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Date : 20141010


Dossier : T-1871-13

Référence : 2014 CF 966

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 10 octobre 2014

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

ODILON MAGALONG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, monsieur Odilon Magalong, sollicite une réparation de la nature d’un bref de mandamus, en vertu de l’alinéa 18(1)(3)a) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 [la Loi], en vue d’ordonner au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le ministre] de l’autoriser à prêter son serment de citoyenneté même s’il n’y a pas droit du fait de sa déclaration de culpabilité pour certains actes criminels, en application de l’article 22 de la Loi sur la citoyenneté, LRC, 1985, c C‑29. Subsidiairement, il sollicite une ordonnance annulant ou suspendant les procédures de renvoi et d’enquête devant la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SI] jusqu’à ce qu’il ait terminé sa probation et ait de nouveau le droit de prêter le serment de citoyenneté.

[2]               La situation de fait qui nous est soumise est exceptionnelle. Après qu’un juge de la citoyenneté a approuvé sa demande de citoyenneté canadienne et que le ministre l’a accordée, mais avant qu’il prête serment, le demandeur a été arrêté mais non accusé - à ce moment-là - en vertu de certaines dispositions du Code criminel, LRC 1985, c C‑46. Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] a mis en suspens sa demande de citoyenneté approuvée. Des accusations criminelles ont ensuite été déposées cinq mois plus tard. CIC n’a jamais informé le demandeur que sa demande avait été approuvée et accordée ou qu’elle avait été mise en suspens. S’il avait été mis au courant de ces faits à l’époque, soutient-il, il aurait pu s’adresser à la Cour pour qu’on lui attribue plus rapidement la citoyenneté. Au lieu de cela, il risque maintenant d’être l’objet de mesures d’interdiction de territoire et de renvoi devant la SI.

[3]               Pour les motifs énoncés ci-après, et bien que le demandeur se voie offrir un certain redressement, une réparation de la nature d’un bref de mandamus ne lui est pas accordée.

Le contexte

[4]               Le demandeur est un citoyen des Philippines et un résident permanent du Canada qui a présenté une demande de citoyenneté en décembre 2008. Son épouse et ses trois enfants sont citoyens canadiens.

[5]               Le 25 novembre 2009, il a écrit l’examen de citoyenneté, qu’il a passé avec succès.

[6]               Le 23 décembre 2009, un juge de la citoyenneté a approuvé sa demande.

[7]               Lors du traitement de sa demande de citoyenneté, le demandeur a commis diverses infractions sexuelles à l’endroit de trois plaignantes d’âge mineur. Les parents de ces dernières ont eu vent des allégations et, le 19 décembre 2009, ils l’ont confronté sur ces dernières (R c Magalong, 2013 BCCA 478, au paragraphe 11 [Magalong]).

[8]               Vers le 2 janvier 2010, ces incidents ont été signalés par le pasteur du demandeur à la Gendarmerie royale du Canada [GRC] (Magalong, au paragraphe 12). Le demandeur a été arrêté le même jour, et il a par la suite été libéré sous caution.

[9]               Le 4 janvier 2010, à CIC, des superviseurs ont été avisés par un courriel de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] que la GRC avait arrêté le demandeur pour contacts sexuels et qu’elle avait pris ses empreintes digitales.

[10]           Le 5 janvier 2010, un superviseur de CIC a indiqué que CIC allait mettre en suspens le dossier du demandeur en attendant de recevoir de la GRC de plus amples renseignements concernant le dépôt d’accusations. À l’époque de la suspension, CIC était parfaitement au courant qu’aucune accusation n’avait été déposée. CIC a pris note de donner suite au dossier du demandeur dans un délai de 60 jours.

[11]           Le même jour, un agent de citoyenneté a attribué la citoyenneté au demandeur, en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté.

[12]           CIC n’a jamais informé le demandeur qu’un juge de la citoyenneté avait approuvé sa demande de citoyenneté ou qu’un agent la lui avait attribuée. CIC ne l’a pas non plus avisé que sa citoyenneté avait été unilatéralement suspendue. Il n’a pris connaissance de ces faits qu’après que son avocat a reçu les résultats d’une demande d’accès à l’information.

[13]           Les accusations portées contre le demandeur n’ont été déposées que le 8 juin 2010, soit plus de cinq mois plus tard.

[14]           Le 10 et le 29 septembre, le 19 novembre et le 10 décembre 2010, CIC a envoyé au demandeur des lettres pour lui demander des renseignements, des empreintes digitales et des documents concernant ses accusations criminelles afin d’évaluer s’il pouvait prêter le serment de citoyenneté ou non. Le demandeur n’y a pas répondu.

[15]           Le 7 juillet 2011, la CIC a reçu de la GRC les empreintes digitales du demandeur.

[16]           Le 5 mai 2012, le demandeur a été déclaré coupable de certains actes criminels. Le 18 octobre 2012, il a été condamné pour chaque accusation à une peine (concurrente) de 22 mois d’emprisonnement, suivie de trois ans de probation. Son appel contre sa déclaration de culpabilité a été rejeté par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique.

[17]           À la suite de la déclaration de culpabilité du demandeur, le ministre a déféré à la SI le dossier du demandeur, en application du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], pour enquête et renvoi. Le rapport était fondé sur la grande criminalité du demandeur, au sens de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR. À la suite d’observations de la part de l’avocat au sujet de l’attribution antérieure de la citoyenneté au demandeur, le commissaire de la SI a convenu de suspendre la mesure de renvoi en attendant l’issue de la présente demande.

[18]           Le 20 novembre 2013, CIC a informé le demandeur qu’on avait clos sa demande et qu’il lui était interdit de prêter le serment de citoyenneté en application de l’article 22 de la Loi sur la citoyenneté, car il avait été déclaré coupable d’un acte criminel.

[19]           Le 7 janvier 2014, le demandeur a été libéré avec une ordonnance de probation et il a rejoint son épouse, sa fille et son fils après avoir purgé sa peine. À l’heure actuelle, il travaille de nuit pour l’entreprise de nettoyage de sa famille.

Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[20]           La question soulevée dans le cadre de la présente demande consiste à savoir si le demandeur a satisfait à tous les éléments du critère qui s’appliquent à la délivrance d’un bref de mandamus.

Les observations des parties

[21]           Le bref (ou l’ordonnance) de mandamus est une mesure discrétionnaire. Il « permet d’exiger l’exécution d’une obligation légale à caractère public lorsqu’une autorité publique refuse ou néglige de remplir cette obligation même si elle a été dûment sommée de le faire » (Dragan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 211, [2003] 4 CF 189, au paragraphe 38).

[22]           Les parties conviennent qu’il est nécessaire de satisfaire aux critères suivants - lesquels ont été énoncés dans la décision Apotex Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742, conf. par [1994] 3 RCS 1100, au paragraphe 45 - avant que la Cour puisse délivrer un bref de mandamus :

1.                   il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public dans les circonstances de la cause;

2.                   l’obligation doit exister envers le demandeur;

3.                   il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation et, notamment :

a)                       le demandeur a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

b)                      (i) il y a eu une demande d’exécution de l’obligation; (ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande, à moins que celle-ci n’ait été rejetée sur-le-champ; et (iii) il y a eu refus ultérieur, express ou implicite, par exemple un délai déraisonnable;

4.                   le demandeur n’a aucun autre recours;

5.                   l’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;

6.                   dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l’équité, rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé;

7.                   compte tenu de la balance des inconvénients, une ordonnance de mandamus devrait être rendue.

[23]           Selon le demandeur, les critères relatifs à la délivrance d’un bref de mandamus sont respectés en l’espèce. Le défendeur a une obligation juridique claire envers le demandeur. Une fois qu’une demande de citoyenneté a été approuvée, le ministre n’a pas le pouvoir discrétionnaire de mettre en suspens ou de retarder le fait d’informer le demandeur de son droit de prêter le serment pour donner effet à sa citoyenneté. Dans ce contexte, le ministre a outrepassé son pouvoir et, ce faisant, a privé le demandeur de son droit à la citoyenneté.

[24]           Le libellé de la Loi sur la citoyenneté est de nature impérative, pas permissive. Le paragraphe 5(1) dispose : « [l]e ministre attribue la citoyenneté à toute personne » qui répond aux conditions. Le paragraphe 12(2) indique de plus : « [l]e ministre délivre un certificat de citoyenneté aux personnes dont la demandée présentée au titre des articles 5 ou 5.1 ou du paragraphe (11) a été approuvée. » Par ailleurs, le paragraphe 22(1) du Règlement sur la citoyenneté, DORS/93-246 prescrit que « le greffier prend les dispositions nécessaires pour la prestation du serment ».

[25]           La jurisprudence de la Cour confirme le caractère irrévocable de l’attribution de la citoyenneté. Dans la décision Stanizai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 74 [Stanizai], la juge Mactavish a conclu :

[31] La jurisprudence de notre Cour est claire : « sauf si appel est interjeté, l’approbation ou le rejet par un juge de la citoyenneté est définitif en ce qui concerne la citoyenneté canadienne du demandeur. Le ministre ne fait rien d’autre sauf peut‑être interjeter appel » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mahmoud, 2009 CF 57, 339 FTR 273, au paragraphe 6. Voir aussi Canada (Citoyenneté et Immigration) c Abou‑Zahra, 2010 CF 1073, [2010] ACF no 1326; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Farooq, 2009 CF 1080, 84 Imm LR (3d) 64; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Jeizan, 2010 CF 323, 386 F.T.R. 1; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Wong, 2009 CF 1085, 84 Imm LR (3d) 89; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Wang, 2009 CF 1290, 360 FTR 1.

[26]           Dans ce contexte, le ministre n’est pas habilité à « différer l’attribution de la citoyenneté à un demandeur dont la demande a été approuvée par un juge de la citoyenneté » (Stanizai, au paragraphe 29).

[27]           La juge Mactavish a toutefois conclu qu’il existe une « exception restreinte à ce principe » : citant Khalil c Canada (Secrétaire d’État), [1999] 4 CF 661 [Khalil], elle signale, au paragraphe 32, que « le ministre conserve le pouvoir résiduel de refuser la citoyenneté à toute personne qui remplit les conditions d’attribution de la citoyenneté s’il découvre, après que le juge de la citoyenneté lui a soumis son rapport, que cette personne a fait une fausse déclaration ».

[28]           Dans le cas présent, le ministre était donc en droit de ne prendre aucune autre mesure et n’avait pas d’autre recours que de porter la décision en appel dans un délai de 60 jours. Le ministre ne l’a pas fait. En fait, le 5 janvier 2010, le ministre a entériné et « attribué » la citoyenneté.

[29]           Par ailleurs, l’exception prévue dans Khalil ne s’applique pas. Dans cette affaire, le juge n’était pas au courant de fausses déclarations graves qui avaient été faites dans la demande de résidence permanente, relativement à la participation de l’époux à des actes terroristes. Dans le cas présent, le demandeur n’a jamais fait de fausses déclarations, ni ne l’a-t-on accusé d’en avoir fait.

[30]           Ayant satisfait à toutes les conditions préalables à l’attribution de la citoyenneté aux termes de la Loi, le défendeur a injustement tardé à s’acquitter de son obligation et refusé de le faire.

[31]           Le demandeur soutient de plus qu’il n’y avait aucun empêchement législatif à ce qu’il obtienne la citoyenneté au cours des cinq mois écoulés avant le dépôt des accusations. Aucune des interdictions énumérées à l’article 22 de la Loi sur la citoyenneté ne s’applique à une enquête que mène la GRC pour des infractions autres qu’un crime de guerre ou un crime contre l’humanité avant le dépôt d’accusations. Le législateur aurait pu décider d’interdire les personnes faisant l’objet d’une enquête pour un acte criminel, mais il ne l’a pas fait.

[32]           Invoquant la justice fondamentale et la doctrine de l’abus de procédure, le demandeur fait valoir qu’on devrait maintenant lui attribuer la citoyenneté, à laquelle il avait droit antérieurement, même s’il est actuellement en probation et s’il lui est interdit de prêter le serment en vertu du sous-alinéa 22(1)a)(i) de la Loi sur la citoyenneté.

[33]           La Cour a conclu antérieurement que ce qui se passe après le dépôt d’une demande de mandamus et, implicitement, après que le droit à la citoyenneté a été dévolu importe peu. Le moment pertinent est celui où le demandeur est entièrement admissible à la citoyenneté (Murad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1089 [Murad], au paragraphe 61). La seule différence avec Murad est que le demandeur n’a pas déposé sa demande de mandamus avant les accusations menant à son interdiction de territoire; mais il n’aurait pas pu le faire puisque le ministre a omis de l’informer que sa demande avait été approuvée.

[34]           Il est possible aussi de structurer cet argument dans le contexte d’un abus de procédure de la part du ministre, car il y a eu atteinte au franc-jeu et à la décence, et l’on causerait donc un préjudice à l’intérêt public si l’on permettait que cet abus de procédure se poursuive. Il ne faudrait pas laisser cet abus se poursuivre en continuant de refuser la citoyenneté du demandeur, ou en permettant au ministre de procéder à une demande visant à renvoyer le demandeur du Canada. Si la Cour ne délivre pas un bref de mandamus, le demandeur subira un préjudice irréparable car il sera expulsé du Canada, loin de sa famille et de son chez-soi.

[35]           En revanche, le défendeur fait valoir que tant Stanizai que Murad ne s’appliquent pas en l’espèce. Dans ces deux affaires, la loi n’empêchait aucun des deux demandeurs visés d’acquérir la citoyenneté canadienne. Si l’on tient compte du fait que la loi interdit au demandeur de prêter le serment et que, du fait de son inculpation, il n’a pas le droit de devenir citoyen, le ministre n’a actuellement aucune obligation envers lui et la Cour ne peut donc pas contraindre l’autorité publique à en exécuter une (Vaziri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1159 [Vaziri]).

[36]           Par ailleurs, le ministre n’est pas tenu par la loi de faire prêter serment à un candidat à la citoyenneté dans un délai prescrit, et il n’a donc pas commis d’erreur en ne permettant pas immédiatement au demandeur de le faire après l’attribution de la citoyenneté.

[37]           En outre, le demandeur était au courant de ses activités criminelles bien avant qu’on lui attribue la citoyenneté canadienne. Il aurait dû se manifester et en faire part à la GRC et à CIC, au lieu d’attendre que son pasteur porte sa criminalité à l’attention de la police. Il ne devrait pas pouvoir tirer avantage du temps qu’il a fallu à la GRC pour enquêter convenablement sur les crimes qu’il avait commis. S’il avait fait clairement état de ses activités criminelles, jamais on ne lui aurait attribué la citoyenneté canadienne au départ.

[38]           Le défendeur souligne par ailleurs que la Cour ne peut pas ordonner la suspension de l’enquête que mène actuellement la SI. Dans l’arrêt Fox c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 346, la Cour d’appel fédérale a fait droit au contrôle judiciaire d’une décision de la SI d’accorder l’ajournement d’une enquête pour pouvoir éviter ou contourner les conséquences des interdictions que prévoit la Loi sur la citoyenneté, car la SI n’avait pas compétence pour le faire. La SI est tenue par la loi d’instruire et de trancher sans délai le dossier du demandeur.

[39]           Enfin, le défendeur allègue que le demandeur ne se présente pas les mains nettes devant la Cour, et qu’il ne peut pas bénéficier d’un abus de procédure. Il n’a pas droit à la citoyenneté canadienne; la loi lui interdit de devenir citoyen parce qu’il a été officiellement accusé et déclaré coupable d’actes criminels, mais il n’a pas averti CIC de ce fait. Il ne devrait pas tirer avantage du temps qu’il a fallu à la GRC pour déposer les accusations.

L’analyse

[40]           Je traiterai en premier de l’argument du demandeur selon lequel le ministre a commis un abus de procédure. Certes, le ministre savait que toutes les conditions préalables à la cérémonie de prestation de serment du demandeur en tant que citoyen canadien étaient remplies le 5 janvier 2013 et qu’il aurait pu prêter serment au cours des cinq mois suivants, mais il est vrai aussi que pendant que le demandeur faisait traiter sa demande de citoyenneté, il se livrait à un comportement qui, savait-il ou aurait-il dû le savoir, était de nature criminelle et que si l’enquête en cours se soldait par le dépôt d’accusations avant qu’on lui attribue la citoyenneté, celle-ci ne lui serait tout simplement pas attribuée et il serait déclaré interdit de territoire. Les alinéas 22(1)b) et c) de la Loi sur la citoyenneté indiquent clairement que nul ne peut recevoir la citoyenneté s’il fait l’objet d’une enquête pour un crime contre l’humanité ou un crime de guerre mais, pour tout autre acte criminel, il faut que des accusations soient portées contre le demandeur. Dans ces circonstances, on ne peut pas dire que le défendeur a agi de manière abusive.

[41]           Cela dit, le demandeur ne nous indique pas que le ministre a l’obligation positive de l’informer que sa demande a été accueillie et de l’inviter à une cérémonie de prestation de serment dans un délai précis. Il m’est impossible de trouver une telle obligation dans la loi, dans le Guide sur les politiques de citoyenneté [CP 15] ou dans la jurisprudence.

[42]           Cependant, je conviens avec le demandeur que le ministre n’a pas le droit de mettre en suspens sa demande de citoyenneté. L’exception prévue dans Khalil ne s’applique pas, car le ministre ne peut souligner à la Cour une fausse déclaration que le demandeur aurait faite dans sa demande de citoyenneté canadienne. Dans ce contexte, le ministre avait l’obligation claire et nette de lui attribuer pendant ce temps la citoyenneté. Le demandeur satisfaisait aux conditions préalables qui donnent lieu à cette obligation. L’article 5 de la Loi est libellé de manière impérative et oblige ainsi le ministre à attribuer la citoyenneté à quiconque remplit les conditions préalables :

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois : […]

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who […]

[43]           L’article 11 de la Loi d’interprétation, LRC 1985, c I‑21, confirme le caractère impératif de l’indicatif présent :

11. L’obligation s’exprime essentiellement par l’indicatif présent du verbe porteur de sens principal et, à l’occasion, par des verbes ou expressions comportant cette notion. L’octroi de pouvoirs, de droits, d’autorisations ou de facultés s’exprime essentiellement par le verbe « pouvoir » et, à l’occasion, par des expressions comportant ces notions.

11. The expression “shall” is to be construed as imperative and the expression “may” as permissive.

[44]           Il reste donc à savoir si la Cour peut ordonner au ministre, par la voie d’un bref de mandamus, d’autoriser le demandeur à prêter le serment de citoyenneté, même s’il n’est pas tenu « actuellement » de le faire. Comme le signale avec raison le défendeur, le ministre n’a plus le pouvoir législatif d’attribuer la citoyenneté au demandeur, car le sous-alinéa 22(1)a)(i) de la Loi sur la citoyenneté agit comme un obstacle légal à l’octroi de la citoyenneté à une personne qui est sous le coup d’une ordonnance de probation.

[45]           Pour ce qui est de cet argument de temporalité, le défendeur invoque la décision Vaziri, sans toutefois citer un paragraphe en particulier. Dans cette affaire, la juge Snider n’avait pas besoin de traiter de cette question, pas plus qu’elle ne l’a fait directement. Je soupçonne toutefois que l’on peut le déduire de l’extrait suivant :

[38] Le bref de mandamus est un recours en equity dont l’objet est de contraindre une autorité publique à exécuter l’obligation légale d’agir à caractère public qu’elle refuse ou néglige d’exécuter lorsqu’elle est appelée à le faire. […]

[46]           Le demandeur admet qu’à cause de sa déclaration de culpabilité il n’est pas admissible actuellement à la citoyenneté. Il demande donc à la Cour d’imposer un verdict qui, malgré ce fait, rend effective la citoyenneté qu’on lui a attribuée antérieurement. Cette interdiction ne s’appliquerait pas maintenant si on lui avait permis de prêter serment au cours des cinq mois où il était pleinement admissible.

[47]           Par ailleurs, il assimile sa situation à celle du demandeur dont il était question dans l’affaire Murad. Je cite le juge Roy sur ce point :

[61] Ce qui s’est produit après le dépôt de la demande de mandamus n’est pas pertinent en l’espèce. Le défendeur a soutenu que l’article 302 des Règles des cours fédérales ne permet pas l’examen d’une autre décision. Je suis d’accord. Par contre, si la citoyenneté avait été accordée lorsqu’il le fallait, les déplacements du demandeur n’auraient eu aucune pertinence étant donné que la Constitution accorde aux citoyens canadiens le droit d’entrer au Canada et d’en sortir (paragraphe 6(1) de la Charte). Je souligne que le rapport d’interdiction de territoire, visé à l’article 44 de la LIPR, peut être établi uniquement à l’égard d’un « résident permanent ou [d’un] étranger qui se trouve au Canada ». Ce rapport ne peut être établi au sujet d’un citoyen de notre pays. [Non souligné dans l’original.]

[48]           Je conviens avec le défendeur que la présente affaire se distingue de l’affaire Murad, où la Cour pouvait délivrer un bref de mandamus ordonnant à CIC d’attribuer au demandeur la citoyenneté car celui-ci y était encore admissible. Contrairement au demandeur dont il est ici question, M. Murad n’avait pas été déclaré coupable d’un acte criminel et avait reçu une lettre d’exemption de CIC. Même si un agent de CIC avait produit un rapport d’interdiction de territoire à l’encontre de M. Murad en application du paragraphe 44(1) de la LIPR, il restait encore à le confirmer par une décision de la SI. Aucune mesure de renvoi n’avait été prononcée.

[49]           Une logique semblable distingue la présente affaire de Stanizai car, dans celle-ci, le demandeur n’était sous le coup d’aucune interdiction légale.

[50]           Comme le défendeur n’était pas tenu par la loi de faire prêter serment au demandeur dans un délai précis et comme il n’a pas l’obligation publique d’agir en ce moment et dans les circonstances actuelles, la principale mesure que sollicite le demandeur ne sera pas accordée.

[51]           Subsidiairement, le demandeur demande que je sursoie à la mesure de renvoi qu’envisage la SI jusqu'à ce qu’il ait terminé sa probation et ait de nouveau le droit de prêter serment et de donner effet à l’attribution de sa citoyenneté, et que j’annule la décision datée du 20 novembre 2013 par laquelle CIC a clos sa demande.

[52]           J’estime avoir le pouvoir d’annuler la décision du 20 novembre 2013, mais je ne pense pas que je devrais rendre une ordonnance pour que l’on sursoie à la prise d’une mesure de renvoi à la SI car cette mesure a déjà été mise en suspens par une décision de ce tribunal.

[53]           Que le demandeur soit voie présentement interdit de prêter le serment n’a aucune incidence sur le fait qu’on lui a accordé à toutes fins pratiques la citoyenneté canadienne. Même si je puis, pour cette seule raison, refuser d’exercer mon pouvoir discrétionnaire pour délivrer un bref de mandamus, cela n’empêchera pas le demandeur de demander à la SI une nouvelle suspension de cette enquête jusqu'à ce qu’il ne soit plus en probation, tout comme cela ne l’empêchera pas de faire valoir simplement qu’il n’est pas interdit de territoire puisqu’on lui a attribué la citoyenneté. À la requête de la partie perdante, la Cour pourrait soumettre à un contrôle les décisions que rendra la SI sur ces deux questions.

[54]           Je conclus en outre qu’il serait malavisé de ma part d’ordonner au défendeur de faire prêter serment au demandeur à la fin de sa période de probation car ce serait présumer que la situation du demandeur ne changera pas entre-temps.

La conclusion

[55]           Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, à seule fin d’annuler la décision qu’a prise CIC, le 20 novembre 2013, de clore la demande de citoyenneté du demandeur. Vu le résultat atténué de la présente demande, aucuns dépens ne sont accordés.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  la demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie;

2.                  la décision de Citoyenneté et Immigration Canada, datée du 20 novembre 2013, de clore la demande de citoyenneté du demandeur est annulée;

3.                  la demande d’une mesure d’equity de la nature d’un bref de mandamus est rejetée;

4.                  aucuns dépens ne sont accordés.

« Jocelyne Gagné »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1871-13

 

INTITULÉ :

ODILON MAGALONG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 JUILLET 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS

LA JUGE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

 

LE 10 OCTOBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Aris Daghighian

 

POUR LE demandeur

 

Hilla Aharon

 

POUR LE défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Edelmann & Co. Law Office

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE défendeur

 

 

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