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Date : 20131025

Dossier : DES-7-08

Référence : 2013 CF 1096

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 octobre 2013

En présence de monsieur le juge Blanchard

 

ENTRE :

 

AFFAIRE INTÉRESSANT UN CERTIFICAT SIGNÉ EN VERTU DU PARAGRAPHE 77(1) DE LA LOI SUR L’IMMIGRATION ET LA PROTECTION DES RÉFUGIÉS (LIPR);

 

 

 

 

 

ET LE DÉPÔT DE CE CERTIFICAT À LA COUR FÉDÉRALE EN VERTU DU PARAGRAPHE 77(1) DE LA LIPR;

 

 

 

ET MOHAMED ZEKI MAHJOUB

 

 

 

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]                           Monsieur Mohamed Zeki Mahjoub est la personne visée dans une instance relative à un certificat de sécurité introduite en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] et dans le cadre de laquelle les ministres ont produit, à l’appui de leurs arguments, des preuves qui ont été obtenues ou qui découlent de plusieurs mandats décernés en vertu de l’article 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, LRC 1985, c C‑23 [Loi sur le SCRS]. Les présents motifs tranchent une requête que M. Mahjoub a déposée en vue d’exclure ces preuves.

 

Le redressement demandé

[2]                           Dans son « AVIS DE REQUÊTE REMODIFIÉ », M. Mahjoub formule sa demande de redressement en ces termes :

[traduction

a.              une ordonnance annulant les mandats décernés en vertu des articles 21, 22 ou 23 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité [Loi sur le SCRS];

 

b.              une ordonnance excluant la totalité des preuves et des informations obtenues grâce aux mandats, conformément aux paragraphes 24(1) ou (2) de la Charte;

 

c.              une ordonnance excluant la totalité des preuves et des informations obtenues illégalement ou en violation des articles 7 et 8 de la Charte ainsi que dans le cadre de procédures déclarées inconstitutionnelles (Charkaoui c Canada, [2007] 1 RCS 350), conformément aux paragraphes 24(1) ou (2) de la Charte;

 

d.             une déclaration sur la violation des droits du demandeur, lesquels sont protégés par les articles 7 et 8 de la Charte;

 

e.              une ordonnance réservant au demandeur le droit de solliciter une suspension définitive des procédures, conformément au paragraphe 24(1) de la Charte, pour les violations à la Charte qu’il a subies;

 

f.               tout autre redressement que la Cour considère comme juste et approprié;

 

g.              une déclaration portant que la partie de l’article 2 où sont définies les « menaces envers la sécurité du Canada », de pair avec les articles 12 et 21 à 24 de la Loi sur le SCRS, sont inconstitutionnels et inopérants, aux termes de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, en ce sens que ces dispositions violent de façon injustifiable les articles 2, 7 et 8 de la Charte;

 

M. Mahjoub sollicite ce redressement en application de l’alinéa 399(1)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, ainsi que de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7.

 

Les faits

[3]                           Avant que soit délivré le premier certificat de sécurité visant M. Mahjoub, en juin 2000, en application du paragraphe 77(1) de la LIPR, le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS ou le Service) a demandé, en vertu de l’article 21 de la Loi sur le SCRS, qu’un juge désigné de la Cour fédérale du Canada décerne des mandats autorisant l’interception de certaines communications de M. Mahjoub. L’un ou plusieurs de ces mandats étaient en vigueur après l’arrestation de M. Mahjoub, le 26 juin 2000. Selon moi, la communication des détails des mandats que le Service a obtenus lors de son enquête sur M. Mahjoub porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Un aperçu de ces mandats figure donc dans la section « Faits » de l’Annexe confidentielle.

 

[4]                           Lorsque, le 22 février 2008, les ministres ont signé un deuxième certificat de sécurité attestant que M. Mahjoub était interdit de territoire au Canada pour des motifs de sécurité nationale, le Rapport de renseignements de sécurité (RRS) sur lequel ils s’étaient fondés contenait des informations obtenues grâce aux mandats décernés en vertu de l’article 21. Ces informations figurent dans les paragraphes suivants du RRS :

[traduction

a)                  Paragraphe 6 : En juillet 1999, l’épouse canadienne de MAHJOUB, Mona El-Fouli, était convaincue que MAHJOUB ne resterait marié avec elle que jusqu'au moment où il recevrait ses documents de citoyenneté. Il s’agit d’une communication interceptée : voir les Sommaires révisés de conversations et de rapports de surveillance, 6 avril 2010, onglet 7.

 

b)                  Paragraphe 6 : De plus, le jour de l’arrestation de MAHJOUB (26 juin 2000), El Fouli a déclaré qu’elle avait décidé d’épouser MAHJOUB parce que « tout ce qu’elle savait c’est qu’il était un “moudjahid” (combattant de la guerre sainte) et que son mariage les rapprocherait, elle et son fils (Hani), de Dieu ». Il s’agit d’une communication interceptée : voir les Sommaires révisés de conversations et de rapports de surveillance, 6 avril 2010, onglet 9.

 

c)                  Paragraphes 25 : MAHJOUB était un proche collaborateur de Mohamed Hafez Marzouk [...] Cette information est fondée sur des relevés d’appels téléphoniques; voir le paragraphe d) qui suit.

 

d)                 Paragraphe 26 : Après son arrivée au Canada, MAHJOUB a téléphoné à Marzouk. Un téléphone du domicile de MAHJOUB a été en contact régulier avec le téléphone cellulaire de Marzouk entre 1997 et la date à laquelle ce dernier a quitté le Canada, en mai 1998. Cette allégation est fondée sur des relevés d’appels téléphoniques, montrant qu’onze appels ont été faits entre un téléphone situé au domicile de MAHJOUB et le téléphone cellulaire de Marzouk.

 

e)                  Paragraphe 31 : Lorsqu’un collaborateur de MAHJOUB s’est informé de lui, ce dernier a déclaré qu’il préférait en discuter face à face et il a expliqué avec hésitation qu’il ne pouvait pas en parler à ce moment-là à cause de la présence des « moukhabarats » (c.-à-d., les services secrets). Ce même collaborateur a ensuite demandé si MAHJOUB faisait référence à des « moukhabarats » civils ou militaires, ce à quoi MAHJOUB a répondu : « les deux ». Il s’agit d’une communication interceptée : voir les Sommaires révisés de conversations et de rapports de surveillance, 6 avril 2010, onglet 8.

 

f)                   Paragraphe 32 : En juillet 2001, pendant qu’il était en détention, MAHJOUB a communiqué avec Mona El Fouli et a demandé si « son numéro de téléphone était toujours l’ancien », ce à quoi elle a répondu que oui. MAHJOUB a fait remarquer qu’il ne faudrait pas le blâmer si l’un de ses ex-détenus mettait la main sur le nouveau numéro d’El Fouli à cause de cela, et il lui a conseillé d’annuler le service de renvoi. El Fouli a déclaré à son tour qu’elle lui fournirait un numéro de téléphone peut-être différent dont il pourrait se servir pour communiquer avec elle. El Fouli préférait lui fournir ce numéro plus tard. Il s’agit d’une communication interceptée : voir les Sommaires révisés de conversations et de rapports de surveillance, 6 avril 2010, onglet 10.

 

            (Extraits d’une communication de la Cour datée du 23 septembre 2010).

Les points a) et b) ont déjà été exclus de la présente instance à la suite de l’ordonnance de la Cour datée du 19 juin 2012.

 

[5]                           Le 3 octobre 2008, dans le contexte de son contrôle du certificat de sécurité déposé en vertu du paragraphe 77(1) de la LIPR (l’audience sur le caractère raisonnable du certificat), la Cour a ordonné que les mandats décernés en vertu de l’article 21 ainsi que les affidavits justificatifs soient communiqués aux avocats spéciaux, conformément aux obligations en matière de communication imposées aux ministres dans l’arrêt Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CSC 38 [Charkaoui II]. Le 15 décembre 2008 et le 15 janvier 2009, les documents ont été communiqués aux avocats spéciaux, et des sommaires des documents communiqués ont finalement été fournis aux avocats publics le 5 octobre 2010.

 

[6]                           Le 3 août 2010, M. Mahjoub a présenté à la Cour, par voie de lettre, une [traduction] « demande informelle » sollicitant une ordonnance obligeant les ministres [traduction] « à [lui] communiquer la totalité des mandats, des affidavits, des pièces et des transcriptions se rapportant aux interceptions, aux fouilles et aux enquêtes mentionnées dans le Rapport de renseignements de sécurité dans le but de contester lesdits mandats ». Il a déposé un avis de requête en bonne et due forme à l’égard de cette communication le 31 août 2010.

 

[7]                           Dans une directive datée du 31 août 2010, la Cour a expliqué que la légalité des mandats décernés en vertu de l’article 21 n’était pas en litige dans les requêtes que les avocats spéciaux avaient déposées antérieurement. Ce fait a de plus été confirmé aux paragraphes 41, 45 et 55 de la communication de la Cour datée du 13 septembre 2010. Le 20 septembre 2010, M. Mahjoub a déposé son dossier de requête concernant sa requête en communication datée du 31 août 2010.

 

[8]                           Le 5 octobre 2010, des sommaires de cinq mandats et de cinq affidavits justificatifs ont été établis en collaboration, et il a été ordonné sur consentement de les communiquer à M. Mahjoub et à son avocat conformément aux motifs d’ordonnance de la Cour datés du 4 octobre 2010.

 

[9]                           Le 25 octobre 2010, M. Mahjoub a déposé sa requête contestant la validité constitutionnelle des mandats décernés en vertu de l’article 21, l’admissibilité des preuves obtenues grâce à ces mandats, de même que la constitutionnalité des articles 2, 6, 12, 17 et 21, 22, 23 et 24 de la Loi sur le SCRS. Dans une requête distincte, dont les procureurs généraux ont été avisés, M. Mahjoub conteste également la constitutionnalité de ces mêmes articles de la Loi sur le SCRS. Il est opportun de traiter de la dernière contestation à ce stade-ci dans le contexte de la présente requête car la constitutionnalité de la Loi sur le SCRS a une incidence décisive sur la légalité des mandats.

 

Les questions préliminaires

[10]                       Les ministres font valoir que l’ordonnance de la Cour du 31 août 2010 (2010 CF 937) dispose de la requête qu’a déposée M. Mahjoub en vue de faire exclure les preuves obtenues grâce aux mandats autorisés en vertu de l’article 21 de la Loi sur le SCRS. Cette ordonnance mettait en application la décision de la Cour d’exclure certains éléments de preuve aux termes du paragraphe 83(1.1) de la LIPR (2010 CF 787). Ils soutiennent également que la présente requête fait double emploi avec celle des avocats spéciaux, soit la requête visant à faire exclure des preuves aux termes du paragraphe 83(1.1), qui s’est soldée par les motifs d’ordonnance et ordonnance du 31 août 2010, et que, de ce fait, la présente requête est abusive.

 

[11]                       Les ministres invoquent le paragraphe suivant, extrait des motifs d’ordonnance et ordonnance du 31 août 2010 :

[traduction
[66] Je suis d’avis que les informations figurant dans l’affidavit justificatif, qui ne découle pas de l’interrogatoire [expurgé], étaient suffisantes pour justifier pour des motifs raisonnables la croyance selon laquelle le Service avait besoin des pouvoirs conférés par mandat en vue d’intercepter des communications privées de
M. Mahjoub et faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada, conformément aux exigences de l’article 21 de la Loi sur le SCRS [...]. En conséquence, les informations que les ministres ont obtenues et sur lesquelles ils se sont fondés, à partir des communications interceptées par suite du mandat [expurgé], sont admissibles.

 

[12]                       La requête que les avocats spéciaux ont déposée pour le compte de M. Mahjoub et les motifs et ordonnance qui en ont résulté avaient trait à la question restreinte de l’inadmissibilité d’éléments de preuve par application du paragraphe 83(1.1) de la LIPR. Par la présente requête, M. Mahjoub conteste maintenant la validité des mandats en se basant sur la prétendue inconstitutionnalité de la Loi sur le SCRS, la prétendue omission du Service d’assurer une communication pleine et entière, ainsi que le prétendu non‑respect des mandats de la Loi sur le SCRS. Ces questions n’ont pas été soumises à la Cour au moment du dépôt de la requête relative au paragraphe 83(1.1) et elles n’ont pas été examinées dans les motifs d’ordonnance datés du 9 juin 2010.

 

[13]                       Les ministres soutiennent que les avocats spéciaux ont analysé la question et décidé de ne pas contester la validité des mandats. Ils semblent laisser entendre qu’il est trop tard pour que les avocats publics le fassent. Ils soutiennent également qu’il ne faudrait pas autoriser M. Mahjoub à remettre en litige des questions sur lesquelles la Cour s’est déjà prononcée.

 

[14]                       Les ministres ont raison de dire qu’il n’est pas loisible à M. Mahjoub de remettre en litige des questions sur lesquelles la Cour s’est déjà prononcée. Il est interdit à M. Mahjoub de déposer des requêtes répétitives. Voir : Toronto (Ville) c SCFP, section locale 79, 2003 CSC 63 et Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board) c Figliola, 2011 CSC 52, au paragraphe 24. Cependant, bien que les avocats spéciaux doivent représenter les intérêts de M. Mahjoub à huis clos, ils ne sont pas ses avocats. Leur décision de s’abstenir de déposer une requête particulière ne devrait donc pas lier M. Mahjoub et ses avocats. Autrement dit, il ne devrait pas être interdit à ce dernier de déposer une requête portant sur une question que les avocats spéciaux ont déclaré qu’ils ne soulèveront pas.

 

Les questions en litige

[15]                       Je traiterai des questions suivantes dans le cadre de la présente requête :

1.                  Certaines dispositions de la Loi sur le SCRS sont-elles inconstitutionnelles?

a)                  Les articles 2, 6 et 12 de la Loi sur le SCRS sont-ils inconstitutionnels pour cause d’imprécision ou d’une portée excessive?

b)                  L’article 17 de la Loi sur le SCRS est-il inconstitutionnel parce qu’il autorise le SCRS à conclure des ententes d’échange de renseignements avec des organismes étrangers qui ont mauvaise réputation sur le plan des droits de la personne?

c)                  Les articles 21, 22, 23 et 24 de la Loi sur le SCRS sont-ils inconstitutionnels parce qu’ils autorisent à mener des fouilles, des perquisitions et des saisies abusives?

 

2.                  La légalité des mandats décernés en vertu de l’article 21 peut-elle être contestée et, si oui, de quelle façon?

a)                  La règle interdisant les contestations indirectes empêche-t-elle de contester la validité des mandats décernés en vertu de l’article 21 dans le contexte de la détermination de l’admissibilité de preuves, conformément à l’article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, c 11 (R.-U.), annexe B [la Charte], dans le cadre d’une instance relative à un certificat de sécurité?

b)                  Les preuves obtenues à la suite de mandats décernés en vertu de l’article 21 sont-elles inadmissibles parce que l’arrêt Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9 [Charkaoui I] a conclu que l’ancien régime prévu par la LIPR, qui était la loi applicable à l’époque où les preuves ont été recueillies, était inconstitutionnel?

c)                  La non-communication des mandats confidentiels décernés en vertu de l’article 21, ainsi que des affidavits déposés à l’appui de ces derniers, viole-t-elle le droit de M. Mahjoub à une défense pleine et entière?

d)                 Dans le contexte d’une contestation de mandats décernés en vertu de l’article 21 dans le cadre d’une instance relative à un certificat de sécurité, la Cour peut-elle considérer les affidavits comme confidentiels, ou doit‑elle limiter son examen au sommaire des affidavits qui a été communiqué à M. Mahjoub?

 

3.                  Les mandats délivrés en vertu de l’article 21 sont-ils eux-mêmes illégaux du fait :

a)                  de la présence d’informations obtenues sous la torture dans les affidavits justificatifs?

b)                  du manquement, par le SCRS, de l’obligation d’assurer une communication pleine et entière en présentant au juge désigné des affidavits trompeurs d’où étaient également exclus des informations disculpatoires?

c)                  de l’absence de toute indication selon laquelle les mandats étaient conformes aux exigences de la Loi sur le SCRS, soit le paragraphe 21(1) et les alinéas 21(2)a) à g)?

d)                 de l’autorisation, dans les mandats, d’intercepter des communications entre avocat et client, ce qui constitue une fouille, une perquisition ou une saisie abusive?

 

4.                  Le SCRS s’est-il livré à des fouilles, des perquisitions et des saisies que n’autorisaient pas les mandats décernés en vertu de l’article 21 et que la loi ne permettait pas par ailleurs?

 

5.                  Si les preuves utilisées dans la présente instance ont été illégalement obtenues pour l’une quelconque des raisons qui précèdent, faudrait-il néanmoins les admettre en application du paragraphe 24(2) de la Charte?

L’analyse

[16]                       M. Mahjoub a évoqué la question de la constitutionnalité de la Loi sur le SCRS dans le contexte de sa contestation constitutionnelle générale à l’égard de l’instance. Ainsi qu’il a été mentionné plus tôt, je traiterai de cette question à ce stade-ci. À mon avis, cette dernière s’apparente davantage à la requête relative aux mandats qu’à la contestation de la section 9 de la LIPR. Les conclusions que je formule ici visent à trancher la question en litige et à éclairer mes conclusions concernant les décisions sur l’abus de procédure et la raisonnabilité.

 

[17]                       Les questions en litige susmentionnées seront examinées à tour de rôle.

 

1.                  Certaines dispositions de la Loi sur le SCRS sont-elles inconstitutionnelles?

a)                  Les articles 2, 6 et 12 de la Loi sur le SCRS sont-ils inconstitutionnels pour cause d’imprécision ou d’une portée excessive?

 

 

Les articles 2 et 12

[18]                       M. Mahjoub conteste l’expression « menaces envers la sécurité du Canada » qui figure aux articles 2 et 12 de la Loi sur le SCRS, alléguant qu’ils sont vagues et d’une portée trop générale, ce qui est contraire à l’article 7 de la Charte. Par souci de commodité, je reproduis ci-dessous le texte de ces deux dispositions :

 

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

« menaces envers la sécurité du Canada »

“threats to the security of Canada”

« menaces envers la sécurité du Canada » Constituent des menaces envers la sécurité du Canada les activités suivantes :

 

a) l’espionnage ou le sabotage visant le Canada ou préjudiciables à ses intérêts, ainsi que les activités tendant à favoriser ce genre d’espionnage ou de sabotage;

 

b) les activités influencées par l’étranger qui touchent le Canada ou s’y déroulent et sont préjudiciables à ses intérêts, et qui sont d’une nature clandestine ou trompeuse ou comportent des menaces envers quiconque;

 

c) les activités qui touchent le Canada ou s’y déroulent et visent à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d’atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique au Canada ou dans un État étranger;

 

d) les activités qui, par des actions cachées et illicites, visent à saper le régime de gouvernement constitutionnellement établi au Canada ou dont le but immédiat ou ultime est sa destruction ou son renversement, par la violence.

 

La présente définition ne vise toutefois pas les activités licites de défense d’une cause, de protestation ou de manifestation d’un désaccord qui n’ont aucun lien avec les activités mentionnées aux alinéas a) à d).

2. In this Act,

 

 

“threats to the security of Canada”

« menaces envers la sécurité du Canada »

“threats to the security of Canada” means

 

 

 

(a) espionage or sabotage that is against Canada or is detrimental to the interests of Canada or activities directed toward or in support of such espionage or sabotage,

 

(b) foreign influenced activities within or relating to Canada that are detrimental to the interests of Canada and are clandestine or deceptive or involve a threat to any person,

 

 

 

(c) activities within or relating to Canada directed toward or in support of the threat or use of acts of serious violence against persons or property for the purpose of achieving a political, religious or ideological objective within Canada or a foreign state, and

 

 

(d) activities directed toward undermining by covert unlawful acts, or directed toward or intended ultimately to lead to the destruction or overthrow by violence of, the constitutionally established system of government in Canada,

 

 

but does not include lawful advocacy, protest or dissent, unless carried on in conjunction with any of the activities referred to in paragraphs (a) to (d).

 

12. Le Service recueille, au moyen d’enquêtes ou autrement, dans la mesure strictement nécessaire, et analyse et conserve les informations et renseignements sur les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada; il en fait rapport au gouvernement du Canada et le conseille à cet égard.

 

[Non souligné dans l’original]

12. The Service shall collect, by investigation or otherwise, to the extent that it is strictly necessary, and analyse and retain information and intelligence respecting activities that may on reasonable grounds be suspected of constituting threats to the security of Canada and, in relation thereto, shall report to and advise the Government of Canada.

 

 

[Emphasis added]

 

 

[19]                       Une disposition au libellé semblable, l’alinéa 53(1)b) de l’ancienne Loi sur l’immigration, LRC 1985, c I-2, a résisté à un examen constitutionnel dans l’arrêt Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1. Au paragraphe 2 de cet arrêt, la Cour suprême du Canada a expliqué que l’expression « danger pour la sécurité du Canada » était contestée pour cause d’imprécision. Examinant la disposition à la lumière de l’arrêt R. c Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 RCS 606 [Nova Scotia Pharmaceutical Society], la Cour suprême a conclu, aux paragraphes 83 et 92, que cette expression n’est pas inconstitutionnellement imprécise, mais qu’elle est difficile à définir et « repose en grande partie sur les faits et ressortit à la politique au sens large » (au paragraphe 85). La Cour n’a pas insisté sur l’existence d’une preuve directe d’une menace précise pour le Canada en vue de définir cette expression, mais elle a tout de même prescrit qu’« [i]l doit exister une possibilité réelle et sérieuse d’un effet préjudiciable au Canada » (aux paragraphes 88 et 89).

 

[20]                       De plus, dans l’arrêt Nova Scotia Pharmaceutical Society, la Cour suprême a expliqué, à la page 643, qu’« une loi sera jugée d’une imprécision inconstitutionnelle si elle manque de précision au point de ne pas constituer un guide suffisant pour un débat judiciaire ». À la page 632, la Cour suprême a déclaré :

1) les citoyens doivent être raisonnablement prévenus des conséquences de leur conduite;

 

2) le pouvoir discrétionnaire en matière d’application de la loi doit être limité.

 

[21]                       La loi elle-même définit les « menaces envers la sécurité du Canada » de manière détaillée aux alinéas a) à d). Ces derniers définissent clairement les activités qui peuvent être considérées comme une menace et excluent expressément les activités licites de défense et la manifestation d’un désaccord. Je suis d’avis que les dispositions contestées préviennent raisonnablement les citoyens et limitent comme il faut le pouvoir discrétionnaire du Service en matière d’enquêtes.

 

[22]                       M. Mahjoub cite l’affaire Ernst Zündel à titre d’exemple de l’imprécision de la définition : un négateur de l’Holocauste visé par cette disposition ainsi que par les dispositions en matière d’interdiction de territoire de la LIPR. Cependant, le juge Blais (plus tard juge en chef de la Cour d’appel fédérale) a expliqué, au paragraphe 6 de la décision Zündel (Re), 2005 CF 295 :

Il importe de noter que les vues de M. Zündel sur l'Holocauste étaient connues depuis des années, mais qu'elles n'inquiétaient pas le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS). Sans doute en dérangeaient-elles beaucoup, et sans doute étaient-elles jugées parfois viles et diaboliques, mais elles ne suffisaient pas à faire de lui une menace pour la sécurité. En fait, les enquêtes n'ont commencé que lorsque M. Zündel eut franchi les limites de la liberté d'expression en faisant, de l'avis des ministres, l'apologie de la haine et pouvait ainsi de façon directe ou indirecte inciter le Mouvement pour la suprématie blanche à la violence politique.

 

 

La Cour a conclu que ce n’était pas à cause de ses vues sur l’Holocauste que M. Zündel était considéré comme une menace pour la sécurité, mais plutôt en raison de la menace de violence politique. À mon avis, l’affaire Zündel répond tout à fait à la définition restreinte des « menaces envers la sécurité du Canada ». Il ne s’agit pas d’un exemple d’imprécision du libellé contesté de la Loi sur le SCRS.

 

[23]                       Dans le cas de M. Mahjoub, l’enquête menée sur son appartenance possible à des groupes terroristes ainsi qu’à des activités liées au terrorisme est également reliée à la menace de violence politique. Cela étant, sa situation répond elle aussi à la définition restreinte des « menaces envers la sécurité du Canada ».

 

[24]                       Le critère relatif à la portée excessive est énoncé dans l’arrêt R. c Heywood, [1994] 3 RCS 761, à la page 793 (et repris dans l’arrêt R. c Khawaja, 2012 CSC 69, au paragraphe 37). Lorsqu’une loi est d’une portée excessive, il s’ensuit « qu'elle est arbitraire ou disproportionnée dans certaines de ses applications » par rapport aux intérêts étatiques qu’elle vise à promouvoir.

 

[25]                       Les restrictions internes que l’on trouve aux articles 2 et 12 de la Loi sur le SCRS délimitent la portée du pouvoir discrétionnaire du Service en définissant expressément les « menaces envers la sécurité du Canada » et en lui permettant seulement de recueillir des informations « dans la mesure strictement nécessaire ». De plus, les « menaces » ne peuvent faire l’objet d’une enquête qu’en fonction de la norme des motifs raisonnables de soupçonner. Compte tenu des limites et des exigences que les dispositions précitées imposent au Service, je conclus que les articles en litige ne sont ni arbitraires ni disproportionnés par rapport aux intérêts étatiques qu’ils visent à promouvoir. Les dispositions ne sont pas d’une portée excessive.

 

[26]                       M. Mahjoub semble ensuite faire valoir implicitement que l’article 12 de la Loi sur le SCRS autorise à effectuer des fouilles, des perquisitions et des saisies abusives qui font entrer en jeu les droits à la protection privée que lui confère l’article 7, violant ainsi les droits que lui garantit l’article 8 de la Charte.

 

[27]                       Le principal souci de M. Mahjoub semble être que le Service n’exige pas de « motifs raisonnables et probables » pour faire enquête sur un particulier. La norme des « motifs raisonnables de soupçonner » qui est énoncée à l’article 12, soutient-il, n’est pas assez stricte et donne ainsi lieu à des fouilles, des perquisitions et des saisies abusives. Il invoque l’arrêt Hunter et al. c Southam Inc., [1984] 2 RCS 145 [Hunter], la décision marquante dans laquelle la Cour suprême du Canada a interprété l’article 8 de la Charte. Dans cette affaire, la Cour a établi que, pour être raisonnable, une fouille, une perquisition ou une saisie requiert l’existence de motifs raisonnables et probables qu’une infraction est commise et qu’une telle mesure permettra de trouver des éléments de preuve.

 

[28]                       L’article 12 a trait à la collecte de renseignements sur des activités qui, soupçonne-t-on, constitue des menaces envers la sécurité du Canada. Une « fouille » est définie comme une technique d’enquête de l’État qui amoindrit l’attente raisonnable d’une personne en matière de vie privée (Hunter, aux pages 159 et 160; R. c Gomboc, 2010 CSC 55, au paragraphe 77), et une « saisie » est définie comme le fait de « pren[dre] quelque chose appartenant à une personne sans son consentement » (R. c Dyment, [1988] 2 RCS 417, à la page 431, R. c Buhay, 2003 CSC 30, au paragraphe 33). Il n’y a habituellement pas d’expectative ou d’attente raisonnable en matière de vie privée si la personne ne garde pas privées les informations en question; par exemple, dans l’arrêt R. c Edwards, [1996] 1 RCS 128, la Cour a conclu qu’une personne n’a pas d’attente raisonnable en matière de vie privée dans l’appartement de sa petite amie. Il n’y a pas non plus de telle attente en ce qui concerne des déchets (R. c Krist, 100 CCC (3d) 58 (BCCA)).

 

[29]                       Selon l’arrêt R. c Collins, [1987] 1 RCS 265 à la page 278, une fouille ou une perquisition est raisonnable sans autorisation judiciaire préalable si elle est autorisée par une règle de droit raisonnable et si elle est menée de manière raisonnable. Comme M. Mahjoub n’a pas allégué que les fouilles ou les perquisitions menées en vertu de l’article 12 de la Loi sur le SCRS avaient eu lieu de manière déraisonnable, j’examinerai si cet article est une règle de droit raisonnable.

 

[30]                       Dans les arrêts R. c Kang-Brown, 2008 CSC 18 [Kang-Brown] et R. c A.M., 2008 CSC 1, la Cour suprême a conclu que le critère relatif à l’utilisation d’une certaine technique d’enquête autorisée par la common law, soit un chien détecteur de drogue - ou « chien renifleur » - constituait un « motif raisonnable de soupçonner », ce qui est un critère moins exigeant que celui des « motifs raisonnables et probables » qui sont décrits dans Hunter. Deux arrêts connexes récents, R. c Chehil, 2013 CSC 49 [Chehil] et R. c MacKenzie, 2013 CSC 50 [MacKenzie], avaient trait à une autre contestation de cette norme et ont confirmé l’application de la norme du « motif raisonnable de soupçonner » pour le déploiement de chiens renifleurs. Il est possible de recourir à de tels chiens sans autorisation judiciaire préalable car cette technique est « une atteinte minime, vise un objectif bien circonscrit et peut se révéler d’une grande fiabilité » (Chehil, au paragraphe 1). Comme l’a écrit la juge Karakatsanis dans l’arrêt Chehil, au paragraphe 6, « [l]a norme des soupçons raisonnables oblige à apprécier l’ensemble des circonstances — inculpatoires et disculpatoires — pour déterminer s’il existe des motifs objectivement discernables de soupçonner qu’une personne se livre à une activité criminelle ». Il doit y avoir un ensemble de facteurs (ou un facteur unique, comme le fait de voyager sous un faux nom) qui est suffisamment précis pour éviter une fouille aveugle ou discriminatoire (aux paragraphes 30, 31 et 35). De plus, il doit y avoir un « lien » entre les facteurs et la conduite suspecte, même si les facteurs ne constituent pas en eux-mêmes un comportement suspect (au paragraphe 37).

 

[31]                       La juge a de plus fait remarquer dans l’arrêt Chehil, au paragraphe 23 : que « [l]’incidence sur le droit à la vie privée et l’importance de l’objectif d’application de la loi jouent toutes deux quand il s’agit de déterminer le degré de justification nécessaire à l’empiétement par l’État sur ce droit ». Elle a conclu, au paragraphe 24, que la justification appropriée d’une fouille s’inscrit le long d’un continuum, en fonction de ces facteurs.

 

[32]                       Le public a un net intérêt à ce que le Service fasse enquête sur les menaces envers la sécurité du Canada. Néanmoins, l’article 12 sur la Loi sur le SCRS ne restreint pas, à première vue, les techniques d’enquête auxquelles le Service peut recourir. De plus, contrairement aux fouilles menées à l’aide de chiens renifleurs, il n’y a habituellement pas d’examen judiciaire des techniques employées au regard de l’article 12, car la fouille est généralement faite à l’insu de la personne ciblée. Il est donc utile d’examiner les contraintes législatives auxquelles l’article 12 est soumis et à quelles techniques recourt en fait le Service en vertu de cet article pour déterminer si la norme du « motif raisonnable de soupçonner » atteint le juste équilibre dans ces circonstances.

 

[33]                       L’article 12 semble être d’une portée large, mais il est néanmoins limité par les exigences relatives aux mandats, soit les articles 21 à 24 de la Loi sur le SCRS. Le législateur envisageait que l’on recoure à ces dispositions dans des circonstances où l’enquête exigeait que l’on porte atteinte à l’attente raisonnable d’une personne en matière de vie privée. Dans de tels cas, le Service est tenu d’obtenir une autorisation judiciaire. Dans le cadre du processus d’obtention d’un mandat, le seuil est supérieur à celui que requièrent les activités menées en vertu de l’article 12. Pour demander un mandat, l’auteur d’un affidavit établi pour le compte du Service doit attester qu’« il a des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire pour permettre au Service de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada ou d’exercer les fonctions qui lui sont conférées en vertu de l’article 16 [...] » (paragraphe 21(1) de la Loi sur le SCRS). L’article 12 n’autorise donc pas les fouilles et les saisies attentatoires d’informations privées.

 

[34]                       Dans la [traduction] « Réponse finale modifiée à des questions concernant les objections au privilège fondées sur la sécurité nationale » qu’il a établie en date du 5 mars 2012 (pièce R82), le Service a communiqué une part importante de ses politiques concernant les techniques d’enquête menées en vertu de l’article 12 :

[traduction

1.         Les techniques d’enquête de niveau 1 autorisées par la politique OPS-101 2006 comprennent la déclaration d’informations publiques, les recherches dans les banques de données et les documents fédéraux-provinciaux-territoriaux-municipaux, les recherches dans des documents détenus par des organismes de police, de sécurité ou de renseignement étrangers. Le niveau 1 est valable pour 90 jours et prend fin immédiatement si le Service découvre que les activités d’une cible ne constituent pas une menace.

2.         Les techniques de niveau 2 autorisées par la politique OPS-102 2006 comprennent le niveau 1, le recours à une surveillance physique, l’interrogatoire de la cible ou de tout autre personne susceptible d’avoir des informations pertinentes et l’affectation de ressources humaines. Le niveau 2 est valable pour deux ans.

3.         Les techniques de niveau 3 autorisées par la politique OPS-103 2006 comprennent les niveaux 1 et 2, le recours à une surveillance physique ainsi que l’application ou l’exécution de pouvoirs conférés par un mandat de la Cour fédérale. Le niveau 3 est valable pour deux ans.

Il ressort clairement aussi de la preuve que les niveaux supérieurs requièrent l’autorisation d’une instance supérieure du Service.

 

[35]                       Je suis convaincu, après avoir examiné les techniques énumérées dans les politiques susmentionnées du Service, que ces techniques constituent une atteinte minime, si tant est qu’elles mettent en jeu une attente raisonnable en matière de vie privée. Il est nécessaire de satisfaire à la norme du « motif raisonnable de soupçonner » si l’on veut recourir à ces techniques. De plus, ces politiques envisagent l’obtention de mandats de la Cour fédérale, régis par les articles 21 à 24, dans le cas d’une technique plus attentatoire. À mon sens, l’article 12 de la Loi sur le SCRS, comme l’interprète le Service, oblige ce dernier à avoir une raison précise et objective pour recourir à une technique d’enquête la moins attentatoire possible et il atteint le juste équilibre entre l’intérêt du public à ce que l’on fasse enquête sur les menaces envers la sécurité du Canada et les droits à la vie privée de la cible en question.

 

[36]                       Les ministres soutiennent que le législateur a fixé une norme inférieure à celle qu’exige l’arrêt Hunter, ce qui permet d’effectuer une fouille attentatoire selon la norme des motifs raisonnables de soupçonner, invoquant à cet égard l’arrêt Kang-Brown, aux paragraphes 3, 10 et 13. Certes, le législateur a le pouvoir de fixer une norme inférieure pour de telles fouilles et saisies, il n’est pas évident à mes yeux qu’il l’a fait en adoptant l’article 12 de la Loi sur le SCRS. Les fouilles et les saisies attentatoires requièrent un mandat, conformément à l’article 21.

 

[37]                       La communication d’activités expressément entreprises par le Service en rapport avec M. Mahjoub en vertu de l’article 12 porterait atteinte, à mon avis, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Les détails de ce qui a été fait figurent donc à la section « A » de l’annexe confidentielle.

 

[38]                       Les paragraphes qui suivent résument les conclusions que j’ai tirées sur cette question à partir de l’Annexe confidentielle.

 

[39]                       À mon avis, au vu du dossier, toutes les techniques qui ont été employées en vertu de l’article 12 de la Loi sur le SCRS ont été le moins attentatoire possible, et aucune d’elles n’a été employée de manière discriminatoire ou aveugle.

 

[40]                       De plus, M. Mahjoub et les avocats spéciaux n’ont invoqué aucun fait particulier qui dénoterait que les techniques précises qu’autorise l’article 12 constituent une fouille et une perquisition abusives. Ils n’ont pas fait valoir que le Service n’avait pas de motifs raisonnables de soupçonner que M. Mahjoub était lié à une menace envers la sécurité du Canada, pas plus qu’une technique particulière n’avait pas respecté l’équilibre entre l’intérêt du public et le droit à la vie privée. Il était nécessaire de le faire pour que la Cour évalue une technique particulière en fonction des exigences énoncées dans les arrêts Chehil et MacKenzie.

 

[41]                       M. Mahjoub conteste également l’article 12 de la Loi sur le SCRS parce qu’il permet semble-t-il au personnel du Service d’obtenir de lui, à son insu, des déclarations pertinentes à son certificat de sécurité, ce qui, soutient-il, viole l’article 13 de la Charte qui interdit l’auto-incrimination. Dans ses observations anémiques sur la question, M. Mahjoub n’a pu donner aucune raison pour laquelle l’article 12 de la Loi sur le SCRS pourrait être considéré comme inconstitutionnel sur le fondement de l’article 13 de la Charte. L’article 12 a trait aux enquêtes sur les menaces envers la sécurité du Canada, et non à l’obtention de déclarations en vue d’une instance en immigration. Ces allégations ont trait à la manière dont le Service a recueilli et utilisé les informations en vertu de l’article 12, et non à la validité constitutionnelle de la disposition elle-même.

 

[42]                       Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la contestation constitutionnelle de M. Mahjoub à l’égard de l’article 12 de la Loi sur le SCRS est sans fondement.

 

L’article 6

[43]                       L’article 6 de la Loi sur le SCRS confie au directeur du Service, sous la direction du ministre, la gestion du Service et de tout ce qui s’y rattache. M. Mahjoub allègue que cette disposition permet d’établir plusieurs politiques et lignes directrices de nature inconstitutionnelle.

 

[44]                       Par souci de commodité, je reproduis ci-dessous le libellé de la disposition contestée :

6. (1) Sous la direction du ministre, le directeur est chargé de la gestion du Service et de tout ce qui s’y rattache.

 

 

(2) Dans l’exercice de son pouvoir de direction visé au paragraphe (1), le ministre peut donner par écrit au directeur des instructions concernant le Service; un exemplaire de celles-ci est transmis au comité de surveillance dès qu’elles sont données.

 

[...]

 

(4) Pour chaque période de douze mois d’activités opérationnelles du Service ou pour les périodes inférieures à douze mois et aux moments précisés par le ministre, le directeur présente à celui-ci des rapports sur ces activités; il en fait remettre un exemplaire au comité de surveillance.

 

6. (1) The Director, under the direction of the Minister, has the control and management of the Service and all matters connected therewith.

 

(2) In providing the direction referred to in subsection (1), the Minister may issue to the Director written directions with respect to the Service and a copy of any such direction shall, forthwith after it is issued, be given to the Review Committee.

 

 

...

 

(4) The Director shall, in relation to every 12-month period or any lesser period that is specified by the Minister, submit to the Minister, at any times that the Minister specifies, reports with respect to the Service’s operational activities during that period, and shall cause the Review Committee to be given a copy of each such report.

 

[45]                       Même s’il était établi, ainsi qu’il est allégué, qu’un acte administratif exécuté en vertu d’une loi habilitante est inconstitutionnel, ce fait ne rend pas en soi la loi inconstitutionnelle (Commission des droits de la personne c Procureur général Canada, [1982] 1 RCS 215, à la page 216). M. Mahjoub n’a pas montré en quoi la disposition en litige va à l’encontre de la Charte ou des droits que celle-ci lui garantit. De plus, même si certaines politiques ou mesures administratives adoptées en vertu de l’article pourraient faire entrer en jeu les droits individuels de M. Mahjoub, la disposition en soi ne le fait pas.

 

[46]                       J’ai traité des contestations de M. Mahjoub à l’égard de politiques et de pratiques particulières, dans la mesure où elles ont été évoquées, dans la Décision sur l’abus de procédure.

 

b)                  L’article 17 de la Loi sur le SCRS est-il inconstitutionnel parce qu’il autorise le SCRS à conclure des ententes d’échange de renseignements avec des organismes étrangers qui ont mauvaise réputation sur le plan des droits de la personne?

 

 

[47]                       M. Mahjoub allègue que l’article 17 de la Loi sur le SCRS est inconstitutionnel car il viole le droit à la vie privée d’une personne que garantit l’article 7 de la Charte. L’article 17 permet de conclure des ententes d’échange de renseignements avec des organismes du renseignement ayant mauvaise réputation sur le plan des droits de la personne, et cet article est susceptible de permettre l’échange d’informations personnelles.

 

[48]                       Par souci de commodité, je reproduis ci-dessous le libellé de la disposition contestée :

17. (1) Dans l’exercice des fonctions qui lui sont conférées en vertu de la présente loi, le Service peut :

 

a) avec l’approbation du ministre, conclure des ententes ou, d’une façon générale, coopérer avec :

 

(i) les ministères du gouvernement du Canada, le gouvernement d’une province ou l’un de ses ministères,

 

(ii) un service de police en place dans une province, avec l’approbation du ministre provincial chargé des questions de police;

 

b) avec l’approbation du ministre, après consultation entre celui-ci et le ministre des Affaires étrangères, conclure des ententes ou, d’une façon générale, coopérer avec le gouvernement d’un État étranger ou l’une de ses institutions, ou une organisation internationale d’États ou l’une de ses institutions.

 

(2) Un exemplaire du texte des ententes écrites conclues en vertu du paragraphe (1) ou des paragraphes 13(2) ou (3) est transmis au comité de surveillance immédiatement après leur conclusion.

17. (1) For the purpose of performing its duties and functions under this Act, the Service may,

 

(a) with the approval of the Minister, enter into an arrangement or otherwise cooperate with

 

(i) any department of the Government of Canada or the government of a province or any department thereof, or

 

(ii) any police force in a province, with the approval of the Minister responsible for policing in the province; or

 

 

(b) with the approval of the Minister after consultation by the Minister with the Minister of Foreign Affairs, enter into an arrangement or otherwise cooperate with the government of a foreign state or an institution thereof or an international organization of states or an institution thereof.

 

 

 

(2) Where a written arrangement is entered into pursuant to subsection (1) or subsection 13(2) or (3), a copy thereof shall be given forthwith to the Review Committee.

 

 

[49]                       La contestation de M. Mahjoub se rapporte à l’alinéa 17(1)b) et non aux autres dispositions, de sorte que je n’examinerai que cette disposition-là.

 

[50]                       Cette disposition autorise le Service, avec l’approbation du ministre, à conclure des ententes ou, d’une façon générale, à coopérer avec des organismes ou des gouvernements étrangers après consultation du ministre des Affaires étrangères et du Commerce international. Il est donc présumé que pour conclure l’entente en question, la contribution du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) à propos des conditions qui règnent dans le pays ont été dûment obtenues et prises en compte. Les conditions de cette collaboration sont ensuite laissées aux soins du ministre et du Service. J’accepte que l’un des objets des ententes conclues en vertu de cette disposition peut être l’échange de renseignements.

 

[51]                       La disposition qui régit la conclusion des ententes,  soit l’alinéa 17(1)b), est limitée par l’obligation de consulter le ministre des Affaires étrangères et du Commerce international, un ministre qui jouit d’une expertise particulière sur le plan des conditions qui règnent dans un pays, un aspect qui inclut les droits de la personne. Cette mesure garantit que le ministre de la Sécurité publique est informé quant au pays dont il est question et qu’il reçoit des conseils indépendants de l’extérieur du Service et de son ministère.

 

[52]                       Il y a d’autres dispositions législatives qui régissent par ailleurs l’aspect « échange d’informations » des ententes conclues en vertu de l’article 17. Aux termes du paragraphe 8(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, RSC 1985, c P-21 [Loi sur la protection des renseignements personnels], le Service peut communiquer des renseignements personnels dans le but de favoriser les objectifs de la Loi sur le SCRS. Les alinéas 8(2)f) et m), sont ainsi libellés :

(2) Sous réserve d’autres lois fédérales, la communication des renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale est autorisée dans les cas suivants :

 

[...]

 

f) communication aux termes d’accords ou d’ententes conclus d’une part entre le gouvernement du Canada ou l’un de ses organismes et, d’autre part, le gouvernement d’une province ou d’un État étranger, une organisation internationale d’États ou de gouvernements, le conseil de la première nation de Westbank, le conseil de la première nation participante — au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la compétence des premières nations en matière d’éducation en Colombie-Britannique — ou l’un de leurs organismes, en vue de l’application des lois ou pour la tenue d’enquêtes licites;

 

 

 

 

[...]

 

m) communication à toute autre fin dans les cas où, de l’avis du responsable de l’institution :

 

(i) des raisons d’intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée,

 

 

[Non souligné dans l’original.]

(2) Subject to any other Act of Parliament, personal

information
 under the control of a government institution may be disclosed

 

 

...

 

(f) under an agreement or arrangement between the Government of Canada or an institution thereof and the government of a province, the council of the Westbank First Nation, the council of a participating First Nation — as defined in subsection 2(1) of the First Nations Jurisdiction over Education in British Columbia Act —, the government of a foreign state, an international organization of states or an international organization established by the governments of states, or any institution of any such government or organization, for the purpose of administering or enforcing any law or carrying out a lawful investigation;

 

...

 

(mfor any purpose where, in the opinion of the head of the institution,

 

(i) the public interest in disclosure clearly outweighs any invasion of privacy that could result from the disclosure

 

[Emphasis added]

 

 

[53]                       Si le Service fournit des renseignements personnels d’une personne à des organismes étrangers dans le cadre d’une entente visée à l’article 17 dans le but de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada, les actes du Service sont eux aussi assujettis aux alinéas 8(2)f) ou m).

 

[54]                       L’alinéa 8(2)f) de la Loi sur la protection des renseignements personnels a résisté à un examen constitutionnel fondé sur les articles 7 et 8 de la Charte dans le contexte d’une extradition, dans laquelle des renseignements personnels ont été échangés avec des organismes d’application de la loi étrangers. Les paragraphes 13 et 14 de l’affaire United States of America c Lucero-Echegoyen, 2011 BCSC 1028, et les paragraphes 28 à 34 de l’affaire United States of America c Wakeling, 2011 BCSC 165 [Wakeling], examinent la disposition dans le contexte d’une contestation fondée sur les articles 7 et 8. La Cour supérieure de la Colombie-Britannique conclut que la disposition est constitutionnelle parce qu’elle atteint le juste équilibre entre la protection des [traduction] « droits résiduels en matière de vie privée qui sont nettement amoindris en l’espèce » et [traduction] « l’intérêt marqué qu’a l’État à l’échange opportun et non entravé de renseignements légalement obtenus entre des organismes d’application de la loi afin que l’on puisse faire enquête de manière efficace sur des activités criminelles revêtant des dimensions multiterritoriales » (Wakeling, au paragraphe 33).

 

[55]                       Même s’il est habituellement criminel de communiquer des interceptions de conversations privées, l’alinéa 193(2)e) du Code criminel, LRC 1985, c C-46 [Code criminel], autorise la divulgation faite « à un agent de la paix ou à un poursuivant au Canada ou à une personne ou un organisme étranger chargé de la recherche ou de la poursuite des infractions et vise à servir l’administration de la justice au Canada ou ailleurs [...] ». Même si la partie II du Code criminel, qui inclut l’alinéa 193(2)e), ne s’applique pas au Service du fait de l’article 26 de la Loi sur le SCRS, cette dernière renferme plutôt le paragraphe 19(2), une disposition analogue à l’alinéa 193(2)e) du Code criminel. Par souci de commodité, je reproduis ci-dessous le texte du paragraphe 19(2) :

19. (2) Le Service peut, en vue de l’exercice des fonctions qui lui sont conférées en vertu de la présente loi ou pour l’exécution ou le contrôle d’application de celle-ci, ou en conformité avec les exigences d’une autre règle de droit, communiquer les informations visées au paragraphe (1). Il peut aussi les communiquer aux autorités ou personnes suivantes :

 

a) lorsqu’elles peuvent servir dans le cadre d’une enquête ou de poursuites relatives à une infraction présumée à une loi fédérale ou provinciale, aux agents de la paix compétents pour mener l’enquête, au procureur général du Canada et au procureur général de la province où des poursuites peuvent être intentées à l’égard de cette infraction;

 

 

 

b) lorsqu’elles concernent la conduite des affaires internationales du Canada, au ministre des Affaires étrangères ou à la personne qu’il désigne à cette fin;

 

 

c) lorsqu’elles concernent la défense du Canada, au ministre de la Défense nationale ou à la personne qu’il désigne à cette fin;

 

 

 

d) lorsque, selon le ministre, leur communication à un ministre ou à une personne appartenant à l’administration publique fédérale est essentielle pour des raisons d’intérêt public et que celles-ci justifient nettement une éventuelle violation de la vie privée, à ce ministre ou à cette personne.

19. (2) The Service may disclose information referred to in subsection (1) for the purposes of the performance of its duties and functions under this Act or the administration or enforcement of this Act or as required by any other law and may also disclose such information

 

 

 

 

(a) where the information may be used in the investigation or prosecution of an alleged contravention of any law of Canada or a province, to a peace officer having jurisdiction to investigate the alleged contravention and to the Attorney General of Canada and the Attorney General of the province in which proceedings in respect of the alleged contravention may be taken;

 

(b) where the information relates to the conduct of the international affairs of Canada, to the Minister of Foreign Affairs or a person designated by the Minister of Foreign Affairs for the purpose;

 

(c) where the information is relevant to the defence of Canada, to the Minister of National Defence or a person designated by the Minister of National Defence for the purpose; or

 

(d) where, in the opinion of the Minister, disclosure of the information to any minister of the Crown or person in the federal public administration is essential in the public interest and that interest clearly outweighs any invasion of privacy that could result from the disclosure, to that minister or person.

 

[56]                       Tant l’alinéa 193(2)e) du Code criminel (la disposition analogue au paragraphe 19(2) de la Loi sur le SCRS) que l’alinéa 8(2)f) de la Loi sur la protection des renseignements personnels ont survécu à une contestation constitutionnelle dans le contexte d’écoutes électroniques de la GRC remises aux autorités des États-Unis pour des motifs d’extradition. Dans l’affaire United States of America c Wakeling, 2012 BCCA 397, la décision en appel de l’affaire 2011 BCSC 165 (autorisation d’interjeter appel auprès de la Cour suprême accordée), tant l’alinéa 8(2)f) de la Loi sur la protection des renseignements personnels que l’alinéa 193(2)e) du Code criminel ont été invoqués, et la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu que le Code criminel était la question déterminante.

 

[57]                       Au paragraphe 34, la Cour d’appel a conclu que [traduction] « la divulgation à d’autres agents d’administration de la justice, tant nationaux qu’étrangers, est une exception tout aussi évidente et nécessaire [au caractère criminel de la communication d’écoutes électroniques dans le Code criminel] sans qu’il faille obtenir une autre autorisation judiciaire ou un autre avis ». Même si la Cour d’appel reconnaît l’existence d’une attente raisonnable en matière de vie privée dans les interceptions de communications privées judiciairement autorisées (dont la divulgation serait habituellement criminelle selon le paragraphe 193(1) du Code criminel), elle rejette l’argument de l’appelant selon lequel le législateur devrait protéger ses conversations contre le fait qu’elles soient utilisées dans le cadre d’une enquête criminelle [traduction] « quand et où elles sont requises à cette fin » (au paragraphe 39). Au paragraphe 43, la Cour d’appel explique de plus :

[traduction]

 

Les informations que l’on recueille lors d’une interception électronique licite deviennent des renseignements liés à l’exécution de la loi. À mon avis, cela n’est pas différent des informations que l’on obtient d’un indicateur de police ou des informations contenues dans des documents qui tombent légalement entre les mains de la police. Si la divulgation est faite dans l’intérêt de l’administration de la justice, il n’est pas nécessaire d’obtenir au préalable l’autorisation d’un juge, un avis ou une déclaration. De telles exigences officialiseraient et entraveraient l’enquête interterritoriale d’actes criminels et parfois la prévention de tels actes. Il est peu pratique, et il serait présomptueux, de contrôler l’utilisation que font des autorités étrangères de renseignements policiers recueillis de manière licite. Ce qui est pratique et nécessaire, tant pour déceler des actes criminels que pour les prévenir, est la capacité qu’ont les agents de police d’informer de manière licite leurs homologues d’autres territoires au sujet d’une activité criminelle imminente, comme cela a été le cas en l’espèce, ou au sujet d’activités criminelles antérieures.

 

 

[58]                       À mon avis, le raisonnement qui précède trouve application en l’espèce. Plus précisément, il s’applique à la communication d’informations à l’égard desquelles M. Mahjoub a une attente raisonnable en matière de vie privée au regard de l’alinéa 8(2)f) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. M. Mahjoub fait valoir que l’échange de renseignements obtenus par mandat entre le Service et d’autres agences de renseignement, lorsque cela est fait dans le but de favoriser le mandat qu’a le Service d’informer et d’aviser le gouvernement du Canada des menaces pour la sécurité nationale, remet en jeu ses droits à la vie privée et constitue une fouille ou une saisie additionnelles. Souscrire à cet argument formaliserait et entraverait les enquêtes interterritoriales sur les menaces envers la sécurité du Canada. De plus, il est raisonnable de communiquer des informations à des organismes étrangers si l’intérêt du public à l’égard de la divulgation l’emporte sur l’atteinte aux droits à la vie privée de la personne.

 

[59]                       L’article 17 de la Loi sur le SCRS doit être considéré dans le contexte de ces dispositions législatives limitatives. La principale restriction relative à l’échange de renseignements personnels avec des organismes étrangers, laquelle figure à la fois dans la Loi sur le SCRS et la Loi sur la protection des renseignements personnels, est que le ministre et le Service doivent concevoir comme il faut des ententes et déterminer au cas par cas si l’intérêt du public que l’on servira en échangeant les informations l’emporte sur la violation du droit à la vie privée de l’intéressé.

 

[60]                       Dans le cas présent, le processus de mise en équilibre serait entre l’intérêt du public envers la sécurité nationale et l’attente « résiduelle » et « amoindrie » en matière de vie privée qu’a M. Mahjoub à l’égard des renseignements le concernant que détient le Service. Amoindrit davantage cette attente en matière de vie privée le fait que M. Mahjoub était un étranger qui présentait une demande de statut d’immigrant au Canada et qui avait donc consenti à la tenue d’un contrôle de sécurité ainsi qu’à l’utilisation des renseignements personnels qu’il fournissait aux autorités canadiennes à cette fin.

 

[61]                       Voyons maintenant les preuves confidentielles qui se rapportent à cette question. Étant donné que la communication des renseignements personnels, s’il y en a, que le Service a échangés avec des organismes étrangers porterait attente à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui, mon analyse de cette question figure à la section « B » de l’Annexe confidentielle, et je présente dans le paragraphe qui suit un sommaire de mes conclusions.

 

[62]                       Je suis convaincu que les échanges d’informations qui ont eu lieu dans le cas de M. Mahjoub avec des organismes étrangers étaient conformes à la loi et atteignaient un juste équilibre entre l’intérêt du public et l’attente « résiduelle » de M. Mahjoub en matière de vie privée.

 

[63]                       En résumé, une personne a, dans le meilleur des cas, un droit résiduel à la protection de sa vie privée dans les informations la concernant que le Service a recueillies de manière licite. De plus, le partage de ces informations avec des organismes étrangers dans le cadre d’ententes conclues en vertu de l’article 17 est limité par l’obligation qu’a le ministre de consulter le MEACI au sujet d’un pays avant de conclure de telles ententes. Cette consultation renseigne le Service sur les conditions relatives au pays en question, y compris la réputation de ce dernier sur le plan des droits de la personne. L’alinéa 8(2)f) de la Loi sur la protection des renseignements personnels et l’article 19 de la Loi sur le SCRS comportent également des paramètres destinés à protéger les informations en exigeant que l’on mette en balance les intérêts et que l’on détermine que l’intérêt du public l’emporte manifestement sur toute atteinte au droit à la vie privée. Compte tenu de ces limites, je suis persuadé que, dans le cas de M. Mahjoub, l’intérêt du public à l’égard de l’échange des informations l’emportait sur le droit résiduel à sa vie privée.

 

[64]                       Par ailleurs, après avoir examiné les preuves au dossier se rapportant aux renseignements personnels de M. Mahjoub qui ont été échangés, s’il y en a, avec les organismes étrangers, je suis convaincu qu’il n’y a pas eu d’atteinte au droit à la vie privée que lui garantit l’article 7 de la Charte.

 

[65]                       Je conclus donc que l’article 17 de la Loi sur le SCRS, qui permet de conclure avec des organismes étrangers des ententes de partage de renseignements, indépendamment de leur réputation sur le plan des droits de la personne, ne viole pas les articles 7 et 8 de la Charte.

 

c)                  Les articles 21, 22, 23 et 24 de la Loi sur le SCRS sont-ils inconstitutionnels parce qu’ils autorisent à mener des fouilles, des perquisitions et des saisies abusives?

 

 

[66]                       Les articles 21, 22, 23 et 24 de la Loi sur le SCRS autorisent le Service à obtenir de la Cour fédérale des mandats permettant de faire enquête sur les menaces envers la sécurité du Canada. M. Mahjoub allègue que ces dispositions sont inconstitutionnelles car elles autorisent le Service à intercepter des communications entre avocat et client.

 

[67]                       Les ministres soutiennent que la pratique consistant à intercepter des communications entre avocat et client, en tant que conséquence indirecte de l’interception de communications, autorisée par mandat en vertu de la Loi sur le SCRS, constitue une exception de longue date au privilège avocat-client, conformément à la décision qu’a rendue la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Atwal c Canada, [1988] 1 CF 107 (CA) [Atwal].

 

[68]                       Par souci de commodité, je reproduis ci-dessous les dispositions de la Loi sur le SCRS qui sont contestées :

21. (1) Le directeur ou un employé désigné à cette fin par le ministre peut, après avoir obtenu l’approbation du ministre, demander à un juge de décerner un mandat en conformité avec le présent article s’il a des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire pour permettre au Service de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada ou d’exercer les fonctions qui lui sont conférées en vertu de l’article 16.

 

 

 

(2) La demande visée au paragraphe (1) est présentée par écrit et accompagnée de l’affidavit du demandeur portant sur les points suivants :

 

 

a) les faits sur lesquels le demandeur s’appuie pour avoir des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire aux fins visées au paragraphe (1);

 

 

 

 

b) le fait que d’autres méthodes d’enquête ont été essayées en vain, ou la raison pour laquelle elles semblent avoir peu de chances de succès, le fait que l’urgence de l’affaire est telle qu’il serait très difficile de mener l’enquête sans mandat ou le fait que, sans mandat, il est probable que des informations importantes concernant les menaces ou les fonctions visées au paragraphe (1) ne pourraient être acquises;

 

 

 

 

[...]

 

(3) Par dérogation à toute autre règle de droit mais sous réserve de la Loi sur la statistique, le juge à qui est présentée la demande visée au paragraphe (1) peut décerner le mandat s’il est convaincu de l’existence des faits mentionnés aux alinéas (2)a) et b) et dans l’affidavit qui accompagne la demande; le mandat autorise ses destinataires à intercepter des communications ou à acquérir des informations, documents ou objets. À cette fin, il peut autoriser aussi, de leur part :

 

a) l’accès à un lieu ou un objet ou l’ouverture d’un objet;

 

b) la recherche, l’enlèvement ou la remise en place de tout document ou objet, leur examen, le prélèvement des informations qui s’y trouvent, ainsi que leur enregistrement et l’établissement de copies ou d’extraits par tout procédé;

 

c) l’installation, l’entretien et l’enlèvement d’objets.

 

(4) Le mandat décerné en vertu du paragraphe (3) porte les indications suivantes :

 

a) les catégories de communications dont l’interception, les catégories d’informations, de documents ou d’objets dont l’acquisition, ou les pouvoirs visés aux alinéas (3)a) à c) dont l’exercice, sont autorisés;

 

 

b) l’identité de la personne, si elle est connue, dont les communications sont à intercepter ou qui est en possession des informations, documents ou objets à acquérir;

 

c) les personnes ou catégories de personnes destinataires du mandat;

 

d) si possible, une description générale du lieu où le mandat peut être exécuté;

 

 

 

e) la durée de validité du mandat;

 

f) les conditions que le juge estime indiquées dans l’intérêt public.

 

[...]

 

22. Sur la demande écrite, approuvée par le ministre, que lui en fait une personne autorisée à demander le mandat visé au paragraphe 21(3), le juge peut le renouveler, pour une période n’excédant pas celle pour laquelle ce mandat peut être décerné en vertu du paragraphe 21(5)

 

 

 

[...]

 

23. (1) Sur la demande écrite que lui en fait le directeur ou un employé désigné à cette fin par le ministre, le juge peut, s’il l’estime indiqué, décerner un mandat autorisant ses destinataires à enlever un objet d’un lieu où il avait été installé en conformité avec un mandat décerné en vertu du paragraphe 21(3)

 

[...]

 

24. Par dérogation à toute autre règle de droit, le mandat décerné en vertu des articles 21 ou 23 :

 

a) autorise ses destinataires, en tant que tels ou au titre de leur appartenance à une catégorie donnée :

 

(i) dans le cas d’un mandat décerné en vertu de l’article 21, à employer les moyens qui y sont indiqués pour effectuer l’interception ou l’acquisition qui y est indiquée,

 

 

 

 

 

(ii) dans le cas d’un mandat décerné en vertu de l’article 23, à exécuter le mandat;

 

b) autorise quiconque à prêter assistance à une personne qu’il a des motifs raisonnables de croire habilitée par le mandat.

 

 

21. (1) Where the Director or any employee designated by the Minister for the purpose believes, on reasonable grounds, that a warrant under this section is required to enable the Service to investigate a threat to the security of Canada or to perform its duties and functions under section 16, the Director or employee may, after having obtained the approval of the Minister, make an application in accordance with subsection (2) to a judge for a warrant under this section.

 

(2) An application to a judge under subsection (1) shall be made in writing and be accompanied by an affidavit of the applicant deposing to the following matters, namely,

 

(a) the facts relied on to justify the belief, on reasonable grounds, that a warrant under this section is required to enable the Service to investigate a threat to the security of Canada or to perform its duties and functions under section 16;

 

(b) that other investigative procedures have been tried and have failed or why it appears that they are unlikely to succeed, that the urgency of the matter is such that it would be impractical to carry out the investigation using only other investigative procedures or that without a warrant under this section it is likely that

information
 of importance with respect to the threat to the security of Canada or the performance of the duties and functions under section 16 referred to in paragraph (a) would not be obtained;

 

...

 

(3) Notwithstanding any other law but subject to the Statistics Act, where the judge to whom an application under subsection (1) is made is satisfied of the matters referred to in paragraphs (2)(a) and (b) set out in the affidavit accompanying the application, the judge may issue a warrant authorizing the persons to whom it is directed to intercept any communication or obtain any

information
, record, document or thing and, for that purpose,

 

 

(a) to enter any place or open or obtain access to any thing;

 

(b) to search for, remove or return, or examine, take extracts from or make copies of or record in any other manner the

information
, record, document or thing; or

 

 

 

(c) to install, maintain or remove any thing.

 

(4) There shall be specified in a warrant issued under subsection (3)

 

(a) the type of communication authorized to be intercepted, the type of

information
, records, documents or things authorized to be obtained and the powers referred to in paragraphs (3)(a) to (c) authorized to be exercised for that purpose;

 

(b) the identity of the person, if known, whose communication is to be intercepted or who has possession of the

information
, record, document or thing to be obtained;

 

 

(c) the persons or classes of persons to whom the warrant is directed;

 

(d) a general description of the place where the warrant may be executed, if a general description of that place can be given;

 

(e) the period for which the warrant is in force; and

 

(f) such terms and conditions as the judge considers advisable in the public interest.

 

...

 

22. On application in writing to a judge for the renewal of a warrant issued under subsection 21(3) made by a person entitled to apply for such a warrant after having obtained the approval of the Minister, the judge may, from time to time, renew the warrant for a period not exceeding the period for which the warrant may be issued pursuant to subsection 21(5)

 

...

 

23. (1) On application in writing by the Director or any employee designated by the Minister for the purpose, a judge may, if the judge thinks fit, issue a warrant authorizing the persons to whom the warrant is directed to remove from any place any thing installed pursuant to a warrant issued under subsection 21(3)

 

...

 

24. Notwithstanding any other law, a warrant issued under section 21 or 23

 

 

(a) authorizes every person or person included in a class of persons to whom the warrant is directed,

 

(i) in the case of a warrant issued under section 21, to exercise the powers specified in the warrant for the purpose of intercepting communications of the type specified therein or obtaining information, records, documents or things of the type specified therein, or

 

(ii) in the case of a warrant issued under section 23, to execute the warrant; and

 

(b) authorizes any other person to assist a person who that other person believes on reasonable grounds is acting in accordance with such a warrant.

 

 

[69]                       Dans l’arrêt Atwal, la Cour d’appel fédérale conclut que le régime des mandats que prévoit la Loi sur le SCRS et qui est décrit dans ces dispositions est constitutionnel, et ce, à la suite d’une contestation relative à certains mandats dans le contexte d’une instance criminelle. La Cour d’appel conclut également que le Service, lorsqu’un mandat l’autorise expressément, peut intercepter les communications entre avocat et client dans le but de vérifier s’il existe une menace pour la sécurité nationale. De plus, l’exception au privilège du secret professionnel de l’avocat qui est décrite dans l’arrêt Atwal se limite à l’article 12 de la Loi sur le SCRS, lequel exige que l’obtention et la conservation des informations aient lieu « dans la mesure strictement nécessaire » pour faire enquête sur une menace envers la sécurité. Par ailleurs, le risque d’une interception indirecte de communications entre avocat et client est un aspect qui préoccupe la Cour dans le processus d’approbation judiciaire en raison du caractère unique du privilège avocat‑client, qui constitue un principe de justice fondamentale en droit canadien (Lavallee, Rackel & Heintz c Canada (Procureur général), 2002 CSC 61 [Lavallee], au paragraphe 21).

 

[70]                       M. Mahjoub soutient qu’Atwal est juridiquement erroné. La Cour d’appel fédérale, soutient-il, était tenue de suivre les décisions que la Cour suprême du Canada avait rendues antérieurement dans les affaires Descoteaux et al. c Mierzwinski, [1982] 1 RCS 860 [Descoteaux] et Solosky c La Reine, [1980] 1 RCS 821 [Solosky]. En statuant comme elle l’a fait dans Atwal, soutient M. Mahjoub, la Cour d’appel fédérale cherchait à écarter la jurisprudence de la Cour suprême.

 

[71]                       Pour examiner l’argument qu’invoque M. Mahjoub, il est nécessaire de passer en revue ces arrêts de manière assez détaillée.

 

[72]                       L’arrêt Atwal est un appel de la décision prise par un juge désigné de refuser d’annuler un mandat décerné en vertu de la Loi sur le SCRS. Antérieurement, le juge désigné avait décerné un mandat en application du paragraphe 21(1) de la Loi sur le SCRS à l’encontre de M. Atwal en vue de fouiller et de saisir des documents ainsi que d’intercepter des communications, mesure dont les fruits avaient servi à accuser M. Atwal de complot en vue de commettre un meurtre. L’arrêt Atwal porte directement sur la question des communications protégées par le privilège avocat-client. À la page 123 de la décision, la Cour d’appel signale que l’appelant a évoqué la question de la non-conformité du mandat à l’article 21 de la Loi sur le SCRS car cette disposition « autorise la saisie et l'interception de communications à caractère privilégié entre un avocat et son client ».

 

[73]                       Aux pages 128 à 133, la Cour d’appel fédérale a expliqué qu’un mandat décerné en vertu de l’article 21 peut autoriser l’interception de communications entre avocat et client. La Cour a établi une distinction avec un traité portant sur le droit de la surveillance électronique qui proposait d’imposer des limites aux activités de surveillance en vue de protéger les informations privilégiées après qu’une accusation criminelle est déposée. La Cour d’appel a fait remarquer que les situations n’étaient pas analogues car l’appelant n’avait pas été inculpé pendant que le mandat était en vigueur. La Cour a également écarté la préoccupation de l’appelant selon laquelle, indépendamment des exigences liées à la condition du mandat interdisant toute communication, une personne qui en aurait connaissance, comme le directeur ou un traducteur, pourrait néanmoins être contrainte à témoigner sur son contenu. La Cour a tenu le raisonnement suivant :

En soutenant ce qui précède, l'appelant nie toute force aux termes impératifs de la condition 3 qui interdisent une telle divulgation, et il oublie que les tribunaux sont disposés à exclure les éléments de preuve dont l'admission aurait tendance à discréditer l'administration de la justice. Je ne puis concevoir que la situation qu'il appréhende puisse réellement se produire.

 

 

[74]                       À la page 130, la Cour d’appel a pris acte de l’exigence énoncée par la Cour suprême dans l’arrêt Descoteaux, à savoir que le privilège de l’avocat-client doit maintenant être examiné comme une règle de droit substantielle et non comme une règle de preuve, comme cela a déjà été le cas. Citant l’arrêt Descoteaux, à la page 875, la Cour d’appel a reproduit le texte employé par la Cour suprême pour formuler la règle substantielle :

1.        La confidentialité des communications entre client et avocat peut être soulevée en toutes circonstances où ces communications seraient susceptibles d'être dévoilées sans le consentement du client;

 

2.        A moins que la loi n'en dispose autrement, lorsque et dans la mesure où l'exercice légitime d'un droit porterait atteinte au droit d'un autre à la confidentialité de ses communications avec son avocat, le conflit qui en résulte doit être résolu en faveur de la protection de la confidentialité;

 

3.        Lorsque la loi confère à quelqu'un le pouvoir de faire quelque chose qui, eu égard aux circonstances propres à l'espèce, pourrait avoir pour effet de porter atteinte à cette confidentialité, la décision de le faire et le choix des modalités d'exercice de ce pouvoir doivent être déterminés en regard d'un souci de n'y porter atteinte que dans la mesure absolument nécessaire à la réalisation des fins recherchées par la loi habilitante;

 

4.        La loi qui en disposerait autrement dans les cas du deuxième paragraphe ainsi que la loi habilitante du paragraphe trois doivent être interprétées restrictivement.

 

[75]                       La Cour d’appel a traité des points iii et iv des exigences précitées à la page 130 de sa décision :

Le paragraphe 21(3) autorise le juge à décerner un mandat autorisant ses destinataires "à intercepter des communications". Comme le caractère confidentiel des communications ne peut, lorsque l'interception se fait à l'aide de moyens électroniques, être établi de façon certaine avant que celles-ci ne soient captées, on ne peut tout simplement pas interpréter les dispositions du paragraphe 21(3) comme excluant leur interception initiale. A mon sens, les conditions 2 et 3 énoncées dans le mandat satisfont à l'exigence selon laquelle il ne doit être porté atteinte au caractère confidentiel des communications entre un avocat et son client que si cela est absolument nécessaire pour atteindre les objectifs fixés par la Loi. Les objectifs pertinents se trouvent énoncés à l'article 12.

 

 

 

[76]                       À mon avis, l’arrêt Atwal n’est pas incompatible avec l’arrêt Descoteaux, pas plus qu’il ne le sort de son contexte comme l’allègue M. Mahjoub. Il adapte les exigences énoncées dans l’arrêt Descoteaux au contexte de la sécurité nationale. L’arrêt Descoteaux. n’a pas été tranché dans un tel contexte. Il était question dans cette affaire d’une recherche de documents dans une clinique d’aide juridique, y compris la demande d’aide juridique d’une personne à l’égard de laquelle un mandat avait été délivré parce qu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’elle avait commis l’acte criminel consistant à déclarer faussement des revenus inférieurs en vue d’avoir droit à l’aide juridique.

 

[77]                       Aux pages 872 et 873 de ses motifs dans l’arrêt Descoteaux, la Cour suprême a fait sien l’énoncé suivant, extrait de Wigmore on Evidence, en tant que sommaire acceptable des conditions de fond préalables à l’existence du droit du client de l’avocat à la confidentialité :

[traduction] Les communications faites par le client qui consulte un conseiller juridique ès qualité, voulues confidentielles par le client, et qui ont pour fin d'obtenir un avis juridique font l'objet à son instance d'une protection permanente contre toute divulgation par le client ou le conseiller juridique, sous réserve de la renonciation à cette protection.

 

 

[78]                       La Cour a ensuite reconnu qu’il y avait des exceptions à la règle. Elle a déclaré, à la page 873 :

Il y a des exceptions. Il ne suffit pas de parler à un avocat ou l'un de ses collaborateurs pour que dès lors tout soit confidentiel. Il faut que la communication soit faite à l'avocat ou à ses collaborateurs en leur qualité professionnelle; la relation, au moment précis de la communication, doit être de nature professionnelle. Ne seront pas non plus confidentielles les communications faites dans le but de perpétrer plus facilement un crime ou une fraude, et ce, que l'avocat soit de bonne ou mauvaise foi.

 

 

[79]                       La Cour suprême n’a donné ici aucune indication quant au processus à appliquer pour déterminer si la communication entre avocat et client avait été faite à l’avocat ou à ses collaborateurs en leur qualité professionnelle ou dans le but de perpétrer plus facilement un crime ou une fraude. En fait, à la page 896, la Cour suprême a déclaré : « la procédure variera d’un cas à l’autre. » M. Mahjoub soutient que la Cour suprême fournit une telle indication dans l’arrêt Solosky. Ce dernier, aux pages 841 et 842, établit qu’il doit y avoir des « motifs raisonnables et probables de croire » que les communications ne sont pas protégées par le privilège avocat-client avant que leur contenu puisse être entendu ou lu.

 

[80]                       L’affaire Solosky concernait l’interception du courrier d’un détenu. La Loi sur les pénitenciers, LRC 1970, c P-6, autorisait à intercepter le courrier des détenus si ces derniers étaient considérés comme une menace « pour la sécurité et la sûreté de l’institution », et la Cour suprême a jugé que le règlement signifiait que l’on pouvait ordonner que « l’enveloppe soit ouverte et examinée dans la mesure minimale jugée nécessaire pour établir si son contenu [relevait] effectivement du privilège entre avocat et client ». L’arrêt Solosky impose aux fonctionnaires qui interceptent des communications entre avocat et client une restriction plus stricte que dans l’arrêt Atwal.

 

[81]                       Les circonstances qui entourent les mandats décernés en vertu de l’article 21 sont nettement différentes et concernent une enquête relative à une menace envers la sécurité du Canada, dans un contexte qui est antérieur à n’importe quelle instance judiciaire, et à un moment où l’on ne s’attend pas à des contacts réguliers avec un conseiller juridique en vue d’obtenir des conseils juridiques. À mon avis, l’arrêt Solosky se distingue de l’espèce sur le plan des faits. L’affaire Atwal a été tranchée dans le contexte de la sécurité nationale et il reflète l’état du droit canadien au sujet des mandats décernés en vertu de l’article 21 qui autorisent l’interception de communications entre avocat-client et auquel la Cour est liée. Ma conclusion trouve appui dans l’arrêt Corp. of Canadian Civil Liberties Assn. c Canada (Procureur général) (1998), 40 OR (3e) 489, aux paragraphes 38, 78, 90 et 91 (CA) où il a été conclu, dans le cadre d’une contestation constitutionnelle semblable, que les mandats décernés en vertu de l’article 21 étaient constitutionnels et où la Cour a expressément invoqué l’arrêt Atwal en tant qu’arrêt de principe. L’autorisation d’interjeter appel auprès de la Cour suprême du Canada a été refusée.

 

[82]                       Je conclus que l’arrêt Atwal a force obligatoire dans les circonstances, mais cela ne veut pas dire que l’arrêt Solosky ne donne pas de directives sur les restrictions qu’il convient d’imposer à l’interception de communications entre avocat et client après la délivrance du certificat de sécurité et l’arrestation de la personne nommée. Il est dans ce cas difficile de distinguer les circonstances de M. Mahjoub puisqu’il était détenu. La censure d’une correspondance pénitentiaire est raisonnablement analogue à l’interception des communications de M. Mahjoub à l’époque où il était incarcéré et, dans mon esprit, plus analogue que les faits dont il était question dans l’affaire Atawl.

 

[83]                       La jurisprudence semble exiger une norme plus stricte pour les exceptions au privilège avocat-client lorsqu’on cherche à obtenir les informations en vue d’obtenir des preuves à utiliser dans le cadre d’une instance judiciaire. Voir : Lavallee et Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44 [Blood Tribe]. Je signale que l’arrêt Solosky a été cité avec approbation dans l’arrêt Lavallee comme étant l’arrêt de principe sur la question, dans le contexte qui lui était propre. Dans l’arrêt Solosky, la norme est formulée comme suit aux pages 841 et 842 :

[La] « mesure minimale jugée nécessaire pour établir si son contenu relève effectivement du privilège entre avocat et client » doit être interprétée de manière que

(i)       le contenu d’une enveloppe puisse être inspecté pour déceler la contrebande,

(ii)     dans des cas limités, la communication puisse être lue pour s’assurer qu’elle renferme effectivement une communication à caractère con­fidentiel entre l’avocat et son client aux fins de consultation ou d’avis juridiques;

(iii)   la lettre ne soit lue que s’il existe des motifs raisonnables et probables de croire le contraire et, dans ce cas, uniquement dans la mesure nécessaire pour déter­miner la bonne foi de la communication;

(iv)   le fonctionnaire compétent du pénitencier qui examine l’enveloppe, après s’être assuré que cette dernière ne renferme rien qui enfreigne la sécurité, ait l’obligation légale de garder la communication confidentielle.

 

[84]                       Dans la décision Almrei (Re), 2008 CF 1216, le juge Mosley a traité d’une contestation constitutionnelle visant la LIPR qui était fondée sur un prétendu manquement au privilège avocat-client. Il a fait remarquer ce qui suit sur la question aux paragraphes 60 et 61 de ses motifs :

[60] Malgré son importance, le secret professionnel liant l’avocat et son client n’est pas absolu : R. c McClure, [2001] 1 RCS 445, paragraphes 34 et 35. La jurisprudence invoquée par les personnes désignées pour appuyer l’importance du secret professionnel de l’avocat n’exclut pas sa violation possible pour raisons de nécessité : Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c  Department of Health, 2008 CSC 44, paragraphes 17 et 22; Lavallee, Rackel & Heintz c Canada (Procureur général), [2002] 3 RCS 209, 2002 CSC 6, paragraphe 36; Smith c Jones, [1999] 1 RCS 455, paragraphe 57.

 

[61] La volonté d’éviter une atteinte à la sécurité nationale, ce qui peut comprendre le risque d’une divulgation faite par inadvertance, constitue sans doute une nécessité qui justifie une entorse au privilège dans la mesure où elle ne dépasse pas ce qu’exigent les circonstances. C’est là une décision qui ne doit pas être prise dans l’abstrait.

 

 

[85]                       En conclusion, je suis persuadé que l’arrêt Atwal n’a pas été infirmé et qu’il lie la Cour. Il crée une exception au privilège avocat-client qui est fondée sur la sécurité nationale, dans le contexte étroit d’une éventuelle enquête du SCRS sur une menace envers la sécurité nationale et autorisée par un mandat décerné en vertu de l’article 21.

 

[86]                       Je suis d’avis que lorsqu’une personne est mise en détention ou qu’une instance judiciaire est introduite, l’exception plus étroite au privilège avocat-client que l’on trouve dans l’arrêt Solosky s’applique à n’importe quel mandat décerné. Même si l’intérêt à l’égard de la sécurité nationale et de la sécurité de l’établissement de détention est toujours présent, le mandat doit exiger qu’une fois que l’on considère qu’une communication a lieu entre un avocat et son client, le SCRS doit avoir des motifs raisonnables et probables de croire qu’il ne s’agit pas d’une communication entre avocat et client légitime ou que cette communication a trait à un danger imminent avant que l’interception puisse avoir lieu.

 

[87]                       Je suis convaincu que l’arrêt Atwal n’a pas été infirmé et, cela étant, je suis lié par la décision qui y a été rendue. La contestation constitutionnelle soulevée en l’espèce au sujet de l’interception de communications entre avocat et client autorisée par des mandats décernés en vertu de l’article 21 a été tranchée par l’arrêt Atwal. L’article 21 de la Loi sur le SCRS n’est pas inconstitutionnelle du simple fait que les mandats décernés en vertu de cet article peuvent autoriser l’interception indirecte de communications entre avocat et client pour les besoins d’une éventuelle enquête.

 

La conclusion sur la première question en litige

[88]                       Les contestations que M. Mahjoub a soumises ainsi que les faits de l’espèce m’amènent à conclure que les dispositions contestées de la Loi sur le SCRS ne portent atteinte ni à l’article 7, ni à l’article 8, ni à tout autre article de la Charte.

 

[89]                       L’expression « menaces envers la sécurité du Canada » est définie de façon suffisante à l’article 2 de la Loi sur le SCRS pour donner avis au citoyen du genre d’activités qui feront l’objet d’une enquête ainsi que des limites au pouvoir discrétionnaire qu’a le Service de faire enquête sur des activités. Le législateur n’a pas envisagé que l’article 12 autoriserait des fouilles et des saisies abusives dans des circonstances où des droits à la protection de la vie privée seraient en jeu. Au lieu de cela, il fallait que les fouilles et les saisies attentatoires soient autorisées par les mandats décernés en vertu de l’article 21. L’article 6 ne met pas en jeu les droits de M. Mahjoub et ne peut pas être contesté par des allégations attaquant la constitutionnalité des politiques du Service qui sont établies en vertu de cette disposition. Les ententes avec des organismes étrangers qui sont établies en vertu de l’article 17 ne portent pas atteinte aux droits de M. Mahjoub, même si elles comportent l’échange d’informations personnelles que détient le Service à titre de renseignements. L’intérêt du public à l’égard du partage des informations en vue de favoriser le mandat du SCRS est supérieur au droit « résiduel » à la protection de la vie privée que M. Mahjoub détient dans les informations. Enfin les articles 21 à 24 de la Loi ne permettent pas de faire des fouilles et des saisies abusives juste parce qu’ils permettent à la Cour fédérale d’autoriser l’interception de communications entre avocat et client. Avant le début de n’importe quelle instance judiciaire visant une cible, il peut être nécessaire d’intercepter indirectement de telles communications dans l’intérêt de la sécurité nationale.

 

2.                  La légalité des mandats décernés en vertu de l’article 21 peut-elle être contestée et, si oui, de quelle façon?

 

[90]                       Les ministres font valoir, à titre préliminaire, que M. Mahjoub se lance dans une attaque indirecte interdite contre la validité des mandats en contestant la légalité des mandats décernés en vertu de l’article 21 dont il est question en l’espèce.

 

[91]                       M. Mahjoub soulève deux questions préliminaires qui se rapportent à la mesure dans laquelle il est possible de contester les mandats. Premièrement, il allègue que les preuves obtenues grâce aux mandats décernés en vertu de l’article 21 sont a priori inadmissibles car elles ont été obtenues dans le cadre du précédent régime prévu par la LIPR qui a été déclaré inconstitutionnel dans l’arrêt Charkaoui I. Deuxièmement, il allègue qu’il lui est impossible de contester de manière efficace les mandats car le texte intégral de ces derniers et des affidavits justificatifs ne lui a pas été communiqué, ce qui porte atteinte à son droit à une défense pleine et entière. Il soutient, subsidiairement, que la Cour devrait se limiter à examiner la légalité des mandats sur la base des informations qui lui ont été communiquées, sans égard à celles qui ne figurent pas dans les sommaires, comme dans le cas du processus que l’on emploie lorsqu’un accusé conteste un mandat décerné en vertu du Code criminel.

 

a)                  La règle interdisant les contestations indirectes empêche-t-elle de contester la validité des mandats décernés en vertu de l’article 21 dans le contexte de la détermination de l’admissibilité de preuves, conformément à l’article 24 de la Charte, dans le cadre d’une instance relative à un certificat de sécurité?

 

 

[92]                       Les ministres se fonde sur l’arrêt Wilson c La Reine, [1983] 2 RCS 594 [Wilson] à l’appui de leur argument selon lequel la présente contestation des mandats est une attaque indirecte contre la décision de la Cour de décerner des mandats ex parte en vertu de l’article 21 de la Loi sur le SCRS. Ils ajoutent que M. Mahjoub ne peut pas [traduction] « revenir en arrière » et contester les mandats en tentant d’exclure les preuves obtenues grâce à ces derniers.

 

[93]                       Dans l’arrêt Wilson, il est indiqué à la page 607 que « [p]uisqu'il n'y a aucun droit d'appel contre l'octroi d'une autorisation et puisqu'il ne paraît pas y avoir lieu à certiorari (en l'absence d'une question de compétence), toute demande de révision d'une autorisation doit, selon moi, être adressée à la cour qui l'a accordée ». À la page 608, la Cour suprême ajoute qu’il n’est pas toujours « pratique ou possible d’adresser une demande de révision au juge qui a rendu l’ordonnance [...] un autre juge de la même cour peut réviser une ordonnance rendue ex parte », mais elle prévient que « [l]e juge chargé de la révision ne doit pas substituer son appréciation à celle du juge qui a accordé l'autorisation » et permet seulement au tribunal de révision de modifier l’autorisation du mandat « s'il appert que les faits sur lesquels on s'est fondé pour l'accorder diffèrent de ceux prouvés dans le cadre de la révision ex parte ».

 

[94]                       L’arrêt Wilson comporte aussi une définition utile d’une attaque indirecte, à la page 599 : « l'attaque indirecte peut être décrite comme une attaque dans le cadre de procédures autres que celles visant précisément à obtenir l'infirmation, la modification ou l'annulation de l'ordonnance ou du jugement. » La Cour suprême n’autorise une telle mesure que « [s]ous réserve du cas où l'autorisation est à première vue entachée d'un vice et du cas où elle a été obtenue par la fraude » (à la page 604).

 

[95]                       À mon avis, la contestation de M. Mahjoub à l’égard des mandats décernés en vertu de l’article 21, et plus particulièrement à l’égard de l’admissibilité des preuves obtenues grâce à ces mandats, ne cadre pas avec la définition susmentionnée d’une attaque indirecte. Même si M. Mahjoub a qualifié à tort sa contestation de demande déposée en vertu de l’alinéa 399(1)a) des Règles des Cours fédérales et de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, je suis convaincu qu’il s’agit essentiellement d’une demande déposée en vertu du paragraphe 24(2) en vue d’exclure des preuves au motif que celles-ci ont été obtenues en violation des droits que la Charte garantit à M. Mahjoub et que leur admission déconsidérera l’administration de la justice.

 

[96]                       La principale question que soulève l’arrêt Wilson est celle du tribunal approprié. Dans cette affaire, une cour provinciale avait refusé d’accepter l’autorisation d’une cour supérieure. La Cour suprême a confirmé qu’il est nécessaire que l’autorisation soit révisée par le tribunal qui l’a donnée.

 

[97]                       La seule restriction qu’impose la Cour suprême à cette révision est que « [l]e juge chargé de la révision ne doit pas substituer son appréciation à celle du juge qui a accordé l'autorisation. Il n'y a lieu de toucher à l'autorisation que s'il appert que les faits sur lesquels on s'est fondé pour l'accorder diffèrent de ceux prouvés dans le cadre de la révision ex parte ». Enfin, à la page 609, le juge McIntyre admet la possibilité que si le juge du procès se trouve à relever du même tribunal que celui du juge qui a donné l’autorisation, une demande pourra lui être adressée directement « en sa qualité de juge de la cour qui a rendu l’ordonnance initiale et non en sa qualité de juge du procès [...] », « ce qui permettrait d'éviter les frais supplémentaires et les retards inutiles qu'entraîneraient des procédures tout à fait distinctes ».

 

[98]                       Le dernier scénario est analogue à la situation en l’espèce. Il s’agit d’une chose courante dans une instance criminelle. En fait, l’arrêt R. c Garofoli, [1990] 2 RCS 1421 [Garofoli] traite de cette question de manière plus pertinente que l’arrêt Wilson, aux pages 1448 et 1449 :

À mon avis, lorsqu'un accusé fait valoir qu'une écoute électronique contrevient à l’art. 8, une révision adéquate devient incompatible avec les restrictions apportées par l'arrêt Wilson. Le juge siégeant en révision doit entendre les témoins et les arguments pour déterminer si l'interception constitue une perquisition ou saisie abusive. Dans la mesure où la question porte sur la recevabilité de la preuve, elle peut être soulevée au procès. En vertu de l’art. 24 de la Charte, le juge du procès est un tribunal compétent.

 

[99]                       Ces commentaires ne se limitent pas au simple accès au rapport d’écoute électronique, comme le soutiennent les ministres.

 

[100]                   Par ailleurs, dans l’arrêt R. c Litchfield, [1993] 4 RCS 333, à la page 349, les juges majoritaires ont conclu que la règle interdisant les attaques indirectes « n’a pas été conçue pour soustraire à tout contrôle les ordonnances judiciaires ». Il est très rare qu’une contestation d’un mandat décerné en vertu de l’article 21 de la Loi sur le SCRS survienne dans une situation autre qu’une instance où les fruits de ce mandat sont déposés en preuve, comme une instance criminelle semblable aux affaires R. c Ahmad, 2011 CSC 6 ou Atwal, ou une instance en immigration telle que la présente. C’est de la nature des mandats qu’ils sont en général décernés à l’insu des personnes qu’ils visent. Dans les circonstances où la possibilité de procéder à une contestation concrète par les voies de contrôle et d’appel ordinaires est irréaliste, il est encore plus important que la règle interdisant les attaques indirectes soit appliquée de manière souple (Dagenais c Société Radio-Canada, [1994] 3 RCS 835, à la page 871).

 

[101]                   Souscrire à la position des ministres reviendrait à soustraire à tout contrôle les mandats décernés en vertu de l’article 21 et priverait M. Mahjoub de la possibilité dont il dispose d’invoquer l’article 24 de la Charte pour exclure des éléments de preuve qui, allègue-t-il, ont été obtenus inconstitutionnellement du fait de l’invalidité des mandats. Je rejette donc l’argument des ministres selon lequel la présente demande est assimilable à une attaque indirecte.

 

[102]                   Voyons maintenant les questions que M. Mahjoub a soulevées.

 

b)                  Les preuves obtenues à la suite de mandats décernés en vertu de l’article 21 sont-elles inadmissibles parce que l’arrêt Charkaoui I a conclu que l’ancien régime prévu par la LIPR, qui était la loi applicable à l’époque où les preuves ont été recueillies, était inconstitutionnel?

 

 

[103]                   Je ne vois aucun fondement à l’argument de M. Mahjoub selon lequel les preuves recueillies en application des mandats décernés en vertu de l’article 21 de la Loi sur le SCRS seraient inadmissibles car il a été conclu que l’ancien régime prévu par la LIPR était inconstitutionnel. Dans l’affaire Charkaoui I, la Cour suprême avait affaire à une contestation de la LIPR, mais les mandats en litige ont été décernés en vertu de l’article 21 de la Loi sur le SCRS, une loi tout à fait différente. À ce jour, dans l’arrêt Atwal, la Cour d’appel fédérale a conclu que la Loi sur le SCRS était constitutionnelle. Dans Charkaoui I, la Cour suprême n’a fait aucun commentaire sur la constitutionnalité des mandats décernés en vertu de la Loi sur le SCRS. Je rejette donc l’argument de M. Mahjoub.

 

c)                  La non-communication des mandats confidentiels décernés en vertu de l’article 21, ainsi que des affidavits déposés à l’appui de ces derniers, viole-t-elle le droit de M. Mahjoub à une défense pleine et entière?

 

 

[104]                   M. Mahjoub prétend qu’il ne peut contester de manière efficace les mandats sans qu’on lui communique le texte intégral des mandats décernés en vertu de l’article 21 et des affidavits justificatifs qui ont été soumis au juge désigné qui a décerné les mandats. Cette situation, prétend-il, viole son droit à une défense pleine et entière, et il y a lieu de remédier à la violation en excluant les éléments de preuve obtenus en application des mandats.

 

[105]                   Le droit d’un accusé à une défense pleine et entière dans le contexte criminel ne peut s’appliquer directement à une personne visée dans une instance relative à un certificat de sécurité. La Cour suprême du Canada et la Cour d’appel fédérale ont qualifié le droit qu’a la personne visée de droit de connaître la preuve à réfuter et d’y répondre, lequel droit s’inscrit dans le contexte plus large du droit à un procès équitable. L’arrêt Charkaoui II soulève la question de la « défense pleine et entière » et l’explique expressément dans le contexte criminel de l’affaire R. c Stinchcombe, [1991] 3 RCS 326, à partir du paragraphe 48 de la décision. L’alinéa b) de la décision, à partir du paragraphe 50, est intitulé « Distinction avec la situation visée par les certificats de sécurité ». Le paragraphe 50 explique les différences et les similitudes dans leur contexte :

Les principes de divulgation de la preuve sont bien établis en droit pénal. L’évaluation du caractère raisonnable des certificats de sécurité devant la Cour fédérale se situe dans un contexte différent de celui du procès pénal. À proprement parler, aucune accusation n’est portée contre la personne visée par le certificat. Dans une optique de prévention ou de protection de la sécurité publique, les ministres veulent expulser du territoire canadien la personne en cause. Cependant, l’importance des conséquences de la procédure pour la liberté et la sécurité de la personne visée mettent en cause des intérêts protégés par l’art. 7 de la Charte. Une forme de divulgation de l’ensemble de la preuve, plus complète que les simples résumés fournis aux ministres et au juge désigné par le SCRS selon sa pratique actuelle, s’impose pour protéger les droits fondamentaux affectés par la procédure des certificats de sécurité.

 

 

[106]                   Au paragraphe 51, la Cour suprême cite l’arrêt Blencoe c Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, au paragraphe 88 : « [n]otre Cour a souvent fait des mises en garde contre l’application directe en droit administratif des normes de la justice criminelle. » Elle explique ensuite, au paragraphe 56, l’étendue de l’obligation de divulgation :

Dans La (par. 20), la Cour a confirmé que l’obligation de divulgation fait partie des droits protégés par l’art. 7. De même, dans Ruby c Canada (Solliciteur général), [2002] 4 RCS 3, 2002 CSC 75, par. 39-40, la Cour a souligné l’importance de l’approche contextuelle dans l’évaluation des règles de justice naturelle et du niveau d’équité procédurale auxquelles a droit une personne. À notre avis, la délivrance d’un certificat et ses conséquences comme la détention exigent un grand respect pour l’équité procédurale due à la personne visée. Cette équité procédurale comprend, dans ce contexte, une procédure de vérification de la preuve présentée contre cette personne. Elle inclut également sa communication à la personne visée, selon des modalités et dans des limites qui respectent les intérêts légitimes de la sécurité publique. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[107]                   Il est évident que la Cour suprême n’importe pas la notion de « défense pleine et entière » dans le contexte des certificats de sécurité. Au paragraphe 58, elle invoque plutôt un « droit élargi à l’équité procédurale, qui impose la divulgation de la preuve [...] », ainsi qu’un mécanisme permettant de vérifier les éléments de preuve déposés contre la personne visée.

 

[108]                   Ce droit est expliqué plus en détail dans l’arrêt Charkaoui I, où l’on dit au paragraphe 20 que « [l]’article 7 de la Charte exige non pas un type particulier de procédure, mais une procédure équitable eu égard à la nature de l’instance et des intérêts en cause [...] ». Au paragraphe 24, la Cour suprême ajoute : « [t]ous les renseignements qui servent de fondement à l’affaire ne peuvent peut-être pas être divulgués », et au paragraphe 27, explique-t-elle, « [l]es principes de justice fondamentale ne peuvent être réduits au point de ne plus offrir la protection de l’application régulière [...] Il se peut que cette protection ne soit pas aussi complète qu’en l’absence de contraintes liées à la sécurité nationale. Mais il demeure qu’il ne saurait y avoir conformité avec l’art. 7 sans une protection véritable et substantielle. » Enfin, au paragraphe 29 de l’arrêt Charkaoui I, la Cour suprême mentionne les éléments essentiels des droits à l’application régulière de la loi que garantit l’article 7 lorsqu’il est question d’une détention prolongée et d’une éventuelle déportation : « [i]l emporte le droit de chacun de connaître la preuve produite contre lui et le droit d’y répondre. La façon précise de se conformer à ces exigences variera selon le contexte. »

 

[109]                   De plus, au paragraphe 71 de l’arrêt Harkat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 122 [Harkat], la Cour d’appel fédérale explique les droits garantis par l’article 7 qui sont en jeu sous l’angle de la divulgation de renseignements dans une instance relative à un certificat de sécurité :

Les principes de justice fondamentale ont été examinés par la Cour suprême. Dans Charkaoui no 1, la Cour « a reconnu à de nombreuses reprises que des considérations relatives à la sécurité nationale peuvent limiter l’étendue de la divulgation de renseignements à l’intéressé » et que la protection des méthodes d’enquête et des sources utilisées par la police et la préservation de la confidentialité des documents relatifs à la sécurité publique et des renseignements confidentiels de source étrangère sont des « préoccupations d’ordre social [qui] font partie du contexte pertinent dont il faut tenir compte pour déterminer la portée des principes applicables de justice fondamentale ». Néanmoins, les principes de justice fondamentale commandent que la personne visée bénéficie d’une audience équitable. Autrement dit, la personne visée doit non seulement être informée de la preuve qui pèse contre elle, mais aussi avoir la possibilité d’y répondre. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[110]                   Pour déterminer la constitutionnalité de la disposition qui oblige la Cour fédérale à fournir des sommaires à la personne visée, la Cour d’appel fédérale, au paragraphe 82, continue d’employer les mêmes termes que dans les arrêts Charkaoui I et Charkaoui II, soit le droit de chacun de connaître la preuve produite contre lui et le droit d’y répondre. Nulle part dans la décision que la Cour d’appel fédérale a rendue dans l’affaire Harkat trouve-t-on l’expression « défense pleine et entière », sauf pour expliquer une affaire criminelle (au paragraphe 111).

 

[111]                   Même si, à bien des égards, le droit de chacun de connaître la preuve produite contre lui et celui d’y répondre ressemblent au droit à une défense pleine et entière, il existe entre les deux une nette distinction. Le droit à la divulgation ou à un redressement pour non-divulgation est différent, en ce sens que dans les affaires relatives à un certificat de sécurité, le droit n’est pas absolu. Dans l’arrêt Charkaoui I, la Cour suprême fait remarquer, au paragraphe 61, qu’« une autre façon d’informer pour l’essentiel », c’est-à-dire une façon autre que la communication ou la divulgation, serait suffisante pour satisfaire au droit à un procès équitable dans une instance relative à un certificat de sécurité.

 

[112]                   Comme il est expliqué dans la Décision constitutionnelle, aux paragraphes 83 et 84, la Cour d’appel fédérale conclut dans l’arrêt Harkat que le régime des avocats spéciaux, de pair avec la communication de sommaires à M. Mahjoub, dans l’actuelle version de la LIPR, constitue une autre façon de l’informer pour l’essentiel. La Cour d’appel fédérale conclut, au paragraphe 116, que « le paragraphe 85.4(2) et l’article 85.5 de la Loi comportent la souplesse nécessaire pour garantir l’équité procédurale ainsi que la protection de la sécurité nationale et de la sécurité d’autrui ». Elle précise, au paragraphe 119 :

La Loi révisée fournit au juge les outils nécessaires pour assurer l’équité procédurale. Avec l’aide des avocats spéciaux agissant pour le compte de l’appelant, le juge est au centre du régime et il y joue un rôle clé. Il est investi des pouvoirs nécessaires en vertu de la common law et de la Charte ainsi que d’un pouvoir discrétionnaire sous le régime de la Loi pour satisfaire aux exigences du droit à l’équité procédurale garanti par l’article 7 de la CharteIl possède le pouvoir d’ordonner la divulgation de renseignements, de remédier à un manquement à une obligation de divulgation et d’accorder une réparation juste et convenable en application du paragraphe 24(1) de la Charte dans les cas où il y a eu manquement à l’équité procédurale. Il peut prendre des mesures préventives pour empêcher la violation du droit à la liberté et à la sécurité d’une personne. L’ensemble de ces facteurs jumelé à la divulgation ordonnée par l’arrêt Charkaoui no 2 constitue un substitut valable à une divulgation complète.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[113]                   C’est là une conclusion qui lie la Cour.

 

[114]                   Les avocats spéciaux ont obtenu communication des mandats décernés en vertu de l’article 21 ainsi que des affidavits justificatifs. M. Mahjoub a obtenu un sommaire détaillé de ces mandats et de ces affidavits qui est suffisant pour qu’il en soit raisonnablement informé (voir l’ordonnance de la Cour du 5 octobre 2010). Les détails des mandats doivent demeurer confidentiels car leur communication porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Cependant, M. Mahjoub a pu soulever des contestations générales à l’égard de la légalité des mandats et de celle des fouilles et des saisies que le Service a exécutées, manifestement en application de ces mandats. Les avocats spéciaux ont pu étayer ces contestations à huis clos au moyen d’observations ciblées sur les détails confidentiels des mandats et des affidavits justificatifs. Ils ont eu la possibilité de soulever des contestations additionnelles à l’égard des mandats et des fouilles et des saisies exécutées par le Service en se fondant sur les détails confidentiels que M. Mahjoub n’avait pas évoqués.

 

[115]                   À mon sens, le processus a satisfait au droit de M. Mahjoub de connaître la preuve contre lui et d’y répondre. Je suis d’avis qu’en raison du rôle particulier que jouent les avocats spéciaux et de la participation de ces derniers à l’instance, ainsi que des sommaires des documents relatifs aux mandats qui ont été fournis à M. Mahjoub, ce dernier était en mesure de soulever une contestation efficace à l’égard des mandats décernés en vertu de l’article 21. Et ce, même si, pour des raisons de sécurité nationale, il ne disposait pas de la totalité des documents relatifs aux mandats.

 

d)                 Dans le contexte d’une contestation de mandats décernés en vertu de l’article 21 dans le cadre d’une instance relative à un certificat de sécurité, la Cour peut-elle considérer les affidavits comme confidentiels, ou doit-elle limiter son examen au sommaire des affidavits qui a été communiqué à M. Mahjoub?

 

 

[116]                   Je rejette l’argument subsidiaire de M. Mahjoub selon lequel la Cour se doit de limiter son examen au sommaire des mandats et des affidavits justificatifs qui ont été communiqués, comme il est d’usage de le faire dans une instance criminelle. Il soutient que, dans cette dernière, quand un accusé conteste un mandat et obtient accès à, par exemple, le rapport d’écoute électronique, le ministère public peut revendiquer le privilège de l’intérêt public sur certains passages du rapport et les expurger du contenu du rapport qui est communiqué. Au moment d’examiner la validité de l’écoute électronique, la Cour est tenue de se limiter à ce qui a été communiqué à l’accusé. À mon avis, une telle restriction n’est pas nécessaire pour protéger l’équité de la présente instance.

 

[117]                   Même dans le contexte criminel, la Cour suprême a fait des concessions afin de permettre au juge de se fonder sur des informations non communiquées dans les cas où un sommaire approprié, respectant le droit de l’accusé à une défense pleine et entière, a été fourni à ce dernier (Garofoli, à la page 1461). De plus, le processus criminel comporte deux éléments qui le distinguent du processus des certificats de sécurité. Dans le processus criminel, l’accusé a droit à une défense pleine et entière et, si les renseignements pertinents que le ministère public a communiqués sont moins que complets, la lacune doit être assortie d’un redressement, et non d’une mesure de substitution. Deuxièmement, et plus important encore, les avocats spéciaux de M. Mahjoub ont obtenu la communication intégrale des mandats et des affidavits justificatifs. Ils sont en mesure de représenter les intérêts de M. Mahjoub à huis clos et d’utiliser les informations qui ne peuvent pas être communiquées à ce dernier. De plus, celui-ci a le droit de donner en tout temps des instructions à ses avocats. Je souscris à l’observation de M. Mahjoub selon laquelle il lui est impossible de dire, à partir des sommaires, si les mandats étaient conformes ou non à la Loi sur le SCRS, mais les avocats spéciaux peuvent présenter – et ont présenté – des observations à huis clos sur la question de la conformité à la Loi sur le SCRS en s’appuyant sur les détails des mandats et des affidavits justificatifs dont ils disposaient.

 

[118]                   Les différences susmentionnées entre une instance criminelle et une instance relative à un certificat de sécurité justifient le fait de recourir à des approches différentes à l’égard de la communication dans le cas de la contestation d’un mandat. Dans une instance criminelle, l’accusé n’a pas accès aux informations qui sont soumises au privilège de l’intérêt public et, pour cette raison, la Cour s’en tient habituellement à ce qui est communiqué à l’accusé. Cette restriction est injustifiée dans le contexte d’une instance relative à un certificat de sécurité. Comme les avocats spéciaux ont accès aux documents confidentiels - et cela inclut les mandats et les affidavits justificatifs - il serait illogique de ne pas permettre à la Cour d’avoir accès à ces documents pour trancher la question en litige. Rien ne permet de limiter le dossier à ce qui a été communiqué à la personne visée. Comme il a été mentionné plus tôt, les avocats spéciaux sont en mesure de protéger les intérêts de cette personne pour ce qui est des informations confidentielles.

 

[119]                   Dans les circonstances, la Cour est mieux placée pour se prononcer sur la légalité des mandats qui font l’objet d’une contestation si elle examine le dossier confidentiel et pas simplement le sommaire public. Comme il a été dit plus tôt, vu le rôle particulier que jouent les avocats spéciaux, rien ne permet de limiter le dossier de la manière dont le voudrait M. Mahjoub. Son argument est donc rejeté.

 

 

3.         Les mandats délivrés en vertu de l’article 21 sont-ils illégaux?

 

[120]                   M. Mahjoub formule plusieurs contestations de fond à propos des mandats, dont le fait qu’ils sont invalides à cause des informations obtenues sous la torture qui figurent dans les affidavits justificatifs, du manquement du Service à l’obligation d’assurer une communication pleine et entière au juge désigné qui a délivré les mandats, de l’absence d’une indication quelconque que le Service s’est conformé aux exigences du paragraphe 21(1) et des alinéas 21(2)a) à g) de la Loi sur le SCRS, de même que de l’autorisation manifeste accordée par les mandats au Service pour ce qui est de l’interception de communications privilégiées entre avocat et client.

 

[121]                   Je traiterai de chacune de ces contestations à tour de rôle.

 

a)                  La présence de renseignements obtenus sous la torture dans les affidavits à l’appui?

 

 

[122]                   J’ai rejeté l’argument des ministres selon lequel l’ordonnance de la Cour du 31 août 2010 dispose de la présente demande dans son intégralité, mais je suis convaincu que les motifs d’ordonnance de la Cour du 9 juin 2010 et du 31 août 2010 disposent en combinaison de cet argument particulier. Cette question a été soumise à la Cour dans le cadre de la requête fondée sur le paragraphe 83(1.1) et la Cour s’est prononcée sur elle. M. Mahjoub ne peut pas remettre cette question en litige. Les passages pertinents des paragraphes 60 à 73 de l’ordonnance du 31 août 2010 sont les suivants :

[traduction]


[60] Après avoir déterminé les informations figurant dans l’affidavit qui, a-t-on des motifs raisonnables de croire, ont été obtenues sous la torture, je passe maintenant à la question de savoir si, n’eût été de ces informations, le mandat aurait été délivré [...].

 

[61] La preuve n’établit pas qu’il y a des motifs raisonnables de croire que les informations susmentionnées ont été obtenues sous la torture ou à la suite de TCID [traitements cruels, inhumains ou dégradants]. De plus, j’estime que ces informations justifient, pour des motifs raisonnables, la conviction que le Service avait besoin d’un mandat pour intercepter les communications de M. Mahjoub en vue de faire enquête sur une menace envers la sécurité du Canada, conformément aux exigences de l’article 21 de la Loi sur le SCRS. Il s’ensuit, selon moi, que l’on aurait décerné le mandat sans les informations obtenues lors de l’interrogatoire [expurgé], De ce fait, les informations que les ministres ont obtenues et sur lesquelles ils se sont appuyés à partir des communications interceptées, grâce aux mandats supplémentaires [expurgé], sont admissibles.

 

[62] Examinons maintenant les informations tirées de communications interceptées qui étaient autorisées par le mandat [expurgé] [...].

 

[...]

 

[64] À part les informations obtenues lors de l’interrogatoire de [expurgé], l’affidavit à l’appui du mandat [expurgé] contient aussi d’autres informations, sur lesquelles on s’est fondé pour justifier les pouvoirs d’interception demandés à l’égard de M. Mahjoub [...].

 

[...]

 

[66] Je suis d’avis que les informations figurant dans l’affidavit justificatif, lesquelles n’ont pas été obtenues lors de l’interrogatoire [expurgé], étaient suffisantes pour justifier pour des motifs raisonnables la conviction que les pouvoirs conférés par mandat d’intercepter les communications privées de M. Mahjoub étaient nécessaires [...]. Par conséquent, les informations que les ministres ont obtenues et sur lesquelles ils se sont fondés à partir des communications interceptées, grâce aux mandats [expurgé], sont admissibles.

 

[67] Voyons maintenant les informations tirées des communications interceptées qui étaient autorisées par le mandat [expurgé] [...].

 

[...]

 

[73] Je suis également d’avis que les faits sur lesquels on se fonde dans l’affidavit justificatif qui accompagne le mandat [expurgé], lesquels ne découlent pas de l’interrogatoire de [expurgé] ni des déclarations de culpabilité prononcées lors du procès des rapatriés de l’Albanie, étaient suffisants pour étayer pour des motifs raisonnables la conviction qu’un mandat [expurgé], et en particulier le pouvoir conféré par mandat d’intercepter les communications privées de M. Mahjoub, étaient nécessaires [...]. Il s’ensuit que le mandat aurait été délivré sans les informations obtenues lors de l’interrogatoire [expurgé] ainsi qu’à la suite des déclarations de culpabilité prononcées lors du procès des rapatriés de l’Albanie. En conséquence, les informations que les ministres ont obtenues et sur lesquelles ils se sont fondés à partir des interceptions obtenues grâce au mandat [expurgé] sont admissibles.

 

 

[123]                   J’ai donc déjà décidé que l’on aurait pu décerner les mandats sans les informations pour lesquelles il existe des motifs raisonnables de croire qu’elles ont été obtenues sous la torture ou à la suite de traitements cruels, inhumains ou dégradants, et que les preuves obtenues grâce aux mandats ne sont pas admissibles pour cette raison-là.

 

b)                  Le manquement, par le SCRS, de l’obligation d’assurer une communication pleine et entière en présentant au juge désigné des affidavits trompeurs d’où étaient également exclus des informations disculpatoires?

 

[124]                   M. Mahjoub soutient que pour solliciter ex parte un mandat en vertu de l’article 21 de la Loi sur le SCRS, le Service était tenu d’assurer au juge désigné une « communication pleine et entière ». Bien qu’ils préfèrent qualifier cette obligation d’« obligation de franchise », les ministres sont essentiellement d’accord. En général, les parties qui déposent une demande ex parte sont censées exposer les faits de manière complète, franche et impartiale (Ruby c Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75 [Ruby], au paragraphe 47). Voir également R. c Morelli, 2010 CSC 8 [Morelli], au paragraphe 44. Dans l’arrêt Ruby, la Cour suprême explique que « [les organismes gouvernementaux qui plaident ex parte doivent] offrir une preuve complète et détaillée, et n’omettre aucune donnée pertinente qui soit défavorable à [leur] intérêt » (au paragraphe 27).

 

[125]                   M. Mahjoub soutient que le Service a manqué à l’obligation de franchise en omettant d’inclure des preuves disculpatoires dans les affidavits le concernant qui ont été présentés au juge désigné, à l’appui des mandats, de même qu’en y incluant des énoncés délibérément trompeurs.

 

[126]                   M. Mahjoub allègue qu’il manque dans les affidavits les informations disculpatoires qui suivent :

a.       la controverse entourant l’existence du Vanguard of Conquest [Avant-garde de la Conquête];

b.      les détails concernant la version des faits que M. Mahjoub a présentée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié dans son formulaire de renseignements personnels (FRP);

c.       le certificat de sécurité annulé de M. Jaballah;

d.      les omissions décrites par les professeurs Wark et Gerges, soit :

                                                              i.      la façon dont M. Mahjoub s’est joint au Jihad ou à l’Avant-garde de la Conquête et a gravi les échelons jusqu’à occuper un poste de direction;

                                                            ii.      la façon dont M. Mahjoub a été impliqué dans les activités de ces groupes;

                                                          iii.      l’aide que le Jihad a fournie aux États-Unis dans la Guerre afghano‑soviétique;

                                                          iv.      la déradicalisation récente des politiques islamistes;

                                                            v.      l’opposition à Osama ben Laden au sein du Jihad,

                                                          vi.      le cessez-le-feu unilatéral que le Ganaa Islamiya a décrété contre le gouvernement égyptien.

 

[127]                   M. Mahjoub soutient que si le Service est au courant d’informations disculpatoires ou d’informations préjudiciables à sa cause, il se doit de communiquer ces informations au juge désigné dans le processus relatif aux mandats ex parte, dans le cadre de son obligation de communication pleine et entière. Il allègue que le Service était au courant de ces informations et qu’il ne les a pas communiquées. Il ajoute que si le Service l’avait fait, il n’y aurait plus de fondement aux allégations portées lui.

 

[128]                   Par ailleurs, M. Mahjoub allègue que le Service, dans ses affidavits, a induit le juge désigné en erreur. Il ajoute de plus qu’il importe peu de savoir si l’auteur de l’affidavit avait l’intention d’induire la Cour en erreur. À l’appui de cette dernière thèse, il invoque l’arrêt Morelli, au paragraphe 59.

 

[129]                   Même si M. Mahjoub parvenait à établir qu’il y avait des omissions importantes, des inexactitudes ou des énoncés trompeurs dans les affidavits qui ont été présentés au juge désigné, cela ne serait peut-être pas suffisant pour conclure à l’illégalité des mandats. La présomption de validité est si marquée que même dans le contexte d’un mandat délivré en vertu du Code criminel, l’accusé doit prouver que le mandat, n’eût été de l’omission, de l’inexactitude ou de l’énoncé trompeur, n’aurait pas pu être délivré. Comme le soutient la Cour suprême dans l’arrêt Garofoli, à la page 1452 :

Le juge qui siège en révision ne substitue pas son opinion à celle du juge qui a accordé l'autorisation. Si, compte tenu du dossier dont disposait le juge qui a accordé l'autorisation et complété lors de la révision, le juge siégeant en révision conclut que le juge qui a accordé l'autorisation pouvait le faire, il ne devrait pas intervenir. Dans ce processus, la fraude, la non‑divulgation, la déclaration trompeuse et les nouveaux éléments de preuve sont tous des aspects pertinents, mais au lieu d'être nécessaires à la révision leur seul effet est d'aider à décider s'il existe encore un fondement quelconque à la décision du juge qui a accordé l'autorisation.

[Non souligné dans l’original.]

 

[130]                   Même l’arrêt Morelli confirme cette démarche. Le juge Fish indique, au paragraphe 60 :

Les faits initialement omis doivent être pris en compte dans l’examen du caractère suffisant de la demande de mandat. Dans Araujo, la Cour a conclu que, lorsque la police commet des erreurs de bonne foi dans la dénonciation, il faut examiner la décision autorisant le mandat à la lumière de la preuve complémentaire présentée lors du voir‑dire dans le but de les corriger. De même, lorsque, comme en l’espèce, la police manque à son obligation d’exposer de manière complète et sincère les faits pertinents, la preuve présentée lors du voir‑dire devrait servir à combler les lacunes de la dénonciation initiale.

 

[131]                   Après avoir passé en revue les principes juridiques applicables, j’examinerai maintenant les affidavits et les mandats qui sont en litige. Étant donné que ces documents, à l’exception des sommaires publics fournis à M. Mahjoub, sont pour la plupart confidentiels, mes motifs sur la question figurent à la section « C » de l’Annexe confidentielle, et j’insère ci-dessous un sommaire, tiré de cette Annexe confidentielle, des  conclusions que j’ai tirées sur cette question.

 

[132]                   Je suis convaincu que la totalité des prétendues omissions et déclarations erronées qui, d’après M. Mahjoub, figurent dans les affidavits sont dénuées de tout fondement, à l’exception d’un cas qui a été traité de manière plus détaillée à huis clos par les avocats spéciaux, ainsi que de deux cas qui n’ont aucune incidence sur la décision. Dans certains cas, le Service n’était pas au courant des informations censément « omises », ou n’aurait pas pu l’être. Dans d’autres, le Service a transmis les informations censément « omises » au juge qui a délivré les mandats. De plus, pour ce qui est des opinions d’expert des professeurs Wark et Gerges ainsi que de leurs critiques du RRS, il s’agit du produit de nombreuses années additionnelles de connaissances ainsi que de ces instances contradictoires. On n’aurait pas pu s’attendre à ce que le Service possède les mêmes connaissances plus de dix années avant que les professeurs Wark et Gerges en fassent part à la Cour.

 

[133]                   En raison de certaines omissions que les avocats spéciaux ont soulevées, et dont il est question en détail à la section « C » de l’Annexe confidentielle, ainsi que de l’omission du Service de faire une distinction entre les faits et les analyses sur certains points figurant dans l’affidavit, je conclus que le Service a manqué à son obligation de communication pleine et entière. Néanmoins, j’ai également conclu que ce manquement n’invalidait pas le mandat. Je suis convaincu qu’avec les informations omises fournies et les informations trompeuses corrigées dans l’affidavit (Morelli, au paragraphe 60), le mandat aurait pu être délivré (Garofoli, à la page 1452). Il n’est donc pas nécessaire que j’intervienne. Il y aurait quand même eu suffisamment de preuves pour convaincre le juge désigné qu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’il fallait obtenir un mandat pour faire enquête sur la menace.

 

c)      L’absence de toute indication selon laquelle les mandats étaient conformes aux exigences de la Loi sur le SCRS, soit le paragraphe 21(1) et les alinéas 21(2)a) à g)?

 

 

[134]                   Il est utile d’examiner la norme de contrôle qui s’applique à la décision que prend un juge désigné de décerner un mandat en vertu de l’article 21. Comme nous l’avons vu plus tôt, si la question a trait à l’inclusion d’informations trompeuses ou à l’omission d’inclure des informations disculpatoires dans les affidavits, le critère consiste dans ce cas à déterminer si, indépendamment des lacunes, il aurait été possible de décerner les mandats.

 

[135]                   La norme à appliquer au contrôle de la décision discrétionnaire d’un juge désigné sur le bien-fondé de la demande présentée en vertu de l’article 21 est forcément différente. Les circonstances du contrôle sont assez particulières. Ce dernier concerne la décision discrétionnaire d’un collègue du même tribunal, et non d’un tribunal administratif inférieur. Le régime législatif est de peu d’utilité, en ce sens que rien n’est prévu pour procéder à un tel contrôle par voie d’appel ou de demande de contrôle judiciaire. La Cour suprême offre des indications restreintes, à savoir qu’une cour de révision doit prendre soin de ne pas substituer son pouvoir discrétionnaire à celui du juge désigné (Garofoli, à la page 1452).

 

[136]                   À mon avis, pour procéder à un tel contrôle, il y a lieu de faire preuve de déférence envers le juge désigné qui a délivré le mandat. Une cour de révision ne peut intervenir dans cette décision discrétionnaire qu’en présence d’une erreur manifeste et prépondérante (Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, au paragraphe 36; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 51, et au paragraphe 161 des motifs concordants). Telle est la norme que j’appliquerai aux questions que M. Mahjoub a soulevées dans le cadre de sa contestation relative aux mandats.

 

[137]                   Même si M. Mahjoub conteste la légalité des mandats décernés en vertu du paragraphe 21(1) de la Loi, il n’a pas expressément soulevé une question quelconque quant à la prétendue omission du Service de se conformer à cette disposition. Dans la mesure où M. Mahjoub a allégué que le Service à omis d’établir qu’un mandat était nécessaire pour faire enquête sur la menace qu’il posait, je traiterai ci-après de cette question dans le contexte de ce que le Service a présenté au juge désigné, conformément à l’alinéa 21(1)a).

 

[138]                   M. Mahjoub allègue que la Cour a commis une erreur en délivrant les mandats parce qu’on ne peut pas se fonder sur les informations sur lesquelles reposent les affidavits déposés à l’appui de ces mandats.

 

[139]                   L’argument général de M. Mahjoub est que les mandats ne sont ni ne peuvent être conformes aux exigences de la Loi sur le SCRS parce que les affidavits sur lesquels le juge désigné s’est appuyé pour les délivrer reposaient sur des informations de source inconnue et donc non fiables, assorties d’énoncés catégoriques et sans aucun indice de fiabilité. La seule exception, évoquée par M. Mahjoub, est les entretiens que le Service a eus avec lui, des entretiens qui, soutient-il, doivent être expurgés parce que le Service a omis de l’informer du droit qu’il avait à l’assistance d’un avocat. À l’appui de son argument, M. Mahjoub invoque l’arrêt R. c Hosie (1996), 107 CCC (3e) 385, à la page 391 (CA Ont), où la Cour d’appel de l’Ontario analyse la question de la fiabilité en traitant de sources inconnues dans un affidavit à l’appui d’un mandat, ce qui oblige les tribunaux à prendre en compte les facteurs suivants :

a)         les informations prédisant la commission d’un acte criminel étaient-elles convaincantes?

b)         si ces informations étaient fondées sur un [traduction] « tuyau » émanant d’une source extérieure à la police, cette source était-elle digne de foi?

c)         les informations ont-elles été corroborées par une enquête policière avant que l’on prenne la décision de procéder à la fouille ou la perquisition?

 

[140]                   Pour ce qui est de l’argument de M. Mahjoub au sujet du manque de fiabilité inhérent des informations [traduction] « de source inconnue », il en est question dans la Décision sur la preuve des organismes étrangers. Dans cette décision, j’ai conclu que la preuve de « source inconnue » d’organismes étrangers n’était pas catégoriquement peu fiable et que la Cour, dans la présente instance, pouvait en tenir compte. Par analogie, le Service et le juge désigné dans l’instance relative aux mandats étaient également en droit de les prendre en considération et de se fonder sur elles.

 

[141]                   Passons maintenant à l’argument de M. Mahjoub sur l’absence de tout indice de fiabilité dans les informations à l’appui des mandats.

 

[142]                   Dans l’arrêt État-Unis d’Amérique c Ferras, 2006 CSC 33, aux paragraphes 3 et 11, des personnes faisant l’objet d’ordonnances d’extradition ont invoqué des arguments semblables, à savoir que le régime législatif permettait qu’elles soient extradées sur la foi de preuves peu fiables en soi, et que le régime comportait des mesures de protection insuffisantes. Dans le contexte d’une extradition, l’État requérant est uniquement tenu de fournir un certificat qui est un « indicateur du seuil de fiabilité », et la preuve sur laquelle se fonde cet État, même si elle est considérée comme peu fiable et inadmissible au Canada, est admissible lors de l’audience d’extradition (au paragraphe 31). Au paragraphe 33, la Cour suprême explique que les principes de justice fondamentale, s’agissant de la fiabilité d’éléments de preuve, sont de nature contextuelle :

L’absence d’indices particuliers de fiabilité ou de disponibilité de la preuve ne viole pas les principes de justice fondamentale applicables aux audiences d’extradition. Aucune forme ou qualité particulière de preuve n’est exigée pour l’extradition, qui, de tout temps, se caractérise par sa souplesse et se déroule dans un esprit de respect et de courtoisie envers les partenaires. Il est donc difficile de prétendre que les dispositions de la Loi relatives à l’admissibilité de la preuve, en soi, violent les normes fondamentales de justice applicables à l’extradition.

 

 

[143]                   La Cour suprême indique au paragraphe 34 qu’« [e]n fait, la justice fondamentale exige que l’intéressé bénéficie d’une décision judiciaire indépendante et impartiale, fondée sur les faits et la preuve, quant à l’ultime question de savoir si la preuve est suffisante pour justifier l’extradition ».

 

[144]                   Selon moi, il y a une analogie à faire entre le processus d’extradition et le processus de délivrance de mandats que prévoit la Loi sur le SCRS. Dans les deux cas, la personne visée ne fait pas l’objet d’une enquête criminelle canadienne. La nature des informations est semblable, soit l’échange d’informations avec des organismes étrangers, avec peu d’éléments sur leur origine. Enfin, dans les deux cas, une instance judiciaire n’est pas encore introduite.

 

[145]                   De plus, contrairement au contexte d’une extradition qui pourrait mener au renvoi de la personne du Canada, le processus relatif au mandat ne met en jeu que le droit à la vie privée de la personne visée. De ce fait, l’effet que pourraient peut-être avoir les processus sur la personne visée est susceptible d’être moins sérieux dans le cas des mandats.

 

[146]                   Dans une demande de mandats, le juge appelé à les décerner est bien au fait des circonstances particulières dans lesquelles la demande est déposée. À l’instar de n’importe quelle demande ex parte, il est sensible au fait qu’une partie intéressée est absente et que ses intérêts ne sont pas représentés. Dans de telles circonstances, il examine attentivement la preuve et pose à l’auteur de l’affidavit des questions sur la preuve ou sur toute question qui nécessite des éclaircissements.

 

[147]                   Je suis convaincu que, comme dans les affaires d’extradition, l’absence d’indices particuliers de fiabilité ou la disponibilité de preuves en soi ne violent pas les principes de justice fondamentale. Il est loisible au juge de mettre en doute la fiabilité de toute information produite à l’appui d’un mandat. Dans le cas présent, le juge délivrant le mandat était en droit d’évaluer les informations figurant dans l’affidavit, indépendamment de l’absence de tout indice particulier de fiabilité. Cela est particulièrement opportun quand il est question de décider si un mandat est nécessaire en vue d’une enquête plus approfondie.

 

[148]                   À la section « D » de l’Annexe confidentielle, je passe en revue le contenu des informations figurant dans les affidavits qui ont été déposés à l’appui d’un mandat particulier en litige. J’y présente mon analyse sur la question que M. Mahjoub a soulevée au sujet de la fiabilité des informations, et je suis convaincu que la communication de cette analyse porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. J’inclus ci‑dessous un sommaire de mes conclusions sur la question.

 

[149]                   Je ne puis substituer mon pouvoir discrétionnaire à celui du juge désigné qui a décerné le mandat, notamment en rapport avec la question déterminante qui consiste à savoir s’il y a des motifs raisonnables de croire qu’il était nécessaire de décerner un mandat en vue d’une enquête du Service. Ce dernier a fourni des informations détaillées, dont des sources et des éléments de corroboration à titre d’indices de fiabilité, au sujet de l’existence et de la gravité de la menace envers la sécurité du Canada. Dans ces circonstances, il était raisonnablement loisible au juge désigné de conclure que les affidavits répondaient aux exigences de l’alinéa 21(2)a).

 

[150]                   En définitive, je rejette l’argument de M. Mahjou, à savoir qu’il n’aurait pas fallu décerner le mandat parce que les éléments de preuve sur lesquels le Service s’était fondé à l’appui du mandat étaient insuffisamment fiables.

 

[151]                   M. Mahjoub soutient que les entretiens qu’il y a eus entre lui et des membres du personnel du Service sont inadmissibles car ces personnes ne l’ont pas informé de son droit à l’assistance d’un avocat. Cet argument est sans fondement. L’alinéa 10b) de la Charte est un droit qui n’entre en jeu que lorsqu’une personne est arrêtée ou détenue.

 

[152]                   Le critère relatif à la détention est énoncé dans l’arrêt R. c Therens, [1985] 1 RCS 613 : il s’agit de savoir si une personne raisonnable se trouvant dans la situation de M. Mahjoub se serait sentie physiquement ou légalement contrainte de faire ce qu’un agent de l’État demandait. Il doit y avoir :

a)         « une sommation ou un ordre », plutôt qu’une simple demande, en réponse à laquelle

b)         « la personne intéressée se soumet ou acquiesce à la privation de liberté et croit raisonnablement qu'elle n'a pas le choix d'agir autrement. »

 

La Cour suprême a conclu que lorsqu’un étranger est tenu de subir un second examen pour son contrôle de l’immigration, cet étranger n’est pas détenu dans le sens où l’envisage l’alinéa 10b) de la Charte, et les principes de justice fondamentale n’exigent pas qu’il bénéficie de l’assistance d’un avocat au sens de l’article 7 de la Charte (Dehghani c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 RCS 1053). Par ailleurs, des suspects que la police intercepte en vue de les soumettre à un entretien ne sont pas nécessairement « détenus » au sens de l’alinéa 10b) (R. c Mann, 2004 CSC 52 [Mann]).

 

[153]                   Compte tenu de la jurisprudence qui précède, je conclus que lorsque M. Mahjoub a volontairement accepté de répondre à des questions des membres du personnel du Service, il n’était pas « détenu » au sens juridique du terme. De plus, il existe une preuve soumise à la Cour selon laquelle, à plusieurs reprises, les membres du personnel du Service qui l’interrogeaient lui ont demandé s’il souhaitait consulter un avocat, et il a décliné cette invitation (voir les entretiens du 5 octobre 1998 et du 31 mars 1999). Il n’y avait aucune raison pour que le juge désigné exclue la preuve des entretiens de M. Mahjoub avec les membres du personnel du Service, et il n’y a aucune raison pour que la Cour considère maintenant que l’inclusion de cette preuve dans l’affidavit soit inappropriée.

 

[154]                   M. Mahjoub soutient qu’il ne ressort pas des affidavits des motifs raisonnables de croire que les mandats sont nécessaires pour faire enquête sur la menace envers la sécurité du Canada que pose censément M. Mahjoub, et que rien n’indique dans les mandats que l’affaire est urgente et que d’autres mesures d’enquête ont échoué ou ont peu de chances de réussir.

 

[155]                   Les avocats spéciaux ont présenté d’autres observations plus détaillées à l’appui de l’argument de M. Mahjoub. Selon moi, la communication de ces détails porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. L’analyse que j’ai faite sur la conformité des affidavits à l’alinéa 21(2)b) figure dans la section « E » de l’Annexe confidentielle, et j’insère ci-dessous un sommaire, tiré de l’Annexe confidentielle,  de mes conclusions sur la question.

 

[156]                   Pour ce qui est de l’alinéa 21(2)b) en particulier, je suis convaincu que le juge désigné n’a commis aucune erreur manifeste et prépondérante en concluant que la justification du Service quant à la nécessité de délivrer le mandat à l’encontre de M. Mahjoub était suffisante.

 

[157]                   Les alinéas 21(2)c) à g) peuvent être analysés ensemble. M. Mahjoub soutient qu’il n’existe aucune indication de la catégorie de communications que le Service se propose d’intercepter, pas plus que de l’identité de la ou des personnes dont les communications seront interceptées, ou des catégories de personnes que vise le mandat, ni du lieu et du moment pour lesquels le mandat est demandé.

 

[158]                   M. Mahjoub allègue que :

a.       rien n’indique la catégorie de communications que le Service se propose d’intercepter, comme l’exige l’alinéa 21(2)c);

b.      la ou les personnes dont le Service se propose d’intercepter les communications ne sont pas identifiées, comme l’exige l’alinéa 21(2)d);

c.       rien n’indique les catégories de personnes que vise le Service par ces mandats, comme l’exige l’alinéa 21(2)e);

d.      il n’y a aucune description générale du lieu où le Service se propose d’exécuter le mandat, comme l’exige l’alinéa 21(2)f),

e.       il n’y a aucune indication de la période pour laquelle le Service demande le mandat, comme l’exige l’alinéa 21(2)g).

 

[159]                   Des sommaires du contenu des affidavits et des mandats ont été établis en collaboration par les avocats spéciaux et les avocats des ministres et ensuite communiqués à M. Mahjoub par la voie d’une ordonnance datée du 5 octobre 2010. Bien que ces sommaires comportent de nombreux détails sur le contenu des affidavits et des mandats, la communication d’autres détails liés aux exigences des alinéas 21(2)c) à g) porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Ces détails figurent à la section « F » de l’Annexe confidentielle, et j’insère ci-dessous un sommaire, tiré de l’Annexe confidentielle, de mes conclusions sur la question.

 

[160]                   Les allégations de M. Mahjoub au sujet des alinéas 21(2)c) à g) sont en grande partie conjecturales. Le Service a fourni des détails qui se rapportent aux exigences des alinéas 21(2)c) à g). Il était raisonnablement loisible au juge désigné de conclure que les affidavits satisfaisaient à ces dispositions.

 

d)         L’autorisation, dans les mandats, d’intercepter des communications entre avocat et client, ce qui constitue une fouille, une perquisition ou une saisie abusive?

 

 

[161]                   Enfin, pour ce qui est de la validité des mandats, M. Mahjoub soutient que si les mandats décernés en vertu de l’article 21 autorisaient le Service à intercepter ses communications privilégiées entre avocat et client, ils sont illégaux parce qu’ils autorisent à effectuer des fouilles, des perquisitions et des saisies abusives, ce qui est contraire à l’article 8 de la Charte.

 

[162]                   Bien que l’arrêt Blood Tribe confirme que le privilège avocat-client est un droit substantiel qui fait partie intégrante du droit à un procès équitable que garantit l’article 7 de la Charte et auquel il ne peut être porté atteinte qu’en cas d’absolue nécessité, cet arrêt ne porte pas sur une situation mettant en cause la sécurité nationale. Dans l’arrêt Atwal, la Cour d’appel fédérale soutient qu’il est permis que les mandats décernés en vertu de l’article 21 de la Loi sur le SCRS portent atteinte au privilège avocat-client lorsque ces mandats comportent des mesures de protection suffisantes pour éviter la diffusion d’informations privilégiées.

 

[163]                   S’ils sont expressément autorisés et s’ils sont assortis de restrictions concernant l’utilisation de communications avocat-client interceptées de manière à porter atteinte le moins possible au privilège avocat-client, comme c’était le cas dans l’affaire Atwal, à mon avis les mandats décernés en vertu de l’article 21 peuvent permettre au Service d’intercepter toutes les communications qui émanent d’une cible, ce qui inclut l’interception indirecte d’informations privilégiées entre avocat-client.

 

[164]                   La communication des détails relatifs aux pouvoirs autorisés dans des mandats particuliers ainsi qu’aux conditions imposées aux autorisations porterait atteinte, à mon avis, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. De ce fait, l’examen de ces détails et mon analyse de la question figurent à la section « G » de l’Annexe confidentielle, et j’insère ci-dessous un sommaire, tiré de l’Annexe confidentielle, de mes conclusions sur la question.

 

[165]                   Je suis convaincu que les mandats décernés avant l’arrestation de M. Mahjoub, mandats qui autorisent l’interception de communications et, par conséquent, l’interception indirecte de communications entre avocat-client, comportent des mesures de protection suffisantes pour éviter la diffusion d’informations privilégiées. En conséquence, conformément à la jurisprudence de la Cour d’appel dans l’affaire Atwal, les mandats sont acceptables et ne violent pas l’article 8 de la Chartre.

 

[166] De plus, M. Mahjoub fait valoir que l’on manque dans le Service de mesures de protection suffisantes pour garantir que seules les interceptions liées à une menace (et cela inclut les interceptions de communications entre avocat et client) ont été recueillies et stockées et qu’elles ne seront pas retransmises. Il soutient que le défaut de le faire est assimilable à une invalidation des mandats. À l’appui de son argument, il invoque l’arrêt Lavallee, une affaire dans laquelle la Cour suprême examine les mesures de protection législative du privilège avocat-client dans le contexte d’enquêtes criminelles dans le cadre desquelles la police cherche des documents qui se trouvent en la possession d’un avocat. M. Mahjoub soutient que les principes qui y sont énoncés s’appliquent en l’espèce, notamment en ce qui a trait à la politique du Service concernant la destruction des interceptions.

 

[167]                   À mon avis, cet argument est sans fondement. Il n’y a aucun lien avec le fait que la Cour autorise les pouvoirs conférés par mandat et les procédures internes du Service en matière de protection des informations. Les prétendues lacunes dans les mesures de protection internes du Service ont été évoquées et analysées dans le contexte de la Décision sur l’abus de procédure, au paragraphe 218.

 

[168]                   En conclusion, selon moi, l’arrêt Atwal règle la question de la légalité des mandats qui ont été décernés avant la mise en détention de M. Mahjoub et qui autorisent les interceptions de communications entre avocat et client. Dans l’arrêt Atwal, la Cour d’appel a conclu que les restrictions énoncées dans le mandat au sujet de la diffusion des informations privilégiées entre avocat-client qui étaient recueillies en vertu de ce mandat faisaient en sorte que ce dernier était constitutionnellement conforme. De telles conditions, ou des politiques internes du Service qui refléteraient les conditions énoncées dans le mandat visé dans l’affaire Atwal, seraient constitutionnellement conformes (aux pages 10 et 17). Après avoir vérifié les mandats en litige, je conclus qu’ils sont conformes à la Charte.

 

[169]                   Pour ce qui est des mandats délivrés après la mise en détention de M. Mahjoub, ils ne sont pas régis par les principes énoncés dans l’arrêt Atwal, mais plutôt par ceux qui l’ont été dans l’arrêt Solosky, et ce, pour les motifs exposés aux paragraphes 82 et 86 qui précèdent. La communication de tout détail relatif à ces mandats porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Cette question sera analysée plus en détail à la section « G‑1 » de l’Annexe confidentielle, et j’inclus ci-dessous un sommaire des conclusions que j’ai tirées.

 

[170]                   Étant donné que les mandats autorisaient l’interception indirecte de communications privilégiées entre avocat et client sans les restrictions appropriées qui étaient requises pour protéger les droits garantissant à M. Mahjoub les articles 7 et 8 de la Charte, comme le définit l’arrêt Solosky, certaines dispositions du ou des mandats décernés après l’arrestation de M. Mahjoub sont illégales. Le redressement approprié consisterait à exclure les éléments de preuve découlant de ces dispositions. Cependant, aucune preuve de cette nature n’a été déposée en l’espèce et, de ce fait, aucun redressement n’est requis dans les circonstances, hormis une déclaration portant qu’il y a eu violation des droits que les articles 7 et 8 garantissent à M. Mahjoub. Il n’est donc pas nécessaire que je me prononce sur la mesure dans laquelle la protection insuffisante des droits garantis par la Charte à M. Mahjoub se répercute sur la validité de ces mandats.

 

4.         Le SCRS s’est-il livré à des fouilles, des perquisitions et des saisies que n’autorisaient pas les mandats décernés en vertu de l’article 21 et que la loi n’autorisait pas par ailleurs?

 

 

[171]                   Les sommaires des mandats décernés en vertu de l’article 21 ne contiennent pas les détails de ce que ces derniers autorisaient et interdisaient. M. Mahjoub soutient donc, subsidiairement, que le Service et d’autres services gouvernementaux ont effectué des fouilles, des perquisitions et des saisies que les mandats n’autorisaient pas et qui, par ailleurs, n’étaient pas licites. Il évoque une fois de plus les communications entre avocat et client qui ont été interceptées. Il évoque également l’interception des communications de personnes qui semblent ne pas être nommées dans les mandats, comme Mona El Fouli et Essam Marzouk, les relevés d’appels téléphoniques obtenus auprès de son fournisseur de services ainsi que la saisie physique de son carnet d’adresses et la lettre de placement de Mubarak Al Duri.

 

[172]                   Nul ne conteste que les interceptions de communications privilégiées entre avocat et client que l’on a obtenues sans mandat sont inadmissibles en preuve à l’encontre de M. Mahjoub. En l’espèce, les ministres ne se fondent sur aucune information privilégiée entre avocat et client, de sorte qu’aucune information de cette nature n’est soumise à la Cour dans le but de rendre une décision quant au caractère raisonnable.

 

[173]                   Tout argument lié au préjudice causé au dossier de M. Mahjoub à cause de l’interception de communications entre avocat et client a été réglé dans la Décision sur l’abus de procédure.

 

[174]                   Par ailleurs, M. Mahjoub prétend que le Service a intercepté les communications de Mona El Fouli, de Hani El Fouli et d’Essam Marzouk, même si leurs noms n’apparaissaient pas dans les mandats et même s’ils étaient [traduction] « connus » du Service. Il soutient donc que les mandats sont invalides pour les raisons énoncées dans l’arrêt R. c Chesson, [1988] 2 RCS 148, relativement à l’appelant Vanweenan. Le motif d’invalidité Vanweenan que l’on invoque dans les instances criminelles est fondé sur les alinéas 178.12(1)e) et 178.12(1)c) du Code criminel, lesquels exigent que toutes les personnes « connues » qui sont expressément définies dans le Code soient nommées dans le mandat (Garofoli, à la page 1445). La Loi sur le SCRS ne comporte aucune disposition analogue. L’alinéa 21(2)d) exige seulement que le Service indique de quelles personnes il se propose d’intercepter les communications, si leur identité est connue, et l’alinéa 21(4)d) exige seulement que le mandat indique l’identité de la personne, si elle est connue, dont les communications sont à intercepter.

 

[175]                   La Cour ne devrait néanmoins pas permettre au Service d’obtenir un mandat à l’endroit d’une personne en vue d’intercepter les communications d’une autre personne dont le Service connaît l’identité. Ce dernier devrait être tenu de demander un mandat visant n’importe quelle personne sur laquelle ou de laquelle il souhaite obtenir des informations dans le cadre de l’enquête en litige. C’est donc dire que malgré les différences que l’on relève entre le Code criminel et la Loi sur le SCRS, j’examinerai si les mandats autorisaient à intercepter les communications de Mona El Fouli, de Hani El Fouli et d’Essam Marzouk.

 

[176]                   Étant donné que la communication de l’identité des personnes précisément nommées dans les mandats, ainsi qu’au cours de quelle période, porterait atteinte, à mon avis, à la sécurité nationale et à la sécurité d’autrui, mon analyse de cette question figure à la section « H » de l’Annexe confidentielle, et j’insère ci-dessous un sommaire, tiré de l’Annexe confidentielle, de mes conclusions sur la question.

 

[177]                   La portée des mandats s’étendait aux personnes dont le Service avait intercepté les communications. Après avoir examiné les documents confidentiels, je suis persuadé qu’aucune communication des tierces personnes que M. Mahjoub a identifiées n’a été interceptée sans l’autorisation d’un mandat.

 

[178]                   À mon avis, on ne peut pas non plus communiquer les détails se rapportant aux techniques autorisées par chaque mandat sans porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Les motifs par lesquels je dispose des allégations de M. Mahjoub selon lesquelles l’interception des relevés d’appels téléphoniques et la saisie de la lettre de M. Al Duri n’étaient pas autorisées figurent à la section « I » de l’Annexe confidentielle, et j’insère ci-dessous un sommaire, tiré de l’Annexe confidentielle, de mes conclusions sur la question.

 

[179]                   La fouille, par le Service, du porte-documents de M. Mahjoub et la saisie, en août 1998, de la lettre de M. Al Duri ont été autorisées par mandat, comme le font valoir les ministres, en se fondant sur le témoignage de M. Michel Guay (13 octobre 2010, page 44). Après avoir examiné les documents confidentiels, je suis convaincu que la saisie des relevés d’appels et de la lettre de M. Al Duri à M. Mahjoub était autorisée par mandat.

 

[180]                   La police a saisi le carnet d’adresses et le [traduction] « contenu des poches » de M. Mahjoub au moment de son arrestation, le 26 juin 2000. Il s’agit là d’un exemple classique de « fouille accessoire à une arrestation », l’une des exceptions les plus reconnues à l’obligation de disposer d’un mandat en common law. L’arrêt R. c Stillman, [1997] 1 RCS 607 [Stillman] définit quelles sont les conditions de ce type de fouille (au paragraphe 27). Il va sans dire que l’arrestation doit d’abord être légale et non arbitraire. J’ai conclu, au paragraphe 173 de la Décision constitutionnelle, que l’article 81 de la LIPR n’autorise pas les détentions arbitraires. Je suis donc persuadé qu’étant donné que les ministres ont dûment signé un certificat de sécurité visant M. Mahjoub, son arrestation aux termes de ce certificat était légale et non arbitraire. Deuxièmement, la fouille doit être « accessoire » à l’arrestation, surtout pour protéger les agents procédant à l’arrestation afin d’éviter la destruction ou la découverte de preuves (Mann, au paragraphe 37; R. c Caslake, [1998] 1 RCS 51, au paragraphe 15). La fouille des poches de M. Mahjoub entre dans cette catégorie de fouille. Troisièmement, la fouille doit être faite de manière raisonnable. M. Mahjoub n’a pas allégué que les agents qui l’ont arrêté l’ont fouillé de manière déraisonnable ou abusive.

 

[181]                   Comme les ministres considéraient que M. Mahjoub était une menace sérieuse envers la sécurité, la police était fondée à fouiller la personne de M. Mahjoub afin d’assurer leur propre sécurité (Stillman, au paragraphe 48). La fouille des poches de M. Mahjoub était également une mesure raisonnable pour éviter qu’il se départisse des éléments de preuve susceptibles de s’y trouver (ibidem). Les résultats de cette fouille peuvent être utilisés en preuve contre M. Mahjoub.

 

[182]                   L’admissibilité du relevé d’appels téléphoniques et du carnet d’adresses a été contestée par M. Mahjoub lors de l’audience publique sur le caractère raisonnable du certificat. La Cour a entendu de longs arguments des parties les 13 et 15 octobre 2010, et elle s’est prononcée par la suite sur l’admissibilité de la preuve en fonction de ces arguments. J’ai rendu ma décision à l’audience le 22 octobre 2010, concluant que la preuve était admissible. Dans mes motifs, j’ai conclu que M. Mahjoub n’avait établi aucun fondement probant pour son opposition. J’ai signalé que la preuve en question avait été communiquée à M. Mahjoub longtemps avant l’audience sur le caractère raisonnable du certificat et dans un délai suffisant pour pouvoir demander de plus amples renseignements sur la façon dont la preuve avait été obtenue. J’ai également signalé que M. Mahjoub n’avait pas demandé que l’on communique les autorisations sous-jacentes qui se rapportaient aux fouilles et aux saisies des relevés téléphoniques en litige.

 

[183]                   Les ministres soutiennent que M. Mahjoub a renoncé implicitement à ses oppositions aux fouilles et aux saisies des relevés d’appels téléphoniques et de preuves matérielles à cause du temps considérable qui s’est écoulé, citant la décision Almrei (Re), 2009 CF 1263, au paragraphe 19. M. Mahjoub soutient que Me Joncas a tenté de s’opposer à la preuve lorsqu’elle a été déposée, mais que la Cour s’est prononcée en faveur du fait de laisser à plus tard la question de son admissibilité. Étant donné que j’ai décidé, dans mes motifs qui précèdent, que la fouille et la saisie des relevés d’appel et des preuves matérielles en litige étaient légales, il n’est pas nécessaire de traiter de cette question.

 

  1. Si les preuves utilisées dans la présente instance ont été illégalement obtenues pour l’une quelconque des raisons qui précèdent, faudrait-il néanmoins les admettre en application du paragraphe 24(2) de la Charte?

 

 

[184]                   J’ai conclu qu’un ou plusieurs des pouvoirs conférés par mandat étaient illégaux cars ils autorisaient l’interception accessoire de communications entre avocat et client sans motifs raisonnables et probables après la mise en détention de M. Mahjoub. Cependant, aucune preuve n’a été produite en l’espèce, grâce à ces mandats, qui n’a pas déjà été exclue, comme l’illustre le paragraphe 4 qui précède : toutes les preuves restantes datent d’avant l’arrestation de M. Mahjoub. Il n’est donc pas nécessaire que je procède à une analyse fondée sur le paragraphe 24(2) de la Charte pour décider si les preuves obtenues grâce aux mandats devraient être quand même admissibles parce qu’elles ne déconsidèrent pas l’administration de la justice.

 

La conclusion

[185]                   En conclusion, les dispositions contestées de la Loi sur le SCRS ne sont pas inconstitutionnelles pour les motifs qu’allègue M. Mahjoub, les mandats que le Service a obtenus en vertu de l’article 21 de la Loi sur le SCRS lors de son enquête sur M. Mahjoub avant l’arrestation de ce dernier sont légaux, et même si certains des pouvoirs énoncés dans le ou les mandats que le Service a obtenus en vertu de l’article 21 de la Loi sur le SCRS après l’arrestation de M. Mahjoub étaient illégaux, la preuve que conteste M. Mahjoub a été obtenue légalement.

 

[186]                   Les « menaces envers la sécurité du Canada », une expression définie à l’article 2, ainsi que les procédures d’enquête qu’autorise l’article 12 de la Loi sur le SCRS ne sont ni vagues ni d’une portée excessive. Les droits que la Charte garantit à M. Mahjoub ne sont pas mis en jeu par l’article 6, même en théorie. L’article 17 atteint l’équilibre requis entre les droits à la vie privée d’une personne et les préoccupations relatives à l’intérêt du public, et il n’est pas inconstitutionnel parce qu’il permet d’échanger des informations avec des organismes étrangers. Les dispositions relatives à la délivrance d’un mandat, soit les articles 21 à 24, ne sont pas inconstitutionnelles juste parce qu’elles permettent qu’un mandat autorise à intercepter des communications entre un avocat et son client. L’arrêt Atwal indique que tant que l’on met en place des conditions pour éviter de diffuser des informations privilégiées, les mandats décernés en vertu de l’article 21 peuvent autoriser l’interception de communications entre un avocat et son client dans les circonstances d’une éventuelle enquête sur une menace envers la sécurité du Canada, et ce, avant une arrestation ou le début d’une instance judiciaire.

 

[187]                   La contestation de M. Mahjoub à l’égard de la validité des mandats ne constitue pas une attaque indirecte contre les décisions qu’ont prises les juges qui ont décerné des mandats en vertu de l’article 21 parce qu’il s’agit d’une requête visant à exclure des preuves obtenues en application des mandats, conformément à l’article 8 et au paragraphe 24(2) de la Charte. La seule façon d’établir une violation de l’article 8 dans la collecte de preuves qu’autorise un mandat est de contester ce mandat. Toutefois, la preuve ne peut pas être exclue pour cause d’inconstitutionnalité du régime antérieur prévu par la LIPR, pas plus qu’elle ne peut l’être parce que les affidavits et les mandats ne sont pas communiqués en leur forme originale à M. Mahjoub et à ses avocats.

 

[188]                   Par ailleurs, les mandats, à l’exception de certains pouvoirs conférés par ces derniers et signalés plus tôt, sont légaux. Je suis arrivé à la conclusion que les affidavits étayant la demande de mandats du Service étaient potentiellement trompeurs et dénués de tout détail important. Quoi qu’il en soit, même si le Service a manqué à son obligation d’assurer une communication pleine et entière aux juges ayant décerné les mandats, je suis convaincu que l’on aurait décerné les mandats de toute façon. En outre, il était loisible à ces juges de conclure que les affidavits étaient conformes aux alinéas 21(1)a) à g) de la Loi sur le SCRS, et aucune erreur ne m’oblige à intervenir dans leurs décisions. Enfin, les mandats eux-mêmes sont conformes au paragraphe 21(4) de la Loi sur le SCRS.

 

[189]                   Finalement, les preuves que M. Mahjoub souhaite voir exclure par la présente demande ont été recueillies de manière légale et ne violent pas l’article 8 de la Charte. Je conclus que la collecte des éléments énumérés au paragraphe 4 des présents motifs a été dûment autorisée par mandat, comme le soutiennent les ministres. Les détails de ces autorisations figurent à la section « Conclusion » de l’Annexe confidentielle, car la divulgation de ces détails porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. La perquisition du domicile de M. Mahjoub en vue de mettre la main sur la lettre de M. Al Duri, de même que la fouille de la personne de M. Mahjoub au moment de son arrestation et dans le cadre de laquelle le contenu de ses poches a été obtenu, étaient légales elles aussi.

 

[190]                   Pour les motifs qui précèdent, je rejette la demande de M. Mahjoub.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la requête soit rejetée.

 

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


dossier :           DES-7-08

INTITULÉ :

AFFAIRE INTÉRESSANT UN CERTIFICAT SIGNÉ EN VERTU DU PARAGRAPHE 77(1) DE LA LOI SUR L’IMMIGRATION ET LA PROTECTION DES RÉFUGIÉS (LIPR);

 

ET LE DÉPÔT DE CE CERTIFICAT À LA COUR FÉDÉRALE EN VERTU DU PARAGRAPHE 77(1) DE LA LIPR;

 

ET MOHAMED ZEKI MAHJOUB

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE PUBLIQUE :

            TORONTO / OTTAWA (ONTARIO)

 

DATES DE L’AUDIENCE PUBLIQUE :

                                                            12, 13, 15, 18, 19, 20, 21, 22, 25, 26 et 27 octobre 2010

                                                            1er, 2, 23, 24, 25, 29 et 30 NOVEMBRE 2010

                                                            1er, 6, 7, 8, 14 ET 15 DÉCEMBRE 2010

                                                            10, 11, 12, 17, 19, 20 ET 21 JANVIER 2011

                                                            2, 3, 9, 13, 14, 15, 17, 20, 21, 27, 28 ET 29 JUIN 2011

                                                            4, 5, 6, 7, 8, 11, 12, 13 ET 14 JUILLET 2011

                                                            24, 25 ET 26 JUILLET 2012

                                                            1er ET 8 AOÛT 2012

                                                            6, 9, 10, 11 ET 12 SEPTEMBRE, 2012

                                                            26, 27, 28, 29 ET 30 NOVEMBRE 2012

                                                            3, 4, 6, 7 ET 10 DÉCEMBRE 2012

 

 

 

motifs de l’ordonnance

et ordonnance :

                                                            LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :

                                                            le 25 octobre 2013

 

 

 

 

 

COMPARUTIONS :

Donald MacIntosh

David Tyndale

Bernard Assan

Peter Southey

Marianne Zoric

Mahan Keramati

Christopher Ezrin

Balqees Mihirig

Judy Michaely

Rhonda Marquis

James Mathieson

Marcel Larouche

Toby Hoffmann

Proja Filipovich

Philippe Lacasse

Erin Bobkin

Dominique Castagne

 

 

 

POUR LES demandeurS, LE MInistre de la Citoyenneté et de l’Immigration ET LE ministre de la Sécurité publique

 

 

Johanne Doyon

Paul Slansky

Yavar Hameed

David Kolinsky

Khalid Elgazzar

Lucie Joncas

 

 

POUR LE défendeur, MOHAMED ZEKI MAHJOUB

 

 

Gordon Cameron

Anil Kapoor

AVOCATS SPÉCIAUX

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES demandeurS

 

 

Johanne Doyon

Doyon & Associés

Montréal (Québec)

 

Paul B. Slansky

Slansky Law Professional Corp.

Toronto (Ontario)

 

Yavar Hameed

Hameed & Farrokhzad

Ottawa (Ontario)

 

David Kolinsky

Avocat

Edmonton (Alberta)

 

pour le défendeur

 

 

Gordon Cameron

Ottawa (Ontario)

 

AVOCAT SPÉCIAL

Anil Kapoor

Toronto (Ontario)

AVOCAT SPÉCIAL

 

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