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Date : 20140801


Dossier : IMM-6899-13

Référence : 2014 CF 768

Ottawa (Ontario), le 1er août 2014

En présence de madame la juge Bédard

ENTRE :

SUNIL MALHOTRA

SHIKHA THUKRAL

SHUCHI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR], d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [CISR]. La SAR a rejeté l’appel logé par les demandeurs à l’encontre d’une décision rendue le 28 juin 2013 par la Section de la protection des réfugiés [SPR] qui a rejeté leur demande d’asile. Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

I.                   Contexte

[2]               Les demandeurs sont citoyens de l’Inde. Le demandeur allègue que son frère aîné, qui s’est occupé de lui à la mort de leurs parents dans les années 1990, a refusé de lui donner la part qui lui revient dans les propriétés familiales. Il a tenté en vain de récupérer sa part de l’héritage familial et au fil du temps le conflit entre les deux frères s’est envenimé.

[3]               Le demandeur craint son frère aîné qu’il décrit comme étant une personne influente qui a des contacts avec la police. Le demandeur soutient qu’il a été attaqué par des individus qui ont été embauchés par son frère et que des femmes, qui auraient également été embauchées par son frère, ont tenté d’enlever sa fille. Après ces événements, les demandeurs ont quitté Chandigarh et se sont relocalisés temporairement à Mumbai chez des parents. Ils sont ensuite allés chez un ami du demandeur à Bangalore. Les demandeurs soutiennent que leurs parents et amis ne pouvaient pas les loger sur une base permanente sans qu’ils ne se conforment au processus d’enregistrement obligatoire auprès de la police régionale. Or, les demandeurs ne voulaient pas s’enregistrer parce qu’ils craignaient que ce processus permette au frère du demandeur de les retracer en raison de ses contacts avec la police.

[4]               Les demandeurs sont éventuellement retournés à Chandigarh et ils ont habité chez un autre ami du demandeur. Le 5 novembre 2012, trois individus armés se sont présentés à la résidence de leur ami et ont menacé de tuer le demandeur, d’enlever la fille des demandeurs et de violer la demanderesse. En janvier 2013, les demandeurs ont quitté leur pays pour le Canada.

II.                La décision contestée

[5]               Bien que la présente demande vise la décision de la SAR, il est utile, pour comprendre les reproches formulés à l’encontre de la décision de la SAR, de résumer les motifs sur lesquels la SPR s’est fondée pour rejeter la demande d’asile des demandeurs.

La décision de la SPR

[6]               La SPR a jugé que l’existence d’une possibilité de refuge interne [PRI] constituait la question déterminante.

[7]               Lors de l’audience, le demandeur a témoigné sur le déménagement temporaire de sa famille à Bangalore. La membre de la SPR lui a demandé s’il avait des éléments pour prouver qu’ils s’étaient temporairement relocalisés à Bangalore et il a été convenu qu’il produirait des éléments de preuve après l’audience. Une semaine après l’audience, mais avant que la décision de la SPR ne soit rendue, les demandeurs ont soumis l’affidavit de l’ami du demandeur qui confirmait que les demandeurs étaient demeurés temporairement chez lui à Bangalore. L’ami du demandeur a également déclaré que le demandeur ne pouvait pas travailler et habiter à Bangalore de façon permanente sans s’enregistrer et sans se soumettre au processus de vérification de la police. Les demandeurs ont également déposé un affidavit d’un autre ami du demandeur qui les a hébergés à leur retour à Chandigarh.

[8]               La SPR n’a pas tiré de conclusion négative quant à la crédibilité des demandeurs. Elle a par ailleurs jugé que les demandeurs n’avaient pas démontré qu’ils ne pourraient pas bénéficier d’une PRI à Bangalore.

[9]               Dans un premier temps, la SPR a jugé que les demandeurs n’avaient pas démontré qu’il serait possible pour le frère des demandeurs de les localiser s’ils s’installaient à Bangalore. La SPR a noté que la preuve était partagée quant à l’obligation pour toute personne qui se relocalise dans une autre ville de s’enregistrer auprès d’un locateur ou un nouvel employeur. La SPR a également noté la preuve relative aux circonstances pouvant mener à des vérifications de sécurité, mais retenue de la preuve documentaire, qu’en l’absence d’une base de données centrale les rapports de vérifications sont conservés dans les postes de police régionaux ce qui rend très difficile, sinon impossible, de retracer une personne à moins que les policiers n’entreprennent des démarches précises pour retrouver un individu.

[10]           Dans un deuxième temps, la SPR a indiqué ne pas comprendre pourquoi le frère du demandeur conserverait un intérêt à l’endroit des demandeurs si ces derniers choisissaient de vivre ailleurs qu’à Chandigarh et si le demandeur renonçait à toute démarche pour obtenir sa part des propriétés familiales.


La décision de la SAR

[11]           Les demandeurs ont interjeté appel de la décision de la SPR. Ils ont invoqué deux motifs d’appel.

[12]           Dans un premier temps, ils ont soutenu que la SPR avait erré dans son appréciation de la PRI en omettant de considérer plusieurs éléments de preuve qui démontraient que les demandeurs seraient probablement exposés à un risque même s’ils se relocalisaient à Mumbai ou à Bangalore.

[13]           Deuxièmement, les demandeurs soutenaient que la SPR avait manqué à son obligation d’équité procédurale en omettant de considérer, et de traiter dans sa décision, des affidavits des amis du demandeur déposés après l’audience.

[14]           Appliquant la norme de révision de la raisonnabilité, la SAR a jugé que la conclusion de la SPR quant à la possibilité de refuge interne était raisonnable. Renvoyant à l’affaire Cepeda-Gutierrez v Canada, 1998 CanLII 8667 [Cepada-Gutierrez], la SAR a indiqué qu’elle devait déterminer si la SPR avait omis de considérer ou de traiter, dans sa décision, d’éléments de preuve importants qui contredisaient ses conclusions et conclu que ce n’était pas le cas.

[15]           La SAR a jugé que la SPR avait correctement appliqué les deux volets du test élaboré pour analyser l’existence d’une PRI. Citant certains passages de la décision de la SPR, la SAR a, dans un premier temps, estimé qu’il ressortait de la décision, qu’elle avait considéré la preuve relative aux motivations de vengeance du frère du demandeur, mais qu’elle avait conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré le risque auquel ils seraient exposés s’ils retournaient en Inde.

[16]           Dans un deuxième temps, la SAR a jugé que les affidavits des amis du demandeur n’étaient pas d’une importance telle que l’omission d’en faire mention dans la décision constituait un manquement à l’équité procédurale. La SAR a considéré que les déclarations contenues dans les affidavits n’apportaient pas d’éléments nouveaux puisqu’ils confirmaient ce que le demandeur avait déjà déclaré relativement au séjour des demandeurs à Bangalore et au processus obligatoire d’enregistrement. La SAR a également jugé qu’il ressortait de la décision de la SPR, qu’elle avait soupesé la preuve contradictoire relative à l’enregistrement obligatoire, mais que cette question était moins importante que celle relative à l’existence réelle d’un danger auquel les demandeurs seraient exposés s’ils retournaient en Inde.

III.             Questions en litige

[17]           Les demandeurs soutiennent que la SAR a rendu une décision déraisonnable. Ils ont formulé trois reproches à l’égard de la décision de la SAR :

•     La SAR a erré en ne concluant pas que la SPR avait omis de considérer des éléments de preuve déterminants qui démontraient qu’ils ne pouvaient pas bénéficier d’une PRI à Bangalore;

•     La SAR a erré en concluant que la SPR n’avait pas erré en omettant de considérer les affidavits déposés après l’audience;

•     La SAR a erré en ne relevant pas l’erreur commise par la SPR lorsqu’elle a exigé dans son analyse de la PRI que le demandeur renonce à sa part de l’héritage.

IV.             Analyse

La SAR a-t-elle erré en concluant que la SPR avait apprécié la preuve de façon raisonnable et que sa conclusion quant à l’existence d’une PRI était raisonnable?

[18]           Les éléments de preuve que la SPR aurait omis de traiter sont les suivants :

•     La soeur de demandeur a informé le demandeur que suite à son départ, leur frère aîné avait juré de tuer les demandeurs s’ils retournaient en Inde et ce peu importe ou les demandeurs s’installeraient;

•     Le frère du demandeur est très influent et il a le soutien des policiers et de certains politiciens;

•     La police détient de l’information relativement à la dispute entre le demandeur et son frère;

•     Le désir de vengeance du frère du demandeur est profondément enraciné;

•     L’affidavit de l’ami du demandeur confirme que les demandeurs ne peuvent s’installer à Bangalore en raison du processus obligatoire d’enregistrement et de vérification;

•     La preuve documentaire démontre que la police arrête fréquemment des individus en raison de la pression de personnes influentes ou de la corruption.

[19]           Avec égard, je considère que l’appréciation que la SAR a faite des conclusions tirées de la preuve par la SPR était tout à fait raisonnable et que les motifs au soutien de sa conclusion sont raisonnablement articulés.

[20]           Il est vrai que la SPR n’a pas spécifiquement traité des faits énumérés au paragraphe 18. Toutefois, il est clair que la SAR a compris que les demandeurs soutenaient que la SPR n’avait pas traité de ces éléments (voir para 10 de la décision de la SAR) mais qu’elle a jugé, à la lumière de Cepada-Gutierrez, que ces éléments n’avaient pas l’importance requise pour justifier son intervention. Je partage cet avis.

[21]           Dans un premier temps, la SAR a estimé que la SPR avait considéré les éléments qui pouvaient expliquer le désir de vengeance du frère du demandeur, soit les tentatives du demandeur de récupérer sa part de l’héritage. Cette conclusion est raisonnable en regard de la preuve et des extraits de la décision de la SPR cités par la SAR. Les éléments que la SPR aurait omis de traiter et qui se rapportent à la motivation du frère du demandeur de s’en prendre aux demandeurs (que le désir de vengeance du frère du demandeur est profondément enraciné et qu’il a juré de s’en prendre aux demandeurs s’ils retournent en Inde) ne constituent pas des éléments qui auraient pu avoir une incidence sur les conclusions de la SPR ou de la SAR. Tel qu’indiqué, il appert clairement des deux décisions, que tant la SPR que la SAR ont bien saisi les allégations du demandeur quant à la nature du litige l’opposant à son frère et à la motivation de ce dernier de vouloir s’en prendre à sa famille.

[22]           Les autres éléments qui n’ont pas été mentionnés dans la décision de la SPR ont tous trait au processus d’enregistrement et de vérification dans une ville comme Bangalore et à la capacité du frère du demandeur de retracer les demandeurs en raison de ses liens avec la police. Or, la SAR a, à juste titre, jugé qu’il était raisonnable pour la SPR d’avoir considéré que les demandeurs n’avaient pas démontré que le frère du demandeur pourrait les retracer. La SAR a estimé que la SPR avait analysé la preuve contradictoire quant au processus d’enregistrement. Il ressort clairement de la décision de la SPR qu’elle a affectivement analysé la preuve contradictoire à cet égard, mais qu’elle a retenu qu’en l’absence de bases de données policières centrales, il était très difficile de retrouver une personne suite à un contrôle de sécurité à moins qu’il y ait une correspondance entre cette personne et les renseignements détenus par la police régionale. Cette conclusion était raisonnable eu égard à la preuve soumise devant la SPR. Dans un tel contexte, le fait que la police de Chandigarh détienne de l’information relativement au litige existant entre le demandeur et son frère, que le frère du demandeur ait des contacts avec les policiers de Chandigarh et le fait que la preuve documentaire démontre que des policiers arrêtent fréquemment des individus en raison de la pression de personnes influentes ne constituent pas des éléments déterminants. Il n’y avait aucune preuve au dossier que les demandeurs présentaient aux yeux des policiers de Chandigarh un intérêt tel, qu’ils entreprendraient des mesures extraordinaires pour les retracer à travers le pays.

La SAR a-t-elle erré en concluant que la SPR n’avait pas erré en omettant de considérer les affidavits déposés après l’audience?

[23]           Il est vrai que la SPR n’a pas fait mention dans sa décision des affidavits déposés par les demandeurs après l’audience. On ne peut toutefois pas inférer de cette omission que la SPR n’a pas considéré ces affidavits. À tout événement, je considère que la SAR a raisonnablement conclu que ces affidavits n’apportaient aucun élément nouveau et qu’ils n’étaient pas déterminants.

[24]           D’abord, la SAR a indiqué avoir écouté le CD de l’audience tenue devant la SPR et conclu qu’il en ressortait clairement que la question d’une PRI à Bangalore avait été abordée lors de l’audience et que le demandeur avait témoigné sur la relocalisation temporaire de sa famille chez un ami à Bangalore. Elle a également noté que cette allégation était également contenue dans le formulaire de fondement de la demande d’asile des demandeurs. J’ai moi aussi écouté des extraits de l’audience devant la SPR et ai examiné le formulaire complété par les demandeurs et je considère que la SAR a conclu, à juste titre, que l’information contenue dans les affidavits n’apportait aucun élément nouveau.

[25]           D’abord, le demandeur a déclaré par écrit et lors de son témoignage qu’il avait habité chez un ami à Bangalore. D’autre part, il a aussi déclaré par écrit et lors de son témoignage qu’il ne pouvait s’installer à Bangalore sur une base permanente sans s’enregistrer auprès des autorités. L’affidavit de l’ami du demandeur ne comporte donc aucun élément qui n’ait été abordé par le demandeur et la SPR n’a pas tiré de conclusion négative quant à la crédibilité des demandeurs. De plus, l’information relative au processus obligatoire d’enregistrement n’était pas déterminante puisque la SPR a jugé que malgré l’enregistrement, il était difficile de retracer des individus ayant fait l’objet d’une vérification de sécurité en l’absence d’une banque centralisée de données.

La SAR a-t-elle erré en ne relevant pas l’erreur commise par la SPR lorsqu’elle a exigé dans son analyse de la PRI que le demandeur renonce à sa part de l’héritage?

[26]           Les demandeurs reprochent également à la SAR de ne pas avoir reconnu l’erreur commise par la SPR lorsqu’elle a exigé comme prémisse à l’analyse d’une PRI, que le demandeur renonce à toute tentative de récupérer sa part d’héritage. Les demandeurs soutiennent que la preuve ne démontrait pas que le demandeur était prêt à renoncer à sa part de l’héritage familial.

[27]           Bien que le demandeur n’ait pas déclaré qu’il était prêt à renoncer à ses démarches, je considère qu’il était raisonnable d’analyser l’existence d’une PRI sur la base de cette hypothèse. D’une part, le demandeur a lui-même admis devant la SPR que malgré toutes ses tentatives, il ne savait pas si les propriétés dans lesquelles il prétend avoir des droits existent vraiment. D’autre part, la preuve ne démontre pas que le demandeur a poursuivi des démarches pour tenter de récupérer sa part de l’héritage familial depuis son arrivée au Canada. Enfin, dans le contexte du présent dossier, il n’était pas déraisonnable de s’attendre à ce que le demandeur renonce à ces démarches pour préserver la sécurité de sa famille plutôt que de devoir s’exiler dans un autre pays. Je considère donc que la SAR n’a pas commis d’erreur en n’intervenant pas à l’égard de la prémisse adoptée par la SPR dans son analyse de l’existence d’une PRI.

[28]           Pour tous ces motifs, je considère que la SAR n’a commis aucune erreur qui justifie l’intervention de la Cour.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Marie-Josee Bédard »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6899-13

 

INTITULÉ :

SUNIL MALHOTRA, SHIKHA THUKRAL SHUCHI c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 JUILLET 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1er AOÛT 2014

 

COMPARUTIONS :

Me Claude Whalen

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Me Emilie Tremblay

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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