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Date : 20140708


Dossier : T-1780-13

Référence : 2014 CF 662

Ottawa (Ontario), le 8 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Locke

 

ENTRE :

SAMIR ABANI

demandeur

et

ROGERS COMMUNICATIONS INC.

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La présente demande concerne un contrôle judiciaire d’une décision d’un tribunal d’arbitrage qui a rejeté une plainte de congédiement de Monsieur Samir Abani.

[2]               Le congédiement avait été communiqué à M. Abani par son employeur, le défendeur Rogers Communications Inc. (Rogers) dans une lettre datée du 11 avril 2011. La décision de l’employeur était basée sur un taux d’absentéisme très élevé sur une période d’environ deux ans, et l’employeur n’avait pas confiance que la situation s’améliorera. La lettre du 11 avril 2011 fait référence aussi à plusieurs avis de sensibilisation qui ont été communiqués à M. Abani pendant cette période concernant ses absences.

[3]               M. Abani considère son congédiement injustifié et a déposé une plainte auprès de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC). Le tribunal d’arbitrage qui a été nommé, l’arbitre Monsieur Jean Vézina, a conclu que Rogers n’a pas été déraisonnable en congédiant M. Abani. L’arbitre a fait référence à plusieurs absences de M. Abani et a accepté la conclusion de Shepell-fgi (une entreprise indépendante qui gère le régime d’invalidité de courte durée de Rogers) que les absences n’étaient pas attribuables à un problème médical. L’arbitre a aussi fait référence à une période de deux mois pendant laquelle M. Abani était à l’extérieur du Canada même après s’être fait refuser ce congé. Selon l’arbitre, ce séjour a brisé définitivement le lien de confiance qui doit exister entre employeur et employé.

[4]               M. Abani allègue que l’arbitre a violé les règles de justice naturelle en ne prenant pas en considération la preuve pertinente qu’il a déposée. Pour les raisons qui suivent, je rejette cette demande de contrôle judiciaire.

I.                   FAITS

[5]               Le 30 avril 2007, le demandeur a été embauché par Rogers à Toronto. En août 2008, le demandeur a été transféré à Montréal.

[6]               Le 1er décembre 2009, un représentant de Rogers a rencontré M. Abani et lui a remis une lettre d’avertissement concernant ses absences non justifiées pour les mois d’août et septembre 2009. Dans la lettre il est indiqué que M. Abani s’est absenté six fois pendant cette période.

[7]               Le 2 juillet 2010, M. Abani a reçu une lettre de Shepell-fgi demandant des renseignements médicaux à l’appui de l’incapacité de M. Abani au travail. Dans la lettre il est mentionné que Shepell-fgi confirme l’admissibilité du demandeur pour la période du 27 juin 2010 au 3 juillet 2010 (inclusivement) et a transmis à Rogers un avis à cet effet.

[8]               Le 16 août 2010, M. Abani a demandé trois mois de congé sans solde. Cette demande a été refusée. Malgré ce refus, le 27 août 2010, M. Abani a acheté un billet d’avion pour partir au Maroc pendant deux mois.

[9]               Le 6 septembre 2010, M. Abani a rencontré un psychologue qui lui suggère quatre semaines de repos. Le 9 septembre 2010, M. Abani est parti au Maroc sans avisé Rogers et ce, malgré le refus de sa demande de congé.

[10]           Le 29 septembre 2010, le traitement du dossier de M. Abani a été suspendu puisque Shepell-fgi a considéré qu’il n’y avait pas assez de motifs pour accepter la demande de congé d’invalidité de M. Abani. Dans la lettre, il est indiqué que M. Abani demande à son médecin de remplir un rapport médical. Ce rapport a été rempli le 8 octobre 2010 durant l’absence de M. Abani.

[11]           Le 18 octobre 2010, Shepell-fgi a envoyé à M. Abani une lettre indiquant que sa demande de prestations d’invalidité a été refusée. M. Abani est alors informé que Shepell-fgi a étudié sa demande d’invalidité de courte durée et a conclu que les éléments de preuve médicale étaient insuffisants pour justifier son absence du travail à partir du 28 septembre 2010. La lettre indique le processus pour porter cette décision en appel et détaille les nouveaux renseignements médicaux qui devaient être parvenus à Shepell-fgi. Ceux-ci inclus :

                     Ampleur et gravité des symptômes selon le diagnostic ;

                     Données médicales objectives à l’appui du diagnostic incluant les résultats de tests ;

                     Pronostics en fonction du diagnostic ;

                     Limitations fonctionnelles lui empêchant d’exécuter les tâches essentielles de son poste ou de son assignation temporaire et qui le rend totalement invalide ;

                     Plan de traitement, accompagné d’information sur les résultats à ce jour ;

                     Notes cliniques complètes rédigées par son médecin, thérapeute et d’autres spécialistes consultés à partir du 18 août 2010.

[12]           Le 7 novembre 2010, M. Abani est revenu du Maroc. Le 8 novembre 2010, M. Abani a reçu une lettre de son chef d’équipe, Monsieur Maxime Nivose, l’informant que, selon Rogers, il n’avait pas envoyé les documents justifiant ses absences. Cette lettre indique aussi les renseignements additionnels qui devraient être fournis.

[13]           Le 29 novembre 2010, M. Abani a envoyé un autre rapport médical de son médecin pour justifier ses absences. Le 3 décembre 2010, Shepell-fgi a répondu déclarant que les nouveaux renseignements médicaux n’étaient toujours pas suffisants pour justifier ses absences du travail.

[14]           Le 7 décembre 2010, Rogers a communiqué une deuxième lettre d’avertissement concernant les absences non justifiées de M. Abani pendant les mois de juillet et août. Il est indiqué que M. Abani a fait 6.55 jours d’absences pendant cette période.

[15]           Une troisième lettre d’avertissement a été communiquée à M. Abani le 16 février 2011 concernant ses absences pendant les mois d’avril à novembre 2010. Il est mentionné que M. Abani s’est absenté 86 jours pendant cette période, dont 61 jours pendant les mois de septembre à novembre. Cette lettre indique ce qui suit :

Si des améliorations radicales ne sont pas constatées au cours de ce trimestre, nous allons devoir prendre des mesures plus sévères pouvant aller jusqu’à la résiliation de votre contrat de travail.

Il est impératif que votre assiduité s’améliore ce trimestre, et nous vous demandons de prendre les mesures nécessaires pour y arriver. Sinon, vous risquez de perdre votre emploi.

[16]           Malgré les lettres d’avertissement, M. Abani a continué de s’absenter du travail sans justification médicale. Le 24 mars 2011, M. Abani a fourni un autre rapport médical, d’un différent médecin cette fois-ci. Le 29 mars 2011, Shepell-fgi a conclu encore une fois que les éléments de preuve reçus ne validaient pas une absence du travail pour raison médicale.

[17]           Le 11 avril 2011, Rogers a mis fin à l’emploi de M. Abani en raison de son incapacité à fournir une prestation régulière au travail.

[18]           Le 23 juin 2011, M. Abani a déposé une plainte auprès de RHDCC – Programme du travail en vertu de l’article 240 du Code canadien du travail, LRC 1985, c. L-2, partie III (congédiement injuste). Le 30 avril 2012, M. Jean Vézina a été nommé par le Service fédéral de médiation et de conciliation pour agir en qualité d’arbitre afin de disposer de cette plainte.

[19]           En tout temps pertinent aux présentes, M. Abani a été représenté par Madame Labib Issa. Il est maintenant représenté par Me Émilie Le-Huy.

[20]           Le 28 mai 2012, l’arbitre a convoqué les parties pour audience le 6 septembre 2012. Rogers a présenté sa preuve par le biais du témoignage de deux représentants de Rogers (M. Maxime Nivose, chef d’équipe au service de la clientèle, et Madame Michèle Farley, chef principale pour le service à la clientèle), de même que Madame Sandra Martin, superviseure pour Shepell-fgi. L’avocate de M. Abani a contre-interrogé M. Nivose et Mme. Farley. Elle a choisi de ne pas contre-interroger Mme. Martin.

[21]           La preuve n’étant pas terminée le 6 septembre 2012, l’arbitre a convoqué les parties pour les 10 et 27 mai 2013. Le 10 mai 2013, l’avocate de M. Abani n’a fait entendre qu’un seul témoin dans le cadre de sa preuve, soit M. Abani.

[22]           Le 27 mai 2013, le défendeur a terminé le contre-interrogatoire de M. Abani. Par la suite, l’avocate de M. Abani a annoncé que sa preuve était close. Rogers a ensuite présenté une contre-épreuve par le biais du témoignage de Mme. Michèle Farley. L’avocate de M. Abani a contre-interrogé Mme. Farley.

[23]           Le 17 juin 2013, l’arbitre a convoqué les parties pour la présentation de leur argumentation respective le 28 août 2013. L’arbitre a accordé tout le temps voulu à l’avocate de M. Abani pour son argumentation orale et lui a permis de déposer une argumentation écrite avec jurisprudence à son soutien.

[24]           La décision du tribunal d’arbitrage a été rendue le 30 septembre 2013.

II.                NORME DE CONTRÔLE

[25]           Tel qu’indiqué ci-haut, M. Abani allègue que l’arbitre a violé les règles de justice naturelle en ne prenant pas en considération la preuve pertinente qu’il a déposée. La norme de contrôle dans un tel cas est celle de la décision correcte. Mais s’il n’y a pas de manquement aux principes de justice naturelle, et qu’il s’agit en réalité d’une attaque sur l’analyse de la preuve par l’arbitre, la norme de contrôle de la décision est celle de la décision raisonnable : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux paras 47, 52-56, [2008] 1 RCS 190 (QL); Bellefleur c Diffusion Laval Inc., 2012 FC 172, [2012] ACF no 199.

III.             ARGUMENTS DU DEMANDEUR

[26]           M. Abani soumet que l’arbitre a omis de considérer les documents qu’il a déposés au soutien de sa plainte. Il cite de nombreux rapports envoyés à Rogers suite aux demandes de cette dernière, incluant le rapport de son médecin daté du 29 novembre 2010, ainsi que le rapport de son psychologue daté du 6 septembre 2010.

[27]           M. Abani soumet qu’il a fait les efforts nécessaires pour démontrer le bien-fondé de ses absences du travail, et que Rogers pouvait faire une demande d’évaluation supplémentaire, mais que l’arbitre n’a pas pris ces faits en considération.

[28]           M. Abani allègue que le Manuel de politique de Rogers contient un engagement de trouver un autre poste pour un employé en arrêt de travail temporaire, et soumet que l’arbitre a fait fi de cette clause.

[29]           Finalement, M. Abani fait référence à l’obligation d’accommodement raisonnable de Rogers suivant les enseignements de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hydro-Québec c Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d'Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43, [2008] 2 RCS 561.

IV.             ANALYSE ET DÉCISION

[30]           Je suis satisfait qu’il n’y ait aucun manquement des principes de la justice naturelle dans cette cause. Aucune preuve n’a été exclue, et M. Abani a reçu tous les documents pertinents et a eu toutes les opportunités habituelles de contre-interroger les témoins de Rogers et de présenter son argument.

[31]           En ce qui concerne les rapports médicaux soumis par M. Abani, l’arbitre en était clairement au courant. Il en fait mention aux paragraphes 15 et 17 de sa décision. L’arbitre était clairement en accord avec Shepell-fgi à l’effet que les rapports soumis par M. Abani n’étaient pas suffisants pour justifier ses absences du travail comme étant la cause d’un ou des problèmes médicaux.

[32]           Je note qu’au paragraphe 35 de la décision de l’arbitre, il indique qu’ « aucune preuve n’a été faite » sur la question des problèmes de stress au travail de M. Abani. Je comprends de ce paragraphe une déclaration qu’aucune preuve suffisante à cet égard n’a été soumise. Les rapports médicaux ont bien été mis en preuve, mais ils n’étaient pas suffisants. La preuve de M. Abani était basée sur un seul témoin, M. Abani lui-même. Il n’avait aucun témoin ayant une expertise médicale, mais se basait sur les rapports médicaux qui ont été fourni à Rogers.

[33]           À mon avis, l’essence de l’attaque par M. Abani contre la décision de l’arbitre est que l’arbitre n’a pas donné assez de poids à sa preuve et ses arguments. Donc, la norme de contrôle de la décision de l’arbitre est celle de la décision raisonnable. L’arbitre n’a pas fait fi des documents qui étaient mis en preuve. Il n’était simplement pas en accord avec M. Abani au sujet de leur importance.

[34]           Je suis de l’avis que la décision de l’arbitre, en ce qui concerne les absences de M. Abani du travail et l’insuffisance de sa preuve de problème médical est raisonnable. L’arbitre a examiné la preuve de Rogers à cet égard, incluant le rôle de Shepell-fgi. Il a noté les taux d’absences de M. Abani pendant les années 2009 à 2011, l’insuffisance des rapports médicaux soumis par M. Abani malgré les multiples délais accordés par Shepell-fgi, et les lettres d’avertissement. Tel qu’indiqué ci-haut, les lettres de Shepell-fgi et de Rogers détaillaient les renseignements médicaux qui manquaient.

[35]           En ce qui concerne l’argument de M. Abani que Rogers avait une obligation de lui trouver un autre poste suite à une obligation d’accommodement raisonnable, je suis de l’avis qu’aucune telle obligation ne se soulève parce que M. Abani n’a pas réussi à établir un lien entre ses absences et un problème médical. Une obligation d’accommodement raisonnable se soulève dans des cas de discrimination (Hydro-Québec, ci-dessus au para 9), mais aucune discrimination n’a été établie par M. Abani. De plus, l’arbitre a noté les plusieurs options d’horaires que Rogers offrait à ses employés, et a conclu que ceci suffisait pour répondre à l’argument de M. Abani concernant l’obligation d’accommodement raisonnable : paras 5 et 39. Je suis satisfait que cette conclusion fût raisonnable.

[36]           Avant de conclure, je fais mention d’un autre argument qui a été soulevé lors de l’audition de ce contrôle judiciaire. Tel qu’indiqué ci-haut, l’arbitre a confirmé le congédiement de M. Abani pour deux raisons. À part les absences du travail de M. Abani, l’arbitre a conclu que le séjour de M. Abani à l’extérieur du Canada pendant une période de deux mois entre septembre et novembre 2010, ainsi que les efforts de M. Abani de cacher ce fait, a brisé définitivement le lien de confiance qui doit exister entre employeur et employé. Devant moi, M. Abani soumet que cette conclusion de l’arbitre était déraisonnable parce qu’il ne faisait pas partie du raisonnement de Rogers lors du congédiement le 7 avril 2011, et donc n’aurait pas dû être considéré par l’arbitre. Rogers n’est pas d’accord. Puisque j’ai déjà conclu que la décision de l’arbitre doit être confirmée, il n’est pas nécessaire d’entrer en détail des arguments à cet égard, ou de conclure sur cette question.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, et la décision rendue par l’arbitre M. Jean Vézina c.r.i.a. le 30 septembre 2013 est confirmée, le tout avec dépens.

« George R. Locke »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1780-13

 

INTITULÉ :

SAMIR ABANI

c ROGERS COMMUNICATIONS INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 JUIN 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 juILLET 2014

 

COMPARUTIONS :

Me Émilie Le-Huy

 

Pour le demandeur

 

Me Josiane L’Heureux

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Le cabinet de Me Le-Huy

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa Ontario

 

Pour le défendeur

 

 

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