il a été remédié convenablement à de tels manquements.

[38]    À l’instar du juge Huddart‑dans International Union of Engineers‑et du juge Berger ‑dans Stewart ‑de la cour d’appel, je préfère l’approche préconisée par de Smith, Woolf et Jowel dans JudicialReview of Administrative Action. L’on devrait examiner les procédures devant le tribunal initial et devant le tribunal d’appel, puis décider si la procédure dans son ensemble satisfait aux exigences en matière d’équité. L’on devrait considérer toutes les circonstances, y compris les facteurs énumérés par de Smith, Woolf et Jowell.

[Je souligne]

[96]           Dans McBride c Canada (Ministre de la défense nationale), 2012 CAF 181 [McBride] la Cour a également déclaré que la procédure de griefs des Forces canadiennes peut remédier à des vices de procédure ayant affecté la décision initiale, aux termes suivants :

3- If there was any unfairness, whether it was cured by subsequent disclosure prior to the decisions of the Grievance Board and the CDS?

[41]      Mr. McBride argues that the breach of procedural fairness that occurred in this case was not remedied by the subsequent disclosure of the specific records relied upon by the Director, Medical Policy, in imposing the MELs. He relies on the decision of the British Columbia Court of Appeal in Taiga Works Wilderness Equipment Ltd. v. British Columbia (Director of Employment Standards), 2010 BCCA 97, [2010] B.C.J. No. 316 [Taiga] in support of this position. In particular, he says that when the factors enumerated below are considered, the proper conclusion is that the procedural defect in the earlier proceedings was not remedied by the Canadian Forces' subsequent disclosure. These factors are taken from Stanley A. De Smith, Sir Harry Woolf & Jeffery A. Jowell, Judicial Review of Administrative Action, 5th ed. (London: Sweet & Maxwell, 1995) and are quoted in Taiga:

i) the gravity of the error committed at first instance;

ii) the likelihood that the prejudicial effects of the error may also have permeated the rehearing;

iii) the seriousness of the consequences for the individual;

iv) the width of the powers of the appellate body; and

v) whether the appellate decision is reached only on the basis of the material before the original decision maker or by way of re-hearing de novo.

[42]     The difficulty is that these factors are to be considered only in cases where the question at issue is whether the original breach of procedural fairness has been cured by an appeal proceeding. The relevant passage reads as follows:

Whilst it is difficult to reconcile all the relevant cases, recent case law indicates that the courts are increasingly favouring an approach based in large part upon an assessment of whether, in all the circumstances of the hearing and appeal, the procedure as a whole satisfied the requirements of fairness. At one end of the spectrum, when provision is made by statute or by the rules of a voluntary association for a full rehearing of the case by the original body (constituted differently where possible) or some other body vested with and exercising original jurisdiction, a court may readily conclude that a full and fair rehearing will cure any defect in the original decision. However, where the rehearing is appellate in nature, it becomes difficult to do more than to indicate the factors that are likely to be taken into consideration by a court in deciding whether the curative capacity of the appeal has ensured that the proceedings as a whole have reached an acceptable minimum level of fairness. Of particular importance are (i) the gravity of the error committed at first instance, (ii) the likelihood that the prejudicial effects of the error may also have permeated the rehearing, (iii) the seriousness of the consequences for the individual, (iv) the width of the powers of the appellate body and (v) whether the appellate decision is reached only on the basis of the material before the original tribunal or by way of rehearing de novo.

Taiga, cited above, at para. 28, (emphasis added).

[La Cour d’appel souligne]

 

[43]     In this case, both the Grievance Board and the CDS considered the matter de novo and in each instance, made a fresh decision on the basis of Mr. McBride's entire file and the submissions made at each level. In my view, the proceedings were not, therefore, appellate in nature and so the factors identified by Mr. McBride, while useful, are not a template for assessing whether the original breach of procedural fairness was remedied.

[44]      I think it is more useful to frame the question in terms of whether, given the circumstances as a whole, the procedure was fair. I have no hesitation in concluding that it was.

[Je souligne]

 

[45]      Before the Grievance Board considered Mr. McBride's case, he received the disclosure he had requested during the AR/MEL process. He was invited to make submissions to the Grievance Board and he did so, with full knowledge of both the contents of his health record and the specific records that the Director, Medical Policy, relied on in imposing the MELs. The same is true of the proceedings before the CDS. Each of these proceedings was a de novo consideration of Mr. McBride's file, culminating first in a non-binding recommendation that his grievances be dismissed, and then in a final decision by the CDS that his grievances be dismissed. In the circumstances, I find that the breach of Mr. McBride's right to procedural fairness was cured by these subsequent de novo hearings.

[97]           En l’espèce, il m’est impossible de conclure que « in all the circumstances of the hearing and appeal, the procedure as a whole satisfied the requirements of fairness » (McBride au para 42) quand ces circonstances incluent la possibilité pour le décisionnaire de s’exempter des exigences d’équité.

[98]           Au plan procédural, vu que le défendeur n’a pas pris le soin d’assurer que le dossier complet qui est allé devant le Comité faisait partie de la preuve déposée dans cette instance, la Cour n’est pas en mesure de « décider si la procédure dans son ensemble satisfait aux exigences en matière d’équité » (Taiga Works, précitée, au para 38). Je souligne que quand il s’agit d’une analyse de novo où le décideur doit justifier sa décision en outrepassant une erreur procédurale commise antérieurement dans le processus et que le défendeur devant la Cour tente de défendre cette décision, c’est l’obligation du défendeur de s’assurer que le dossier complet est devant le tribunal afin que la Cour puisse faire l’analyse nécessaire.

[99]           En bref, la Cour n’est pas en mesure de déterminer à partir du dossier devant elle dans la présente espèce quelles preuves ont été mises devant le Comité, quels étaient les termes exacts de la recommandation du Comité, ni si le demandeur a été avisé de la possibilité que l’ADI puisse mener une analyse de novo et avisé qu’il devait rédiger ses répliques en vue de cela.

[100]       De plus, à mon avis, l’omission originale de suivre les Directives est une violation de l’équité procédurale qui ne peut être réparée par la suite et qui invalide la procédure au complet. Comme je l’ai décrit ci-haut, le but des Directives est de garantir l’équité procédurale pour que les membres des Forces puissent contester des mesures correctives ayant un impact majeur sur leurs carrières.

[101]        En l’espèce, il semble que, entre autres problèmes, le demandeur n’a pas reçu l’aide qu’il avait demandé pour préparer ses deux griefs, une assistance qui aurait permis de mettre de l’avant des arguments additionnels dès le début. La Cour ne dispose pas, au dossier, de preuves qui démontreraient quel aide a été fournie au demandeur, que ce soit par un officier assistant ou un juriste ou parajuriste.

[102]       Je suis d’avis que la Cour d’appel fédérale n’avait pas l’intention, dans McBride, de permettre au Comité ou à l’ADI de justifier une dispense rétroactive des exigences d’équité en tout temps. Dans McBride, il était possible de produire les documents demandés avant l’étape finale de révision, et le demandeur en avait donc pleine connaissance et la possibilité de baser ses arguments dessus. En l’espèce, il est impossible pour le demandeur de retourner en arrière et de recevoir l’avis mandaté vingt-quatre heures avant l’imposition de la mesure disciplinaire et l’aide d’un officier assistant ou d’un avocat pour se défendre avant la prise finale de décision. De même, l’autorité de mise en œuvre ne peut pas faire demi-tour et lui fournir les documents justifiant la mesure, ni étudier ces documents, parce qu’il semblerait qu’aucune documentation pertinente n’ait été rédigée.

[103]       Finalement, un point fondamental ; ce n’est pas clair que l’article 29.13 de la Loi sur la défense nationale admet qu’une ADI fasse une révision de novo, même dans une situation où les exigences d’équité procédurale n’invalident pas toute la démarche. Lu attentivement, rien dans cet article ne suggère que l’ADI est autorisé à recommencer l’analyse sans contraintes.

[104]       Je suis d’avis que l’article 29.13 prévoit que l’ADI fera preuve d’une certaine retenue envers le Comité. Sauf en cas de recommandations clairement erronées ou qui attirent des conséquences imprévues, l’ADI ne devrait pas dévier des conclusions tirées sur le droit et les faits par le Comité pour entreprendre un processus de novo ou substituer son opinion pour cela du Comité. Ce dernier est un tribunal spécialisé muni de pouvoirs le permettant d’arriver à des conclusions dans le domaine des mesures correctives militaires. L’ADI, par contre, n’a pas d’expertise en droit ni dans le domaine de tirer des conclusions de fait basées sur des preuves. L’intention de la disposition législative ne pourrait pas être, par voie de l’article 29.16, de permettre à l’ADI d’écarter les décisions du Comité sans démontrant que ces décisions n’étaient pas raisonnables.

[105]       Donc, je ne comprends pas comment le fait de rejeter la recommandation du Comité pour des raisons procédurales pourrait permettre à l’ADI d’ensuite substituer son opinion à celle du Comité quant aux conclusions de fond. De plus, comment est-ce que le demandeur pourrait imaginer que les vices procéduraux qu’il a exposés au niveau du Comité finiraient par lui infliger une mesure corrective plus sévère dispensée par l’ADI ?

[106]       L’ADI aurait dû premièrement démontrer une erreur quelconque dans la totalité du raisonnement du Comité qui invalidait sa conclusion qu’une PMG était la mesure corrective la plus appropriée, afin de pouvoir entreprendre la révision de la preuve de novo. Il ne l’a pas fait. Il a plutôt substitué son opinion pour celle du Comité, faisant allusion à une partie de la preuve sans expliquer en quoi il trouvait la recommandation erronée basé sur la totalité de la preuve devant le Comité.

[107]       Par ailleurs, je n’accepte pas que le Colonel Gauthier avait suffisamment informé le demandeur concernant le processus qu’il allait suivre en considérant le rapport du Comité. Il a décrit le fondement pour son analyse ainsi :

[...] Je note finalement que vous avez choisi de ne pas fournir de commentaires supplémentaires suivant la réception des conclusions et recommandations du CGFC en choisissant de ne pas nous faire parvenir le formulaire réponse, tel que vous enjoignait de faire la lettre du CGFC du 25 novembre 2011.

[108]       C’est loin d’être clair ce que le demandeur devait faire dans les circonstances. Il semble avoir été satisfait du résultat au niveau du Comité, qui aurait peu d’impact sur sa carrière, et donc ne pas avoir vu la nécessité de présenter des soumissions additionnelles. Devait-il répéter les soumissions recherchant que la recommandation du Comité soit invalidée en raison des erreurs procédurales, sans savoir que, si elles étaient acceptées, le Colonel Gauthier se servirait de ce raisonnement pour entreprendre une considération de novo ?

[109]       Je trouve également inquiétants les commentaires de l’ADI qu’il avait « pris connaissance des commentaires des officiers [. . .] du QG de la défense nationale qui ont le devoir de me conseiller quant aux sujets soulevés dans votre grief ». Il me semble qu’on aurait dû informer le demandeur du contenu de ces commentaires s’ils avaient un effet sur la décision; sinon, il n’avait aucune connaissance de ce qui avait été dit et aucune possibilité d’y répondre. Le dossier ne contient pas de preuve démontrant quelles informations ont été fournies au Colonel Gauthier ni desquelles il s’est servi en arrivant à sa décision.

[110]       Comme point final, je me permets de faire une autre observation concernant l’équité procédurale en passant, quoique je ne base rien dans ma décision sur ce point. Le Col Gauthier a indiqué qu’il avait fondé sa décision sur des commentaires des officiers supérieurs d’état-major de la chaîne de commandement du demandeur. Bien de ces officiers semblaient avoir des préjugés très défavorables envers le demandeur dont il n’était pas informé et qui ont servi de motifs cachés justifiant sa libération.

[111]       En fait, et il en sera discuté ci-dessous, certains de ces officiers, comme on peut le voir dans les documents du défendeur, semblent être allés jusqu’à effectuer la libération du demandeur des Forces canadiennes pour le motif déraisonnable et fictif qu’il avait lui-même choisi de démissionner de la force régulière afin de se joindre à la force de réserve et que par un accident de bureaucratie aucunement lié au demandeur, son enrôlement subséquent dans la force de réserve n’avait jamais été complété, et ceci en dépit d’avoir travaillé et été payé dans le poste pendant deux mois. Le vrai motif de sa libération était que ses officiers supérieurs ne croyaient pas qu’il avait la fibre morale requise pour être officier.

[112]       C’est mon opinion que si les officiers supérieurs du demandeur n’ont pas fait l’effort de le traiter avec justice et franchise quant à sa libération, je ne vois pas comment une opinion basée sur leurs commentaires pourrait servir de fondement à la décision du Col Gauthier.

[113]       Il n’y a cependant pas de preuve sur cette question dans le Grief correctif en vue du fait que la question touche principalement au Grief de libération. Je me contente donc de ne remarquer qu’il y a eu l’apparence d’un problème d’équité procédurale qui n’a pas été soulevé.

[114]       Néanmoins, pour les motifs décrits ci-haut, je casse la décision du Col Gauthier et je retourne le dossier à l’ADI avec la directive que le grief du demandeur sera accueilli et les remèdes corollaires à cette décision soient effectués.

B.         La décision du Col Gauthier est fondée sur une évaluation de la conduite du demandeur en dépit du fait que la portée de la mesure corrective était limitée au motif du rendement

[115]       Je suis d’avis que la décision semble avoir outrepassé les paramètres du grief tel que décrit dans la MG&S. Il s’agissait d’une mesure corrective visant le rendement et non la conduite. Il semblerait que le Comité ait fait la même erreur, puisque le Col Gauthier décrit son raisonnement comme suit :

Le CGFC, après avoir comparé ce qu’on vous reproche dans l’AE [du 7 juillet 2009] et la MG et S, conclut qu’il n’y a pas de lien entre les manquements de l’un et celle de l’autre. Selon lui, l’AE fait davantage référence à un manquement au rendement alors que la MG et S touche la conduite.

[116]       Les Directives prévoient clairement que le rendement et la conduite doivent être traités de manière distincte, en précisant que « Un manquement peut être catégorisé comme un écart de conduite ou comme un rendement insuffisant, mais pas les deux. . . . Si un militaire fait preuve de différents manquements au même moment, chaque manquement devra être traité séparément ». En l’espèce, seulement la catégorie rendement était cochée. D’ailleurs, la description des manquements – « incapacité à se conformer aux directives » - ne suggère pas une conduite indigne.

[117]       Toutefois, le raisonnement du Col Gauthier est fondé sur des manquements de conduite. Dans sa décision sur le grief, le Col Gauthier fait référence à plusieurs moments où il juge que le demandeur a démontré « une conduite répréhensible ». Il fait même une distinction entre le rendement et la conduite du demandeur : « Bien que . . . il puisse vous manquer des connaissances et de l’expérience pouvant influencer votre rendement, votre conduite, quant à elle, doit être irréprochable. »

[118]       À mon avis, la conclusion du Comité, “que la MG et S touche la conduite” n’aurait pas dû mener à une analyse de novo sur le plan de la conduite ; elle aurait plutôt dû porter le Col Gauthier à constater l’invalidité de la mesure originale si la description des manquements était vraiment en désaccord avec la catégorie choisie.

[119]       Un point final : si la mesure de remplacement doit être comprise comme incluant la possibilité de passer directement à la libération en cas de récidive, elle semble aussi disproportionnée que la mesure originale qui était invalide.

 

La demande T-580-12 : Grief de libération

(1) Est-ce qu’un abus de pouvoir en retardant une décision pourrait justifier une   ordonnance de mandamus ?

[120]       Dans son mémoire, le demandeur recherche une ordonnance de mandamus, se basant sur l’argument innovateur que le défendeur avait commis un abus de procédure en retardant la décision sur le Grief de libération. Je répète ses plaidoiries concernant ce litige :

42. Est-ce que les forces armées omettent illégalement ou refusent illégalement de prendre une décision concernant le grief du demandeur ou encore retardent-elles de manière déraisonnable le dossier du demandeur?

43. Est-ce que les forces armées commettent un abus de procédure ou de droit à l’égard du demandeur?

[121]       Normalement la question d’un délai intentionnel qui constituerait un abus de procédure serait traitée indépendamment comme une question d’équité procédurale et ne fonderait pas un remède de mandamus. C’est une cause d’action séparée qui peut donner lieu à des remèdes qui comprennent un sursis au processus de griefs, ce qui disposerait du Grief correctif. Cependant, la Cour en interprétant la plaidoirie du présent demandeur n’est pas disposée à considérer cette question comme étant purement une question d’abus de procédure. La demande est pour une ordonnance de mandamus et c’est un recours qui est solidement fondé dans les arguments présentés.

[122]       La question pour la Cour, en examinant les arguments du demandeur, est de savoir si une allégation de retard intentionnel pourrait être prise comme un facteur devant être considéré dans une demande de mandamus et pouvant corriger d’autres lacunes dans la demande, tel qu’ici les conséquences du consentement du demandeur à plusieurs prolongations et son choix de ne pas exercer son droit de faire passer le dossier à l’ADI.

[123]       À mon avis, il est logique d’accepter les soumissions du demandeur, dans la perspective de soutenir l’intégrité du processus de redressement des griefs et les intérêts de la justice. Par exemple, si le demandeur peut démontrer que le retard occasionné par les demandes répétées de prolongations par le défendeur faisait partie d’une stratégie intentionnelle visant à l’épuiser et le motiver à abandonner son grief, alors son consentement aux prolongations ne devrait pas poser un obstacle à une ordonnance de mandamus en sa faveur.

[124]       Il s’agit alors d’appliquer les principes de mandamus à une situation de fait, sans devoir modifier ces principes. Je crois que le scénario devant la Cour s’avère rare, voire unique, parce que dans la plupart des cas un demandeur rechercherait plutôt un sursis au processus des griefs s’il était en mesure de démontrer la mauvaise foi dans le traitement de son dossier. En l’espèce, la façon de présenter la question tient avant tout au manque de connaissances juridiques du demandeur auto représenté, qui tente de poser une question complexe dans un domaine spécialisé. D’autre part, il souhaite que la cause soit tranchée par le Lgén Devlin en personne, ce qui serait exceptionnel pour un grief provenant d’un officier de son grade, vu que le Lgén Devlin était le commandant de la force terrestre. Il a formulé sa demande avec cet objet.

[125]       Ultimement, donc, j’accepte qu’une allégation de mauvaise foi ou d’abus de procédure puisse excuser un demandeur d’avoir à démontrer quelques-uns des éléments requis pour une ordonnance de mandamus, quand la situation factuelle porte à une telle flexibilité.

(2)        Est-ce que les faits de l’espèce démontrent un abus de pouvoir de la part du défendeur dans le retard occasionné au Grief de libération ?

[126]       Les principes qui régissent les ordonnances de mandamus sont exposés dans Apotex Inc c Canada (Attorney General), [1994] 1 CF 742, [1993] ACF no 1098 (CAF) [Apotex], surtout au para 45. La décision de la juge Tremblay-Lamer dans Conille c Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [1999] 2 CF 33, [1998] ACF no 1553 (QL) (1re inst) [Conille] est aussi hautement pertinente à la présente espèce. Je cite les extraits pertinents comme suit :

Apotex au para 45 :

 

[45]      Plusieurs conditions fondamentales doivent être respectées avant qu'un mandamus ne puisse être accordé. Les principes généraux énoncés ci-dessous s'appuient sur la jurisprudence de la Cour (voir globalement, l'affaire O'Grady c. Whyte, [1983] 1 C.F. 719 (C.A.), aux pages 722 et 723, citant Karavos v. Toronto & Gillies, [1948] 3 D.L.R. 294 (C.A. Ont.), à la page 297; et Mensinger c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1987] 1 C.F. 59 (1re inst.), à la page 66.

[. . .]

3. Il existe un droit clair d'obtenir l'exécution de cette obligation, notamment:

[. . .]

b) il y a eu (i) une demande d'exécution de l'obligation, (ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle-ci n'ait été rejetée sur-le-champ, et (iii) il y a eu refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable; voir O'Grady c. Whyte, précité, citant Karavos c. Toronto & Gillies, précité; Bhatnager c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 2 C.F. 315 (1re inst.); et Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l'Environnement), précité.

[. . .]

6. L'ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique: Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1990] 2 C.F. 18 (C.A.), le juge Stone, aux pages 48 à 52; conf. par [1992] 1 R.C.S. 3, le juge La Forest, aux pages 76 à 80; Landreville c. La Reine, [1973] C.F. 1223 (1re inst.); et Beauchemin c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada (1987), 15 F.T.R. 83 (C.F. 1re inst.).

[. . .]

8. Compte tenu de la "balance des inconvénients", une ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être rendue.

Conille au para 23:

[23]      À la lumière des motifs de la Cour, il semble que trois conditions s'imposent à ce qu'un délai soit jugé déraisonnable:

1) le délai en question a été plus long que ce que la nature du processus exige de façon prima facie;

2) le demandeur et son conseiller juridique n'en sont pas responsables; et

3) l'autorité responsable du délai ne l'a pas justifié de façon satisfaisante.

[127]       Sans l’allégation d’abus de procédure relié au retard dans le traitement du grief, je rejetterais immédiatement la demande pour un mandamus. Le demandeur a accordé de nombreuses prolongations au sein d’un processus qui lui donne le droit de monter au prochain niveau de révision en refusant très simplement de continuer au premier niveau. Il a alors intenté une demande de contrôle judiciaire sans avoir communiqué une dernière fois avec l’autorité des griefs ni avoir déclaré d’échéance claire.

[128]       Je ne tiens pas compte de l’offre par le défendeur de fournir une décision dans cinq ou six semaines. Cette offre a été faite après le dépôt de l’avis de requête et ne devrait pas faire partie du dossier du tribunal. Elle est en fait une offre de règlement à l’amiable par laquelle le défendeur propose de faire ce qu’il aurait dû faire sans attendre le demandeur et dans une période assez brève. À part l’offre de transaction, j’accepte de tenir compte des documents datés après l’avis de demande déposés par le défendeur parce qu’ils contiennent également des preuves appuyant les arguments du demandeur. Si le procureur général veut mettre devant la Cour un document aidant la partie adverse, je ne lui empêcherai pas.

[129]       Suivant les critères dans Conille, je trouve que le demandeur répond aux premier et troisième volets du test. En ce qui concerne le troisième facteur, le défendeur n’a déposé aucune preuve pour justifier le délai dans ce cas.

[130]       Pour le premier facteur, je note que le temps que le commandant de l’armée de terre a pris pour traiter du Grief de libération est considérablement plus long que le temps que le délégué du CÉMD a pris pour traiter du Grief correctif. Le Grief de libération était déposé en premier, deux mois avant le Grief correctif, et il est beaucoup plus important pour le demandeur. En effet, le Grief correctif est essentiellement sans objet si le demandeur ne réussit pas dans le Grief de libération. Donc un temps d’attente de plus de deux ans (du 25 janvier 2010 au 22 mars 2012) sans arriver à une première décision de la part du AI nommé pour le Grief de libération semble hors de proportion si on le compare au délai total de 24 mois (du 19 mars 2010 au 10 février 2012) de traitement du Grief correctif, ce qui comprend un début d’analyse au niveau du AI, le transfert à l’ADI, et une analyse par le Comité, avant de se rendre à l’étape finale de l’analyse par l’ADI et la promulgation de la décision du Colonel Gauthier. Le défendeur n’a amené aucune preuve concernant le temps normal requis pour traiter d’un grief, et n’est pas en mesure de plaider qu’il y avait eu des retards systémiques ou que le retard n’était pas inhabituel.

[131]       La difficulté pour le demandeur se présente en rapport avec le deuxième facteur. On peut considérer qu’il avait contribué au retard en consentant aux prolongations sans établir de date limite. J’accepte qu’il ne voulait pas faire avancer le grief en refusant d’accepter une autre prolongation vu son espoir que le Lgén Devlin entendrait son grief.

[132]       Néanmoins, la question ainsi que présentée par le demander fait référence à l’authenticité des raisons pour les demandes de prolongations. La Cour n’a reçu aucune preuve documentaire sur ce sujet. Ni le demandeur ni le défendeur n’ont déposé de documentation sur la procédure sauf les déclarations dans l’affidavit du demandeur et les documents rattachés au contre-interrogatoire du demandeur par le défendeur.

[133]       En conséquence, la question doit être tranchée en fonction de la suffisance de la preuve du demandeur. La Cour devra, en particulier, déterminer si le demandeur a bâti un argument prima facie d’abus de procédure qui est assez complet pour causer un transfert du fardeau de la preuve vers le défendeur, ce qui forcerait le défendeur à expliquer et motiver ses demandes de prolongations. Seulement si le fardeau s’est ainsi déplacé, verra-t-on le demandeur gagner son but d’être accordé une ordonnance de mandamus.

 

Les circonstances de la libération du demandeur

[134]       Le demandeur prétend que le processus des griefs représente une extension de sa libération des Forces, qu’il soutient avait été effectuée de mauvaise foi. Il témoigne que la vraie raison pour sa libération était cachée pour qu’il ne sache pas qu’elle fût motivée par son rendement ou sa conduite plutôt que par des problèmes administratifs avec l’acceptation de son transfert de la force régulière.

[135]       La lettre du Colonel Lapointe et les documents communiqués au Lcol de Sousa le 30 novembre 2009 ne semblent laisser aucun doute que le demandeur avait été libéré comme inapte à servir. Le demandeur n’a pas été avisé de ce fait et on ne lui a pas fourni les documents qui décrivaient le mécontentement du SQFT avec ses qualités d’officier. Cette documentation a seulement été dévoilée lors du processus de redressement de grief et seulement après que le demandeur ait découvert l’existence de ces documents en repérant des références à eux dans la correspondance. Ces faits semblent appuyer un argument très crédible que la libération devrait être annulée pour manque d’équité procédurale et que le demandeur devrait être rétabli comme officier, probablement de la force de réserve.

[136]       Normalement, cela ne suffirait pas pour prouver un abus de la procédure de griefs. Toutefois en l’espèce les critiques du demandeur comprenaient des attaques voulant qu’il n’ait pas la fibre morale pour être officier d’infanterie. Cette caractérisation lui avait nui en cachette depuis le moment de sa première demande de transfert à la force de réserve, en 2008. Son officier superviseur à l’école d’infanterie avait fait la remarque lors de la demande en date du 22 février 2008 du demandeur d’être retiré de la Phase 4 d’entraînement. Le Lcol Roy, commandant de la première unité de réserve du demandeur, a soulevé des problèmes relatifs au dossier du demandeur avec le Lcol Boisvert, et ce dernier a conclu que le commandant du SQFT refuserait d’approuver le transfert. À son tour, le Lcol Boisvert a communiqué des critiques du caractère du demandeur au Lcol Dufour, lui indiquant que le demandeur avait une « incapacité de gérer le stress » et qu’il n’avait pas « la fibre morale pour être un officier d’infanterie ».

[137]       Le Lcol Dufour semble avoir pris en compte ces critiques en imposant la mesure corrective, vu qu’il a suggéré que le demandeur serait plus à l’aise dans les rangs et qu’il a ajouté au formulaire de MG&S qu’une conséquence s’il ne corrigeait pas les manquements pourrait être sa libération des Forces. Par la suite, le Colonel Lapointe a fait référence au courriels entre le Lcol Dufour et le Lcol Boisvert et a conclu : « Nous sommes en droit de nous questionner sur ses qualités de chef ».

[138]       Toute la documentation concernant les différentes mesures correctives imposées au demandeur, ainsi que les courriels entre officiers supérieurs, a été fournie au Lcol de Sousa. Ce dernier a accepté la recommandation du Colonel Lapointe et a refusé l’enrôlement du demandeur dans la force de réserve malgré le fait qu’il travaillait et était payé déjà depuis quelques semaines comme officier de la force de réserve.

[139]       Ces facteurs sous-jacents à la libération du demandeur ne lui ont pas été divulgués. Le fait que sa libération avait été organisée en coulisse par le SQFT n’a pas été divulgué. Il a seulement appris ces faits parce qu’il a remarqué les références aux courriels dans la correspondance qui lui avait été fournie et a demandé la divulgation.

[140]       Le demandeur prétend aussi que l’explication officielle de sa libération était trompeuse pour deux raisons : premièrement, on avait approuvé sa libération de son contrat de neuf ans avec la force régulière précisément pour qu’il puisse transférer à la réserve et donc on ne pouvait pas dire qu’il avait volontairement quitté les Forces; et deuxièmement, on ne pouvait pas dire qu’il n’avait pas servi comme membre de la force de réserve parce qu’on avait décidé par la suite de ne pas accepter son enrôlement.

[141]       La documentation interne donne certainement à penser que la demande de démission du demandeur de la force régulière était conditionnelle sur son acceptation dans la force de réserve. Il ne semble y avoir aucune explication pour la prétention du défendeur que l’annulation de son approbation du transfert affecterait l’acceptation dans la réserve, mais pas le départ de la force régulière, d’autant plus parce que c’est clairement admis dans les courriels devant la Cour que le problème administratif découlait de l’omission du SQFT de bien vérifier le dossier – « on a les culottes au cheville ».

[142]       L’affaire comporte une certaine ironie du fait que le demandeur peut logiquement plaider que si le transfert n’avait jamais été approuvé en bonne et due forme, sa démission n’avait également pas été approuvée, et donc qu’il demeure membre de la force régulière. Un calcul des dommages sur cette base – celle d’un officier de la force régulière empêché de se présenter au travail depuis 2009 - atteindrait probablement un total plus élevé.

[143]       L’argument que le demandeur n’était jamais devenu membre de la force de réserve est contredit avec encore plus de vigueur par les faits. La documentation démontre sans équivoque que son enrôlement avait été accepté par les deux entités, qu’un message official avait été émis, et qu’un contrat de déploiement comme réserviste avait été signé. Il n’y a aucun doute que le demandeur a accompli des tâches et a été rémunéré comme réserviste. La preuve culminante de mauvaise foi se trouve dans les courriels internes du défendeur indiquant qu’une décision avait sciemment été prise de le retenir comme réserviste parce qu’on avait besoin de personnel pour Op Podium. Malgré la déclaration du Lcol Boisvert que les Forces étaient en situation d’illégalité en vertu du transfert irrégulier, le SQFT a permis le déploiement du demandeur avec Op Podium de continuer jusqu’à son retour volontaire le 30 octobre 2009, comme le dit la lettre du Colonel Lapointe : « Le membre a été maintenu en Classe C au sein de l’OP PODIUM dans le but de ne pas nuire aux opérations ».

[144]       Ceci laisse à penser que la décision de refuser le transfert avait intentionnellement été laissée en suspens et seulement mise en force une fois que le demandeur avait quitté l’OP. Même là, il apparaît qu’il a dû abandonner le déploiement comme seul moyen de pouvoir retourner prendre soin de sa femme, qui vivait des difficultés personnelles. En l’absence d’une explication quelconque, dure à concevoir, qui pourrait contredire les multiples documents sans ambiguïté que le demandeur a présentés sur ces points, je suis d’avis que le demandeur a construit une forte présomption prima facie de mauvaise foi de la part du défendeur.

[145]       Je considère aussi qu’à moins de pouvoir produire une preuve qui puisse contredire ses documents internes, le défendeur ne peut pas nier que le motif qu’il prétexte (transfert non approuvé/refus d’enrôlement) était conçu pour garantir que le demandeur se retrouve hors des Forces apparemment de son propre choix. La déclaration originale du défendeur au demandeur était qu’il avait démissionné volontairement de la force régulière et donc n’avait pas fait l’objet d’une libération involontaire. C’est le seul scénario que voit la Cour qui explique la situation extraordinaire où un officier soit libéré des Forces canadiennes sans recevoir de documentation attestant de ce fait, donnant les circonstances, et indiquant qui avait pris la décision.

[146]       L’autre possibilité est que personne ne voulait prendre responsabilité pour la décision, et qu’on calculait que si la libération n’était pas documentée, le demandeur ne saurait pas comment ni contre qui se plaindre. Dans son redressement de grief, le demandeur avait initialement nommé le Lcol de Sousa, son commandant, comme l’autorité de prise de décision, et il avait décrit des événements relatifs au refus du Lcol de Sousa d’accepter son enrôlement. Il a dû modifier le texte de son redressement de grief plus tard, une fois qu’il avait reçu le formulaire officiel de libération.

Libération sous l’article 5e) des ORFC

[147]       Le document officiel attestant la libération du demandeur lui a été fourni environ deux mois après qu’il eût reçu l’avis verbal de sa libération. Ce document ne figure pas parmi les preuves devant la Cour. Une référence dans l’affidavit amendé du demandeur indique qu’il a été libéré en vertu de l’article 5e) des ORFC. Le demandeur a déposé un document intitulé « Description des motifs de libération », destiné à servir de guide pour l’assurance-emploi et se référant à l’article 15.01 des ORFC. Ce document décrit une libération 5e) comme « Enrôlement régulier », ce que je prends pour une mauvaise formulation de « enrôlement irrégulier ». L’explication qui accompagne cette catégorie est : « plusieurs raisons tels que, niveau d’éducation non conforme, problème médical existant lors de l’enrôlement, etc. »

[148]       Sur la base des documents déposés par le demandeur, il apparait que le défendeur a continué de prétendre que la libération du demandeur résultait d’une erreur administrative au cours de son enrôlement dans la réserve comme partie intégrale de son transfert d’une composante de la force terrestre à l’autre. Les documents démontrent clairement qu’au contraire, la libération était pour motifs de rendement ou de conduite insatisfaisants. Il n’y avait aucun rapport avec une erreur administrative, et le vrai motif n’aurait pas dû jouer de rôle dans un transfert interne.

[149]       Le fait que le document attestant la libération, qui a été déposé durant le processus de traitement du grief, répète la déclaration inexacte des motifs de libération et donc les circonstances de la libération, contredisant la correspondance interne des autorités militaires, crée une présomption prima facie que le défendeur se livrait à un abus du processus de redressement de grief.

[150]       De surcroît, le fait même que le défendeur a fourni un document formel de libération au demandeur constitue un changement à son explication originale. Si le demandeur avait vraiment démissionné de la force régulière sans qu’on accepte son enrôlement dans la force de réserve, aucun document de libération de la réserve n’aurait été nécessaire. Il faut aussi poser la question de quel était le statut du demandeur au moment de sa supposée libération. Si le transfert n’avait pas été approuvé, il semblerait que la libération s’appliquait à son emploi avec la force régulière, et donc qu’on aurait omis de le payer son salaire d’officier à plein temps.

[151]       À mon avis, à la lumière des circonstances de la supposée libération et les problèmes évidents qui s’y rattachent, le demandeur a réussi à établir une présomption prima facie de mauvaise foi par les autorités impliquées dans la procédure de libération, du fait que la situation avait été dépeinte de façon erronée et que ce geste était injuste et intentionnel.

Refus d’assistance avec le grief du demandeur

[152]       Le demandeur allègue qu’il a été trompé au sujet de l’assistance disponible pour formuler son grief ; il affirme qu’on lui a dit que le personnel qu’il avait demandé était hors du pays tandis que ce n’était pas vrai. Le défendeur n’a pas contesté cette affirmation dans sa plaidoirie ou lors du contre-interrogatoire du demandeur.

[153]       Le demandeur a continué de demander de l’aide avec son grief. Dans un addendum déposé le 26 avril 2010, il s’est plaint que l’assistance fournie était insuffisante du fait qu’il n’avait pas pu choisir librement les officiers qu’il voulait. Je constate que la preuve devant la Cour démontre qu’un des officiers nommés a refusé d’agir parce qu’il faisait face à un conflit d’intérêts potentiel. Je ne vois pas dans la preuve les informations qui appuieraient une conclusion que le demandeur a été refusé de l’assistance avec son grief, à part son affirmation non contestée qu’on lui avait menti au sujet de la disponibilité de certains officiers.

            Contestation du choix du SQFT comme AI

[154]       La preuve que le demandeur a dû s’objecter au choix initial d’AI pour son Grief de libération me préoccupe. Je suis d’autant plus préoccupé que c’était le Lcol Boisvert qui a répondu au demandeur, lui envoyant une lettre indiquant qu’il ne voyait aucune difficulté à ce que l’AI demeure un officier au sein du SQFT. Je suis d’accord avec le demandeur, qui croyait que l’implication préalable du Lcol Boisvert et du SQFT dans le dossier devait rendre le personnel de ce QG inapte à servir comme AI. Je suis aussi d’accord avec lui que le commandant du SQFT aurait été impliqué dans l’approbation ou le refus du transfert et la libération sous l’article 5e).

[155]       En fin de compte, on a substitué pour les officiers du SQFT le Lgén Devlin, le commandant de la force terrestre. Le redressement de grief a donc été acheminé vers un officier de très haut grade ; un lieutenant-général, tandis que l’ADI est un général. Le défendeur a réagi à la plainte du demandeur et la preuve ne révèle pas de conflit d’intérêts de la part de l’AI, surtout vu que le demandeur cherchait à avoir son grief décidé par le Lgén Devlin.

            Prolongations du délai pour le traitement du grief

[156]       Le dossier déposé à la Cour ne contient aucun document sur les prolongations qui ont eu lieu entre le 13 mai 2010 et le dépôt des avis de demande le 20 mars 2012. La seule preuve pertinente s’avère les affirmations dans les affidavits du demandeur que l’AI avait proposé plusieurs prolongations qu’il avait accepté, mais qu’après la fin de la dernière prolongation le 1er mars 2010, aucune autre n’avait été demandée avant le dépôt des avis de demande.

[157]       Le demandeur déclare qu’il s’est tourné vers la Cour pour une solution après 18 mois d’attente. Je considère que le défendeur ne peut s’exempter du temps passé à démêler la question d’une AI approprié et donc que le délai total s’approche plutôt de 2 ans.

            Décision sur le Grief correctif

[158]       Avant la fin de la dernière prolongation pour le Grief de libération, le 1 mars 2012, le Colonel Gauthier avait rendu sa décision du 10 février 2012 dans le Grief correctif. Comme noté ci-haut, le Colonel Gauthier a rejeté la recommandation du Comité des griefs et par voie d’une analyse de novo a imposé une mesure corrective plus sévère que celle que le Comité avait suggérée. Le demandeur a exprimé la conséquence de cette décision comme effaçant son dernier espoir qu’il serait traité équitablement dans le processus de griefs. Il a aussi cité cette décision comme sa motivation pour vouloir recevoir une décision du Lgén Devlin, l’AI.

[159]       Selon moi, ce serait une conclusion raisonnable pour le demandeur de perdre foi dans la capacité d’un tribunal indépendant agissant en matière d’emploi et spécialisant dans les griefs militaires, suite à ces événements. Il serait inhabituel de voir comme conséquence de renverser une décision pour violation des normes d’équité procédurale, y compris une omission de suivre des Directives écrites, un résultat encore plus négatif pour le plaignant. De plus, la circonstance entourant la décision « de novo » du Colonel Gauthier qui aurait le plus ébranlé la foi du demandeur dans le processus serait l’observation par le colonel qu’il avait « pris connaissance des commentaires des officiers supérieurs d’état-major de votre chaîne de commandement ». Ces officiers étaient les mêmes dont le comportement a été décrit ci-haut et qui avaient conclu que le demandeur n’avait pas la « fibre morale » requise pour être un officier.

[160]       Du point de vue de décourager le demandeur et lui motiver à abandonner son grief, la décision du Colonel Gauthier servait certainement à indiquer comment les choses pourraient aller avec le Grief de libération. Il a noté dans son affidavit amendé qu’il avait perdu confiance dans le système, vu que la recommandation du tribunal indépendant pouvait être délaissée et remplacée par une décision finale basée sur des commentaires par des officiers qui croyaient qu’il était inapte à servir comme officier d’infanterie.

[161]       Cependant, je ne vois pas comment on pourrait caractériser la démarche dans un grief connexe comme abus de pouvoir à la base de ces faits. Il n’y a aucune suggestion que la décision du Colonel Gauthier est entachée de mauvaise foi.  Il s’agit purement de spéculation de la part du demandeur.

            Suggestion d’abandonner le grief

[162]       Je suis aussi préoccupé par le fait que le personnel chargé d’avancer le dossier n’a pas demandé une nouvelle prolongation avant la date limite du 1 mars 2012. L’apparence est d’une stratégie de laisser-aller, une espérance que si on mettait de côté le dossier, le demandeur, voyant l’issue décevante pour lui du premier grief au niveau de l’ADI, abandonnerait son deuxième grief sans attendre la décision de l’AI.

[163]       Il semblerait que c’était l’espoir de l’autorité des griefs à Ottawa, vu sa suggestion spontanée et surprenante que le demandeur considère la possibilité d’abandonner son grief, même après qu’il eut avisé Ottawa qu’il avait déposé une demande de contrôle judiciaire. Cette alternative était offerte en même temps que la rassurance qu’une démarche juridique n’était pas nécessaire parce que le Lgén Devlin pourrait rendre sa décision dans cinq semaines ou le dossier pourrait être acheminé à l’ADI. Dans les circonstances, je trouve que la suggestion d’abandon démontre que l’autorité des griefs tentait de décourager le demandeur et espérait qu’il laisserait tomber son grief.  Encore une fois, cependant, il s’agit uniquement de la spéculation d’attribuer de la mauvaise foi au personnel de l’autorité des griefs comme motivation pour leur commentaire inapproprié à ce sujet.

            Conclusions sur la demande de mandamus

[164]       En se basant sur les documents du défendeur et en l’absence d’une défense quelconque par le défendeur, le demandeur a établi une présomption prima facie qu’il y eu de la mauvaise foi dans les circonstances de sa libération, impliquant des organisations de la force régulière et de la force de réserve et potentiellement impliquant des officiers haut gradés, étant donné le niveau d’autorité requis pour refuser son transfert et émettre un document formel de libération.  Cependant, cela ne suffit pas pour arriver à une conclusion prima facie d’abus de pouvoir en ce qui concerne le personnel responsable pour l’avancement du grief.

[165]       Le demandeur a aussi réussi à soulever des préoccupations chez la Cour concernant le manque d’assistance dans les premières étapes du grief, du moins dans la formulation de ses demandes, aucune preuve n’ayant été déposée sur les étapes subséquentes. Je suis aussi d’accord que l’AI ne devrait pas avoir été choisi parmi les officiers du SQFT initialement et que le Lcol Boisvert n’aurait jamais dû s’impliquer dans l’affaire en tenant de défendre le choix d’AI.

[166]       Il fallait cependant une preuve plus convaincante sur les événements ayant lieu après le dépôt du grief et le délai encouru dans son traitement, et ceci surtout en l’absence d’explication de la part du demandeur pour avoir refusé toute prolongation du dossier dans le Grief correctif, tout en octroyant six prolongations au défendeur dans le Grief de libération. Cela suggère qu’il a conclu à un avantage pour lui en acceptant le délai.

[167]       Je peux supposer que le demandeur a patienté durant de longs mois en attendant la décision du Lgén Devlin parce qu’une fois que le dossier avait quitté Montréal pour Ottawa et se retrouvait entre les mains d’un officier très haut gradé, il avait confiance qu’il recevrait une décision juste, tandis qu’il n’a pas accordé de prolongation à l’AI pour le Grief correctif parce qu’il ne ressentait pas cette même confiance. Ceci ne serait toutefois qu’une hypothèse. Reste que le demandeur devait amener des meilleures preuves pour expliquer son choix de ne pas avoir recours directement à l’ADI.

[168]       Dans ces circonstances, il est difficile d’excuser le fait que le demandeur n’avait jamais averti le défendeur de son intention de refuser d’autres prolongations, en établissant un délai fixe après lequel il se réserverait le droit de porter l’affaire en justice.

[169]       En dernier lieu, il s’agit d’une inférence qui requiert que le demandeur rencontre un fardeau de preuve important. Malgré les facteurs sur lesquels il fondait son argumentation, il n’est pas arrivé au seuil nécessaire pour étayer une conclusion de fait voulant que le délai trouvât sa source dans des motifs illégitimes.

[170]       Pour ces motifs, la demande de mandamus est rejetée.

[171]       Cela dit, en vue de mes préoccupations relatives à la possibilité d’abus de procédure dans le traitement du Grief de libération, en ce qui a trait aux commentaires en provenance des officiers supérieurs du demandeur, j’ordonne que si ce grief est acheminé jusqu’à l’ADI, le demandeur sera permis d’amender son grief pour y ajouter la question d’abus de procédure. Je ne vois aucune raison pour laquelle l’ADI n’aurait pas compétence pour examiner les questions de procédure se développant au long du processus de grief. Par ailleurs, je crois que le CÉMD voudrait être au courant de problèmes affectant possiblement l’intégrité des procédures et ne s’opposerait pas à ce qu’on étudie la matière.

[172]       De plus, en vue de mes préoccupations concernant l’accès du demandeur aux documents et les lacunes dans les deux dossiers qui comprennent de la documentation très pertinente, j’ordonne au défendeur de fournir au demandeur tous les documents dans sa possession qui ont été créés avant le 22 mars 2012 et qui touchent à la libération du demandeur des Forces et le traitement de ses griefs. Si certains de ces documents sont sujets à des privilèges, le défendeur devra les identifier et en faire la preuve.

Dépens

[173]       J’accorde les dépens au demandeur dans T-581-12. Si les parties ne peuvent convenir sur le montant, le demandeur est accordé le droit de présenter des observations écrites d’un maximum de trois (3) pages dans les 14 jours de la publication de ce jugement. Celles-ci peuvent contenir en annexe un mémoire de frais et la documentation requise. Le défendeur est ensuite accordé 14 jours pour déposer une réponse au sujet des dépens.

[174]       Je n’accorde pas de dépens dans T-580-12 parce que je conclus que la question en litige était nouvelle et je ne suis pas convaincu que les intérêts de la justice ont été servis comme il se doit en s’assurant que le demandeur puisse amener sa cause pleinement devant la Cour.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.    Dans le dossier T-580-12,

a.    la demande est accueillie;

b.    la décision du Col Gauthier datée le 10 février 2012 est annulée avec instructions que le grief soit retourné devant l’autorité de dernière instance avec instructions d’accueillir le grief et d’accorder au demandeur toute réparation connexe; et

c.    le défendeur est condamné à payer au demandeur les dépens juridiques, avec le montant à être fixé par une ordonnance séparée si nécessaire.

2.    Dans le dossier T-580-12,

a.    la demande est rejetée;

b.    à la condition que le grief avance au niveau de l’autorité de dernière instance,

                                                                   i. le demandeur aura le droit de modifier son grief pour plaider devant l’autorité de dernière instance qu’il a eu abus de procédure par l’autorité initiale en omettant illégalement ou en refusant intentionnellement de prendre une décision relative à son grief; et

                                                                 ii. le défendeur est ordonné à divulguer au demandeur avec un index en ordre chronologique tous les documents dans sa possession qui sont pertinents aux circonstances de la libération du demandeur et aux procédures suivies dans le traitement des deux griefs jusqu’au 20 mars 2012, à l’exception de ceux qui sont assujettis à un privilège, ce qui devra être stipulé.

c.  Il n’y a pas d’ordonnance relative aux dépens juridiques

 

« Peter Annis »

Juge

 


ANNEXE « A »

Cadre législatif et règlementaire

Loi sur la défense nationale, LRC 1985, ch N-5

National Defence Act,

RSC 1985, c N-5

[...]

29.13 (1) Le chef d’état-major de la défense n’est pas lié par les conclusions et recommandations du Comité des griefs.

Motifs

(2) S’il choisit de s’en écarter, il doit toutefois motiver son choix dans sa décision.

[...]

[...]

29.13 (1) The Chief of the Defence Staff is not bound by any finding or recommendation of the Grievances Committee.

Reasons

(2) If the Chief of the Defence Staff does not act on a finding or recommendation of the Grievances Committee, the Chief of the Defence Staff shall include the reasons for not having done so in the decision respecting the disposition of the grievance.

[...]

29.16 (1) Le Comité des griefs des Forces canadiennes, composé d’un président, d’au moins deux vice-présidents et des autres membres nécessaires à l’exercice de ses fonctions, tous nommés par le gouverneur en conseil, est prorogé sous le nom de Comité externe d’examen des griefs militaires.

*       Temps plein ou temps partiel

(2) Le président et l’un des vice-présidents occupent leur charge à temps plein. Les autres membres sont nommés à temps plein ou à temps partiel.

Durée du mandat et révocation

(3) Les membres sont nommés à titre inamovible pour un mandat maximal de quatre ans, sous réserve de révocation motivée du gouverneur en conseil.

Mandat renouvelable

(4) Leur mandat est renouvelable.

Fonctions des membres à temps plein

(5) Les membres à temps plein se consacrent exclusivement à l’exécution des fonctions qui leur sont conférées par la présente loi.

Conflits d’intérêts : membres à temps partiel

(6) Les membres à temps partiel ne peuvent accepter ni occuper de charge ou d’emploi incompatible avec les fonctions que leur confère la présente loi.

Rémunération des membres

(7) Pour leur participation aux travaux du Comité des griefs, les membres qui ne sont ni officiers ni militaires du rang reçoivent la rémunération et les allocations fixées par le gouverneur en conseil.

Frais

(8) Ils sont indemnisés, en conformité avec les instructions du Conseil du Trésor, des frais de déplacement et de séjour entraînés par l’accomplissement de leurs fonctions hors de leur lieu habituel soit de travail, s’ils sont à temps plein, soit de résidence, s’ils sont à temps partiel.

Statut des membres

(9) Ils sont en outre réputés :

a) faire partie de la fonction publique pour l’application de la Loi sur la pension de la fonction publique;

b) être des agents de l’État pour l’application de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État;

c) appartenir à l’administration publique fédérale pour l’application des règlements pris en vertu de l’article 9 de la Loi sur l’aéronautique.

Détachement

(10) L’officier ou le militaire du rang qui est nommé membre du Comité des griefs y est détaché en conformité avec l’article 27.

*       Serment

*       (11) Avant d’entrer en fonctions, les membres prêtent le serment suivant :

*       Moi, je jure (ou j’affirme solennellement) que j’exercerai fidèlement et honnêtement les devoirs qui m’incombent en ma qualité de membre du Comité externe d’examen des griefs militaires en conformité avec les prescriptions de la Loi sur la défense nationale applicables à celui-ci, ainsi que toutes règles et instructions établies sous son régime, et que je ne révélerai ni ne ferai connaître, sans y avoir été dûment autorisé(e), rien de ce qui parviendra à ma connaissance en raison de mes fonctions. (Dans le cas du serment, ajouter : Ainsi Dieu me soit en aide.)

29.16 (1) The Canadian Forces Grievance Board is continued as the Military Grievances External Review Committee, consisting of a Chairperson, at least two Vice-Chairpersons and any other members appointed by the Governor in Council that are required to allow it to perform its functions.

*       Full- or part-time

(2) The Chairperson and one Vice-Chairperson are each full-time members and the other members may be appointed as full-time or part-time members.

*       Tenure and removal

(3) Each member holds office during good behaviour for a term not exceeding four years but may be removed by the Governor in Council for cause.

*       Re-appointment

(4) A member is eligible to be re-appointed on the expiry of a first or subsequent term of office.

*       Duties of full-time members

(5) Full-time members shall devote the whole of their time to the performance of their duties under this Act.

Conflict of interest part-time members

(6) Part-time members may not accept or hold any office or employment during their term of office that is inconsistent with their duties under this Act.

Remuneration

(7) Members who are not officers or non-commissioned members are entitled to be paid for their services the remuneration and allowances fixed by the Governor in Council.

Travel and living expenses

(8) Members who are not officers or non-commissioned members are entitled to be paid reasonable travel and living expenses incurred by them in the course of their duties while absent from their ordinary place of work, if full-time members, or their ordinary place of residence, if part-time members, subject to any applicable Treasury Board directives.

Status of members

(9) Members who are not officers or non-commissioned members are deemed

(a) to be employed in the public service for the purposes of the Public Service Superannuation Act;

(b) to be employees for the purposes of the Government Employees Compensation Act; and

(c) to be employed in the federal public administration for the purposes of any regulations made pursuant to section 9 of the Aeronautics Act.

Secondment

(10) An officer or a non-commissioned member who is appointed as a member of the Grievances Committee shall be seconded to the Grievances Committee in accordance with section 27.

Oath of office

(11) Every member shall, before commenc­ing the duties of office, take the following oath of office:

I, do solemnly swear (or affirm) that I will faithfully and honestly fulfil my duties as a member of the Military Grievances External Review Committee in conformity with the requirements of the National Defence Act, and of all rules and instructions under that Act applicable to the Military Grievances External Review Committee, and that I will not disclose or make known to any person not legally entitled to it any knowledge or information obtained by me by reason of my office. (And in the case of an oath: So help me God.)

[...]

29.21 Le Comité des griefs dispose, relativement à la question dont il est saisi, des pouvoirs suivants :

a) assigner des témoins, les contraindre à témoigner sous serment, oralement ou par écrit, et à produire les documents et pièces sous leur responsabilité et qu’il estime nécessaires à une enquête et étude complètes;

b) faire prêter serment;

c) recevoir et accepter les éléments de preuve et renseignements qu’il estime indiqués, qu’ils soient ou non recevables devant un tribunal.

[...]

29.21 The Grievances Committee has, in relation to the review of a grievance referred to it, the power

(a) to summon and enforce the attendance of witnesses and compel them to give oral or written evidence on oath and to produce any documents and things under their control that it considers necessary to the full investigation and consideration of matters before it;

(b) to administer oaths; and

(c) to receive and accept any evidence and information that it sees fit, whether admissible in a court of law or not.

Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC)

Queen’s Regulations and Orders for the Canadian Forces (QR&Os)

7.06 - QUI PEUT AGIR À TITRE D'AUTORITÉ INITIALE EN MATIÈRE DE GRIEFS

(1) Sous réserve de l'alinéa (2), à titre d'autorité initiale peut examiner et décider du bien-fondé d'un grief :

1. le commandant du plaignant, s'il peut accorder le redressement demandé;

2. le commandant ou l'officier titulaire d'un poste de directeur général ou d'un poste supérieur à celui-ci au quartier général de la Défense nationale qui est chargé de décider des questions faisant l'objet du grief.

(2) Si le grief se rapporte à une décision, un acte ou une omission de l'autorité initiale, celle-ci doit renvoyer le grief à l'officier qui lui est immédiatement supérieur et qui a compétence à l'égard de la question faisant l'objet du grief; ce dernier dès lors agit en qualité d'autorité initiale.

(G) [C.P. 2000-863 en vigueur le 15 juin 2000]

7.06 - WHO MAY ACT AS INITIAL GRIEVANCE AUTHORITY

(1) Subject to paragraph (2), the initial authority who may consider and determine a grievance is:

1. the commanding officer of the grievor if the commanding officer can grant the redress sought; or

2. the commander, or officer holding the appointment of Director General or above at National Defence Headquarters, who is responsible to deal with the matter that is the subject of the grievance.

(2) If the grievance relates to a personal decision, act or omission of an officer who is the initial authority, the officer shall refer the grievance to the next superior officer having the responsibility to deal with the matter that is the subject of the grievance and that officer shall act as the initial authority.

(G) [P.C. 2000-863 effective 15 June 2000]

7.07 - OBLIGATIONS DE L'AUTORITÉ INITIALE EN MATIÈRE DE GRIEFS

(1) Dans les 60 jours suivant la réception d'un grief, l'autorité initiale doit :

1.   étudier et décider du bien-fondé du grief;

2.   informer le plaignant par écrit, par l'intermédiaire de son commandant dans le cas où ce dernier n'est pas l'autorité initiale :

1.    de la décision et des motifs à l'appui;

2.    le cas échéant, du droit du plaignant de déposer son grief devant le chef d'état-major de la défense;

3.    renvoyer tout document ou pièce déposé par le plaignant, si une demande est faite à cet égard;

4.    conserver le dossier du grief, notamment la décision et les mesures prises.

(2) Si une autorité initiale - autre que le chef d'état-major de la défense - ne prend pas de décision à l'égard du grief dans le délai prévu à l'alinéa (1), le plaignant peut demander à l'autorité initiale de renvoyer le grief devant le chef d'état-major de la défense pour qu'il l'étudie et en décide.

(3) Le délai prévu à l'alinéa (1) ne s'applique pas dans le cas où le chef d'état-major de la défense est l'autorité initiale.

(G) [C.P. 2000-863 en vigueur le 15 juin 2000]

7.07 - DUTIES OF INITIAL GRIEVANCE AUTHORITY

(1) Upon receipt of a grievance the initial authority shall, within 60 days:

1.    consider and determine the grievance;

2.     advise the grievor in writing, through the commanding officer if the initial authority is not the commanding officer, of:

1.   the determination and the reasons for it; and

2.   where applicable, the grievor's entitlement to submit the grievance to the Chief of the Defence Staff;

3.   return any documents or things submitted by the grievor if requested to do so; and

4.   maintain a record of the grievance, including the determination made and any action taken.

(2) Where an initial authority other than the Chief of the Defence Staff does not determine a grievance within the period required under paragraph (1), the grievor may request that the initial authority submit the grievance to the Chief of the Defence Staff for consideration and determination.

(3) Where the Chief of the Defence Staff is the initial authority, the time limit under paragraph (1) does not apply.

(G) [P.C. 2000-863 effective 15 June 2000]

(1) 7.08 - CHEF D'ÉTAT-MAJOR DE LA DÉFENSE

L'article 29.11 de la Loi sur la défense nationale prescrit :

« 29.11 Le chef d'état-major de la défense est l'autorité de dernière instance en matière de griefs.»

(G) [C.P. 2000-863 en vigueur le 15 juin 2000]

(1) 7.08 - CHIEF OF THE DEFENCE STAFF

Section 29.11 of the National Defence Act provides:

« 29.11 The Chief of the Defence Staff is the final authority in the grievance process.»

(G) [P.C. 2000-863 effective 15 June 2000]

(1) 7.12 - RENVOI DEVANT LE COMITÉ DES GRIEFS

(1) Le chef d'état-major de la défense renvoie au Comité des griefs tout grief qui a trait aux questions suivantes :

1.      les mesures administratives qui émanent de la suppression ou des déductions de solde et d'indemnités, du retour à un grade inférieur ou de la libération des Forces canadiennes;

2.      l'application et l'interprétation des politiques des Forces canadiennes qui concernent l'expression d'opinions personnelles, les activités politiques et la candidature à des fonctions publiques, l'emploi civil, les conflits d'intérêts et les mesures régissant l'après-mandat, le harcèlement ou la conduite raciste;

3.      la solde, les indemnités et autres prestations financières;

4.      le droit aux soins médicaux et dentaires.

(2) Le chef d'état-major de la défense renvoie au Comité des griefs pour que celui-ci formule ses conclusions et ses recommandations tout grief qui a trait à une de ses décisions ou un de ses actes à l'égard de tel officier ou militaire du rang.

(G) [C.P. 2000-863 en vigueur le 15 juin 2000]

a) NOTES

(A) Le chef d'état-major de la défense peut, à sa discrétion, aux termes du paragraphe 29.12(1) de la Loi sur la défense nationale, renvoyer au Comité des griefs un grief autre que celui d'une catégorie prescrite à l'article 7.12. Nul ne peut exiger le renvoi d'un tel grief au Comité des griefs. Les facteurs qui sont évalués par le chef d'état-major de la défense pour déterminer s'il devrait ou non exercer son pouvoir discrétionnaire de renvoyer tout autre grief au Comité des griefs comprennent l'avantage de faire examiner le grief par une autorité extérieure et de compter sur la capacité du Comité des griefs d'enquêter et de formuler des conclusions de façon indépendante.

(B) Le paragraphe 29.12(2) de la Loi sur la défense nationale prévoit que lorsqu'un grief est renvoyé au Comité des griefs, celui-ci doit recevoir copie :

1.      des argumentations écrites présentées par l'officier ou le militaire du rang à chacune des autorités ayant eu à connaître du grief;

2.      des décisions rendues par chacune d'entre elles;

3.      des renseignements pertinents placés sous la responsabilité des Forces canadiennes.

(C) [15 juin 2000]

(1) 7.12 - REFERRAL TO GRIEVANCES COMMITTEE

(1) The Chief of the Defence Staff shall refer to the Grievances Committee any grievance relating to the following matters:

1.      administrative action resulting in the forfeiture of, or deductions from, pay and allowances, reversion to a lower rank or release from the Canadian Forces;

2.      the application or interpretation of Canadian Forces policies relating to expression of personal opinions, political activities and candidature for office, civil employment, conflict of interest and post-employment compliance measures, harassment or racist conduct;

3.      pay, allowances and other financial benefits; and

4.      the entitlement to medical care or dental treatment.

(2) The Chief of the Defence Staff shall refer every grievance concerning a decision or an act of the Chief of the Defence Staff in respect of a particular officer or non-commissioned member to the Grievances Committee for its findings and recommendations.

(G) [P.C. 2000-863 effective 15 June 2000; P.C. 2013-1068 effective 18 October 2013 – heading, portion before (1)(a), and (2)]

a) NOTES

(A) Pursuant to subsection 29.12(1) of the National Defence Act, the Chief of the Defence Staff may refer a grievance other than one prescribed in article 7.12 to the Grievances Committee. The Chief of the Defence Staff's decision under subsection 29.12(1) is a discretionary one. There is no right to have a grievance that is not of a type prescribed by article 7.12 referred to the Grievances Committee. The factors assessed by the Chief of the Defence Staff in determining whether or not to exercise the discretion to refer any other grievance to the Grievances Committee would include the benefit to be obtained from having the grievance reviewed externally and the capacity of the Grievances Committee to investigate independently and make findings.

(B) Subsection 29.12(2) of the National Defence Act provides that, where a grievance is referred to the Grievances Committee, the Committee shall be provided with a copy of:

1.      the written submissions made to each authority in the grievance process by the officer or non-commissioned member presenting the grievance;

2.      the decision made by each authority in respect of the grievance; and

3.      any other information under the control of the Canadian Forces that is relevant to the grievance.

(C) [15 June 2000; 18 October 2013]

(1) 7.13 - FONCTIONS DU COMITÉ DES GRIEFS

Le paragraphe 29.2(1) de la Loi sur la défense nationale prescrit :

«29.2(1) Le Comité des griefs examine les griefs dont il est saisi et transmet, par écrit, ses conclusions et recommandations au chef d’état-major de la défense et au plaignant.»

(C) [18 octobre 2013]

(1) 7.13 - DUTIES AND FUNCTIONS OF GRIEVANCES COMMITTEE

Subsection 29.2(1) of the National Defence Act provides:

"29.2(1) The Grievances Committee shall review every grievance referred to it by the Chief of the Defence Staff and provide its findings and recommendations in writing to the Chief of the Defence Staff and the officer or non-commissioned member who submitted the grievance."

(C) [18 October 2013]

(3) 7.16 - SUSPENSION DE GRIEF

(1) Une autorité initiale ou de dernière instance saisie du grief d'un militaire est tenue de suspendre toute mesure prise à l'égard du grief si ce dernier prend un recours, présente une réclamation ou une plainte en vertu d'une loi fédérale, autre que la Loi sur la défense nationale, relativement à la question qui a donné naissance au grief.

(2) L'autorité initiale ou de dernière instance doit reprendre l'examen du grief s'il y a eu désistement ou abandon de l'autre recours, réclamation ou plainte avant qu'une décision au fond ne soit prise et que l'autorité en ait été avisée.

(G) [C.P. 2000-863 en vigueur le 15 juin 2000]

a) NOTE

Dans le cas où un grief a été suspendu aux termes de l'alinéa (1) du présent article, le militaire conserve le droit de poursuivre son grief.

(C) [15 juin 2000]

(3)7.16 - SUSPENSION OF GRIEVANCE

(1) An initial or final authority in receipt of a grievance submitted by a member shall suspend any action in respect of the grievance if the grievor initiates an action, claim or complaint under an Act of Parliament, other than the National Defence Act, in respect of the matter giving rise to the grievance.

(2) The initial or final authority shall resume consideration of the grievance if the other action, claim or complaint has been discontinued or abandoned prior to a decision on the merits and the authority has received notice to this effect.

(G) [P.C. 2000-863 effective 15 June 2000]

(a) NOTE

A member retains the right to grieve where a grievance has been suspended under paragraph (1) of this article.

(C) [15 June 2000]

ORFC : Volume I - Chapitre 15 - Table des matières

Libération

QR&Os: Volume I - Chapter 15 - Table of Contents

Release

Directives et ordonnances administratives de la Défense (DOAD)

Defence Administrative Orders and Directives (DAODs)

DOAD 5019-4, Mesures correctives

DAOD 5019-4, Remedial Measures

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIERS :

T-580-12 et T-581-12

 

INTITULÉ :

NABIL RIFAI c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

mONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 NOVEMBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE annis

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 mai 2014

 

COMPARUTIONS :

Me Jérome Dupont-Rachiele

 

pour le demandeur

 

 

Me Chantal Sauriol

 

pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet privé de Jérome Dupont-Rachiele

 

pour le demandeur

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

pour le défendeur

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.