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Date : 20141003


Dossier : IMM-7148-13

Référence : 2014 CF 940

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 octobre 2014

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

MINYI MAO

demanderesse

et

Le ministre de la citoyenneté

et de l’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse visant la décision rendue le 11 octobre 2013 par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission); la SPR a décidé que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

II.                LE CONTEXTE

[2]               La demanderesse allègue qu’elle n’est pas en mesure de retourner en Chine, car elle craint que son époux agressif dont elle est séparée et la famille de ce dernier continuent à la harceler et exercer des pressions sur elle.

[3]               La demanderesse et celui qui était alors son époux sont arrivés au Canada en 2009, à titre de travailleurs étrangers temporaires. La demanderesse prétend que leur relation était qualifiée de difficile, car il était dominateur. La famille de son époux aussi ne la traitait pas bien. Ils ont déménagé au Canada parce qu’ils tentaient de tout recommencer. Ils ont travaillé et ont résidé à Edmonton jusqu’à la fin de l’année 2010, lorsque l’époux de la demanderesse l’aurait convaincue de retourner en Chine. Après son retour en Chine, leur relation a continué à se détériorer. La demanderesse allègue que son époux l’a forcée à subir un avortement. Par la suite, elle l’a quitté et est retournée chez ses parents. Ensuite, il l’aurait harcelée et aurait proféré des menaces contre elle. La demanderesse a entrepris des démarches afin de revenir au Canada munie d’un autre visa de travail.

[4]               Lorsqu’elle entreprenait les démarches pour le renouvellement de son visa de travail, la demanderesse a été interrogée par l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC). On a déterminé que la majorité des documents que la demanderesse avait utilisés dans sa demande de permis de travail étaient frauduleux. On a rejeté la demande de la prorogation de son visa de travail et par la suite, elle a présenté une demande d’asile, en juin 2012.

[5]               Après son retour au Canada en août 2010, la demanderesse a fait la connaissance d’un citoyen chinois, a déménagé avec lui, et ils ont eu un enfant. La demanderesse aurait commencé à entreprendre des démarches pour entamer une procédure de divorce d’avec son époux dont elle était séparée.

[6]               L’époux de la demanderesse a alors déposé une demande auprès des tribunaux en Chine, afin que ces derniers statuent sur leurs biens matrimoniaux, en particulier sur la propriété d’un appartement que la demanderesse avait acheté — grâce à l’aide de sa famille — pendant leur mariage. En 2011, un tribunal de la Chine a conclu que l’actif que représente l’appartement devrait être réparti entre les deux parties. La demanderesse et sa famille ont refusé de se conformer à l’ordonnance du tribunal.

[7]               La demanderesse prétend que son époux, dont elle est séparée, continue de la harceler par sa famille et de tenter de communiquer avec elle au Canada.

[8]               La demanderesse soutient qu’elle n’est pas en mesure de retourner en Chine, car elle craint que son époux ne lui fasse subir de la violence physique ou ne la tue pour se venger du fait qu’elle l’a quitté.

 

[9]               La SPR a conclu que la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention, parce que sa demande n’avait pas de lien à l’un des motifs prévus par la Convention. La demanderesse n’a pas véritablement contesté cette conclusion. La Commission a aussi conclu qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve crédibles suffisants à l’appui de l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle était une personne à protéger, au titre du paragraphe 97(1) de la LIPR.

III.             LA NORME DE CONTRÔLE

[10]           La demanderesse conteste tant le caractère raisonnable des conclusions de la SPR, lesquelles sont en grande partie fondées sur la crédibilité, que le caractère équitable de la procédure à la SPR relativement à l’interrogatoire de la demanderesse par le commissaire, et à l’information que la demanderesse a reçue quant aux doutes de celui-ci sur sa crédibilité.

[11]           La conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger est assujettie à la norme très déférente de la décision raisonnable. Les questions liées à l’équité procédurale d’une décision contestée sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte.

IV.             ANALYSE

[12]           En guise de question préliminaire, je souscris à l’argument du défendeur selon lequel l’affidavit déposé par la demanderesse a très peu d’utilité en l’espèce. Les affidavits visant à donner de l’ampleur au sens qui doit être attribué à une transcription sont généralement inadmissibles, à moins qu’ils ne soient utilisés dans le but précis d’apporter des éclaircissements sur les termes techniques ou de fournir des commentaires sur des déclarations non controversées ou non retranscrites. En l’espèce, l’affidavit décrit apparemment ce que la demanderesse pensait ou ses impressions quant aux questions de l’audience. À l’exception de circonstances inusitées, la transcription devrait être éloquente en soi.

A.                Questions relatives au poids accordé à la preuve et aux conclusions quant à la crédibilité

[13]           La Cour est d’accord avec le défendeur que la demanderesse lui demande de soupeser à nouveau la preuve. Rien ne justifie que la Cour conclue que la SPR n’a pas pris en compte le caractère sérieux des agressions que la demanderesse a subies — en fait, les allégations d’agression ont été expressément reconnues dans la décision. Il y avait des éléments de preuve compensatoires quant à l’actuel risque prospectif, notamment le fait que la demanderesse n’a pas subi de violence après avoir quitté son époux et être demeurée en Chine pendant plusieurs mois, qu’elle a été en mesure de quitter son époux au printemps de l’année 2010 et de retourner chez ses parents, que le conflit en cours entre la demanderesse et son époux était de nature financière, et qu’elle n’a pas respecté une ordonnance du tribunal malgré son allégation de crainte de son ex‑époux.

[14]           De plus, il y avait des doutes quant à la crédibilité de la demanderesse, doutes qui étaient étayés par la preuve. Le fait que la demanderesse a présenté des documents frauduleux dans le cadre de sa demande de visa temporaire n’était pas une question subsidiaire quant à la crédibilité. Il s’agit d’une preuve convaincante qu’elle est prête à dire ou à faire n’importe quoi pour obtenir la résidence permanente au Canada.

[15]           De plus, donner un témoignage incohérent selon lequel son partenaire a introduit la demande de divorce, alors que la crainte fondée de la demanderesse trouverait son origine dans le fait que son ex‑époux n’acceptait pas qu’elle puisse avoir une relation avec un autre homme, ne constitue pas une question subsidiaire.

[16]           La Cour ne trouve aussi aucune erreur susceptible de contrôle dans le rejet par la SPR de la preuve présentée par la sœur de la demanderesse selon laquelle la sœur ferait le choix de divorcer de son époux, avec lequel elle est mariée depuis 10 ans, bien qu’elle soit heureuse en ménage, dans le but de protéger la famille de son époux contre l’ex‑époux de la demanderesse. Si la demanderesse avait une telle crainte de son ex‑époux au point où cette crainte s’élève au niveau d’un risque sérieux de préjudice, j’aurais pensé que la demanderesse et sa famille auraient respecté l’ordonnance du tribunal qui a accordé à l’époux la moitié du bien matrimonial. Le défaut de respecter l’ordonnance judiciaire d’un tribunal prouve que des circonstances économiques semblent avoir la priorité sur tout risque de préjudice tant pour la demanderesse que pour sa famille.

[17]           En ce qui concerne les allégations que la SPR n’a pas expliqué la raison pour laquelle elle a conclu que les réponses de la demanderesse étaient vagues et manquaient de précision, la demanderesse a produit peu d’éléments de preuve à la Cour à l’appui de ses simples allégations que son ex‑époux voulait lui faire du mal, par vengeance parce qu’elle l’avait quitté, hormis sa colère parce qu’elle ne s’était pas conformée à l’ordonnance d’un tribunal lui accordant sa part du bien matrimonial.

B.                 Manquements prétendus à l’équité procédurale

[18]           Contrairement à la norme déférente de la décision raisonnable, en matière de décision correcte, la Cour a le droit d’intervenir lorsqu’elle est convaincue que la procédure adoptée par le décideur n’était pas équitable eu égard à toutes les circonstances en cause (Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 RCS 3, au paragraphe 115).

[19]           Après avoir attentivement examiné la transcription, la Cour ne trouve rien qui donne à penser qu’il y a eu manquement à l’équité dans la façon dont la SPR a traité la demanderesse concernant son agression sexuelle. La Commission est intervenue dans une faible mesure dans le but d’exprimer des réserves sur le fait de traumatiser à nouveau la demanderesse relativement à des actes de viol conjugal, témoignage qui a été accepté. Toutefois, le commissaire a souligné que la question préoccupante portait sur l’établissement du risque dans une optique prospective. Après avoir apprécié la preuve, le commissaire a conclu que la demanderesse n’était pas une personne à protéger, si elle était renvoyée en Chine.

[20]           La Cour rejette aussi l’argument de la demanderesse selon lequel on ne lui a pas accordé une occasion de répondre aux doutes de la Commission quant à sa crédibilité. Il y a de nombreux exemples où les questions de crédibilité ont été soulevées à la demanderesse pendant l’audience à la SPR.

[21]           Quoi qu’il en soit, je ne suis au courant d’aucune règle qui prescrit qu’un commissaire, après avoir entendu l’explication d’un demandeur en réponse à sa question — dans le but d’émettre des doutes sur la crédibilité de la réponse — bien que cela arrive souvent s’il en est conscient. Cela impose simplement un fardeau trop lourd à la Commission ou à tout autre décideur en la matière. En outre, si le demandeur est représenté par un avocat, comme c’est le cas en l’espèce, il incombe à l’avocat du demandeur de poser la question qui offre une explication à une réponse troublante de son client.

[22]           Les décisions portant sur la crédibilité comprennent l’établissement d’un équilibre entre de nombreux facteurs, notamment la capacité de jugement du décideur quant au témoignage du témoin et toute autre preuve contradictoire ou les facteurs extrinsèques tels que le comportement, qui se manifestent pendant l’audience. De plus, ces décisions entraînent souvent une profonde réflexion sur l’ensemble de la preuve après que l’audience est terminée, parfois de repenser au témoignage donné par le témoin. C’est l’une des raisons pour lesquelles, sauf en cas d’interprétation gravement erronée de la preuve, de contestation déraisonnable de l’invraisemblance touchant à un fait important, ou de se fonder sur une preuve importante qui n’est pas présentée à l’audience, il est difficile d’infirmer des conclusions portant sur la crédibilité.

V.                DISPOSITIF

[23]           Pour les motifs susmentionnés, la demande est rejetée. Il n’y a pas de question nécessitant la certification en vue d’un appel.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.         Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7148-13

 

INTITULÉ :

MINYI MAO

c

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 septembre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge ANNIS

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 3 octobre 2014

 

COMPARUTIONS :

Simon K. Yu

 

Pour la demanderesse

 

Jennifer Lee

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Simon K. Yu

Avocat

Edmonton (Alberta)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

 

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