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Date : 20140918


Dossier : IMM-1412-13

Référence : 2014 CF 892

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 septembre 2014

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

ROMEO MECI

ANIKO MECINE VASVARI

DANIEL STEFAN MECI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) a conclu le 16 janvier 2013 qu’ils n’avaient pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la Loi).

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

I.                   Contexte

A.                La demande d’asile des demandeurs

[3]               Le demandeur principal, Romeo Meci, son épouse, Anik Mecine Vasvari, et leur fils mineur, Daniel Stefan Meci, sont des citoyens de la Hongrie. M. Meci est toutefois un citoyen naturalisé de la Hongrie d’origine ethnique albanaise. La famille vivait à Budapest avant de venir au Canada le 8 juin 2011.

[4]               Deux jours après leur arrivée au Canada, les demandeurs ont demandé l’asile en vertu des articles 96 et 97 de la Loi. Ils ont dit craindre d’être persécutés par des radicaux d’extrême droite en Hongrie en raison des origines de M. Meci.

[5]               À l’appui de cette affirmation, M. Meci a déclaré qu’il avait commencé à faire l’objet d’humiliation, de harcèlement, de discrimination et de violence physique en février 2008, et que la situation était telle que sa famille et lui-même se sont mis à craindre pour leur vie et ont décidé de quitter la Hongrie. Plus particulièrement, il a affirmé qu’il avait été victime d’un certain nombre d’incidents, qu’il avait notamment été agressé physiquement et menacé de mort, et que des dommages avaient été infligés à ses biens.

[6]               Le premier incident remonte à février 2008, lorsqu’il a été attaqué par un groupe d’hommes inconnus qui, à son avis, s’en étaient pris à lui en raison de ses origines albanaises. M. Meci n’a pas cherché à obtenir l’aide ou la protection de la police à ce moment‑là, car il craignait pour sa sécurité. Le deuxième incident est survenu le 15 mars 2011. M. Meci a été agressé par des membres de la Garde hongroise qui avaient remarqué son accent étranger. Ils ont menacé de le tuer s’il ne quittait pas la Hongrie avec sa famille. M. Meci n’a pas cherché à obtenir des soins médicaux ou l’aide de la police après cette agression. Durant les deux mois suivants, M. Meci et sa famille ont reçu plusieurs menaces de mort et, le 20 mai 2011, M. Meci a été violemment battu par les mêmes hommes de la Garde hongroise, qui l’ont laissé inconscient. Un policier l’a trouvé et emmené au poste de police, où il lui a fait faire une déposition.

[7]               Le 3 juin 2011, un policier s’est rendu au domicile des demandeurs pour leur recommander de retirer le rapport de police soumis à la suite de l’incident du 20 mai 2011. Les demandeurs ont demandé au policier s’ils pouvaient s’attendre à ce que la police prenne des mesures de protection à leur endroit, ce à quoi le policier a répondu que la police n’était pas en mesure de satisfaire à une telle demande.

[8]               Comme il a été mentionné, les demandeurs ont quitté la Hongrie pour venir au Canada le 11 juin 2011 et ils ont demandé l’asile le 13 juin 2011.

B.                 La décision contrôlée

[9]               La demande des demandeurs a été rejetée le 16 janvier 2013. La SPR n’a pas traité en détail des agressions commises contre M. Meci et de la crainte de persécution des demandeurs en Hongrie. La SPR ne s’est pas attardée sur les événements qui les avaient amenés à demander l’asile. Elle a plutôt mis l’accent sur l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable et sur la réfutation de la présomption de protection de l’État.

[10]           En ce qui concerne la PRI, la SPR a conclu qu’aucun élément de preuve n’avait été présenté montrant que les personnes d’origine ethnique albanaise sont ciblées par les membres de la Garde hongroise dans l’ensemble de la Hongrie. La SPR a conclu que la preuve documentaire produite par les demandeurs faisait état de la discrimination et de la persécution exercée à l’endroit de la minorité rom en Hongrie et non de celles visant d’autres groupes, comme les Albanais.

[11]           Par conséquent, la SPR a conclu qu’il n’était pas déraisonnable que les demandeurs déménagent loin de Budapest pour vivre à un endroit où les minorités autres que les Roms ne font pas spécifiquement l’objet de persécution à caractère nationaliste. Plus particulièrement, la SPR a conclu que M. Meci avait omis d’expliquer pourquoi les membres de la Garde hongroise tenteraient de le retrouver où qu’il aille en Hongrie pour le tuer ou comment ils sauraient où sa famille et lui avaient déménagé.

[12]           S’agissant de la protection de l’État, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État. Plus précisément, elle a conclu que M. Meci n’avait pas sollicité la protection d’autorités supérieures de la police ou d’autorités gouvernementales après avoir appris, à la suite de l’incident du 20 mai 2011 où il avait été violemment battu, que la police n’était pas en mesure lui offrir la protection qu’il avait demandée. La SPR a conclu qu’aucun élément de preuve clair et convaincant n’avait été présenté montrant que l’État n’était pas disposé à protéger les demandeurs ou que la protection de l’État en Hongrie était insuffisante.

II.                La question en litige et la norme de contrôle

[13]           La question soulevée par la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la SPR, en concluant comme elle l’a fait, a commis une erreur susceptible de contrôle au sens du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), ch F‑7.

[14]           Les demandeurs font valoir que les conclusions de la SPR concernant la PRI étaient déraisonnables et qu’elles ont été tirées en violation de l’équité procédurale. Ils affirment en outre que la SPR a mal appliqué le critère juridique relatif à la protection de l’État et que sa conclusion selon laquelle les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État était déraisonnable.

[15]           Comme j’ai conclu qu’il n’y a pas lieu de modifier la conclusion de la SPR quant à la protection de l’État, il ne sera pas nécessaire de déterminer si la conclusion de la SPR sur la PRI justifie l’intervention de la Cour.

[16]           Pour arriver à cette conclusion, j’ai appliqué la norme de la décision raisonnable. En effet, les questions relatives à la protection de l’État sont des questions mixtes de fait et de droit qui, compte tenu de l’expertise de la SPR en la matière, commandent la déférence (Montero Velez c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 589, au paragraphe 22; Romero Davila c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1116, au paragraphe 26; Nzayisenga c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1103, au paragraphe 25; Gulyas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 254, 429 FTR 22, au paragraphe 38).

[17]           Il est bien établi que cette norme de contrôle signifie que la Cour ne doit pas modifier une décision de la SPR sauf si la décision n’est pas justifiée, transparente ou intelligible ou si elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

III.             Analyse

A.                Introduction

[18]           Comme je l’ai mentionné, après avoir examiné attentivement le dossier et les observations écrites et orales des parties, je suis d’avis que la demande de contrôle judiciaire des demandeurs doit être rejetée, car je ne puis affirmer que la conclusion de la SPR quant à la protection de l’État est déraisonnable. Étant donné que la présomption de protection de l’État n’a pas été réfutée, il n’est pas nécessaire d’examiner si la SPR a commis une erreur en concluant que les demandeurs pouvaient bénéficier d’une PRI viable.

[19]           Ainsi que l’a déclaré la Cour dans Katinszki c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1326, 421 FTR 107, au paragraphe 12, une conclusion concernant la protection de l’État précède normalement à une analyse se rapportant à la PRI, car si l’État a la capacité et la volonté de protéger un demandeur d’asile, il n’est pas nécessaire d’examiner s’il y a une région du pays dans laquelle le demandeur d’asile serait en sécurité.

[20]           La notion de PRI repose sur un critère à deux volets : la SPR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la région du pays où il conclut qu’il y a une PRI et que, compte tenu de toutes les circonstances, la situation dans cette région du pays est telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’asile d’y chercher refuge (Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (C.A.), [1991] ACF no 1256 (QL), au paragraphe 10; Katinszki, précitée, au paragraphe 11; Ramirez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 600, au paragraphe 4).

[21]           Pour satisfaire au premier volet du critère, un demandeur d’asile doit réussir à démontrer que l’État ne peut pas le protéger dans la région proposée comme PRI. Dans cette mesure, il y a un certain chevauchement entre les analyses de la protection de l’État et de la PRI, car la conclusion selon laquelle il n’existe aucune possibilité sérieuse de persécution peut se fonder sur le faible risque de persécution ou sur la présence de ressources de l’État qui peuvent protéger le demandeur (Katinszki, précitée, au paragraphe 12; Velasquez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1201, au paragraphe 16).

[22]           Par conséquent, même si l’on admettait que la conclusion de la SPR quant à la PRI était entachée d’un vice fondamental à certains égards, ainsi que les demandeurs l’affirment, un tel résultat ne permettrait pas de trancher la présente demande, car la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté, par des éléments de preuve clairs et convaincants, la présomption selon laquelle l’État hongrois était apte et disposé à les protéger d’une possible persécution.

[23]           Le fait que la SPR a d’abord effectué une analyse de la PRI ne constitue pas non plus une erreur fondamentale, car sa décision doit être interprétée dans son ensemble (Katinszki, précitée, au paragraphe 12; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, au paragraphe 14; Lainez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 707, au paragraphe 21).

B.                 Il n’y a pas lieu de modifier la conclusion de la SPR concernant la protection de l’État

[24]           Les demandeurs contestent la conclusion que la SPR a tirée quant à la protection de l’État pour deux motifs : premièrement, ils allèguent que la SPR a utilisé le mauvais critère juridique et, deuxièmement, ils font valoir, subsidiairement, que la SPR a tiré la conclusion sans tenir compte de la preuve dont elle disposait, ce qui rendait donc la conclusion déraisonnable.

(1)               La SPR a utilisé le bon critère juridique pour analyser la protection de l’État

[25]           Les demandeurs affirment tout d’abord que la SPR a appliqué le mauvais critère juridique en exigeant qu’ils présentent un élément de preuve montrant [traduction] « l’effondrement complet » de l’appareil étatique, ce qui aurait constitué pour elle la seule façon de réfuter la présomption de la protection de l’État.

[26]           Je ne suis pas d’accord. La SPR a en effet affirmé qu’aucun élément de preuve ne montrait qu’il y avait un effondrement complet de l’appareil étatique en Hongrie, mais cette affirmation visait clairement à appuyer sa conclusion selon laquelle la présomption de l’existence d’une protection de l’État était applicable aux demandeurs. La SPR n’a indiqué nulle part dans son analyse portant sur la protection de l’État que cette présomption n’était pas réfutable et que l’absence d’élément de preuve montrant l’effondrement complet des institutions hongroises mettait fin à l’analyse. Bien au contraire, la SPR a poursuivi en affirmant que les demandeurs devaient, dans de telles circonstances, fournir un élément de preuve direct, pertinent et convaincant de l’incapacité de l’État à les protéger ou de son absence de volonté de le faire.

[27]           Cette interprétation rejoint tout à fait l’état actuel du droit, car il est bien établi qu’en l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, il faut présumer que la protection de l’État est offerte au demandeur d’asile et que, pour réfuter cette présomption, celui‑ci doit présenter des éléments de preuve clairs et convaincants montrant que l’État n’a pas la capacité ou la volonté de lui fournir une protection non pas parfaite, mais adéquate (Carillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, au paragraphe 19; Ruszo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1004, au paragraphe 29; Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, au paragraphe 52).

[28]           La façon dont la SPR s’y est prise pour analyser la protection de l’État s’accorde également avec le principe selon lequel la protection des réfugiés est une forme de protection auxiliaire qui ne doit être invoquée que dans les cas où le demandeur d’asile a tenté en vain d’obtenir la protection de son État d’origine (Ward, précité, au paragraphe 18).

[29]           J’estime donc que la première erreur reprochée par les demandeurs au sujet de la conclusion de la SPR quant à la protection de l’État ne justifie aucune intervention.

(2)               La conclusion de la SPR quant à la protection de l’État n’était pas déraisonnable

[30]           Les demandeurs allèguent que la conclusion de la SPR concernant la protection de l’État était déraisonnable parce que la SPR n’aurait pas tenu compte d’éléments de preuve sur l’incapacité de l’État à protéger adéquatement les victimes de crimes motivés par la haine, comme eux. Ils affirment que la SPR aurait également laissé de côté le témoignage de M. Meci sur sa réticence à s’adresser à la police.

[31]           La SPR a essentiellement conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État, parce qu’ils n’avaient pas tenté d’obtenir l’aide d’autorités policières supérieures ou d’autres organismes gouvernementaux et que la preuve fournie n’établissait pas qu’il aurait été objectivement déraisonnable de tenter d’obtenir une telle aide.

[32]           Il est bien établi que le simple fait de soumettre une preuve abondante sous forme d’opinion, ou le sentiment du demandeur d’asile que la protection de l’État lui est refusée, ne suffit pas pour réfuter la présomption de protection de l’État (Smith c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1283, 420 FTR 256, aux paragraphes 50 et 51). Le demandeur d’asile doit plutôt montrer qu’il a épuisé tous les moyens possibles pour obtenir la protection de l’État ou qu’il aurait été objectivement déraisonnable pour lui de le faire (Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 56).

[33]           L’affaire Ruszo précitée, assez récente, est particulièrement éclairante pour le cas qui nous occupe, car elle concerne des demandeurs d’asile hongrois d’origine ethnique rom, soit le groupe minoritaire le plus important en Hongrie, qui, selon la documentation, fait depuis longtemps l’objet de persécution et de discrimination. La SPR a conclu dans cette affaire que les demandeurs n’avaient pas démontré qu’ils avaient pris toutes les mesures objectivement raisonnables en vue de se prévaloir de la protection de l’État et de fournir une preuve convaincante pour expliquer le défaut de faire plus que d’essayer une seule fois d’obtenir la protection de la police. Par conséquent, la SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs.

[34]           Le juge en chef de la Cour a statué que cette conclusion était raisonnable. Ce faisant, il a appliqué les principes suivants :

a.                   Il incombe au demandeur d’asile de démontrer, au moyen d’une preuve claire et convaincante, l’incapacité ou le refus de l’État de fournir une protection adéquate (Ruszo, précitée, au paragraphe 29);

b.                   Pour s’acquitter de ce fardeau, le demandeur d’asile doit démontrer qu’il ne peut obtenir une protection adéquate de l’État ou du fait qu’il craint avec raison d’être persécuté, ne veut pas se réclamer de la protection de son pays (Ruszo, précitée, au paragraphe 30);

c.                   En ce qui concerne le volet « ne peut » du critère, il ne suffit pas de démontrer certaines défaillances de la police locale en matière de protection de l’État, ni de simplement faire valoir une réticence subjective à faire intervenir l’État ou de remettre en doute l’efficacité de la protection de l’État sans vraiment la mettre à l’épreuve (Ruszo, précitée, aux paragraphes 31 et 33);

d.                  À cette étape de l’analyse, le demandeur d’asile doit démontrer qu’il n’a ménagé aucun effort objectivement raisonnable afin d’épuiser tous les recours auxquels il a raisonnablement accès avant de demander l’asile à l’étranger (Ruszo, précitée, au paragraphe 32);

e.                   En l’absence d’une explication convaincante, le défaut de prendre ces mesures avant de demander l’asile à l’extérieur est généralement considéré comme un fondement raisonnable pouvant justifier la SPR de conclure que la présomption de protection de l’État n’a pas été réfutée (Ruszo, précitée, au paragraphe 33);

f.                    En ce qui concerne le volet « ne peut » du critère, un demandeur d’asile doit montrer qu’il était objectivement raisonnable qu’il n’ait pas sollicité la protection de son pays d’origine; sa réticence à solliciter une telle protection doit reposer sur une crainte fondée de persécution (Ruszo, précitée, au paragraphe 34);

g.                   L’impression subjective qu’une personne perdrait son temps en demandant la protection de la police ou en essayant de corriger les manquements de la police locale en soumettant l’affaire à d’autres sources de protection policière ne constituerait pas une preuve convaincante, sauf si le demandeur avait demandé sans succès la protection de la police à de multiples reprises (Ruszo, précitée, au paragraphe 51).

[35]           Dans Ruszo, les demandeurs d’asile ont quitté la Hongrie pour venir au Canada à la suite de nombreux incidents. Ils ont signalé l’un de ces incidents à la police, qui n’a pris aucune mesure. La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré qu’ils avaient pris toutes les mesures raisonnables dans les circonstances pour obtenir la protection de l’État relativement à cet incident. Elle a tiré cette conclusion en soulignant que les demandeurs n’avaient pas demandé à parler à un supérieur hiérarchique des policiers, qu’ils ne s’étaient pas rendus à un autre poste de police, qu’ils n’avaient pas déposé de plainte auprès de l’autorité gouvernementale rom locale au sujet du manque de soutien de la police et qu’ils n’avaient pas non plus déposé de plainte auprès d’une autre instance de l’État en Hongrie. En résumé, la SPR a conclu que les demandeurs avaient signalé l’incident une seule fois, puis n’avaient effectué aucune autre démarche (Ruszo, précitée, au paragraphe 37).

[36]           En l’espèce, lorsqu’il lui a été demandé pourquoi il ne s’était pas adressé à des autorités policières supérieures ou à d’autres organismes gouvernementaux après qu’un policier lui a dit que la police ne prendrait aucune mesure relativement à l’incident du 20 mai 2011, M. Meci a expliqué que « cette démarche ne mènerait nulle part », car tout le monde savait que « les autorités policières aux échelons supérieurs sont constituées des mêmes personnes que la police ».

[37]           En fait, à la lumière de la preuve en l’espèce, non seulement M. Meci ne s’est pas adressé à des autorités policières supérieures ou à d’autres organismes gouvernementaux, mais il n’a jamais signalé à la police les divers incidents qui avaient amené les demandeurs à quitter le Canada, ou du moins jamais par lui‑même. L’agression du 20 mai 2011 est le seul incident qui a été signalé, et il ne l’a été que parce qu’un policier avait amené M. Meci au poste de police après l’incident.

[38]           D’après Ruszo, on ne peut affirmer qu’il n’était pas loisible à la SPR de conclure qu’il aurait été objectivement déraisonnable de faire d’autres tentatives pour obtenir la protection de l’État. L’explication que M. Meci a donnée au fait qu’il n’avait pas fait ces tentatives revient à dire que demander la protection de la police ou essayer de corriger les manquements de la police locale en soumettant l’affaire à d’autres sources de protection policière aurait constitué une perte de temps. Comme il n’a pas été démontré que M. Meci avait tenté en vain d’obtenir la protection de la police à de nombreuses occasions, la SPR pouvait tout à fait conclure, comme dans Ruszo, que cette explication ne constituait pas une preuve claire, probante ou convaincante qu’il était objectivement raisonnable pour les demandeurs de n’avoir pas tenté d’obtenir la protection de leur État d’origine.

[39]           Les demandeurs allèguent que la protection de l’État aurait de toute façon été inefficace étant donné que le racisme et les préjugés ont cours au sein de la police et de la magistrature hongroises, de sorte que celles‑ci sont réticentes à aider les victimes de crimes motivés par la haine. L’argument des demandeurs à cet égard repose sur leur examen de la documentation sur le pays.

[40]           Il convient de rappeler qu’il n’appartient pas à la Cour de modifier les conclusions de fait tirées par la SPR, ni de réévaluer la preuve dont elle disposait (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, 2003 CF 1225, [2004] 3 RCF 523, au paragraphe 102; Selliah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 872, 256 FTR 53, au paragraphe 38; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] ACS no 12, au paragraphe 59).

[41]           La SPR a examiné ces éléments de preuve et constaté qu’il n’y était pas mentionné que des groupes minoritaires autres que les Roms étaient la cible des membres de la Garde hongroise. Ce qui ressort des documents sur la situation dans le pays contenus dans le dossier est qu’ils traitent principalement de la situation de la minorité rom en Hongrie, et plus précisément de la réticence à caractère discriminatoire que montre la police à prêter assistance aux Roms victimes de crimes motivés par la haine. La plupart des affaires mentionnées par les demandeurs dans leurs observations écrites et orales concernent aussi des demandeurs d’asile hongrois d’origine ethnique rom. L’affaire Katinszki, précitée, sur laquelle les demandeurs se sont fortement appuyés, est l’une d’elles.

[42]           La documentation sur le pays en cause fait très peu mention de la confession religieuse des groupes minoritaires en Hongrie, sauf lorsqu’il est question de la minorité juive hongroise. Les documents qui en font mention précisent que les groupes à risque sont ceux qui sont perçus comme hostiles à la cause hongroise. Comme le souligne le ministre, les demandeurs n’ont fourni aucun élément de preuve laissant penser qu’ils seraient perçus de cette façon.

[43]           Dans un tel contexte, il était loisible à la SPR, qui était tenue d’évaluer la preuve objective, de conclure qu’elle n’appuyait pas l’allégation des demandeurs selon laquelle il serait objectivement déraisonnable de leur part de tenter de se réclamer de la protection de l’État ou selon laquelle la protection de l’État aurait été inadéquate de toute façon.

[44]           En somme, même en supposant que la SPR avait commis une erreur susceptible de contrôle en concluant, dans son analyse de la PRI, qu’il n’existait aucune possibilité sérieuse que M. Meci soit perçu comme un étranger dans d’autres régions de la Hongrie et que sa famille et lui soient persécutés, les demandeurs devaient tout de même démontrer que l’État serait incapable de les protéger. La Hongrie est un État démocratique. Par conséquent, il incombait aux demandeurs de réfuter la présomption selon laquelle l’État d’origine serait en mesure de les protéger et aurait la volonté de le faire. La SPR a conclu qu’ils ne l’avaient pas fait.

[45]           Encore une fois, et vu qu’il n’appartient pas à la Cour de substituer sa propre opinion à celle de la SPR, je ne vois aucune raison de modifier cette conclusion parce que j’estime que la SPR pouvait raisonnablement conclure comme elle l’a fait compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait et des principes de droit applicables.

[46]           La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[47]           Aucune partie n’a proposé de question de portée générale à certifier. Aucune question ne sera certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

Myra-Belle Béala De Guise

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIER :

IMM-1412-13

INTITULÉ :

ROMEO MECI ET AUTRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 JUILLET 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

LE 18 septembrE 2014

COMPARUTIONS :

Diego S. Cariaga Lema

POUR LES DEMANDEURS

Rafeena Rashid

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet d’avocats Brunga

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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