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Date : 20140718

Dossier : DES‑7‑08

Référence : 2014 CF 720

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 juillet 2014

En présence de monsieur le juge S. Noël

ENTRE :

AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [LIPR];

 

ET LE DÉPÔT de ce certificat à la Cour fédérale du Canada, conformément au  paragraphe 77(1) de la LIPR;

ET les conditions relatives à la mise en liberté de Mohamed Zeki MAHJOUB [M. Mahjoub ou le demandeur]

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Monsieur Mahjoub demande à la Cour de lever l’ensemble des conditions de mise en liberté auxquelles il est soumis, à l’exception des conditions habituelles, en application du paragraphe 82(4) et de l’alinéa 82(5)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

A.                Faits pertinents – Bref historique de l’instance et des contrôles précédents des conditions de mise en liberté

[2]               Le demandeur a été nommé dans un certificat de sécurité établi en juin 2000 et il a été mis en détention le 26 juin de la même année.

[3]               Le demandeur a été remis en liberté après un peu moins de sept années de détention, selon des conditions strictes, puis, en 2008, il a fait l’objet d’un deuxième certificat de sécurité.

[4]               Au fil des ans, on a procédé à plusieurs contrôles des conditions de mise en liberté du demandeur. La plus récente audience à cet égard a été présidée par le juge Blanchard (maintenant décédé), le 16 octobre 2013, qui a par la suite rendu des ordonnances le 17 décembre 2013 (Mahjoub (Re), 2013 CF 1257 [l’ordonnance du 17 décembre 2013]) et le 24 janvier 2014 (Mahjoub (Re), dossier DES‑7‑08, en date du 24 janvier 2014 [l’ordonnance du 24 janvier 2014]).

[5]               Dans l’ordonnance du 17 décembre 2013, le juge Blanchard a reconduit et maintenu sa précédente ordonnance faisant suite à un contrôle des conditions, datée du 7 janvier 2013, qui supprimait plusieurs des conditions imposées au demandeur et en assouplissait d’autres considérablement.

[6]               Dans l’intervalle, le demandeur a contesté le caractère raisonnable du certificat de sécurité délivré contre lui. Le 25 octobre 2013, toutefois, le juge Blanchard a déclaré le certificat raisonnable – les motifs de la décision ont été publiés plus tard, soit le 6 décembre 2013 (Mahjoub (Re), 2013 CF 1092 [la décision sur le caractère raisonnable]).

[7]               Depuis le dernier contrôle des conditions de mise en liberté, plus précisément le 24 mars 2014, les ministres ont sollicité la modification des conditions imposées au demandeur afin, notamment, d’accéder aux mots de passe de ce dernier. Après la tenue d’une audition orale, le 15 mai 2014, j’ai ordonné que le demandeur communique sur demande tous ses mots de passe aux ministres, et que tous les autres éléments sollicités par ces derniers soient examinés lors du contrôle suivant, c.‑à‑d. le présent contrôle, des conditions de mise en liberté.

II.                Observations du demandeur

[8]               Le demandeur demande à la Cour de lever l’ensemble des conditions de sa mise en liberté, à l’exception des conditions habituelles suivantes :

  • M. Mahjoub doit avoir une bonne conduite et ne pas troubler l’ordre public.
  • M. Mahjoub doit signaler tout changement d’adresse.
  • M. Mahjoub doit se conformer et consentir à se conformer à chacune des conditions énoncées dans la présente ordonnance;
  • Le passeport et tous les documents de voyage de M. Mahjoub, le cas échéant, devront demeurer en possession de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC]. Il est interdit à M. Mahjoub, sans y être autorisé au préalable par l’ASFC, de demander, d’obtenir ou de posséder un passeport ou tout autre document de voyage. Par souci de clarté, cela n’empêche pas M. Mahjoub de voyager à l’intérieur du Canada, aussi longtemps que l’ASFC obtient un préavis suffisant, conformément au paragraphe 8 des présentes conditions.
  • Si son renvoi du Canada est ordonné, M. Mahjoub devra se présenter en vue de son renvoi conformément aux instructions reçues. Il devra aussi se présenter à l’occasion devant la Cour lorsque celle‑ci l’exigera.
  • M. Mahjoub ne pourra pas posséder d’arme, d’imitation d’arme, de substances nocives ou d’explosifs, ni un composant quelconque de ceux‑ci.
  • Tout manquement à la présente ordonnance constitue une infraction au sens de l’article 127 du Code criminel et de l’alinéa 124(1)a) de la LIPR.
  • La Cour pourra modifier les conditions de la présente ordonnance en tout temps, à la demande de l’une ou l’autre partie, ou de son propre chef sur avis aux parties.

A.                Preuve au soutien de la requête

[9]               En plus de présenter de nouveaux éléments de preuve, le demandeur s’appuie sur la preuve déjà versée au dossier, y compris des certificats et rapports d’experts établis par le professeur Stéphane Leman‑Langlois, ainsi que plusieurs autres rapports d’expertise psychiatrique établis par le Dr Donald Payne et un rapport d’expert de Vaughan Barrett.

[10]           Quant aux nouveaux éléments de preuve produits au soutien de ses prétentions, le demandeur affirme qu’ils relèvent de l’une ou l’autre des cinq catégories suivantes :

1)      Les répercussions psychologiques des conditions de mise en liberté sur le demandeur (dépression sévère, angoisse et symptômes du SSPT) – un certificat et un rapport d’expertise psychiatrique établis par le Dr Payne en date du 2 juin 2014.

2)      Les problèmes récurrents avec l’ASFC éprouvés par le demandeur dans la mise en œuvre des conditions de mise en liberté – diverses communications entre le demandeur et le ministère de la Justice ainsi que l’ASFC.

3)      Les actions prises par le demandeur pour suivre des cours de langue et l’incapacité d’y donner suite en raison des conditions de mise en liberté – des éléments de preuve montrant que le demandeur suit des cours d’anglais, langue seconde.

4)      Les soins médicaux que le demandeur doit régulièrement recevoir et les obstacles posés à ce titre par les conditions de mise en liberté – des lettres de médecin confirmant les graves problèmes de santé latents du demandeur.

5)      Les nouveaux éléments de preuve concernant le caractère inéquitable, peu fiable ou insuffisant des allégations et de la procédure à l’encontre du demandeur – des articles sur l’aggravation de la situation en Égypte.

B.                 Arguments au soutien de la requête

[11]           Le demandeur rappelle à la Cour, au début de ses observations, que c’est aux ministres qu’il incombe de prouver que les conditions imposées sont nécessaires, et qu’ils sont tenus à cet égard à de nombreuses obligations constitutionnelles. Il ajoute que, faute de preuve, la Cour doit modifier sensiblement les conditions actuelles de sa mise en liberté pour qu’elles soient proportionnelles et raisonnables et qu’elles respectent les droits et libertés qui lui sont garantis par la Charte, en particulier ses articles 2, 7 et 8. En outre, il ressort de la preuve que les conditions actuelles lui sont préjudiciables, de sorte qu’il faut les modifier pour les rendre compatibles avec les articles 7 et 12 de la Charte.

[12]           Le demandeur fait valoir quatre arguments principaux au soutien de ses prétentions.

(1)               Absence de preuve de tout danger posé par le demandeur

[13]           La plus récente ordonnance faisant suite à un contrôle des conditions (datée du 17 décembre 2013) était entachée d’une série d’erreurs justifiant, lorsqu’on les prend en compte, de lever toutes les conditions imposées au demandeur. Dans son ordonnance, le juge Blanchard n’explique pas pourquoi, selon lui, le demandeur constitue toujours une menace pour la sécurité du Canada. À l’époque, les ministres n’ont présenté aucune preuve quant au niveau de menace que posait le demandeur, alors qu’il leur incombait de démontrer l’existence d’une telle menace et que la preuve au dossier, y compris les rapports du professeur Leman‑Langlois, donnait pourtant à croire que le demandeur ne pouvait pas constituer une menace. Aucun élément de preuve ne démontre en fait que le demandeur présente un danger quelconque en ce moment. Le juge Blanchard a également écarté, sans raison et malgré leur pertinence quant aux prétentions du demandeur, le rapport du professeur Leman‑Langlois, de même que les rapports médicaux du Dr Payne. L’ordonnance du 17 décembre 2013 ne tenait pas compte non plus de la période visée par les motifs et concluait de surcroît qu’on ne pouvait s’attendre à ce que le demandeur respecte les conditions de sa mise en liberté en raison d’un seul incident – on a conclu que le demandeur avait changé de fournisseurs de services de téléphone et de télécopieur sans en informer l’ASFC en temps opportun –, faisant ainsi abstraction du fait que le demandeur avait observé pendant de nombreuses années l’ensemble des conditions de sa mise en liberté.

[14]           Ce qui importe encore davantage, toutefois, c’est qu’on rejette en fait dans la décision sur le caractère raisonnable la plupart des allégations portées au fil des ans à l’encontre du demandeur. Comme en outre le juge Blanchard a rendu son ordonnance le 13 décembre 2013, le demandeur n’a pas eu l’occasion de traiter des conclusions tirées dans la décision sur le caractère raisonnable (datée du 6 décembre 2013) et de leur incidence sur le contrôle des conditions de sa mise en liberté. Enfin, au vu de ces conclusions, il convient de supprimer toutes les conditions de la mise en liberté, sauf les conditions habituelles, parce qu’elles n’ont entre autres aucun lien rationnel avec la prévention du danger que le demandeur est censé constituer.

(2)               Santé du demandeur et répercussions que les conditions ont eues et continueront d’avoir sur son bien‑être

[15]           Le demandeur a invoqué au soutien de son argument relatif à sa santé et à son bien‑être le rapport du 2 juin 2014, dans lequel le Dr Payne déclare que les diverses conditions imposées au demandeur – ainsi que les nombreux incidents ayant jalonné leur mise en œuvre – ont d’importants effets cumulatifs sur la santé physique et psychologique de ce dernier.

[16]           Selon le Dr Payne, les conditions actuellement imposées au demandeur concernant l’interception de son courrier, l’emploi d’ordinateurs et d’appareils téléphoniques, l’accès à Internet, les restrictions de voyage, et l’obligation de se présenter chaque semaine à l’ASFC et de l’aviser avant tout déménagement, l’ont placé dans des situations qui ont accentué sa dépression, l’ont épuisé psychologiquement et lui ont causé des problèmes de stigmatisation sociale et d’isolement. Le demandeur a aussi ressenti de la frustration et de la solitude et a montré des signes de stress aigu et de stress posttraumatique, et tout cela a compromis sa qualité de vie.

[17]           Le Dr Payne fait aussi état dans son rapport de plusieurs facteurs qui rendent la situation du demandeur plus difficile. Ainsi, comme il a été faussement accusé d’avoir refusé l’accès à sa maison à l’ASFC, le demandeur est constamment inquiet et sur ses gardes. En outre, la surveillance physique dont il fait l’objet lui donne le sentiment d’être impuissant et d’être privé de son autonomie. Le demandeur se sent de plus torturé mentalement, émotionnellement et psychologiquement par le ministère de la Justice, et il a fait l’objet de menaces et de harcèlement parce qu’on a su publiquement qu’il constituait une menace pour la sécurité.

[18]           Ces difficultés psychologiques ont aussi eu d’importantes conséquences sur les divers troubles de santé physique du demandeur.

(3)               Temps écoulé, absence de tout comportement répréhensible du demandeur et durée prévue de l’appel

[19]           Toutes les difficultés d’ordre social, psychologique, scolaire et fonctionnel dont il est fait mention ci‑dessus et qui découlent des conditions de mise en liberté actuelles ont eu des effets cumulatifs disproportionnés. Il faut supprimer ces conditions puisque le demandeur s’y est toujours conformé et a toujours respecté les lois du Canada. De plus, le demandeur a interjeté appel de la décision sur le caractère raisonnable, et ce recours est loin d’être arrivé à son terme. Il n’est pas raisonnable de maintenir l’ensemble des conditions en vigueur pendant si longtemps.

[20]           Le demandeur se préoccupe aussi de la requête présentée par les ministres pour faire modifier la condition 10, laquelle a été instruite le 14 mai 2014. Comme je l’ai mentionné, les questions soulevées dans la requête, sur laquelle la Cour n’a pas encore statué, seront examinées dans le cadre du présent contrôle des conditions. Les arguments avancés par le demandeur contre l’octroi des modifications sollicitées par les ministres se résument comme suit :

a)      les modifications perpétuent et accentuent l’atteinte injustifiée à la vie privée de M. Mahjoub et à son droit de stocker de renseignements personnels, et ce, de manière incompatible avec les principes énoncés par la Cour suprême dans R c Vu, 2013 CSC 60, [2013] ACS n° 60 [Vu];

b)      les conditions existantes, y compris les nouvelles, sont de portée trop générale et n’ont de lien rationnel avec aucun danger;

c)      lorsqu’on a décidé des conditions applicables, les problèmes invoqués au soutien des nouvelles conditions étaient connus des ministres, qui ne les avaient pas alors soulevés, et ils n’ont conduit la Cour à imposer à leur égard aucune condition.

[21]           Le demandeur affirme qu’il n’a jamais utilisé Dropbox ou quelque autre service de stockage que ce soit, ni aucun logiciel, navigateur ou outil quelconque visant à dissimuler ses activités sur Internet, et qu’il ne savait même pas qu’une telle technologie existait. Il coopère avec l’ASFC conformément aux conditions imposées.

[22]           L’avocat public du demandeur a également produit un affidavit de Jeremy Cole, consultant en technologie, qui déclare essentiellement qu’un examen de criminalistique informatique (auquel l’ASFC peut procéder elle‑même) permettrait non seulement de déceler et d’analyser le contenu de la mémoire externe, mais aussi d’examiner les renseignements contenus dans l’ordinateur. Quant à l’utilisation du site Web Dropbox alléguée par l’ASFC, M. Cole affirme qu’aucun des registres d’utilisation mentionnés ne révèle que M. Mahjoub a accédé à ce site.

[23]           On soutient que tout ce que les ministres demandent est inutile puisqu’en procédant à un examen de criminalistique informatique, l’ASFC pourrait connaître toutes les activités de l’ordinateur, même celles auxquelles le recours à d’autres technologies de l’information empêche d’accéder. Plus important encore, M. Mahjoub n’a jamais utilisé aucune de ces nouvelles technologies pour empêcher l’accès aux renseignements contenus dans son ordinateur, et il a respecté les conditions imposées dans l’ordonnance du 24 janvier 2014.

(4)               Nécessité de protéger les droits constitutionnels du demandeur

[24]           Il faut lever les conditions de mise en liberté du demandeur parce qu’aucune preuve ne lie ce dernier à des activités criminelles ou dangereuses, et que ces conditions violent prima facie ses droits constitutionnels. Tout particulièrement, la Cour suprême du Canada a récemment statué dans l’arrêt Vu, précité, que la fouille de la maison et de l’ordinateur personnel d’un individu donnait lieu à une grave atteinte à sa vie privée. Il convient donc de supprimer les conditions parce qu’elles portent manifestement atteinte à la Charte.

III.             Observations des ministres

[25]           Les ministres soutiennent que les conditions actuelles de mise en liberté sont toujours nécessaires pour neutraliser la menace que le demandeur constitue pour le Canada.

[26]           Les ministres affirment d’abord qu’il ne faut accorder aucun poids à l’affidavit du demandeur parce qu’il renferme des arguments juridiques et des opinions qui, soit ne sont étayés par aucune preuve, soit sont contredits par les éléments au dossier. De plus, la Cour a déjà conclu que le demandeur avait manqué de franchise à plusieurs égards, et ce manque de crédibilité devrait aussi l’inciter à faire abstraction de son affidavit.

[27]           Qui plus est, la Cour ne devrait accorder que peu de poids à la plupart des éléments de preuve présentés par le demandeur. Ainsi, le rapport médical du 2 juin 2013 établi par le Dr Payne renferme de nombreuses inexactitudes et s’appuie sur des faits qui ne figurent pas au dossier. On y déclare, par exemple, que le demandeur ne peut plus communiquer avec sa famille à cause de l’ASFC, bien que ce ne soit pas le cas. En réalité, une exception a été ajoutée aux conditions pour permettre les communications électroniques visuelles entre le demandeur et les membres de sa famille en Égypte. D’autres inexactitudes figurant dans le rapport concernent les conditions de mise en liberté, en ce qu’elles portent sur le changement de lieu de résidence et l’utilisation d’un téléphone cellulaire. En outre, le rapport médical décrit favorablement l’emploi antérieur du demandeur, alors que la Cour a déjà émis de fortes réserves à ce sujet. Bref, comme les conclusions tirées par le Dr Payne dans son rapport médical ne semblent pas fondées sur des faits réels, il ne faudrait leur accorder que peu de poids.

[28]           Il faudrait traiter de la même manière la déposition du professeur Leman‑Langlois produite par le demandeur, puisque la Cour s’est déjà penchée sur cet élément de preuve lors de contrôles précédents des conditions de mise en liberté et qu’elle ne lui a accordé que peu de valeur en raison des nombreuses lacunes qu’il présente.

[29]           Quant aux conditions mêmes de mise en liberté, les ministres estiment qu’elles sont nécessaires pour neutraliser la menace que le demandeur constitue pour le Canada. Selon eux, le temps écoulé et les antécédents de conformité du demandeur ne justifient pas de lever ces conditions; ils ne font que prouver leur efficacité. De plus, lors du dernier contrôle des conditions de mise en liberté, la Cour a statué que le demandeur constituait toujours danger – considérablement réduit, mais un danger tout de même – et le demandeur n’a présenté aucun élément prouvant que cette situation avait changé, au vu particulièrement de la décision sur le caractère raisonnable.

[30]           En réalité, les actes posés par le demandeur et son absence de collaboration avec les autorités penchent en faveur du maintien des conditions actuelles de mise en liberté, étant donné qu’on ne peut pas compter sur le fait que le demandeur se conformera aux conditions imposées. Plusieurs incidents mettant en cause l’ASFC permettent de le soutenir, comme cette fois où le demandeur est sorti des limites de la RGT sans communiquer à l’ASFC son itinéraire exact. Le demandeur s’est aussi montré peu coopératif quant à la transmission de ses relevés de communications téléphoniques de Startec et lorsque l’ASFC a tenté d’examiner son ordinateur.

[31]           Contrairement à ce que le demandeur fait valoir, le temps requis pour instruire l’appel interjeté à l’encontre de la décision sur le caractère raisonnable ne devrait pas jouer contre les ministres, parce que le demandeur a toujours droit à des contrôles réguliers des conditions de sa mise en liberté et que les ministres n’ont fait preuve, dans les diverses procédures, d’aucun manque de diligence.

[32]           Les ministres soutiennent que les conditions actuelles de mise en liberté sont toujours nécessaires afin que le demandeur ne puisse pas communiquer avec des personnes avec qui il lui est interdit de le faire, ou qu’il ne puisse prendre ou reprendre contact avec des personnes susceptibles de menacer la sécurité du Canada.

[33]           La condition concernant la vérification des communications en personne et des activités du demandeur est requise parce que ce dernier ne porte plus de bracelet pisteur et qu’il a déjà omis de faire part à l’ASFC de l’itinéraire exact d’un de ses déplacements. Il est aussi nécessaire de maintenir la condition relative à l’obtention des relevés de communications téléphoniques, comme les appels ne sont plus interceptés et que c’est là le seul moyen pour les autorités de vérifier ce type de communications tout en entravant le moins possible la liberté du demandeur.

[34]           Il convient aussi de maintenir la condition restreignant le recours à Internet. Les ministres affirment à cet égard qu’il ne devrait pas être permis au demandeur de communiquer par courriel Web, comme ce dernier n’a présenté aucun argument dûment étayé sur la question ni n’a démontré qu’il avait consenti des efforts pour surmonter ses prétendues difficultés. Ils soutiennent de manière subsidiaire que, si elles sont autorisées, les communications par courriel Web ne devraient l’être qu’après obtention du consentement du demandeur aux conditions suivantes : 1) permettre à l’ASFC d’accéder à son compte de messagerie; 2) divulguer son nom d’utilisateur et son mot de passe à l’ASFC; 3) ne pas modifier ni supprimer de son compte tout courriel envoyé, reçu ou rédigé; 4) ne pas prendre part à des communications à l’égard desquelles il pourrait invoquer le privilège du secret professionnel de l’avocat ou le privilège relatif au litige; 5) avoir un accès à ses courriels autre que sur le Web, comme au moyen d’Outlook. Pour ce qui est d’utiliser des sites de réseaux sociaux, le demandeur n’a tout simplement pas expliqué pourquoi on devrait lui accorder l’accès à de tels sites. Quant à Skype, le demandeur prétend qu’il lui faut une adresse courriel pour pouvoir utiliser ce service, mais il aurait dû soulever la question avant l’audience relative au présent contrôle des conditions. Il est toujours loisible au demandeur de voir avec les ministres si une entente est possible sur ce point.

[35]           De plus, il est toujours nécessaire d’examiner l’ordinateur du demandeur, compte tenu particulièrement des actions de ce dernier et de son manque de coopération lors des examens précédents. Il demeure nécessaire aussi d’intercepter le courrier du demandeur pour pouvoir vérifier ses communications, comme sont toujours requises la condition d’avoir une bonne conduite et de ne pas troubler d’ordre public et les conditions relatives aux cautionnements d’exécution.

[36]           Le demandeur présente dans ses observations des arguments de nature constitutionnelle. La Cour a toutefois déjà examiné et rejeté ces arguments – il n’y a pas lieu de se pencher sur eux à nouveau.

[37]           Pour ce qui est de la requête instruite par la Cour, le 14 mai 2014, par laquelle ils lui demandent de modifier la condition 10, les ministres renvoient au mémoire qu’ils ont déposé le 24 mars 2014. J’exposerai dans les paragraphes qui suivent le résumé des prétentions formulées à cet égard par les ministres.

[38]           Les ministres demandent que la condition de mise en liberté 10f) soit modifiée comme suit :

[traduction]

10f) M. Mahjoub doit autoriser les employés de l’ASFC, ou toute personne désignée par elle, à examiner son modem et son ordinateur, y compris le disque dur et la mémoire périphérique; et à saisir l’ordinateur, le modem et tout dispositif de mémoire périphérique de façon à procéder à un examen, sans préavis. M. Mahjoub doit fournir immédiatement sur demande à l’ASFC les mémoires périphériques.

(Le texte souligné correspond aux ajouts demandés.)

Les ministres demandent aussi l’ajout des conditions de mise en liberté suivantes :

[traduction]

10i) M. Mahjoub ne doit prendre aucune mesure susceptible d’entraver l’examen de son ordinateur par l’ASFC. Une telle entrave pourrait prendre notamment la forme d’un matériel ou d’un logiciel de cryptage, de l’utilisation d’une mémoire volatile ou de l’accès à un logiciel associé à un lecteur de mémoire vive [RAM].

10k) M. Mahjoub ne doit pas accéder à une forme de programme ou de service en ligne qui l’autorise, ou autorise d’autres personnes à créer, stocker ou entreposer des fichiers sur Internet ni utiliser un tel programme ou service. Ces services comprennent notamment « Dropbox », « Google Drive », « Microsoft SkyDrive » et « iCloud ».

[39]           La modification à la condition 10f) et l’ajout des conditions 10i) et 10k) sont demandés parce que, le 21 août 2013, des agents de l’ASFC se sont rendus chez M. Mahjoub pour prendre possession de son ordinateur en vue de l’examiner, conformément à la condition 10f) des conditions de mise en liberté du 24 janvier 2013. On a alors créé une image virtuelle à partir de l’ordinateur, pour pouvoir examiner son contenu comme s’il fonctionnait. À la suite de cette opération, l’ASFC a conclu que M. Mahjoub avait [traduction] « [...] probablement accès à un service d’hébergement de fichiers de type ʻdrop boxʼ ». Un examen de criminalistique informatique ne permet pas d’avoir accès à un fichier placé dans une boîte de dépôt (ce que vise à empêcher la condition 10k) proposée). L’ASFC estime en outre qu’une autre méthode permet de contourner l’examen de criminalistique informatique, à savoir l’emploi d’une mémoire vive (RAM), qui est d’un autre type que le lecteur de disque dur, qui supprime les données dès que l’ordinateur est mis hors tension. L’ASFC cherche donc à faire ajouter une condition interdisant l’emploi de ce type de mémoire (l’objet de la condition 10i) proposée). Enfin, la modification proposée de la condition 10f) vise à élargir l’accès aux données informatiques et à obliger expressément M. Mahjoub à fournir, sur demande, toute l’information, comme la mémoire périphérique et le modem.

[40]           Les ministres ont ensuite soutenu que la modification de la condition 10f) et l’ajout de nouvelles conditions étaient nécessaires parce que M. Mahjoub a refusé de collaborer avec l’ASFC, et qu’il fallait aussi veiller à ce que ce dernier ne contourne pas la condition 10 en ayant accès, sans autorisation, à des sites Web, à des logiciels ou à des matériels qui sont difficiles à surveiller, et en communiquant avec certaines personnes.

[41]           Les ministres ont également fait valoir que ce ne sont pas là de nouvelles conditions qui viendraient s’ajouter aux restrictions déjà imposées; ces mesures viennent simplement préciser les paramètres qui encadrent déjà l’emploi que fait M. Mahjoub d’Internet et de son ordinateur, et elles figurent déjà dans l’ordonnance rendue par mon collègue le juge Blanchard, le 24 janvier 2014, par suite du contrôle des conditions de mise en liberté.

[42]           Les ministres demandent finalement l’ajout de la condition suivante se rapportant à la résidence de M. Mahjoub :

[traduction]

Aucune autre personne ne peut occuper la résidence de M. Mahjoub sans que la Cour n’en soit avisée.

[43]           Cette disposition est devenue nécessaire parce que le demandeur a reçu du courrier adressé à une autre personne, sans fournir la moindre explication à ce sujet. Les ministres souhaitent ainsi que le demandeur soit tenu d’aviser les autorités concernées avant qu’un tiers ne puisse occuper sa résidence.

IV.             Analyse

[44]           Pour arriver à la juste décision dans le cadre du présent contrôle des conditions de mise en liberté, la Cour entend appuyer son analyse sur les critères suivants, établis dans Harkat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 795, au paragraphe 26, [2013] ACF n° 860, et dans Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, aux paragraphes 110 à 121, [2007] ACS n° 9 :

  1. les décisions antérieures relatives au danger et l’historique des procédures, à savoir les contrôles de la détention, la mise en liberté sous conditions et les décisions déjà rendues;
  2. l’appréciation par la Cour du danger pour la sécurité du Canada associé au demandeur, à la lumière des éléments de preuve présentés;
  3. le cas échéant, la décision relative au caractère raisonnable du certificat;
  4. les éléments de confiance et de crédibilité touchant le comportement du demandeur après sa mise en liberté sous conditions et son respect de celles‑ci;
  5. l’incertitude quant à la fin éventuelle des procédures;
  6. l’écoulement du temps (pas en soi un facteur décisif – voir Harkat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 416, au paragraphe 9, [2007] ACF n° 540);
  7. l’incidence des conditions de mise en liberté sur le demandeur et sur sa famille et la proportionnalité entre le danger que constitue le demandeur et les conditions de sa mise en liberté.

A.                Les décisions antérieures relatives au danger et l’historique des procédures, à savoir les contrôles de la détention, la mise en liberté sous conditions et les décisions déjà rendues

[45]           Au fil des procédures relatives au certificat, on a procédé à de nombreux contrôles de la détention, avant la mise en liberté de M. Mahjoub. On a aussi procédé, depuis sa mise en liberté sous conditions, à de nombreux contrôles de ces conditions. M. Mahjoub a été détenu du 26 juin 2000 au 11 avril 2007, date de sa mise en liberté sous de rigoureuses conditions. Le 17 mars 2009, son épouse et son beau‑fils ayant décidé de ne plus agir à titre de cautions de surveillance (une importante condition de sa mise en liberté), M. Mahjoub a de nouveau été détenu, jusqu’à sa mise en liberté sous conditions, le 11 mars 2010. Depuis, on a procédé à des contrôles périodiques de sa mise en liberté.

[46]           On a jugé de manière constante que M. Mahjoub constituait un danger pour la sécurité du Canada et, après qu’il ait été mis en liberté sous conditions, que ce danger, bien qu’il ait diminué avec le temps, requérait toujours pour être neutralisé, compte tenu d’autres facteurs, d’imposer d’importantes conditions.

B.                 L’appréciation par la Cour du danger pour la sécurité du Canada associé au demandeur, à la lumière des éléments de preuve présentés

[47]           Dans Mahjoub (Re), 2011 CF 506, au paragraphe 59, [2011] ACF n° 936, la Cour a décrit comme suit le danger associé au demandeur :

[traduction]

[...] La menace posée par M. Mahjoub vient essentiellement des ses activités passées et des contacts qu’il aurait eus avec des personnes et des organisations impliquées dans le terrorisme international, et de ce qu’on s’inquiète qu’il prône l’extrémisme, qu’il soit susceptible de radicaliser des tiers et qu’il soit prêt à recourir à la violence et à pousser des tiers à la violence si des chefs terroristes le lui demandent [...]

[48]           À l’issue de l’audience relative au contrôle des conditions de mise en liberté du demandeur qui a eu lieu en octobre 2013, au cours de laquelle les deux parties ont eu toute possibilité de se faire entendre, la Cour a conclu que, même si le niveau de danger avait sensiblement diminué, M. Mahjoub constituait toujours une menace qu’il fallait neutraliser par l’imposition de conditions. La Cour a donc tiré la conclusion suivante dans son ordonnance du 17 décembre 2013 (au paragraphe 6) :

[traduction]

Je demeure convaincu que M. Mahjoub constitue une menace pour la sécurité du Canada, tel que je l’ai décrit dans les motifs de l’ordonnance en date du 7 janvier 2013. J’estime que la menace, que j’ai alors décrite comme ayant sensiblement diminué, est toujours présente.

[49]           Il ressort de cette conclusion que l’évaluation de la menace associée au demandeur a été faite par la Cour en janvier 2013 et qu’elle a été confirmée en décembre 2013, et que même si la menace avait sensiblement diminué, elle demeurait suffisamment importante pour que la Cour estime nécessaire d’imposer des conditions afin de la neutraliser. Un peu plus de six mois se sont écoulés depuis le dernier contrôle des conditions, et il faut se demander ce qui a changé depuis qui pourrait justifier de maintenir ces conditions ou, comme le souhaite le demandeur, de supprimer les plus importantes d’entre elles.

[50]           Les ministres se fondent sur une évaluation de la menace qui date du 2 novembre 2011 et qui n’est donc pas à jour. Ils font de plus valoir que le jugement portant que le certificat de sécurité est valide, que le comportement de M. Mahjoub et son manque de franchise envers l’agence chargée de veiller au respect des conditions de sa mise en liberté – l’ASFC –, ainsi que l’absence de preuve qu’il aurait changé d’idéologie, tout ça fait en sorte que le danger – à l’existence duquel on avait alors conclu – est toujours présent, et que les conditions de mise en liberté devraient donc être maintenues. Les ministres affirment que les divers éléments qui précèdent leur permettent de s’acquitter du fardeau de preuve qui leur incombe.

[51]           Le demandeur estime pour sa part que l’évaluation de la menace est désuète, qu’il n’y a aucun danger à proprement parler, qu’il s’est conformé aux conditions de sa mise en liberté et que la preuve, d’ordre médical et autre, révèle que les conditions actuellement imposées ne sont pas proportionnelles au danger qu’il est censé représenter.

[52]           Comme nous le verrons, la Cour juge toujours valide la conclusion qu’elle a tirée en janvier 2013 quant au niveau de danger associé au demandeur, et que l’ordonnance du 17 décembre 2013 (au paragraphe 6) a confirmée. De plus, la décision sur le caractère raisonnable reposait sur de solides conclusions de fait, et la Cour y concluait que le certificat était raisonnable. En outre, le comportement de M. Mahjoub au regard des conditions de sa mise en liberté et à la surveillance de ces conditions par l’ASFC, de même que son attitude générale, n’incitent pas la Cour à conclure qu’il lui faudrait évaluer différemment le niveau de danger qu’elle a associé, en janvier 2013, au demandeur.

[53]           J’aimerais en passant répondre à l’argument du demandeur selon lequel la Cour, lorsqu’elle a rendu l’ordonnance du 17 décembre 2013 à l’issue d’un contrôle des conditions, a manqué à son obligation d’agir équitablement en ne l’informant pas des conclusions de fait qu’elle avait tirées dans la décision sur le caractère raisonnable. La Cour conclut que cet argument ne repose sur aucun fondement juridique. La décision sur le caractère raisonnable a été publiée le 6 décembre 2013, un peu plus de six semaines après l’audience relative au contrôle des conditions (tenue le 16 octobre 2013), où les deux parties ont eu pleinement l’occasion de se faire entendre. La décision sur cette question a été mise en délibéré jusqu’au moment de sa délivrance, le 17 décembre 2013, un peu moins de deux semaines après la publication de la décision sur le caractère raisonnable. Il n’est donc pas fondé de prétendre que M. Mahjoub n’a pas eu l’occasion de traiter de l’incidence des conclusions tirées dans la décision sur le caractère raisonnable sur le contrôle des conditions. M. Mahjoub a eu l’occasion de présenter ses arguments en octobre 2013 : il a eu connaissance au début de décembre 2013 des conclusions de la décision sur le caractère raisonnable et, bien qu’il ait eu plus de dix jours pour le faire, jamais il n’a demandé à la Cour de pouvoir aborder la question. Quoi qu’il en soit, tous savaient au moment de l’audience relative au contrôle des conditions de mise en liberté que la décision sur le caractère raisonnable était mise en délibéré depuis la précédente audience ex parte et à huis clos du 27 janvier 2013.

C.                 Le cas échéant, la décision relative au caractère raisonnable du certificat

[54]           Lorsqu’on examine le dossier du demandeur, ainsi que ses observations écrites et orales, il se dégage l’impression que M. Mahjoub veut minimiser les conclusions clés tirées dans la décision sur le caractère raisonnable. Il est vrai que certaines allégations formulées par les ministres ont été considérées comme n’étant pas fondées sur les faits, mais les conclusions qui ont été tirées sont importantes non seulement quant au fond, mais aussi quant à leur incidence au plan juridique sur les critères permettant de conclure au caractère raisonnable du certificat. Voici certaines de ces conclusions :

[traduction]

[627]    Après examen global de la preuve, et sur le fondement d’inférences justifiées et raisonnables, je conclus que les ministres ont établi qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Mahjoub est membre du AJ et de son sous‑groupe, ou groupe dissident, le VOC.

[628]    À cet égard, je me fonde sur les conclusions précédemment exposées, dont les suivantes :

Le AJ et le VOC existaient en tant qu’organisations terroristes aux époques pertinentes;

M. Mahjoub était en contact au Canada et à l’étranger avec des terroristes membres du AJ et du VOC;

M. Mahjoub a utilisé des noms d’emprunt pour dissimuler ses contacts avec des terroristes;

M. Mahjoub a dissimulé de manière malhonnête aux autorités canadiennes ses contacts avec des terroristes;

M. Mahjoub a occupé un poste de très haut niveau dans l’organisation de Bin Laden, auprès de terroristes au Soudan, alors que les principaux chefs terroristes se trouvaient dans ce pays;

M. Mahjoub a dissimulé de manière malhonnête aux autorités canadiennes la nature de son travail à la ferme de Damazine;

M. Mahjoub s’est rendu au Soudan et il en est sorti en même temps que des membres du AJ et d’al‑Qaida;

[Certains éléments de preuve directs] concernant l’appartenance de M. Mahjoub au AJ et des conversations interceptées de M. Mahjoub étayent l’allégation des ministres.

[629]    Pour arriver à ma décision, je me suis aussi fondé sur les inférences suivantes, concernant les déplacements et les activités de M. Mahjoub :

M. Mahjoub était en contact avec des terroristes;

M. Mahjoub avait une relation étroite et de longue date avec nombre de ces terroristes;

M. Bin Laden avait placé sa confiance en M. Mahjoub en raison de ses liens avec les milieux extrémistes islamiques;

M. Mahjoub était au courant de l’entraînement au maniement des armes dispensé par al‑Qaida à la ferme de Damazine et il était complice de cette activité;

Ce n’est pas par coïncidence que M. Mahjoub s’est rendu au Soudan et en est sorti en même temps que des membres du AJ.

[669]    Je conclus que ces faits établissent l’existence de motifs raisonnables de croire qu’avant son arrestation M. Mahjoub constituait, en tant que membre du AJ et de son sous‑groupe, ou groupe dissident, le VOC, un danger pour la sécurité du Canada.

[Décision sur le caractère raisonnable, précitée]

[55]           Ces conclusions permettaient de conclure au caractère raisonnable du certificat délivré par les ministres, et ne sauraient être qualifiées de peu importantes ou d’importance relative lorsqu’on tient compte de l’ensemble des allégations portées. Il s’agit de conclusions de fond touchant à l’essence même du terrorisme et de son mode de fonctionnement, à l’échelle non seulement mondiale, mais aussi nationale. Il faut aussi considérer comme importante la conclusion relative au danger, puisque la Cour a conclu que M. Mahjoub constituait, avant son arrestation, un danger pour la sécurité du Canada. Cette conclusion sur le danger doit être lue conjointement avec l’évaluation la plus récente, effectuée en décembre 2013, où la Cour a conclu que, si le danger avait sensiblement diminué, il était encore présent et nécessitait toujours, pour être neutralisé, d’assortir de conditions la mise en liberté du demandeur. Au moment de l’arrestation de M. Mahjoub en 2000, on a jugé le danger tel qu’il a fallu le détenir pendant près de sept ans, puis à nouveau en 2009, pendant près d’un an.

[56]           Les conditions ont évolué tout au long de la période de mise en liberté : elles étaient d’abord strictes et restrictives, puis le sont devenues de moins en moins, comme le justifiaient les circonstances, pour devenir de niveau bien moindre, en décembre 2013. Cela dit, il reste que le danger associé à M. Mahjoub est toujours présent, et qu’il convient d’assortir sa mise en liberté de conditions visant à neutraliser ce danger, comme nous le verrons dans les paragraphes qui suivent.

D.                Les éléments de confiance et de crédibilité touchant le comportement du demandeur après sa mise en liberté sous conditions et son respect de celles‑ci

[57]           Le comportement de l’intéressé au regard des conditions de sa mise en liberté est un facteur important à considérer lorsqu’on envisage de modifier ces conditions ou certaines d’entre elles. Dans Harkat (Re), 2009 CF 241, au paragraphe 92, [2009] ACF n° 316, la Cour a commenté ce facteur comme suit :

[92]      La crédibilité et la confiance sont des considérations essentielles à l’occasion du contrôle judiciaire du caractère approprié des conditions. Lors de l’examen de la question de savoir si les conditions neutraliseront le danger, la Cour doit examiner l’efficacité des conditions. La crédibilité d’une personne qui est assujettie aux conditions et la confiance de la Cour à son endroit régiront vraisemblablement le type de conditions nécessaires.

[58]           M. Mahjoub ne s’est pas conformé de manière exemplaire à ses plus récentes conditions de mise en liberté, comme la Cour l’a signalé dans son ordonnance du 17 décembre 2013, lorsqu’elle a conclu qu’il avait enfreint une condition en ne donnant pas l’avis prévu avant de procéder à l’acquisition et à l’utilisation de services de téléphonie et de télécopieur. La Cour a conclu qu’on ne pouvait [traduction] « [...] se fier à ce que M. Mahjoub respecte ses conditions de mise en liberté » (ordonnance du 17 décembre 2013, au paragraphe 18).

[59]           Dans la même décision, encore une fois rendue aussi récemment qu’en décembre 2013, la Cour a aussi conclu, en ce qui concerne l’enlèvement du bracelet GPS, que le fait pour M. Mahjoub de ne pas avoir permis à l’ASFC d’accomplir cette mesure sans endommager le bracelet était [traduction] « [...] l’indice d’un refus de collaborer avec l’ASFC » (voir le paragraphe 17).

[60]           L’attitude, les agissements et le comportement récents de M. Mahjoub dénotent également un refus de collaborer avec l’ASFC et de lui faciliter l’exercice du devoir de surveillance que la Cour lui a imposé. En voici quelques exemples :

  1. En janvier 2014, bien que la condition 7 lui ait prescrit de le faire, M. Mahjoub n’a pas donné à l’ASFC l’information exacte sur un voyage effectué de Toronto à Ottawa. Par l’entremise de son avocat, le demandeur a communiqué une heure de départ erronée à l’ASFC, ce qui a empêché cette dernière de dûment assumer son rôle de surveillance. Les explications données à ce titre, soit que l’erreur était imputable à l’avocat et que l’ASFC aurait dû faire part à M. Mahjoub des divergences dans les renseignements, ne sont pas acceptées. La condition 7 imposait à M. Mahjoub de donner l’information exacte sur ses déplacements, et il n’appartenait pas à l’ASFC de pallier l’imprécision des renseignements fournis. Quoi qu’il en soit, vu l’inexactitude flagrante des faits communiqués par M. Mahjoub, l’ASFC n’a pas été en mesure d’exercer les fonctions de surveillance exigées d’elle par la Cour. C’est là une autre indication du manque de collaboration et de coopération de la part de M. Mahjoub.
  2. M. Mahjoub n’a pas transmis, encore à ce jour, les relevés de communications téléphoniques de Startec demandés par l’ASFC, conformément à la condition de mise en liberté 11b), pour la période d’utilisation allant du 31 janvier 2014 au 21 février 2014. La question a été soumise à la Cour à la fin du printemps 2014. La condition 11b) est claire : M. Mahjoub est tenu de transmettre les relevés de communications téléphoniques de Startec pour la période de trois semaines en cause. C’est là un autre exemple du manque de collaboration et de coopération de M. Mahjoub. Quant aux relevés pour l’année 2013, M. Mahjoub n’a toujours pas consenti à les transmettre, même si on lui a demandé de le faire en application de la condition de mise en liberté 11a) imposée le 31 janvier 2013. M. Mahjoub invoque comme motif que l’ASFC ne devrait pas obtenir rétroactivement l’accès à ces relevés de communications. M. Mahjoub n’a pas non plus donné avis du fait qu’il utilisait les services de Startec même si les conditions de sa mise en liberté le requéraient. Il soutient que l’ASFC avait connaissance de son compte Startec et aurait dû en demander plus tôt les relevés. Cet argument ne saurait libérer M. Mahjoub de son obligation de consentir à la transmission des relevés, tel que la Cour le lui a enjoint en application de la condition 11a). Ce comportement, encore une fois, n’est pas l’indice de la collaboration et de la coopération requises par ces conditions. En agissant ainsi, M. Mahjoub fait de nouveau en sorte que l’ASFC ne puisse exercer le rôle de surveillance que la Cour lui a imposé.
  3. Conformément à la condition de mise en liberté 10f) de 2014, M. Mahjoub doit accorder plein accès à l’ASFC à son ordinateur, y compris le disque dur et la mémoire périphérique, sans préavis, et l’ASFC peut saisir l’ordinateur à cette fin. Lorsque l’ASFC lui a demandé un tel accès, le 24 avril 2014, M. Mahjoub ne le lui a pas immédiatement accordé. M. Mahjoub a fait attendre à sa porte le représentant de l’ASFC, qui a cru le voir, étant retourné à son ordinateur, y effectuer des opérations pendant deux minutes. La condition imposée obligeait M. Mahjoub à accorder accès et contrôle à l’ASFC, sans préavis. Il ne l’a pas fait. Il s’est également opposé à ce que le représentant de l’ASFC prenne des photographies, alors que le but visé était de brancher l’ordinateur de la même manière lors de sa réinstallation, et d’attester tout dommage éventuellement subi. Il s’agit d’une procédure habituelle de la part de l’ASFC et d’une politique dont l’application est facile à comprendre. M. Mahjoub n’a pas non plus remis les périphériques USP pour inspection, tel que le requérait la condition 10f), qui prescrivait d’autoriser l’examen non seulement de l’ordinateur, mais aussi de tous les dispositifs mémoire périphériques. S’il n’y a pas eu violation, on en a été bien proche. Pour en finir sur ce point, M. Mahjoub a refusé de fournir le mot de passe de son ordinateur. La Cour a alors rédigé des motifs d’ordonnance et une ordonnance enjoignant à M. Mahjoub de s’exécuter (voir Mahjoub (Re), 2014 CF 479, plus particulièrement au paragraphe 21). Il a semblé évident à la Cour que M. Mahjoub devait donner son mot de passe pour qu’on puisse procéder à l’examen de l’ordinateur. Ce qui semblait évident à la Cour ne l’était toutefois pas pour M. Mahjoub. Ce type de comportement ne peut que dénoter un manque de collaboration et de coopération et, non seulement dessert les intérêts de M. Mahjoub, mais aussi rend plus difficile, voire impossible, pour l’ASFC d’assumer le rôle de surveillance que la Cour lui impose dans les Conditions de mise en liberté tant de 2013 que de 2014.

[61]           M. Mahjoub explique qu’il vise à s’assurer, par son comportement, que la portée des conditions de sa mise en liberté ne soit nullement élargie et que sa vie privée soit respectée. Ces motifs sont valables, dans une certaine mesure, mais on ne doit pas les invoquer pour vider de tout sens véritable les conditions de mise en liberté et empêcher la surveillance de l’utilisation des dispositifs de communication, des ordinateurs et des autres modes de transmission de données, de renseignements et d’images. Sans surveillance adéquate de la part de l’ASFC, les conditions de mise en liberté perdent toute utilité.

[62]           Par son comportement, M. Mahjoub pourrait donner à croire à un observateur neutre qu’il a quelque chose à cacher. Cela porte atteinte aux conditions de mise en liberté, tout en étant préjudiciable à M. Mahjoub lui‑même, s’il veut que sa liberté soit le moins possible assortie de conditions. Les éléments de confiance et de crédibilité touchant le comportement du demandeur sont des facteurs à prendre en considération dans l’évaluation des conditions de mise en liberté. Il est dans l’intérêt de M. Mahjoub de collaborer et de coopérer pour s’assurer du respect de ces conditions, et pour que l’ASFC, en exerçant son rôle de surveillance, confirme ce respect.

E.                 L’incertitude quant à la fin des procédures

[63]           Dans la mesure où l’on procède à des contrôles rigoureux et périodiques des motifs de la détention, ou des conditions de mise en liberté, les longues périodes de détention ou de mise en liberté sous conditions qui ont une incidence sur la vie et les droits d’un individu ne constituent pas des violations de la Charte (voir Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, au paragraphe 123, [2007] ACS n° 9).

[64]           La Cour a rendu la décision sur le caractère raisonnable ainsi que diverses autres décisions visant le demandeur, mettant notamment en cause l’abus de procédure et l’arrêt des procédures. Les procédures en sont rendues en bonne partie maintenant au stade de l’appel, et la Cour d’appel fédérale se prononcera sur toutes les questions soulevées dans l’avis d’appel ou dans le cadre de l’appel lui‑même. Le demandeur tire profit de la procédure d’appel et celle‑ci exige du temps.

[65]           On a procédé et on procède toujours à des contrôles continus des conditions de mise en liberté de M. Mahjoub. Des contrôles se sont déroulés et des décisions ont été rendues en janvier 2013, en décembre 2013, en janvier 2014 et pendant l’été 2014 (la présente décision). Sur une période d’un peu plus de 18 mois, M. Mahjoub a eu droit à trois audiences relatives au contrôle des conditions de sa mise en liberté et à trois décisions.

[66]           Procéder à des contrôles vigoureux des conditions de mise en liberté ne veut pas nécessairement dire accorder à M. Mahjoub ce qu’il désire. De tels contrôles obligent la Cour à procéder à un examen approfondi des conditions imposées et de leur nécessité, c.‑à‑d. de s’assurer non seulement qu’elles sont nécessaires pour neutraliser le danger qu’elle estime exister, mais aussi qu’elles portent une atteinte minimale aux droits et à la liberté du demandeur. Pour que des conditions moins invasives soient approuvées, il faut démontrer (1) que le danger a diminué, et (2) que les conditions permettent de neutraliser ce risque moins élevé. Le demandeur a à cet égard fortement intérêt à collaborer et à coopérer pour que, par la surveillance, on puisse attester le respect des conditions. Fort d’une telle preuve de conformité, le demandeur peut alors faire valoir que les conditions ne sont pas nécessaires. C’est là le sens d’un contrôle rigoureux.

F.                  L’écoulement du temps

[67]           Les présentes procédures sont longues et complexes et elles soulèvent nombre de questions juridiques et de défis. Leur longueur et leur complexité n’appellent pas par elles‑mêmes l’imposition de conditions moins strictes. L’écoulement du temps est un facteur parmi d’autres dont il faut tenir compte. En l’espèce, les procédures ont débuté en 2000 par la délivrance du premier certificat, puis le second certificat a suivi et a été jugé être raisonnable en octobre 2013. Du temps s’écoulera maintenant en raison du processus d’appel, puis encore par la suite, très probablement, pour divers autres motifs.

[68]           Sur un point plus particulier, comme on l’a vu dans la section précédente, on a procédé à trois contrôles des conditions de mise en liberté.

[69]           Le présent facteur, l’écoulement du temps, ne justifie pas d’abolir ou de modifier ces conditions tel qu’il est demandé.

G.                L’incidence des conditions de mise en liberté sur le demandeur et sur sa famille et la proportionnalité entre le danger que constitue le demandeur et les conditions de sa mise en liberté

[70]           Je n’ai aucune hésitation à dire que les conditions de mise en liberté ont une certaine incidence sur la santé psychologique du demandeur. La Cour l’a d’ailleurs reconnu dans Mahjoub (Re), 2013 CF 10, au paragraphe 38, [2013] ACF n° 77.

[71]           L’avis du Dr Payne sur la question reflète, dans une certaine mesure, le point de vue de la Cour. Cela dit, j’ai relevé qu’un avis semblable, compte tenu des adaptations requises, a déjà été produit aux fins du contrôle des conditions de mise en liberté de la fin 2012 et du début 2013. Dans l’ordonnance du 17 décembre 2013, la Cour a dit, au paragraphe 11, que l’analyse des conditions de mise en liberté par le Dr Payne correspondait essentiellement aux perceptions qu’avait M. Mahjoub de ces conditions. La Cour a aussi souligné que certains faits sur lesquels repose l’avis ne figuraient pas au dossier ou n’étaient pas décrits avec exactitude. La Cour a conclu de ces lacunes que peu de poids devait être accordé à l’incidence des changements sur les conditions de mise en liberté.

[72]           J’attache aussi peu d’importance, pour les mêmes motifs, au rapport d’opinion du Dr Payne. Les conditions de mise en liberté autorisent M. Mahjoub à communiquer avec sa famille. Si M. Mahjoub ne peut communiquer avec son ex‑épouse et ses enfants, c’est en raison de deux ordonnances distinctes (ordonnance de non‑communication et engagement à ne pas troubler l’ordre public) délivrées par la Cour de justice de l’Ontario et non des conditions de mise en liberté qu’on lui a imposées. Le Dr Payne n’en a pas fait mention dans son rapport. Il est aussi erroné de dire dans le rapport que M. Mahjoub est tenu, aux termes des conditions, de faire approuver tout changement de résidence par l’ASFC. La condition de mise en liberté 24 requiert de M. Mahjoub qu’il avise au préalable l’ASFC de tout changement de résidence, non pas qu’il obtienne son autorisation. Il est aussi trompeur de dire dans le rapport du médecin que M. Mahjoub ne peut utiliser un téléphone cellulaire, sauf aux conditions prescrites par l’ASFC. Tout d’abord, il est faux de dire que l’ASFC impose les conditions de mise en liberté, cela étant du ressort de la Cour. Ensuite, M. Mahjoub a utilisé un cellulaire pendant trois semaines au début de la présente année sans avoir donné l’avis requis. La vraie raison pour laquelle M. Mahjoub ne peut utiliser un cellulaire est qu’il est réticent à consentir à la transmission de ses relevés de communications téléphoniques, ce dont le Dr Payne ne pas fait état dans son rapport. Enfin, il est révélateur que le Dr Payne mentionne dans son rapport que M. Mahjoub a occupé dans le passé le poste respectable de directeur général adjoint d’une entreprise agricole, sans renvoyer aux conclusions tirées précisément sur cette question dans la décision sur le caractère raisonnable. Or, on conclut dans cette décision que la ferme était un site d’entraînement des terroristes, au moment même où M. Mahjoub était une figure dirigeante de l’organisation de Bin Laden et un collaborateur de confiance de ce dernier, et que le demandeur avait connaissance de cette activité en raison de son poste de commande et en était un complice. Aucune mention n’a été faite de cette réalité. Au vu de ces inexactitudes, erreurs et opinions partiales, je conclus que les commentaires et l’évaluation figurant dans le rapport du Dr Payne au sujet des répercussions sur M. Mahjoub des récentes conditions assortissant sa mise en liberté sont d’utilité restreinte.

[73]           Encore une fois, le demandeur a produit en l’espèce le rapport du professeur Leman‑Langlois déjà utilisé lors de précédents contrôles des conditions. Dans Mahjoub (Re), 2013 CF 1257, la Cour a conclu, aux paragraphes 9 et 10, que l’opinion du professeur Leman‑Langlois sur la menace posée par M. Mahjoub n’était guère utile, et elle lui a par conséquent accordé peu de poids. La Cour a par ailleurs jugé utile la partie du rapport traitant de la méthodologie employée pour établir le RRS. Toutefois, bien que cette partie du rapport ait pu avoir une certaine utilité aux fins de la décision sur le caractère raisonnable, elle n’en a aucune aux fins du contrôle des conditions de mise en liberté. Par conséquent, je lui accorde aussi peu de poids.

[74]           J’ai aussi examiné avec soin l’affidavit de M. Mahjoub. Je suis arrivé à la conclusion qu’il contenait en grande partie de l’argumentation juridique et des opinions sur de nombreuses questions devant être tranchées ou devant faire l’objet de conclusions par la Cour. Je n’y ai vu aucun engagement de la part de M. Mahjoub à respecter les conditions de sa mise en liberté ou à collaborer et coopérer avec l’ASFC pour l’aider à s’acquitter du rôle de surveillance que la Cour lui a confié. Un tel engagement aurait pu être utile. Bien que je comprenne que M. Mahjoub a droit à ses opinions, la Cour doit aussi prendre en compte l’ensemble de la preuve, y compris les conclusions, comme la suivante, qu’elle a tirées dans la décision sur le caractère raisonnable : [traduction] « [...] M. Mahjoub fait des omissions et fabrique des mensonges afin de toujours dissimuler les faits qui pourraient le rattacher à des terroristes notoires, à des activités terroristes ou à des entreprises, comme Althemar, dont les liens avec le terrorisme sont connus » (voir la décision sur le caractère raisonnable, aux paragraphes 619 et 620.)

[75]           Pour ce qui est de la proportionnalité entre le danger estimé, qui est selon moi semblable à celui dont il est question au paragraphe 6 de l’ordonnance du 17 décembre 2013, et les conditions de mise en liberté imposées dans l’ordonnance du 24 janvier 2014, je conclus que ces conditions sont nécessaires et proportionnelles au danger en question, pour les mêmes motifs que ceux énoncés par la Cour lors des contrôles précédents, sous réserve des commentaires qui vont suivre.

[76]           Il est manifeste que, dans l’ordonnance de janvier 2013, la Cour voulait (au paragraphe 47) [traduction] « [...] empêcher que M. Mahjoub prenne ou reprenne contact avec des terroristes, ses communications devant, pour s’en assurer, être soumises à des restrictions ». L’objectif alors visé demeure valide et je n’ai relevé l’existence d’aucun élément de preuve qui permettrait d’arriver à une conclusion différente.

[77]           Cela dit, procédons à un bref examen des conditions de mise en liberté de janvier 2014, qui doivent être maintenues, sous réserve toutefois de précisions en matière de surveillance visant à empêcher les communications de M. Mahjoub avec tout interlocuteur des milieux terroristes. Il en est ainsi des conditions concernant les communications en personne et les activités (conditions 6 et 9), l’obtention des relevés de communications téléphoniques (condition 11), les limites d’utilisation d’Internet (condition 10), l’utilisation de Skype (voir l’ordonnance du 17 juillet 2013), l’examen de l’ordinateur (condition 10f)), l’interception du courrier (condition 13), l’obligation d’avoir une bonne conduite et de s’abstenir de troubler l’ordre public (condition 23) et les cautionnements (conditions 2 et 3); ces conditions sont encore toutes nécessaires parce qu’elles sont directement liées et proportionnelles au danger estimé. Il va de soi que la plupart de ces conditions nécessitent que l’ASFC joue un rôle de surveillance, et que si ce rôle ne peut être correctement exercé, la Cour ne pourra pas envisager de rendre moins strictes les conditions de mise en liberté.

[78]           La Cour n’envisagera d’autoriser les communications sur Internet que si les parties peuvent s’entendre sur des modes appropriés de surveillance. La Cour invite les parties à discuter entre elles de la question et elle leur offrira volontiers son aide, au besoin, si elles font preuve de sérieux et réalisent des progrès importants. Il est demandé à l’ASFC de garder l’esprit ouvert sur ce point.

[79]           Par souci de clarté et pour faire suite à la requête présentée par les ministres pour faire modifier la dixième condition de mise en liberté, une requête qui a été accueillie en partie sous réserve du présent contrôle des conditions, la Cour estime que la surveillance des communications de M. Mahjoub par le biais de son ordinateur doit aussi pouvoir se faire désormais par le biais de son modem/routeur. Cela facilitera la surveillance de l’ASFC et permettra de confirmer que M. Mahjoub observe les conditions de sa mise en liberté. Enfin, sur ce point, toute utilisation d’Internet devra être susceptible de surveillance. M. Mahjoub ne devra utiliser aucun programme qui ne permet pas d’exercer une surveillance.

[80]           Les ministres ont aussi demandé que M. Mahjoub communique le nom de toute personne qui pourrait occuper sa résidence. La Cour ne souhaite pas imposer une telle obligation à l’heure actuelle, mais elle pourrait reconsidérer sa décision si, à l’avenir, cette question devait rendre plus difficile le respect de toute autre condition de la mise en liberté.

[81]           Aux paragraphes 147 à 153 de ses observations, M. Mahjoub a soulevé un certain nombre d’arguments relatifs à ses droits constitutionnels, en les énonçant tout simplement, sans présenter une argumentation rigoureuse ou approfondie. Il ne convient pas d’introduire des notions de droit criminel en droit des certificats d’immigration, étant donné que le législateur a codifié la procédure applicable aux certificats de sécurité et qu’une jurisprudence est en voie d’élaboration dans le domaine. La Cour estime que la procédure relative aux certificats de sécurité est constitutionnelle comme la Cour suprême l’a tout récemment conclu dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Harkat, 2014 CSC 37, [2014] ACS n° 37.

[82]           Je dirais en dernier lieu à l’ASFC qu’elle a le devoir et l’obligation de superviser les conditions de mise en liberté tel que la Cour lui enjoint de faire. Cela dit, je lui ferais la suggestion suivante : je la prierais de s’acquitter de son devoir et de ses obligations sans faire d’éclat et sans attirer l’attention du voisinage sur ses activités et, par le fait même, sur M. Mahjoub lui‑même. La Cour comprend que cette tâche n’est pas facile, mais elle est persuadée qu’en faisant preuve de professionnalisme et de doigté, vous réussirez à l’accomplir non seulement dans l’intérêt de la justice, mais aussi dans l’intérêt de M. Mahjoub. Il va de soi que la coopération de M. Mahjoub s’avérera à ce titre fort utile.

[83]           Enfin, le demandeur a proposé les questions suivantes en vue de leur certification, en application de l’article 79 de la LIPR :

[traduction]

         Peut‑on, au plan constitutionnel ou juridique, imposer à une personne des conditions alors qu’une ordonnance déclarant qu’il a été porté atteinte au droit de cette personne à une procédure équitable a été rendue dans le cadre du même processus relatif au certificat ou à l’interdiction de territoire? Ou encore, y a‑t‑il violation de l’article 7 de la Charte si l’on impose des conditions dans de telles circonstances?

         Les ministres peuvent‑ils établir une preuve prima facie ou justifier l’imposition de conditions en se fondant sur des ordonnances portant interdiction de territoire ou imposant des conditions de mise en liberté qui ont déjà été rendues, mais qui l’ont été après le prononcé d’un jugement déclarant qu’il y a eu violation du droit à une procédure équitable?

         Lorsqu’on conclut dans un jugement déclaratoire qu’il y a eu violation du droit à une procédure équitable dans le cadre du même processus relatif au certificat ou à l’interdiction de territoire, est‑ce là une raison claire et impérieuse pour déroger aux décisions antérieures d’imposer des conditions?

         En présence d’un jugement déclarant qu’il y a eu violation du droit à une procédure équitable dans le cadre du processus relatif au certificat, à l’interdiction de territoire ou à ces deux éléments à la fois, le juge doit‑il annuler les conditions imposées, à titre de redressement, en vertu du droit ou de l’article 24 de la Charte?

[84]           Les ministres s’opposent à la certification de l’une ou l’autre de ces questions (voir la lettre du 18 juillet 2014). Je suis du même avis.

[85]           Ces questions ne peuvent être certifiées pour les motifs qui suivent :

-            Les avocats de M. Mahjoub n’ont pas présenté d’arguments de fond à l’égard des conclusions tirées par le juge Blanchard quant à la violation du droit à une procédure équitable dans Mahjoub (Re) (DES‑7‑08 (25 octobre 2013)) (voir également les observations du demandeur sur la nécessité de protéger ses droits constitutionnels, aux paragraphes 147 à 156). On y a fait brièvement allusion dans les plaidoiries, mais sans plus.

-            Le libellé des questions est tel qu’on demande en fait à la Cour de siéger en appel d’une décision du juge Blanchard (précitée), ce qui n’est pas du ressort d’un juge qui procède au contrôle de conditions.

-            Les décisions relatives au contrôle des conditions n’ont pas un caractère définitif, puisqu’elles peuvent être examinées de façon périodique, à la demande des parties. Comme je l’ai dit précédemment, il y a eu trois contrôles des conditions au cours des 18 derniers mois.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                  Les conditions de mise en liberté du 24 janvier 2014 sont maintenues, sous réserve des modifications déjà apportées concernant les mots de passe, ainsi que des modifications à apporter pour tenir compte des présents motifs.

2.                  Les parties sont invitées à préparer ensemble ou séparément une ébauche d’ordonnance mettant en application les motifs qui précèdent, pour examen par la Cour, dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance.

3.                  Aucune question ne sera certifiée.

« Simon Noël »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER

DES‑7‑08

 

INTITULÉ :

AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [LIPR];

ET LE DÉPÔT de ce certificat à la Cour fédérale du Canada, conformément au paragraphe 77(1) de la LIPR;

ET les conditions relatives à la mise en liberté de Mohamed Zeki MAHJOUB [M. Mahjoub]

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 JUILLET 2014

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 JUILLET 2014

 

COMPARUTIONS :

Bernard Assan

Mahan Keramati

Christopher Ezrin

Balqees Mihirig

 

POUR LES DEMANDEURS

(LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ PUBLIQUE)

Johanne Doyon

Yavar Hameed

 

pour LE DÉFENDEUR

(MOHAMED ZEKI MAHJOUB)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

(LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ PUBLIQUE)

 

 

Johanne Doyon

Doyon & Associés

Montréal (Québec)

Paul B. Slansky

Slansky Law Professional Corp.

Toronto (Ontario)

Yavar Hameed

Hameed & Farrokhzad

Ottawa (Ontario)

David Kolinsky

Avocat

Edmonton (Alberta)

pour LE DÉFENDEUR

(MOHAMED ZEKI MAHJOUB)

 

Gordon Cameron

Ottawa (Ontario)

 

avocat spécial

 

Anil Kapoor

Toronto (Ontario)

avocat spécial

 

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