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Date : 20140716

Dossier : IMM-3324-13

Référence : 2014 CF 707

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

LALI DANELIA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], de la décision rendue par Edward C. Robinson, membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission]. La Commission a rejeté la demande d’asile de la demanderesse après avoir conclu que cette dernière n’a pas qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

I.                   Questions à trancher

[2]               Les questions à trancher dans le cadre de la présente demande sont les suivantes :

A.    Les conclusions de la Commission quant à la crédibilité et à la protection de l’État rendent‑elles la décision déraisonnable?

B.     La Commission a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité procédurale?

II.                Contexte

[3]               La demanderesse est une citoyenne de la Géorgie. Elle a deux filles, Tea et Nazi. Nazi habite au Canada. D’après l’exposé circonstancié accompagnant le formulaire de renseignements personnels [FRP] de la demanderesse, cette dernière a fait l’objet de violence physique et verbale de la part de son mari, Gogi Danelia.

[4]               En 1998, M. Danelia a perdu son emploi de sous‑ministre du ministère des Transports de la Géorgie et n’a pas réussi à se trouver un autre emploi. Il a commencé à consommer de l’alcool avec excès alors qu’il se trouvait au chômage.

[5]               En 2001, M. Danelia a commencé à se montrer physiquement et verbalement violent envers la demanderesse. Il a également entamé une liaison amoureuse. La demanderesse a confronté M. Danelia au sujet de sa liaison. Ils se sont séparés, mais se sont réconciliés plusieurs semaines plus tard. Plusieurs mois plus tard, M. Danelia a continué à maltraiter physiquement la demanderesse, et a accru sa consommation d’alcool. En 2002, la demanderesse a de nouveau confronté M. Danelia au sujet de sa liaison. Il a ligoté la demanderesse à une chaise, l’a poussée au sol puis a pressé un fer chaud sur son dos. Il a menacé de la tuer ou de tuer leurs filles si elle mettait fin à leur relation ou si elle avisait quiconque du fait qu’il était violent.

[6]               La demanderesse n’a pas signalé les incidents de violence ni quitté M. Danelia à cause des menaces qu’il avait proférées. La demanderesse se souciait également des conséquences d’un divorce compte tenu de la stigmatisation du divorce en Géorgie. Plus particulièrement, la demanderesse craignait que si elle était divorcée, il serait difficile pour sa fille célibataire de se marier.

[7]               En mars 2012, la demanderesse a été battue sauvagement par M. Danelia. Elle a quitté son domicile et s’est cachée dans la ville de Rustavi, en Géorgie. Elle a obtenu un faux passeport israélien et est entrée aux États‑Unis le 25 mai 2012. Tea a informé M. Danelia du fait que la demanderesse était partie aux États‑Unis. Il s’est mis en colère et l’a maltraitée physiquement.

[8]               Dans son témoignage, la demanderesse a affirmé qu’une de ses voisines était maltraitée physiquement par son mari et avait signalé la situation à la police. Toutefois, la police n’a pas donné suite de manière efficace à cette plainte, et la violence s’est poursuivie pour finalement se solder par le décès de cette voisine. Compte tenu de cette histoire, la demanderesse était d’avis qu’elle ne pouvait pas compter sur la police pour l’aider à empêcher M. Danelia de la maltraiter. Nazi a également témoigné devant la Commission et a déclaré que la police n’intervenait pas efficacement auprès des victimes de violence familiale.

[9]               La demanderesse a fourni des rapports médicaux rédigés par un médecin géorgien et un médecin canadien, lesquels faisaient état de cicatrices de brûlure dans son dos. Dans son rapport, le médecin géorgien affirme qu’elle est la voisine de la demanderesse, qu’elle a traité les brûlures de la demanderesse pendant un mois et qu’elle a été témoin d’acrimonie entre la demanderesse et M. Danelia.

[10]           La demanderesse est arrivée au Canada le 4 juin 2012 et a présenté une demande d’asile.

[11]           La Commission devait statuer sur la crédibilité et la protection de l’État.

A.                Crédibilité

[12]           La Commission a fait abstraction du témoignage de Nazi du fait qu’elle a affirmé que les policiers ne font pas l’objet de mesures disciplinaires en Géorgie. La Commission a cité des éléments de preuve documentaires qui laissent entendre que les policiers géorgiens sont assujettis à des sanctions disciplinaires.

[13]           La Commission n’a pas cru l’allégation de la demanderesse selon laquelle M. Danelia l’aurait ligotée à une chaise et brûlée au dos avec un fer. La Commission a estimé qu’il était invraisemblable que la demanderesse ait été maltraitée physiquement par M. Danelia vu qu’elle avait déjà eu le courage de le confronter au sujet de sa liaison et que ce dernier avait consommé de l’alcool.

[14]           La Commission a également tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité du fait que la demanderesse a déclaré que sa voisine avait été maltraitée, mais n’a pas décrit cette situation dans son exposé circonstancié accompagnant le FRP.

[15]           La Commission a accordé une faible valeur probante aux rapports médicaux de la demanderesse parce qu’elle n’ajoutait pas foi aux faits sur lesquels ils ont été fondés. La Commission a également souligné que le médecin géorgien a indiqué avoir été témoin de l’agression perpétrée par M. Danelia qui est à l’origine des brûlures de la demanderesse, ce que la demanderesse n’a toutefois pas mentionné. De plus, la Commission a constaté que le médecin n’a pas signalé le fait qu’elle avait incité la demanderesse à obtenir l’aide de la police, tel que l’a mentionné la demanderesse dans son témoignage. En raison de ces omissions, la Commission a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

B.                 Protection de l’État

[16]           La Commission estime que la demanderesse n’a pas réfuté la présomption d’existence d’une protection de l’État puisqu’elle n’a pas cherché à l’obtenir.

[17]           La Commission a cité des éléments de preuve documentaires qui démontrent que la formation des policiers sur la façon d’intervenir auprès des victimes de violence familiale s’est améliorée. La Commission a fait état de statistiques qui illustrent que les policiers géorgiens prennent des mesures dans les cas de signalement de violence familiale et que les tribunaux prononcent des ordonnances d’interdiction. La Commission a également décrit d’autres recours à la disposition de la demanderesse : la présence d’un programme de coordination pour les victimes et les témoins offert par le bureau du procureur en chef et conçu dans le but d’offrir de meilleurs services aux victimes de violence familiale, l’existence de services d’écoute téléphonique ainsi que de quatre maisons de refuge en Géorgie qui offrent des services aux femmes battues.

III.             Norme de contrôle

[18]           La norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité en ce qui concerne la question de la crédibilité et celle de la protection de l’État (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 51), et la norme de la décision correcte pour ce qui est de la question de l’équité procédurale (Lai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 125, au paragraphe 51).

IV.             Analyse

A.                Les conclusions de la Commission quant à la crédibilité et à la protection de l’État rendent‑elles la décision déraisonnable?

(1)               Crédibilité

[19]           La demanderesse soutient que la Commission s’est livrée à des conjectures en n’ajoutant pas foi à l’incident au cours duquel M. Danelia a ligoté la demanderesse à une chaise et l’a brûlée avec un fer (Martinez Giron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 7, aux paragraphes 27 à 32). Il n’y avait aucune preuve de la force physique de M. Danelia ni aucun autre élément indiquant que la demanderesse aurait pu prévenir cette agression.

[20]           La demanderesse conteste également le fait qu’elle était tenue de décrire les efforts déployés par sa voisine pour obtenir la protection de l’État dans son exposé circonstancié accompagnant le FRP étant donné que, selon les instructions du FRP, elle devait décrire la violence subie par des personnes dans une situation semblable à la sienne et non les efforts déployés par ces personnes en vue d’obtenir la protection de l’État.

[21]           La demanderesse soutient également que le médecin géorgien n’a pas déclaré avoir été témoin de l’incident au cours duquel sont survenues les blessures. Elle a plutôt affirmé avoir vu et traité ces blessures après coup.

[22]           Il est invraisemblable que la demanderesse n’ait pas pu dominer ou n’ait pas dominé son mari après que ce dernier eut consommé de l’alcool et commencé à la maltraiter : c’est la principale conclusion défavorable quant à la crédibilité qu’a tirée la Commission. Voici ce que l’on peut lire au paragraphe 14 de la décision de la Commission :

Par conséquent, j’estime que, si elle a bel et bien eu le courage d’affronter son époux violent et abusif au sujet de son infidélité, selon la prépondérance des probabilités, elle n’est pas le genre de personne à laisser son époux, en état d’ébriété, la dominer physiquement, par exemple en l’empoignant et en la tenant assez longtemps pour l’asseoir sur une chaise et ensuite l’y attacher. Ce n’est pas très logique aux yeux du présent tribunal.

[23]           Cette conclusion témoigne d’une méconnaissance et d’une incompréhension de la nature de la violence familiale. En laissant entendre que la violence familiale est commise à l’endroit de victimes qui, de par leurs qualités personnelles, ne s’y opposent pas, on ignore le fait que cette violence n’est pas consensuelle et qu’elle survient dans diverses circonstances sociales et interpersonnelles. Cette conclusion n’est pas justifiable ni intelligible au sens entendu dans l’arrêt Dunsmuir. Par ailleurs, aucune preuve ne permet de conclure que la demanderesse aurait été physiquement capable de repousser son mari compte tenu des différences de taille et de force que l’on observe habituellement entre un homme et une femme. De même, vu la violence persistante que subissait la demanderesse, rien ne permet de présumer qu’elle aurait eu la force psychologique de se défendre si elle en avait été physiquement capable.

[24]           De même, la conclusion défavorable quant à la crédibilité fondée sur le fait que la demanderesse a omis de décrire, dans son exposé circonstancié accompagnant son FRP, l’expérience de sa voisine qui a tenté d’obtenir la protection de l’État est déraisonnable à la lumière des instructions du FRP selon lesquelles le demandeur doit décrire la violence subie par des personnes dans une situation semblable et non la protection de l’État sollicitée par ces personnes.

[25]           Par ailleurs, on ne sait pas sur quel fondement s’est appuyée la Commission pour tirer sa conclusion défavorable quant à la crédibilité en ce qui a trait aux témoignages de la demanderesse et de Nazi au sujet de l’efficacité de la protection offerte par l’État aux victimes de violence familiale. Ces commentaires reflètent leur opinion de l’efficacité de la protection de l’État et ne constituent pas un fondement raisonnable sur lequel tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

[26]           La seule conclusion quant à la crédibilité qui est raisonnable est celle selon laquelle la demanderesse n’a pas déclaré que le médecin géorgien avait été témoin de l’agression commise par M. Danelia tel qu’il est indiqué dans le rapport du médecin en question. Compte tenu du fait que la qualité de la traduction du rapport du géorgien à l’anglais laisse apparemment à désirer, je ne suis pas convaincu que la Commission a bien interprété le rapport. Quoi qu’il en soit, cette conclusion ne peut à elle seule raisonnablement miner la crédibilité de la demanderesse. L’analyse de la crédibilité réalisée par la Commission est, dans l’ensemble, déraisonnable.

(2)               Protection de l’État

[27]           La demanderesse soutient qu’une décision ne peut être raisonnable à la lumière d’une analyse déraisonnable de la crédibilité (Cortes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 329, au paragraphe 5).

[28]           À titre subsidiaire, la demanderesse soutient que la Commission s’est fondée sur le fait que le gouvernement géorgien prenait d’[traduction] « importantes mesures » pour contrer la violence familiale plutôt que d’évaluer l’efficacité opérationnelle des mesures en question (Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004; Osor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 541, au paragraphe 6). La demanderesse cite un rapport de 2011 du Département d’État des États‑Unis selon lequel la Géorgie ne compte que 56 places dans des maisons de refuge pour les victimes de violence familiale. Elle soutient que cette donnée illustre que la protection offerte par l’État aux victimes de violence familiale est insuffisante et que la Commission n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve.

[29]           D’entrée de jeu, je ne suis pas d’accord avec l’idée que les conclusions de la Commission jugées déraisonnables quant à la crédibilité permettent nécessairement à la Cour de statuer sur la demande de contrôle judiciaire (Rusznyak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 255, au paragraphe 57).

[30]           Toutefois, je conclus que la Commission n’a pas tenu compte de façon adéquate des Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe [les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe] et que, par conséquent, l’analyse concernant la protection de l’État est déraisonnable.

[31]           Bien que la Commission ait affirmé, au paragraphe 8, avoir tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe pour rendre sa décision, la juge Danièle Tremblay‑Lamer a précisé, aux paragraphes 14 et 15 de la décision Keleta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 56, que le fait de déclarer de façon générale que les Directives ont été prises en compte ne suffit pas nécessairement à démontrer que les principes qui y sont énoncés ont été appliqués :

14  Bien qu’il ne soit pas nécessaire qu’elle cite expressément les directives dans ses motifs, il [traduction] « appartient à la Commission de démontrer une connaissance spéciale de la persécution fondée sur le sexe et d’appliquer cette connaissance avec compréhension et sensibilité lorsqu’elle aborde des questions relatives à la violence conjugale » : A. Q. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] F.C.J. no 834 (C.F.) (QL), citant les décisions Newton c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 182 F.T.R. 294 (C.F. 1re inst.), et Griffith c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 171 F.T.R. 240 (C.F. 1re inst.).

 

15  En d’autres mots, le fond l’emporte sur la forme lorsqu’il s’agit de trancher la question de savoir si les principes énoncés dans les directives ont été appliqués correctement. Par conséquent, le fait que, en l’espèce, on ait fait référence aux directives au début de la décision de la Commission n’empêche pas a priori la contestation de la décision sur ce fondement.

[32]           J’estime que la Commission n’a pas, dans les faits, appliqué les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, lesquelles précisent ce qui suit à la section C.2 :

Au moment d’évaluer s’il est objectivement déraisonnable pour la revendicatrice de ne pas avoir sollicité la protection de l’État, le décideur doit tenir compte, parmi d’autres facteurs pertinents, du contexte social, culturel, religieux et économique dans lequel se trouve la revendicatrice. Par exemple, si une femme a été victime de persécution fondée sur le sexe parce qu’elle a été violée, elle pouvait ne pas demander la protection de l’État de peur d’être ostracisée dans sa collectivité. Les décideurs doivent tenir compte de ce type d’information au moment de déterminer si la revendicatrice aurait dû raisonnablement demander la protection de l’État.

(Non souligné dans l’original)

[33]           Dans l’analyse de la Commission concernant la protection de l’État, rien n’indique que cette dernière a pris ces facteurs en considération au moment d’évaluer si la demanderesse s’était acquittée de son fardeau de solliciter la protection de l’État.

[34]           Bien que la Commission ne soit pas liée par les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, la Cour a souvent annulé des décisions lorsque les commissaires en ont ignoré les principes (Rezmuves c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 973, au paragraphe 40). Vu cette information et ma conclusion relative aux conclusions de la Commission quant à la crédibilité, la décision est, dans son ensemble, déraisonnable.

B.                 La Commission a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité procédurale?

[35]           La demanderesse soutient que la Commission a manqué à son obligation d’équité procédurale du fait qu’elle ne l’a pas interrogée pour savoir si elle aurait pu empêcher les agressions commises à son endroit. De plus, la demanderesse affirme que la conclusion tirée à ce sujet est à ce point offensante qu’elle constitue une crainte raisonnable de partialité.

[36]           La demanderesse avait été avisée que sa crédibilité était en cause lors de son audience, et elle était représentée par un avocat. Le fait qu’elle n’ait pas été mise au fait dans le détail de tous les doutes quant à sa crédibilité durant l’audience ne donne pas lieu à un manquement à l’obligation d’équité procédurale (Mahdoon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 284, aux paragraphes 24 et 25).

[37]           Le critère applicable à la crainte raisonnable de partialité dans le contexte des décisions de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a été réitéré par le juge Evans dans l’arrêt Kozak Geza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 124, aux paragraphes 52 et 53 :

52     Même si la notion est bien connue, il convient de rappeler ce qu’est la partialité. La décision d’un tribunal administratif doit être annulée pour partialité si une personne raisonnable qui est raisonnablement au courant des faits et qui a examiné l’affaire d’une manière pratique conclurait, suivant la prépondérance des probabilités, que le décideur n’a pas été impartial. Un critère semblable sert à déterminer si un tribunal administratif est indépendant. Trois considérations préliminaires peuvent compléter cette proposition générale.

53     En premier lieu, le degré d’impartialité que l’on attend d’un décideur administratif dépend du contexte et doit être évalué en fonction des facteurs décrits par la juge L’Heureux-Dubé dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 47. L’indépendance de la Commission, son processus et ses fonctions décisionnels ainsi que le fait que ses décisions ont une incidence sur les droits qui sont garantis par la Charte aux demandeurs font en sorte que son obligation d’agir équitablement, notamment d’être impartiale, se trouve au sommet de l’échelle de l’équité procédurale.

[38]           Il est invraisemblable que la demanderesse n’ait pas pu dominer ou n’ait pas dominé son mari après que ce dernier eut consommé de l’alcool et commencé à la maltraiter : c’est la principale conclusion défavorable quant à la crédibilité qu’a tirée la Commission. Comme il a été mentionné précédemment, cette conclusion est abusive et témoigne d’une incompréhension de la nature de la violence familiale. Elle est injustifiable et inintelligible au sens entendu dans l’arrêt Dunsmuir.

[39]           Or, une conclusion de partialité ne peut être tirée à la légère (Arthur c Canada (Procureur général), 2001 CAF 223, au paragraphe 8 [Arthur]) :

8    Le procureur du demandeur me semble avoir confondu la règle audi alteram partem et le droit de son client à une audition par un tribunal impartial. Une allégation de partialité, surtout la partialité actuelle et non simplement appréhendée, portée à l’encontre d’un tribunal, est une allégation sérieuse. Elle met en doute l’intégrité du tribunal et des membres qui ont participé à la décision attaquée. Elle ne peut être faite à la légère. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d’un demandeur ou de son procureur. Elle doit être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme. Pour ce faire, il est souvent utile et même nécessaire de recourir à des preuves extrinsèques au dossier. C’est pourquoi ces preuves sont admissibles en dérogation au principe qu’une demande de contrôle judiciaire doit porter sur le dossier tel que constitué devant le tribunal. 

(non souligné dans l’original)

[40]           En dépit de la nature de la conclusion de la Commission, le jugement de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Arthur me porte à conclure qu’une personne raisonnable n’estimerait pas que la Commission a fait preuve de partialité sur la base de cette conclusion à elle seule. Rien à la lecture de la transcription ne témoigne d’une conduite laissant transparaître un parti pris, et la demanderesse n’a pas présenté d’autres éléments de preuve à l’appui de son argument. Par conséquent, il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale à cet égard.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  la demande est accueillie; l’affaire est renvoyée à un autre commissaire en vue d’un nouvel examen;

2.                  il n’y a aucune question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Stéphanie Pagé, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3324-13

 

INTITULÉ :

LALI DANELIA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 JUILLET 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 JUILLET 2014

 

COMPARUTIONS :

Micheal Crane

 

POUR LA DEMANDERESSE,

LALI DANELIA

Aleksandra Lipska

 

POUR LE DÉFENDEUR,

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE,

LALI DANELIA

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR,

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

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