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Date : 20140718


Dossier : IMM-3473-13

Référence : 2014 CF 713

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario) 18 juillet 2014

En présence de monsieur le juge de Montigny

ENTRE :

AIQING ZHANG

(ALIAS AI QING ZHANG)

demanderesse

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), à l’encontre d’une décision rendue par Milton Israel de la Section de la protection des réfugiés (la Commission) et qui a conclu que Aiqing Zhang (alias Ai Qing Zhang) (la demanderesse) n’avait pas qualité de réfugiée au sens de la Convention ou de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la LIPR. La décision fut rendue le 24 avril 2013.

[2]               Au vu de l’analyse à laquelle la Cour procède ci-dessous, la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

I.                   Les faits

[3]               La demanderesse est citoyenne de la République populaire de Chine (la Chine) et est originaire de la province de Guangdong.

[4]               La demanderesse allègue qu’elle a perdu un ami intime le 3 avril 2010 par suite d’un accident de voiture survenu alors qu’il tentait de la protéger. Elle se sentait déprimée à la suite du décès de son ami et avait perdu tout intérêt dans les choses de la vie.

[5]               À la mi-mai 2010, une amie commença à lui parler du catholicisme romain. Elle tenta de la convaincre de se joindre à la religion en lui disant que cela l’aiderait à trouver un sens à sa vie.

[6]               La demanderesse se montra sceptique au début, étant donné que cela était illégal. Suivant ses dires, il semble que son amie parvint à la rassurer en lui disant que le groupe prenait des précautions et qu’ils n’avaient jamais eu d’ennuis par le passé. La demanderesse décida donc de visiter la maison-église et affirme qu’elle a assisté à son premier office le 6 juin 2010.

[7]               La demanderesse commença par la suite à assister aux offices avec assiduité, ce qui, soutient-elle, l’aidait à sortir de son état dépressif. Le groupe, composé de vingt membres, se réunissait en deux endroits différents. Lors de chaque réunion, des personnes étaient désignées pour faire le guet. Un prêtre officiait deux fois par année alors que des enseignants célébraient toutes les autres cérémonies.

[8]               Ce n’est que le 25 décembre 2010 que le groupe éprouva ses premiers ennuis, alors que des agents du Bureau de la sécurité publique (le BSP) auraient fait une descente dans la maison. La demanderesse soutient qu’elle parvint à s’enfuir pour se réfugier dans la clandestinité.

[9]               La demanderesse soutient que les agents du BSP se rendirent chez elle et l’accusèrent de se livrer à des activités religieuses illégales et qu’une assignation fut laissée à sa résidence. La demanderesse soutient également qu’elle apprit de sa mère quelque temps après que cinq membres de l’église, dont son amie, avaient été arrêtés.

[10]           La demanderesse soutient que les agents du BSP se sont également présentés à la résidence de parents proches pour l’y chercher. C’est alors qu’elle décida de quitter la Chine pour le Canada, où elle déposa une demande d’asile au début de l’année 2011.

[11]           La demanderesse soutient que, depuis son arrivée, elle est membre de l’église catholique des martyrs chinois et qu’elle a participé avec assiduité, à partir du mois de février 2011, aux services religieux qui y sont célébrés. Elle fut baptisée le 7 juillet 2012.

[12]           La demanderesse soutient qu’elle a appris récemment que le BSP la recherchait toujours et que ses agents se rendaient à sa résidence tous les trois ou quatre mois.

II.                La décision faisant l’objet du contrôle

[13]           La Commission a conclu de façon générale que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse n’était pas crédible en ce qui avait trait à son appartenance à une maison-église catholique romaine clandestine en Chine qui fit l’objet d’une descente par le BSP; sa poursuite par le BSP et sa pratique religieuse au Canada.

[14]           La Commission commença par souligner qu’il existait une contradiction relativement à la décision de la demanderesse de se joindre à une maison-église. Dans son témoignage, elle déclara qu’elle avait une connaissance très limitée du christianisme avant que son amie ne commence à lui en parler et qu’elle considérait qu’il s’agissait d’une sorte de superstition. Lorsqu’elle ajouta qu’elle était attirée par le christianisme, parce que son amie lui avait dit que le Seigneur l’aiderait à conduire l’âme de son compagnon de classe vers le paradis, le tribunal lui demanda comment elle pouvait réconcilier cette réponse avec son opinion antérieure suivant laquelle il s’agissait d’une superstition. Elle répondit qu’elle n’avait pas la foi au début, mais qu’elle voulait [traduction] « voir si c’était pour [elle] ». La Commission était d’avis que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse avait laissé entendre qu’elle avait quelques croyances, mais une plus forte inclination à essayer afin de pallier la mention par le tribunal de son témoignage antérieur suivant lequel elle percevait le christianisme comme une superstition.

[15]           La Commission tira par la suite une inférence défavorable du fait que la demanderesse ne pouvait donner que quelques exemples de ce qu’il fallait faire pour atteindre la vie éternelle et qu’elle ne pouvait expliquer qu’il fallait être baptisé pour atteindre la vie éternelle. La Commission en arriva à la conclusion qu’elle aurait dû connaître ces préceptes qui sont le fondement du christianisme, puisqu’elle avait été membre d’une église catholique en Chine pendant environ sept mois et qu’elle était membre d’une église au Canada depuis deux ans.

[16]           En ce qui a trait à l’église clandestine en Chine, la Commission tira une inférence défavorable du fait que la demanderesse n’avait pas mentionné, de sa propre initiative, que des personnes faisaient le guet au cours des cérémonies liturgiques, de quelle façon elles étaient désignées et si on leur disait à la fin du service à quel endroit la prochaine réunion se tiendrait. Selon la Commission, il s’agit là des éléments les plus distinctifs de la pratique religieuse des maisons-églises. La Commission a également rejeté l’explication de la demanderesse suivant laquelle les guetteurs étaient toujours choisis après son arrivée aux réunions.

[17]           La Commission a également tiré une inférence défavorable du fait que la demanderesse avait laissé entendre qu’elle ne se souvenait pas ou ne savait pas si le groupe avait déjà récité une prière pour le pape ou qu’elle n’avait jamais récité le rosaire elle-même, étant donné que le guide le récitait. La Commission conclut que sa description des services prétendus auxquels elle assistait en Chine n’était pas conforme à la pratique catholique romaine et que la demanderesse n’avait jamais fréquenté une église catholique romaine en Chine.

[18]           La Commission a laissé entendre qu’il était également improbable que la demanderesse n’ait entendu que des voitures de police lors de la descente du BSP dans la maison-église. Si le BSP avait appréhendé cinq membres qui tentaient de fuir par la porte arrière, il aurait été raisonnable de s’attendre à ce que la demanderesse ait entendu des échanges ou des cris.

[19]           De plus, la Commission a tiré une inférence défavorable du fait que la demanderesse n’avait pas mentionné qu’une assignation avait été laissée par le BSP lorsqu’il s’était présenté à sa résidence pour l’y chercher. La Commission a également mentionné que, si une assignation avait été laissée et si aucune réponse n’y avait été donnée, un mandat aurait sans doute été délivré. La Commission a reconnu qu’à certaines occasions, la police chinoise ne laisse pas toujours une assignation. Toutefois, dans les circonstances de l’espèce, il était raisonnable de s’attendre à ce qu’un document quelconque ait été laissé, étant donné que la demanderesse alléguait que le BSP s’était rendu à sa résidence à de nombreuses occasions.

[20]           La Commission consulta par la suite le rapport sur la liberté de religion dans le monde pour l’année 2012 du Département d’État des États-Unis et releva deux cas dans la province de Guangdong où des églises non inscrites furent obligées de fermer. Dans le premier cas, le guide fut détenu, mais il n’existe aucune preuve que la détention a été longue. Les membres ont également continué à se réunir en groupes plus restreints. Lors du deuxième incident, après que l’église avait été fermée, les membres avaient décidé de prier à l’extérieur en guise de protestation. Il n’existe aucune preuve qu’ils ont dû tenir leurs activités religieuses à d’autres endroits. En outre, même s’il existe une preuve de suppression de la pratique religieuse dans plusieurs provinces chinoises, il n’existe aucune preuve démontrant que c’est le cas dans la province de Guangdong.

[21]           Le Commission consulta également un rapport annuel sur la persécution des églises chrétiennes en Chine publié en 2011 par la China Aid Association et releva qu’il y avait un cas se rapportant à un avocat exerçant dans le domaine des droits de la personne, mais ne releva aucun cas se rapportant à une maison-église. La Commission releva également trois incidents dans la province de Guangdong en 2010. Toutefois, dans l’un de ces incidents, le problème semblait être la taille de la congrégation et son lieu de rassemblement. Seul le pasteur fut détenu et aucune personne ne fut condamnée. Les deux autres incidents portent sur la fermeture d’églises au cours des Jeux olympiques. Aucune personne ne fut appréhendée. Par conséquent, la Commission attacha peu d’importance à ces incidents.

[22]           Se fondant sur de nombreuses décisions de la Cour, la Commission conclut qu’à la lumière de la preuve déposée et selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse n’appartenait pas à une église catholique en Chine, que la descente de police n’avait pas eu lieu et qu’elle n’était pas poursuivie par le BSP.

[23]           La Commission a reconnu que les renseignements disponibles portant sur la suppression des églises clandestines en Chine étaient hétérogènes. Toutefois, en l’absence de preuve précise de persécution dans la province de Guangdong, la Commission en vint à la conclusion qu’il n’existait qu’une simple possibilité que des membres ordinaires d’églises clandestines soient appréhendés et qu’il n’existait qu’une simple possibilité qu’ils soient persécutés. La Commission observa également que la preuve documentaire indiquait que le conflit entre le Vatican et le gouvernement chinois se poursuivait, mais que le directeur administratif du Hong Kong Christian Council faisait remarquer que les autorités chinoises avaient fait montre d’une grande tolérance à l’égard des activités chrétiennes.

[24]           Enfin, la Commission n’a pas cru les observations de la demanderesse relativement à ses activités religieuses au Canada. La lettre de l’église et l’acte de baptême ne font que confirmer son appartenance et aucune preuve ne fut présentée à l’égard d’une « conversion quelconque ». La Commission en vint donc à la conclusion que la demanderesse n’avait pas démontré l’authenticité de sa pratique. Même si cela eut été le cas, la Commission en arriva à la conclusion qu’elle était en mesure de retourner dans la province de Guangdong et d’y pratiquer sa religion librement.

III.             La question

[25]           La seule question en litige en l’espèce consiste à déterminer si l’appréciation de la crédibilité de la demanderesse à laquelle la Commission a procédé est raisonnable.

IV.             Analyse

[26]           Il est bien établi en droit que les conclusions relatives à la crédibilité sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité : voir, par exemple, Hou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 FC 993, au paragraphe 7; Juarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 890, au paragraphe 12; Baykus c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 851, au paragraphe 14, les deux citant Mejia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 354, au paragraphe 29; Syvyryn c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1027, au paragraphe 3; Perea c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1173, au paragraphe 23.

[27]           Il est également bien établi qu’un tribunal peut tirer des conclusions relatives à la crédibilité en se fondant sur l’invraisemblance, le sens commun et la rationalité. Cela étant dit, les conclusions défavorables quant à la crédibilité ne devraient pas se fonder sur un examen à la loupe des éléments qui ne sont pas pertinents ou qui sont accessoires à la demande : Mohacsi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 429, au paragraphe 20; Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 444.

[28]           La décision de la Commission porte sur deux questions principales : la crédibilité de la demanderesse quant à son témoignage à l’audience et les renseignements contenus dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), de même que l’appréciation de la preuve documentaire relative à la persécution des catholiques en Chine et dans la province de Guangdong. En ce qui a trait plus particulièrement à la crédibilité, la Commission a décelé des problèmes en ce qui concerne la décision de la demanderesse de se joindre à l’église, sa pratique religieuse, la descente du BSP, l’assignation que le BSP avait laissée à sa résidence et la pratique religieuse de la demanderesse au Canada.

[29]           La Commission a tout d’abord conclu que le témoignage de la demanderesse portant sur les raisons pour lesquelles elle s’est jointe à l’église était vague et présentait des contradictions. La preuve présentée par la demanderesse sur cette question consistait à dire qu’avant que son amie n’aborde le sujet avec elle, sa connaissance du christianisme se limitait à la croyance suivant laquelle la religion était une superstition. Après avoir abordé le sujet à plusieurs reprises avec son amie et s’être vue entretenir de tant de bonnes choses au sujet du Seigneur et du christianisme, elle commença à croire et décida de [traduction] « voir si c’était pour [elle] ».

[30]           Je ne vois pas comment ce témoignage peut être considéré comme contradictoire ou invraisemblable. Tout d’abord, la demanderesse n’a pas laissé entendre « avoir eu quelques croyances, mais une plus forte inclination à [traduction] ‘‘essayer’’ », tel que l’affirme la Commission, mais a simplement déclaré qu’elle avait commencé à croire [traduction] « mais [avait] également l’intention de voir si c’était pour [elle] » (dossier certifié du tribunal, à la page 189). De plus, il est parfaitement vraisemblable qu’une personne puisse en arriver progressivement à croire en quelque chose qu’elle avait auparavant perçu comme une superstition. Contrairement à l’une des autres conclusions de la Commission relativement à son appartenance à une église catholique romaine de la région de Toronto, il n’est pas nécessaire d’avoir vécu une « conversion quelconque » pour adopter une croyance religieuse. La Commission a également reproché à la demanderesse d’avoir omis de mentionner le baptême à titre d’exigence pour atteindre la vie éternelle. Bien qu’il aille sans dire que le baptême est un des enseignements fondamentaux du catholicisme romain, on peut affirmer sans risque de se tromper que plusieurs chrétiens ne mentionneraient pas d’instinct qu’il constitue l’une des exigences fondamentales pour atteindre la vie éternelle et qu’ils mentionneraient, tout comme la demanderesse, d’autres aspects de la foi comme l’observance des dix commandements et l’amour de Dieu qui pavent la voie du paradis. Par conséquent, je conclus que le raisonnement de la Commission relativement à cette question est déraisonnable.

[31]           La Commission a par la suite fait ressortir la connaissance que la demanderesse avait des réunions de son église et a tiré une inférence défavorable de l’omission de la défenderesse de faire mention des guetteurs et des nombreux endroits où se tenaient les réunions dans sa description de ces réunions. Toutefois, une lecture attentive des transcriptions et de son récit révèle qu’elle a effectivement mentionné les guetteurs et les différents endroits où les réunions se tenaient, bien que de façon non détaillée (dossier certifié du tribunal, aux pages 29, 193 et 194). De plus, la Commission se livre à de pures conjectures lorsqu’elle affirme que « [l]es guetteurs et les multiples lieux de réunion sont les traits les plus distinctifs de la pratique des maisons‑églises ». De même, le rejet par la Commission de l’explication de la demanderesse suivant laquelle le guide de l’église désignait les guetteurs avant le début des réunions était également conjectural. En affirmant qu’il était « raisonnable de supposer que les prétendues désignations n’étaient pas toujours faites après [l’]arrivée [de la demanderesse] », la Commission ne s’est fondée sur aucune preuve ou connaissance au contraire. Enfin, la Commission s’est fondée sur son expertise portant sur des demandes de même nature pour conclure qu’elle n’avait « jamais vu un demandeur d’asile prétendant être catholique romain qui n’a pas dit son chapelet et qui n’a pas mentionné que le chapelet fait partie du service en Chine ». Cette conclusion contredit le témoignage de la demanderesse. Bien qu’elle ait affirmé qu’elle ne récitait jamais le rosaire personnellement, elle a laissé entendre que le guide le récitait (dossier certifié du tribunal, à la page 195). Il est donc erroné de conclure que la demanderesse avait affirmé que le rosaire ne faisait pas partie des services religieux en Chine.

[32]           En ce qui a trait à la description que la demanderesse a faite de la descente, la Commission a rejeté ses allégations selon lesquelles elle n’avait entendu que le bruit d’une voiture de police lorsque le BSP avait fait irruption dans la maison, affirmant qu’il était improbable qu’elle n’ait pas entendu des personnes crier ou parler, d’autant plus que cinq membres du groupe avaient été appréhendés. Une fois de plus, cette conclusion est hypothétique, étant donné que le commissaire n’était pas présent lors de la descente et n’a pu que se livrer à des conjectures pour déterminer ce qui était vraiment survenu lors de la descente. De plus, cette conclusion met l’accent sur des détails secondaires. Selon mon collègue le juge Rennie, il faut éviter de s’attarder aux doutes quant à la crédibilité engendrés par les détails circonstanciés de l’événement traumatique : Wardi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1509, au paragraphe 19. Il est manifeste que des événements traumatiques tels qu’une descente peuvent perturber la remémoration de ces événements par une personne et que, dans un tel contexte, la Commission n’aurait pas dû augmenter la mise quant aux attentes relatives à ce dont un demandeur devrait se souvenir avec précision.

[33]           La demanderesse allègue avoir reçu une assignation, mais elle n’a pas été en mesure de la produire. Si elle a été laissée à sa résidence, comme elle le soutient, il aurait été raisonnable de s’attendre à ce que ses parents aient pu lui envoyer une copie d’une telle assignation, puisqu’ils ont pu lui envoyer sa nouvelle carte d’identité Hukou. Je suis également d’accord avec le défendeur lorsqu’il affirme que la Commission a souligné de façon raisonnable le fait que la demanderesse n’avait pas mentionné l’assignation dans son FRP et qu’une telle omission pouvait être considérée comme un élément défavorable au regard de son témoignage. Enfin, la Commission a reconnu que la délivrance des assignations obéissait à différentes pratiques à l’intérieur de la Chine et a conclu qu’il était raisonnable que la police ait pu laisser quelque chose à un moment quelconque, en raison de l’intérêt apparemment sérieux que le BSP avait à poursuivre la demanderesse; une fois de plus, cette conclusion était raisonnable.

[34]           En ce qui a trait à la pratique religieuse de la demanderesse au Canada, la Commission a soutenu que la demanderesse n’avait mis en preuve que son appartenance à une église au Canada et n’avait fourni aucune preuve d’une « conversion quelconque » démontrant qu’elle avait adopté le catholicisme. En superposant ses conclusions portant sur la crédibilité sur celles portant sur l’appréciation de la demande sur place de la demanderesse, la Commission en est arrivée à la conclusion que la demande de la demanderesse était frauduleuse et qu’elle s’était jointe à une église au Canada dans l’unique but d’étayer une demande d’asile frauduleuse. J’ai déjà commenté l’exigence d’une « conversion quelconque » dans le but d’établir une foi véritable. J’ajouterais simplement que la demanderesse a soumis, dans le cadre de sa preuve, une lettre provenant du révérend Jianwei Deng de l’église catholique des martyrs chinois attestant que la demanderesse s’était jointe au programme du Rituel de l’initiation chrétienne des adultes de l’église, qu’elle avait été baptisée à la même église et qu’elle fréquentait l’église avec assiduité. Il était loisible à la Commission d’accorder peu de poids à une telle preuve; cela n’appartient toutefois pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » pour conclure qu’elle avait uniquement prouvé son appartenance à l’église (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[35]           Dans l’ensemble, je suis d’accord avec l’avocat de la demanderesse, qui affirme qu’il était inapproprié de la part de la Commission de fonder ses conclusions sur un examen à la loupe des éléments qui ne sont pas pertinents ou qui sont accessoires à la demande de la demanderesse. Les conclusions de la Commission quant à la crédibilité reposaient dans une grande mesure sur des hypothèses et n’étaient pas étayées par la preuve.

[36]           En ce qui a trait à l’appréciation de la preuve documentaire par la Commission, je suis également d’avis qu’elle comporte certaines lacunes. Après avoir examiné quelques incidents survenus dans des maisons-églises, la Commission a conclu qu’il n’existait pas de preuve de suppression des pratiques religieuses dans la province de Guangdong et, par conséquent, ni de preuve que l’église clandestine alléguée par la défenderesse ait été d’un intérêt quelconque pour le BSP. Selon moi, cette appréciation de la preuve documentaire est au mieux sujette à caution. Le conflit entre le Vatican et le gouvernement chinois est bien documenté de même que la détention de membres du clergé catholique et la répression de maisons-églises clandestines. Il y a, sans doute, d’importantes différences dans le traitement imposé aux catholiques qui sont fonction de la tolérance dont les autorités locales font montre, et l’information portant sur la situation exacte dans plusieurs provinces est évidemment limitée. Toutefois, les incidents rapportés qui ont été mis en preuve devant le commissaire auraient dû au moins l’amener à réfléchir.

[37]           Il est vrai que le commissaire a relevé quelques incidents ayant conduit à la fermeture de maisons-églises, mais il a minimisé leur incidence au motif que rien ne laissait entendre que des membres de ces maisons-églises avaient été détenus ou que des pratiquants s’étaient vu interdire de pratiquer dans d’autres localités ou encore que leurs guides avaient été exposés à une détention prolongée. Même si tout cela était vrai, cela serait loin de suffire pour conclure que les membres de l’église ne sont pas persécutés. En outre, certaines des conclusions du commissaire reposent sur de pures hypothèses. Ses suppositions suivant lesquelles les membres des églises pouvaient pratiquer dans d’autres localités ou que la taille de la congrégation était à l’origine de la fermeture des églises ne reposent sur aucune preuve. Il ne fait aucun doute que la province de Guangdong est décrite comme « plus calme » que la province du Fujian dans les Réponses aux demandes d’informations du 6 juillet 2010 (dossier certifié du tribunal, aux pages 154 à 158), mais on doit se rappeler que la province du Fujian est décrite par la même source comme la « pire province » en ce qui a trait à la persécution en Chine. On doit également tenir compte du fait que l’information portant sur la persécution recueillie par de nombreuses organisations gouvernementales et non gouvernementales peut ne représenter que la pointe de l’iceberg. Dans ce contexte, la preuve documentaire méritait une analyse plus approfondie et ne peut, sans plus, consolider la conclusion de la Commission relativement à la crédibilité de la demanderesse ou étayer celle suivant laquelle il n’existe qu’une simple possibilité qu’un incident pouvant conduire à l’arrestation de membres ordinaires d’une église puisse se produire dans la province de Guangdong.

[38]           Pour tous les motifs qui précèdent, je suis d’avis qu’il doit être fait droit à la présente demande de contrôle judiciaire. Il s’agit de l’une de ces causes où chacune des conclusions de la Commission prise séparément peut ne pas suffire à justifier l’intervention de la Cour, mais qui, lorsque prises dans leur ensemble, demandent un réexamen. L’affaire sera donc renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucune question n’est certifiée

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3473-13

 

INTITULÉ :

AIQING ZHANG (ALIAS AI QING ZHANG) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 JUILLET 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

 

LE 18 JUILLET 2014

COMPARUTIONS :

Elyse Korman

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Ildiko Erdei

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis & Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada  

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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