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Date : 20140926


Dossier : T-1888-13

Référence : 2014 CF 921

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 septembre 2014

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

OWAIS AHMED ASAD

RAHIM AHMED

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie de la demande, présentée au titre de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, visant à obtenir le contrôle judiciaire de la décision, datée du 2 octobre 2013, (la décision) rendue par un délégué (l’agent) du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration par laquelle l’agent a refusé d’accorder la citoyenneté à Rahim Ahmed (le demandeur mineur), fils adoptif de Owais Ahmed Asad (le parent demandeur) (les demandeurs), en vertu du paragraphe 5.1(1) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C‑29 (la Loi).

II.                LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur mineur est né le 22 octobre 2008, au Pakistan. Le parent demandeur et son épouse sont des citoyens canadiens. Ils ont signé un acte d’adoption avec les parents biologiques du demandeur mineur. L’acte d’adoption a été passé en avril 2009 et souscrit devant notaire, le 23 juin 2009. Le parent demandeur et son épouse ont aussi été nommés tuteurs de l’enfant le 23 juin 2009, au moyen d’un acte de tutelle délivré par un juge et magistrat du tribunal civil et de la famille de Hyderabad.

[3]               La Loi dispose qu’un enfant adopté par des parents canadiens peut se voir attribuer la citoyenneté canadienne directement, en vertu de l’article 5.1; il est ainsi dispensé de la nécessité de devenir d’abord un résident permanent. En mars 2011, le parent demandeur a présenté une demande de citoyenneté canadienne pour le demandeur mineur, en application de l’article 5.1. Les demandeurs ont produit l’acte d’adoption et l’acte de tutelle à l’appui de leur demande.

III.             LA DÉCISION SOUMISE AU CONTRÔLE

[4]               La demande de citoyenneté a été rejetée au moyen d’une lettre datée du 2 octobre 2013. L’agent a écrit (dossier du demandeur, à la page 96) :

[traduction]

L’article 5.1 de la Loi sur la citoyenneté définit toute personne à laquelle le ministre attribue la citoyenneté. Le paragraphe 5.1(1) dispose notamment que :

Sous réserve [du paragraphe (3)], le ministre attribue, sur demande, la citoyenneté à la personne adoptée par un citoyen après le 14 février 1977 lorsqu’elle était un enfant mineur. L’adoption doit par ailleurs satisfaire aux conditions suivantes :

 

a)  elle a été faite dans l’intérêt supérieur de l’enfant;

 

b)  elle a créé un véritable lien affectif parent-enfant entre l’adoptant et l’adopté;

 

c)   elle a été faite conformément au droit du lieu de l’adoption et du pays de résidence de l’adoptant;

 

d)  elle ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté.

 

L’Ordonnance de 1961 relative au droit musulman de la famille du Pakistan (Muslim Family Law Ordinance, 1961) ou la Charia ne contient aucune disposition sur l’adoption. L’Ordonnance de 1961 relative au droit musulman de la famille contient des dispositions sur la tutelle connues sous le nom de kafala. Le kafala est une forme de tutelle, ce n’est pas une adoption, et elle est communément perçue comme un engagement à supporter les besoins, l’éducation et la protection d’un enfant mineur, et elle ne crée pas de lien permanent parent‑enfant.

Ainsi, aucune adoption n’a eu lieu au sens où l’entend le Canada ou au sens de la Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale conclue à La Haye. Par conséquent, la demande de citoyenneté canadienne visant une personne placée sous la tutelle d’un citoyen canadien en vue de l’adoption ne peut pas être traitée.

Sur la foi des renseignements fournis, et selon le cadre législatif en place dans la République islamique du Pakistan, vous n’avez pas établi que votre enfant satisfait aux exigences justifiant l’attribution de la citoyenneté canadienne au titre du paragraphe 5.1(1) de la Loi sur la citoyenneté et votre demande n’a pas entraîné l’attribution de la citoyenneté.

[En gras dans l’original.]

IV.             LA QUESTION EN LITIGE

[5]               La question litigieuse dans la présente instance consiste à savoir si l’agent a commis une erreur lorsqu’il a conclu que l’adoption n’avait pas été faite en conformité avec les lois du Pakistan.

V.                LA NORME DE CONTRÔLE

[6]               Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas nécessaire d’effectuer dans chaque cas une analyse relative à la norme de contrôle. Lorsque la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante la norme de contrôle applicable à la question dont elle est saisie, la cour de révision peut l’adopter. Ce n’est que si cette démarche se révèle infructueuse, ou si la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire, que la cour chargée du contrôle doit entreprendre l’examen des quatre facteurs entrant en jeu dans l’analyse relative à la norme de contrôle  : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[7]               Le défendeur soutient que la norme de la décision raisonnable s’applique aux conclusions factuelles tirées par l’agent : Azziz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 663, au paragraphe 27. Le contenu du droit étranger est une question de fait et devrait aussi être soumis au contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Cheshenchuk c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 33, au paragraphe 18 (Cheshenchuk), citant Boachie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 672, au paragraphe 2. Dans la présente instance, les demandeurs ne traitent pas de la norme de contrôle applicable.

[8]               Il ressort de la jurisprudence de la Cour que l’examen fait par un agent de la question de savoir si l’adoption a été faite conformément au droit étranger est soumis au contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Cheshenchuk, précitée, au paragraphe 18; Bhagria c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1015, au paragraphe 39.

[9]               Dans le cas du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.             LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[10]           La disposition suivante de la Loi est applicable dans la présente instance :

Cas de personnes adoptées - mineurs

5.1. (1) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), le ministre attribue, sur demande, la citoyenneté à la personne adoptée par un citoyen le 1er janvier 1947 ou subséquemment lorsqu’elle était un enfant mineur. L’adoption doit par ailleurs satisfaire aux conditions suivantes:

[…]

Adoptees - minors

5.1. (1) Subject to subsections (3) and (4), the Minister shall, on application, grant citizenship to a person who was adopted by a citizen on or after January 1, 1947 while the person was a minor child if the adoption

[…]

b) elle a créé un véritable lien affectif parent-enfant entre l’adoptant et l’adopté;

(b) created a genuine relationship of parent and child;

c) elle a été faite conformément au droit du lieu de l’adoption et du pays de résidence de l’adoptant;

[…]

(c) was in accordance with the laws of the place where the adoption took place and the laws of the country of residence of the adopting citizen;

[…]

[11]           Les dispositions suivantes du Règlement sur la citoyenneté, DORS/93‑246 (le Règlement) s’appliquent à la présente instance :

5.1. (3) Les facteurs ci-après sont considérés pour établir si les conditions prévues au paragraphe 5.1(1) de la Loi sont remplies à l’égard de l’adoption de la personne visée au paragraphe (1) :

5.1. (3) The following factors are to be considered in determining whether the requirements of subsection 5.1(1) of the Act have been met in respect of the adoption of a person referred to in subsection (1):

a) dans le cas où la personne a été adoptée par un citoyen qui résidait au Canada au moment de l’adoption :

[…]

(a) whether, in the case of a person who has been adopted by a citizen who resided in Canada at the time of the adoption,

[…]

(ii) le fait que l’adoption a définitivement rompu tout lien de filiation préexistant;

[…]

(ii) the pre-existing legal parent-child relationship was permanently severed by the adoption;

[…]

VII.          LES ARGUMENTS

A.                Les demandeurs

[12]           Les demandeurs sollicitent de la Cour qu’elle annule la décision et renvoie la demande à un autre agent pour que celui‑ci l’examine à nouveau. Les demandeurs contestent la conclusion de l’agent selon laquelle l’adoption n’a pas été faite en conformité avec le droit du Pakistan; ils se fondent sur sept motifs.

[13]           Premièrement, les demandeurs déclarent que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a restreint son interprétation du terme « droit » dans la Loi à la seule Ordonnance de 1961 relative au droit musulman de la famille du Pakistan (l’Ordonnance relative au droit de la famille). Ils soutiennent que l’utilisation du terme « droit » ‑ et dans la version anglaise, l’utilisation du terme « laws » au pluriel ‑ signifie qu’il ne faut pas se restreindre à la loi, mais qu’il faut y inclure le droit contractuel et le droit relatif aux actes.

[14]           Les demandeurs soutiennent qu’en l’espèce, l’acte d’adoption a rendu l’adoption effective. Ils affirment que rien dans le droit du Pakistan ne permet d’invalider un acte ou un contrat qui rend effective une adoption entre des parents adoptifs et des parents biologiques. Le fait qu’une adoption n’est pas valide aux termes d’une loi du Pakistan (l’Ordonnance relative au droit de la famille) ne signifie pas que l’adoption n’a pas été faite en conformité avec l’ensemble du droit du Pakistan.

[15]           Deuxièmement, les demandeurs déclarent que l’agent a supposé que tous les actes d’adoption sont frauduleux. Ils disent que cela ressort du commentaire formulé par l’agent pendant le contre‑interrogatoire de son affidavit dont il ressortait que les actes d’adoption peuvent être facilement obtenus sur les marchés locaux (dossier du demandeur, à la page 79).

[16]           Les demandeurs déclarent que l’agent avait l’obligation d’examiner l’effet juridique produit par un acte d’adoption valide. Ils disent que les doutes quant au caractère frauduleux doivent être tranchés au cas par cas, et que rien dans les circonstances de la présente espèce ne donnait à penser que l’acte avait été obtenu, soit par fraude, soit sur un marché local.

[17]           Troisièmement, les demandeurs soutiennent que l’agent avait l’obligation de se conformer à la décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié dans Massey c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2010] DSAI no 820 (Commission de l’immigration et du statut de réfugié) (Section d’appel) (QL) (Massey). Les demandeurs affirment que les décisions de la SAI lient les agents, parce qu’on peut interjeter appel de ces décisions à la SAI. Les demandeurs déclarent que les agents des visas doivent respecter les conclusions factuelles tirées par la SAI, à moins qu’il n’y ait de fondement probatoire justifiant qu’ils dérogent à cette conclusion. Les demandeurs soutiennent qu’en l’espèce le fondement probatoire est même plus fort que celui de l’affaire Massey, précitée, parce que le libellé de l’acte est plus clair quant à la dissolution du lien entre l’enfant et ses parents biologiques.

[18]           Les demandeurs déclarent que dans la décision Massey, précitée, la SAI [traduction] « a conclu qu’un acte d’adoption valide crée une adoption valide au Pakistan selon laquelle l’acte confirme, sans équivoque que son objectif était de créer un lien parent‑enfant comme c’est le cas au Canada » (dossier du demandeur, à la page 152). Les demandeurs disent que la SAI a conclu qu’un acte d’adoption valide au Pakistan est un document juridique qui demeure en vigueur jusqu’à ce qu’il soit déclaré nul par un tribunal compétent. La SAI a conclu qu’à moins qu’il n’y ait un conflit, les actes d’adoption ne relèvent pas des affaires courantes traitées par les tribunaux de la famille au Pakistan.

[19]           Les demandeurs soutiennent que le défaut du défendeur de solliciter l’autorisation et le contrôle judiciaire de la décision dans l’affaire Massey signifie qu’il a accepté la décision de la SAI.

[20]           Les demandeurs soutiennent qu’une fois que le droit du Pakistan est établi par un avis d’expert, et que la SAI adopte l’avis de l’expert, il n’est pas nécessaire que les demandeurs produisent le même avis d’expert.

[21]           Les demandeurs allèguent que si l’agent voulait déroger aux conclusions tirées dans la décision Massey, il devait produire un fondement probant. Les demandeurs soutiennent que le fait de ne pas tenir compte des décisions de la SAI entraîne des incohérences et des incertitudes en droit.

[22]           Quatrièmement, les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur lorsqu’il n’a pas appliqué la Loi de façon téléologique. Ils affirment que l’objectif du paragraphe 5.1(1) de la Loi est de fournir un accès direct à la citoyenneté aux enfants adoptés par des citoyens canadiens, étant donné que ce moyen élimine la nécessité de parrainage et de résidence permanente. Les demandeurs déclarent que le fait de leur demander de présenter une demande de parrainage contrevient à l’objectif du paragraphe 5.1(1), car le résultat est inévitable. Si un agent rejette une demande de parrainage visant la résidence permanente, on peut interjeter appel de sa décision à la SAI. La SAI demeurerait liée par la décision Massey et elle la respecterait, à moins qu’il n’y ait un fondement factuel qui permettrait d’y déroger. Ils affirment que le visa de résident permanent serait accordé, et que l’enfant viendrait au Canada et présenterait une demande de citoyenneté après avoir satisfait aux exigences relatives à la résidence.

[23]           Cinquièmement, les demandeurs soutiennent que le gouvernement du Pakistan reconnaît que ce ne sont pas toutes les lois au Pakistan qui sont des lois islamiques. Les demandeurs se fondent sur un extrait d’un rapport du Pakistan au comité des Nations Unies sur les droits de l’enfant à l’appui de cette affirmation : [traduction] « Le placement en famille d’accueil n’est reconnu dans aucune loi du Pakistan. L’adoption n’est pas non plus autorisée au Pakistan en droit islamique » (dossier du demandeur, à la page 38). Les demandeurs affirment qu’il s’agit d’une déclaration implicite que l’adoption est autorisée selon d’autres types de lois au Pakistan. De façon subsidiaire, les demandeurs affirment que cette déclaration laisse la voie ouverte à la question de savoir si l’adoption est autorisée en vertu d’une loi du Pakistan qui n’est pas une loi islamique.

[24]           Dans une autre partie du rapport, le gouvernement du Pakistan déclare qu’il retire sa réserve générale à la Convention relative aux droits de l’enfant selon laquelle celle‑ci doit être interprétée à la lumière des dispositions du droit islamique, comme cela ressort de la Constitution  du pays (dossier du demandeur, à la page 166). Les demandeurs produisent cette déclaration comme un autre exemple que le Pakistan opère une distinction entre le droit islamique de l’adoption et d’autres lois relatives à l’adoption.

[25]           Sixièmement, les demandeurs soutiennent que l’exigence de la Loi sur la tutelle et les pupilles (Loi sur la tutelle) selon laquelle le parent demandeur doit obtenir une ordonnance d’un tribunal avant de sortir l’enfant du Pakistan est une exigence procédurale plutôt qu’une interdiction absolue. Ils affirment que l’agent a commis une erreur dans son affidavit lorsqu’il a déclaré [traduction] « L’acte de tutelle produit par les demandeurs en l’espèce […] énonce de façon explicite que le demandeur adulte ne doit pas sortir le demandeur mineur du Pakistan » (dossier du demandeur, à la page 39). Les demandeurs déclarent que lors du contre‑interrogatoire relatif à l’affidavit, il est apparu évident que la disposition était dans l’article 26 de la Loi sur la tutelle et non pas dans l’acte de tutelle. Ils disent aussi que l’agent a reconnu qu’il s’agit d’une exigence procédurale et non pas d’une interdiction absolue.

[26]           Septièmement, les demandeurs déclarent que l’agent a commis une erreur lorsqu’il s’est exclusivement fondé sur l’Ordonnance relative au droit de la famille et sur l’acte de tutelle pour tirer la conclusion que l’adoption n’avait pas entraîné la rupture des liens parent‑enfant préexistants. Ils affirment qu’il n’y a aucune exigence dans le Règlement que la rupture trouve son origine dans une loi, et que l’agent aurait aussi dû examiner si l’acte d’adoption avait entraîné la rupture du lien parent‑enfant préexistant. Les demandeurs affirment que l’acte d’adoption a entraîné la rupture des liens des parents biologiques avec l’enfant, étant donné que l’acte énonce que les parents biologiques ne réclameront pas la tutelle de l’enfant, et que l’enfant n’a aucun droit d’hériter de ses parents biologiques.

B.                 Le défendeur

[27]           Le défendeur sollicite le rejet de la demande. Selon le défendeur, la décision était raisonnable vu la façon dont l’agent a apprécié la preuve des demandeurs et vu ses connaissances du droit pakistanais relatif à l’adoption. À son tour, le défendeur a répondu à chacun des éléments de la contestation des demandeurs.

[28]           Premièrement, le défendeur déclare que l’agent a examiné l’effet juridique de l’acte d’adoption et a conclu que ce dernier ne constituait pas une adoption légale selon le droit du Pakistan. L’agent est présumé avoir examiné tous les éléments de preuve présentés par le demandeur et il n’a pas l’obligation d’énumérer chacun des éléments de preuve dans ses motifs : Umana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFTI 393, au paragraphe 18 (Umana). Le défendeur affirme qu’il est clair que l’agent a pris en compte l’acte d’adoption, parce qu’il ressort de la décision que l’acte d’adoption a eu pour effet de créer une forme de tutelle plutôt qu’une adoption.

[29]           Le défendeur soutient que les affirmations des demandeurs selon lesquelles l’acte d’adoption a créé une adoption légale sont de simples conjectures, étant donné qu’il n’y a aucune preuve permettant de les démontrer. Le défendeur affirme que la conclusion de l’agent selon laquelle un acte d’adoption ne réalise pas une adoption au Pakistan est la seule preuve relative aux adoptions contractuelles au Pakistan. Il n’est pas approprié de supposer que l’absence de loi interdisant les adoptions contractuelles signifie que ces dernières sont autorisées.

[30]           Deuxièmement, le défendeur conteste l’affirmation des demandeurs selon laquelle l’agent a dit que tous les actes d’adoption sont frauduleux. L’agent a déclaré que les actes d’adoption peuvent être obtenus sur les marchés locaux, et il est impossible de tirer l’inférence que l’agent voulait dire que ces actes sont obtenus de façon frauduleuse.

[31]           Le défendeur déclare que si les demandeurs pensaient que l’agent voulait dire que l’acte d’adoption avait été obtenu de manière frauduleuse, cet élément aurait dû être examiné lors du contre‑interrogatoire. Sans aucune référence aux documents frauduleux dans les motifs de l’agent, dans l’affidavit ou dans la transcription du contre‑interrogatoire, le défendeur déclare que l’interprétation que les demandeurs font des termes employés par l’agent ne peut pas être retenue.

[32]           Le défendeur soutient que l’essence de la décision était qu’un acte d’adoption ne rompt pas légalement les liens parent‑enfant, et, ainsi, ne crée pas une adoption légale au Pakistan. Cela prouve que l’agent a traité le document comme s’il était valide, et que c’est l’effet du document que l’agent remettait en question.

[33]           Troisièmement, le défendeur soutient que la décision Massey n’est pas déterminante de l’espèce à la Cour. Le seul élément de preuve dont la Cour disposait relativement au contenu du droit pakistanais était les conclusions de l’agent. Le défendeur soutient que les demandeurs n’ont présenté aucune preuve concernant l’état actuel du droit pakistanais, et qu’ils ne peuvent pas se fonder sur la preuve à laquelle il est fait référence dans la décision Massey comme s’il s’agissait d’une preuve soumise à la Cour.

[34]           Le défendeur soutient que l’agent n’avait pas l’obligation de faire référence à la preuve relative au droit pakistanais qui avait été soumise à la SAI dans une décision non reliée. Une conclusion de fait tirée par la SAI dans une décision ne peut pas lier un agent dans une autre décision. Le contenu du droit étranger est une question de fait, et, ainsi, il n’a aucune valeur de précédent.

[35]           Quatrièmement, le défendeur déclare que la décision de l’agent ne contredit pas l’objectif du droit canadien de la citoyenneté. Le défendeur affirme que c’est le droit pakistanais qui a créé la situation dans laquelle il est très difficile, voire impossible, d’obtenir la citoyenneté en application de l’article 5.1, sur le fondement du kafala. Le défendeur soutient que rien n’est inévitable si le parent demandeur présentait une demande de parrainage pour l’enfant contrairement à ce que les demandeurs donnent à penser.

[36]           Cinquièmement, le défendeur soutient que la référence faite par les demandeurs aux commentaires du gouvernement du Pakistan à propos de la Convention relative aux droits de l’enfant confirme la conclusion tirée par l’agent selon laquelle le droit pakistanais ne permet pas les adoptions. Le défendeur avance que le retrait par le Pakistan de sa réserve générale ne signifie pas que les adoptions sont possibles au Pakistan.

[37]           Sixièmement, le défendeur déclare qu’il ressort de l’acte d’adoption que la tutelle est assujettie aux articles 26 et 44 de la Loi sur la tutelle. Ces articles disposent que sans une ordonnance du tribunal, les tuteurs ne peuvent pas sortir l’enfant du Pakistan. Le défendeur avance que rien dans la Loi sur la tutelle ne donne à penser qu’il s’agit d’autre chose que de strictes exigences légales. Le défendeur affirme aussi que rien dans les déclarations de l’agent lors du contre‑interrogatoire ne donne à penser que, selon lui, ces articles sont autre chose que de strictes exigences légales.

[38]           Septièmement, le défendeur avance que l’agent a examiné l’acte d’adoption lorsqu’il a déterminé que le lien parent‑enfant n’avait pas été rompu. L’agent est présumé avoir pris en compte tous les éléments de preuve soumis par les demandeurs et on n’exige pas qu’il fasse référence à chacun de ces éléments de preuve dans ses motifs : Umana, précitée. Le défendeur affirme que la décision établit que l’agent a pris en compte l’effet de l’acte d’adoption, parce qu’il a conclu qu’il en résultait une forme de tutelle. Le rôle de la Cour n’est pas de soupeser à nouveau la preuve afin de déterminer si le lien parent‑enfant a été rompu.

VIII.       ANALYSE

[39]           Comme il ressort de façon évidente des motifs, la demande de citoyenneté canadienne présentée par les demandeurs a été rejetée parce que (dossier du demandeur, à la page 96) :

[traduction]
[…] aucune adoption au sens où ce terme s’entend au Canada ou en vertu de la Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale conclue à La Haye n’a eu lieu. Par conséquent, la demande de citoyenneté canadienne pour une personne placée sous la tutelle d’un citoyen canadien en vue de l’adoption ne peut pas être traitée.

[40]           Faisant usage de ses connaissances du droit pakistanais relatif à l’adoption, tel qu’il a trait à l’acquisition du statut d’immigration au Canada, et en l’absence de preuves contraires présentées par les demandeurs, l’agent a clairement déclaré que (dossier du demandeur, à la page 96) :

[traduction]
Selon l’Ordonnance de 1961 relative au droit musulman de la famille ou la Charia, il n’y a pas de dispositions touchant l’adoption. L’Ordonnance de 1961 relative au droit musulman de la famille prévoit une tutelle connue sous le nom de kafala. Le kafala est une forme de tutelle, ce n’est pas une adoption, et elle est communément perçue comme un engagement à assumer les besoins, l’éducation et la protection d’un enfant mineur, et elle ne crée pas de lien permanent parent‑enfant.

[41]           Lorsqu’ils ont contesté les motifs de l’agent et les conclusions qu’il a tirées au moyen de la demande de contrôle judiciaire, les demandeurs ont tenté de formuler diverses manières selon lesquelles l’agent avait soit commis une erreur soit rendu une décision déraisonnable. En définitive cependant, il faut reconnaître qu’ils ont choisi de ne pas produire de preuve directe à l’agent sur des aspects tels par exemple qu’un avis d’un expert qualifié en droit, ou en droit relatif à l’adoption au Pakistan, et la façon dont ils ont respecté ce droit. Si l’adoption est possible au Pakistan, au sens de la Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale (la Convention de La Haye), les demandeurs pouvaient facilement régler cet élément au moyen d’éléments de preuve adéquats. Au contraire, ils ont choisi de contester la décision après les faits, lorsqu’ils ont proposé divers moyens indirects par lesquels l’agent avait soit commis une erreur soit rendu une décision déraisonnable.

1)      L’acte et la loi

[42]           Les demandeurs déclarent qu’une adoption a eu lieu au Pakistan en l’espèce, parce que rien dans l’Ordonnance relative au droit de la famille n’interdit une adoption sur une base contractuelle, et qu’un acte d’adoption a été passé en l’espèce par les parents biologiques et les parents adoptifs. Lorsque la Cour examine l’acte d’adoption, il appert que celui‑ci étaye la position de l’agent. Il ressort de l’acte d’adoption qu’il s’agit d’une tutelle et il n’est pas évident qu’une simple relation contractuelle entre les parties peut créer une adoption reconnue en droit au Pakistan. L’intention de contracter ne suffit pas. Les demandeurs devraient démontrer que l’acte qu’ils ont passé est un document que le droit pakistanais reconnaîtrait comme créant une adoption reconnue au sens de la Convention de La Haye et au Canada. Les demandeurs n’ont pas établi cette preuve auprès de l’agent, et ils ne l’ont pas fait à la Cour.

2)      La fraude et l’honnêteté

[43]           Les demandeurs déclarent que l’agent a conclu que l’acte était frauduleux, et que rien dans les circonstances précises de l’espèce n’étaye une telle conclusion.

[44]           Il ressort à l’évidence d’une lecture de la décision et des termes employés par l’agent lors du contre‑interrogatoire qu’une telle conclusion de fraude n’a pas été tirée. L’agent a simplement exprimé ses connaissances sur la façon dont de tels actes sont généralement obtenus. Le point de vue de l’agent était que, aussi authentique que l’acte puisse être, il n’établit pas qu’une adoption reconnue par le droit pakistanais ou le droit canadien a eu lieu.

[45]           Les demandeurs allèguent que [traduction] « l’agent des visas avait au moins l’obligation d’examiner l’effet juridique d’un acte d’adoption valide ». Selon la Cour, c’est précisément ce que l’agent a fait en l’espèce, et cela l’a mené à la conclusion que l’acte produit par les demandeurs n’établissait pas l’existence d’une adoption pour l’application du droit canadien. Les demandeurs n’ont produit aucune preuve contredisant les connaissances de l’agent relativement à l’adoption au Pakistan.

3)      La décision Massey

[46]           Les demandeurs se fondent abondamment sur la décision Massey, précitée, ils disent qu’elle lie l’agent. Dans la décision Massey, la SAI a accepté un acte d’adoption comme preuve d’une adoption, et a accueilli l’appel interjeté contre la décision du bureau des visas au Pakistan.

[47]           Dans la décision Massey, l’une des questions que la SAI devait trancher était de savoir si le demandeur, dans cette affaire, avait été adopté légalement par l’appelant au Pakistan. Les extraits pertinents de la décision sont les suivants :

[3]        À la présente audience, je dispose du dossier, de documents supplémentaires présentés par le ministre et l’appelante, dont l’opinion juridique de Younis Lal Din, avocat de la Haute Cour  pratiquant à Narowal, au Pakistan, ainsi que les dispositions législatives mentionnées dans l’avis juridique. Je conclus que Younis Lal Din est un témoin expert conformément à l’alinéa 37(1)e) des Règles de la Section d’appel de l’immigration (les Règles) et est autorisé à fournir son opinion à titre d’expert à la présente audience.

[4]        L’acte d’adoption censé prévoir l’adoption du demandeur par l’appelante est daté du 3 décembre 2006. Il est correctement fait mention dans l’acte d’adoption que le père du demandeur est décédé et que l’acte est signé par l’appelante à titre de [traduction] « personne qui adopte »; et que la mère biologique du demandeur est [traduction] « la mère de l’adopté ». Il est mentionné que le demandeur est [traduction] « le véritable neveu orphelin de la personne qui adopte » mais l’appelante a déclaré qu’orphelin est un terme courant au Pakistan pour désigner un enfant dont le père est décédé, même si la mère est encore vivante. Puisque l’acte d’adoption reconnaît que la mère du demandeur est vivante et que son père est décédé, j’accepte qu’il soit probable que la description faite par l’appelante de l’utilisation du terme [traduction] « orphelin » est correcte.

[5]        L’agent des visas a refusé la demande de parrainage, s’appuyant en grande partie sur la conclusion selon laquelle sans l’ordonnance d’un tribunal de la famille au Pakistan, l’adoption n’est pas valide. Cette interprétation du droit de l’adoption au Pakistan est contestée par le témoin expert de l’appelante qui a offert un avis juridique.

[6]        L’avis communiqué par l’appelante est formulé par Younis Lal Din, un avocat qui pratique le [traduction] « droit civil et le droit relatif aux questions personnelles spéciales, plus particulièrement le droit de la famille, qui s’applique aux communautés chrétiennes de l’Inde, du Bangladesh et du Pakistan ». L’expert renvoie à un texte intitulé The Law of Adoption in India and Burma [le droit de l’adoption en Inde et en Birmanie], publié en 1933. Le ministre n’a pas fourni d’avis juridique contraire. Toutefois, le conseil du ministre m’a dit que l’avis et les dispositions législatives pertinentes qu’elle contient ont été communiqués au bureau des visas, qui a ensuite fait savoir au conseil du ministre qu’il ne dispose pas des fonds nécessaires pour obtenir son propre avis juridique. Nonobstant ce fait, la position du bureau des visas reste celle qui a été énoncée dans la lettre de refus.

[7]        J’ai été saisi d’un élément de preuve selon lequel, dans certaines circonstances, le droit de la famille au Pakistan a été formulé à partir de dispositions législatives en vigueur avant la création du Pakistan, en 1947. Il est écrit dans le texte de 1933 :

                      [traduction]

Un acte d’adoption devrait être interprété librement. Par conséquent, si un acte indique clairement que l’adoption devrait être effectuée, celle-ci devrait être autorisée si c’est possible de le faire sans contrevenir à la loi.

[8]        Concernant la conclusion de l’agent des visas, il est mentionné dans l’avis juridique ce qui suit :

Contrairement à l’avis exprimé par M. Hameed, selon mon avis motivé, un document, de préférence un document estampillé, est toujours préparé pour des adoptions au Pakistan et ce document est appelé « l’acte d’adoption ». L’acte d’adoption dont il est question a été rédigé selon mes directives conformément aux dispositions pertinentes du droit de l’adoption de 1933, pratiqué dans notre pays par les tribunaux. Toutes les formalités juridiques nécessaires ont été soigneusement observées pendant la rédaction dudit acte d’adoption. Sur le plan juridique, il s’agit d’un "document" ayant force de loi et doté de la valeur judiciaire d’un élément de preuve visé par le "code de la procédure civile" [...] par conséquent, compte tenu des arguments présentés ci-dessus, l’acte d’adoption de M. Shakeel Mushtaq est un document légal et doit demeurer en vigueur jusqu’à ce qu’il soit et à moins qu’il soit déclaré « nul » par un tribunal civil compétent. [Traduit tel que reproduit dans la version anglaise]

[9]        Younis Lal Din, un praticien du droit de la famille au Pakistan, fait aussi remarquer qu’un tribunal ne prend pas de décision concernant une adoption au Pakistan à moins d’un conflit qui rendrait une telle intervention nécessaire. Autrement dit, les actes d’adoption ne relèvent pas des affaires courantes traitées par les tribunaux de la famille comme le laisse entendre l’agent des visas. En fait, la West Pakistan Family Courts Act 1964) [loi de 1964 sur les tribunaux familiaux de l’Ouest du Pakistan] ne comporte aucune disposition touchant les adoptions. Younis Lal Din ajoute :

                      [traduction]

Je me suis occupé de nombreuses affaires concernant des adoptions aux tribunaux du district de Narowal. Une affaire a récemment été tranchée par le tribunal de « M. Shakar Hassan », juge civil supérieur /juge gardien, Norowal, intitulé « Nasreen » YS « Aslam Masih » et « Razia Bibi » pour la garde d’une fillette mineure au motif de l’adoption. Dans cette affaire, une simple déclaration signée par les parties sur un papier estampillé de 20 roupies, a tenu lieu d’acte d’adoption et c’est ainsi dans les autres cas.

[10]      Dans cette affaire, il est intéressant de noter que l’acte d’adoption est le formulaire mentionné dans l’avis juridique. L’acte d’adoption a été rédigé par l’auteur de l’avis, un avocat qui possède de l’expérience dans la pratique du droit de la famille au Pakistan et plus particulièrement en rapport avec les « communautés chrétiennes » au Pakistan. Il traite précisément de la question soulevée par l’agent des visas dans la lettre de refus concernant la légalité de l’adoption et le ministre n’a pas communiqué d’avis contraire.

[11]      Le conseil du ministre a mentionné le libellé de l’acte d’adoption qui, selon lui, laisse entendre que les liens avec la mère biologique n’ont pas été coupés par l’adoption.

                      [traduction]

La personne qui adopte a en outre expliqué à ladite assemblée que l’adopté ne perdra pas ses liens de parenté avec les membres de sa famille naturelle.

[12]      Il aurait été préférable que l’auteur de l’avis juridique se soit penché sur le libellé, ce qu’il n’a pas fait. Il a toutefois soutenu que l’acte d’adoption est tout ce qui est nécessaire pour rendre une adoption légale au Pakistan et je fais observer qu’il est aussi fait mention dans l’acte d’adoption de ce qui suit :

                      [traduction]

Que, maintenant, en vertu de la présente adoption, ledit adopté "Shakeel Mushtaq" est devenu membre de la famille de la personne qui adopte et a tous les droits et obligations à cet égard.

 

[13]      Cette déclaration confirme, sans équivoque, l’objectif de l’acte d’adoption qui est de créer une relation parent-enfant comme c’est le cas au Canada. Puisque l’avis juridique a été écrit par l’auteur de l’acte d’adoption, il est raisonnable de conclure qu’il a pris en compte l’allusion aux liens de parenté lorsqu’il a exprimé l’opinion selon laquelle l’adoption mentionnée dans l’acte est valide au Pakistan. J’ai été saisi seulement de l’avis juridique d’un avocat qualifié pour pratiquer le droit de la famille au Pakistan.

[En gras dans l’original; notes de bas de page omises.]

[48]           Il est important de relever que dans l’espèce soumise à la Cour :

a)      Les demandeurs n’ont pas fourni à l’agent d’avis juridique ni de dispositions législatives pertinentes;

b)      Dans l’affaire Massey, l’expert était un avocat qui pratique le « droit civil et le droit relatif aux questions personnelles spéciales, plus particulièrement le droit de la famille, qui s’applique aux communautés chrétiennes de l’Inde, du Bangladesh et du Pakistan », mais ce n’est pas le cas dans l’espèce à la Cour où il n’y a pas d’expert, et les demandeurs semblent être musulmans;

c)      Nous ne savons pas si l’acte d’adoption en l’espèce ressemble de quelque façon que ce soit à l’acte d’adoption dans l’affaire Massey. Toutefois, nous savons que l’acte d’adoption dans l’affaire Massey a été rédigé selon les directives d’un avocat expert conformément aux dispositions pertinentes du droit de l’adoption de 1933, et que « [t]outes les formalités juridiques ont été soigneusement observées de telle sorte que l’acte a “force de loi et doté de la valeur judiciaire d’un élément de preuve visé par le "code de la procédure civile ». En l’espèce, aucune preuve n’a été soumise à l’agent à cet égard, et aucune preuve n’a été soumise à la Cour.

[49]           L’avis juridique produit dans la décision Massey ne traite pas de la situation à laquelle l’agent est exposé en l’espèce. Il ne ressort pas de cet avis que les dispositions pertinentes du droit de l’adoption de 1933 sont applicables de la même façon aux musulmans, ou que ces dispositions sont suffisantes pour l’emporter sur la preuve produite par l’agent au paragraphe 6 de son affidavit selon laquelle (dossier du demandeur, à la page 37) :

[traduction]
Le droit qui prévaut au Pakistan et qui s’applique à tous les citoyens musulmans du Pakistan est l’Ordonnance de 1961 relative au droit musulman de la famille. Cette ordonnance ne contient pas de dispositions sur l’adoption pour les musulmans, et l’adoption légale n’est pas reconnue et ne peut pas être mise en application.

[50]           Les demandeurs soutiennent que l’Ordonnance relative au droit de la famille s’applique uniquement à la reconnaissance religieuse de l’adoption et n’interdit pas l’adoption effectuée par d’autres moyens. Cependant, telle n’est pas la preuve de l’agent, et il n’y avait pas de preuve soumise à l’agent (et aucune soumise à la Cour), qui étaye cet argument.

[51]           L’agent ne disposait pas non plus de preuve selon laquelle l’acte d’adoption qui lui était soumis respectait les formalités juridiques requises. Il n’y a pas non plus de preuve à la Cour à cet égard.

[52]           Cela étant, la Cour ne peut pas décider que l’affaire Massey a quelque valeur de preuve ou de précédent que ce soit que l’agent a soit de façon erronée soit de façon déraisonnable omis de prendre en compte. Il incombait aux demandeurs d’établir que la décision Massey avait une valeur probante, ils ne l’ont pas fait. Si la décision Massey avait une valeur de précédent, alors l’agent aurait dû en tenir compte, mais pour les motifs exposés ci‑dessus, la Cour n’est pas d’avis que, même si on tient compte du peu de faits dont la Cour dispose, la décision Massey avait une valeur de précédent qui liait l’agent de sorte qu’il était obligé de la respecter ou d’y déroger. Dans la décision Massey, il y avait un avis d’expert portant sur un acte d’adoption précis dans un contexte chrétien et non pas musulman.

4)      L’application téléologique du droit

[53]           Les demandeurs déclarent que la décision en l’espèce a pour effet d’affaiblir le projet de loi C‑14, mais la Cour ne trouve rien dans la décision qui mine l’objectif du projet de loi C‑14. Si le Pakistan ne reconnaît pas légalement l’adoption, alors il est fait obstacle aux efforts du Canada de contourner l’exigence de parrainage et de résidence permanente. L’agent n’a pas le pouvoir de conclure qu’une adoption a eu lieu de telle sorte qu’on puisse éviter les procédures de parrainage et de résidence permanente. Il faut qu’il y ait une adoption légale pour que cela puisse arriver.

5)      La Convention relative aux droits de l’enfant (la CDE)

[54]           Les demandeurs présentent les arguments suivants (dossier du demandeur, aux pages 154 et 155) :

[traduction]
50. La décision Massey a été rendue le 24 septembre 2010. L’affidavit de Raymond Gillis cite un rapport du Pakistan au comité des Nations Unies sur les droits de l’enfant daté du 19 janvier 2001. Cette citation est en partie la suivante :

« Le placement en famille d’accueil n’est reconnu dans aucune loi du Pakistan. L’adoption n’est pas non plus autorisée au Pakistan en droit islamique ».

51. Ainsi, selon les termes mêmes employés par le gouvernement du Pakistan, il y a une différence entre « toute loi » et « la loi islamique ». Ce ne sont pas toutes les lois au Pakistan qui sont des lois islamiques. La déclaration expresse selon laquelle l’adoption n’est pas autorisée en vertu d’un type de loi du Pakistan est une déclaration implicite qu’elle est autorisée en vertu d’un autre type de loi du Pakistan, une loi qui n’est pas une loi islamique. À tout le moins, cette formulation laisse ouverte la question de savoir si l’adoption est autorisée en vertu d’une loi pakistanaise qui n’est pas une loi islamique.

52. Dans un autre extrait du rapport pakistanais joint à ces observations, le gouvernement pakistanais déclare :

« 2.      Le Pakistan a ratifié la CDE en 1990 avec une réserve générale selon laquelle la CDE sera interprétée au vu des dispositions de la loi islamique telle que le prescrit la Constitution. Cette réserve a maintenant été retirée à la suite de la recommandation du ministre des Affaires religieuses et du Conseil de l’idéologie islamique, et de la décision du Cabinet. Le ministre des Affaires étrangères a aussi annoncé formellement le retrait de la réserve ».

53. Le retrait de cette réserve est une autre indication que le simple fait que le droit islamique ne reconnaisse pas l’adoption au Pakistan n’est pas la décision juridique définitive quant à la reconnaissance légale de l’adoption au Pakistan. Le retrait de cette réserve signifie que les dispositions de la CDE portant sur l’adoption ne seraient pas interprétées au vu des dispositions de la loi islamique. Encore une fois, ici, le Pakistan reconnaît une différence en son sein entre le droit de l’adoption et le droit islamique de l’adoption.

[55]           Selon la Cour, ces arguments ne sont pas une preuve que l’adoption est reconnue au Pakistan ou que l’adoption a eu lieu en l’espèce. Il est impossible de trancher la question de savoir si une distinction significative était visée entre « toute loi » et la « loi islamique » ou l’objectif et l’importation du retrait d’une réserve, vu le droit national en vigueur. Les demandeurs sollicitent de la Cour qu’elle émette des suppositions et des conjectures qui leur seraient favorables.

[56]           Les extraits de la Convention relative aux droits de l’enfant cités et produits à la page 167 du dossier des demandeurs ne les aident pas et, selon la Cour, ils confirment la position de l’agent :

G.  L’adoption (article 21 de la Convention)

 

204.     Comme indiqué ci-dessus, l’adoption n’est pas autorisée par la loi islamique et les dispositions de la Convention qui ont trait à l’adoption ne peuvent pas être mises en vigueur au Pakistan. La loi islamique remplace toutefois l’adoption par un régime de tutelle extrêmement solide faisant appel à la famille immédiate comme à la famille élargie.

 

            205.     La loi relative aux tuteurs et aux pupilles (annexe 7, appendice XVIII) règle toutefois la prise en charge des enfants en l’absence de leurs parents. Aux termes d’une des dispositions de cette loi, "quand il désigne un tuteur ou le fait connaître en vertu du présent article, le tribunal doit s’inspirer de ce qui, conformément au droit dont le mineur relève, est, semble-t-il, dans la situation considérée, propre à assurer la protection du mineur." La désignation du tuteur par le tribunal ressemble parfois à l’adoption et la recommandation formulée dans l’article de la Convention dont il s’agit ici n’est pas totalement étrangère à la législation en vigueur au Pakistan.

 

6)      La sortie du Pakistan

[57]           Les demandeurs déclarent que le libellé de l’article 26 de la Loi sur la tutelle du Pakistan selon lequel le parent adoptif ou le tuteur ne peut pas sortir l’enfant du Pakistan sans une ordonnance du tribunal est simplement une procédure à suivre et non pas une interdiction absolue.

[58]           La Cour ne dispose de rien qui lui donne à penser que la disposition pertinente est autre chose qu’une stricte exigence légale, et ainsi la Cour ne voit pas comment cette question apporte quelque soutien que ce soit aux demandeurs.

7)      La rupture

[59]           Les demandeurs allèguent que l’acte d’adoption rend effective la rupture des liens avec les parents biologiques, laquelle est nécessaire dans le cadre d’une adoption.

[60]           Selon la Cour, l’acte d’adoption et les documents connexes n’établissent pas que, selon le droit du Pakistan, une rupture a eu lieu en l’espèce. Nous ne savons pas si ces parties peuvent, par contrat, rompre le lien biologique en droit. Les demandeurs n’ont pas établi que l’agent soit avait commis une erreur soit avait tiré une conclusion déraisonnable, lorsqu’il a décidé que l’acte d’adoption établissait une forme de tutelle, qui n’est pas une adoption telle que le requiert le droit canadien.

8)      La certification

[61]           Les deux parties sont d’avis que la Cour n’a pas à certifier de question en vue d’un appel qui pourrait être interjeté. En conséquence, aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR  STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Il n’y a pas de question à certifier.

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

L. Endale

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1888-13

 

INTITULÉ :

OWAIS AHMED ASAD, RAHIM AHMED

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 septembre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Russell

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 26 septembre 2014

 

COMPARUTIONS :

David Matas

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Brendan Friesen

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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