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Date : 20140918


Dossier : IMM‑7691‑13

Référence : 2014 CF 899

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 18 septembre 2014

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

AB, CD, EF

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté les demandes d’asile des demandeurs fondées sur les articles 96 et 97 de la Loi (la décision).

CONTEXTE

[2]               Les demandeurs sont un homme (AB), son épouse (CD) et leur enfant. Ils disent être venus au Canada après avoir été maltraités par les autorités de leur pays d’origine et par crainte de subir d’autres préjudices.

[3]               AB soutient avoir été détenu et torturé par les autorités gouvernementales. Lors de sa mise en liberté, il a été contraint de signer un engagement à s’abstenir de participer à des manifestations ou à des activités politiques, sous peine d’être traduit en justice.

[4]               CD soutient qu’elle a, elle aussi, été détenue et maltraitée par les autorités gouvernementales. Elle a aussi été contrainte de signer un engagement.

[5]               Lorsqu’AB est allé chercher CD après sa détention, il a crié contre les policiers. Ceux‑ci l’ont agressé et accusé d’avoir agressé des représentants de l’État. Les deux demandeurs ont été relâchés, mais on les a informés qu’ils seraient convoqués en cour pour répondre à des accusations.

[6]               Les demandeurs disent avoir craint de se voir infliger une sanction extrême étant donné l’incident antérieur. AB avait particulièrement peur d’être emprisonné et torturé de nouveau. Les demandeurs ont quitté le pays dans les jours qui ont suivi, transitant par plusieurs autres pays avec l’aide d’un passeur avant d’atteindre le Canada.

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[7]               La SPR a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens de l’article 97 de la Loi parce qu’elle ne les a pas trouvés crédibles.

[8]               La Commission a commencé par déclarer CD personne vulnérable conformément aux Directives numéro 8 du président : Procédures concernant les personnes vulnérables qui comparaissent devant la CISR, soulignant que les Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe avaient été prises en compte au cours de l’audience et dans la décision.

[9]               La SPR a noté que plusieurs rapports médicaux faisaient état d’un syndrome de stress post‑traumatique (SSPT) chez les demandeurs et elle a admis qu’ils souffraient effectivement d’un SSPT. Cependant, la Commission a conclu que ce syndrome pouvait avoir différentes causes et n’était pas forcément dû aux événements allégués par les demandeurs. La commissaire de la SPR a conclu qu’elle ne pouvait fonder ses conclusions en matière de crédibilité sur les conclusions de professionnels de la santé en ce qui concerne l’étiologie puisque ceux‑ci se fondaient sur les renseignements que les demandeurs leur avaient fournis. La Commission a fait remarquer que le SSPT aurait pu découler des expériences éprouvantes qu’ils ont vécues pendant leur voyage à destination du Canada, notamment le traumatisme de devoir fuir leur pays, le sentiment d’avoir été trahis et abandonnés par leur passeur, le fait d’avoir manqué d’argent et de nourriture avec leur nourrisson, « d’avoir été affamés » au cours de leur voyage et d’avoir été séparés de la famille de CD (dont plusieurs membres ont fui le pays vers la même période) et d’avoir reçu un accueil inhospitalier dans la maison où ils ont d’abord habité à leur arrivée au Canada.

[10]           La Commission a ensuite noté, au sujet de la crédibilité des demandeurs (Décision, aux paragraphes 23 à 25) :

La documentation sur les traumatismes produite en l’espèce n’appuie pas l’affirmation selon laquelle les personnes traumatisées peuvent mentir ou ne peuvent pas se souvenir d’événements qui ne sont pas liés à leur traumatisme. C’est entre autres pour cette raison que les arbitres peuvent trancher la question de savoir si un demandeur d’asile a produit des éléments de preuve crédibles, fiables et dignes de foi. De plus, lorsque j’ai évalué la crédibilité des demandeurs d’asile en l’espèce, tout en étant conscient des traumatismes qu’ils ont subis, j’ai estimé qu’ils n’avaient pas produit d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi. Il y avait des omissions et des contradictions importantes qui n’ont pas été expliquées adéquatement, et il y avait un document corroborant qui, à mon avis, n’est pas authentique.

Ayant choisi de ne pas examiner les événements traumatisants eux‑mêmes pour éviter de traumatiser davantage les demandeurs d’asile, j’ai dû également inclure dans mon évaluation de la crédibilité des éléments non importants de leur demande d’asile. Il y avait une multitude d’omissions et de contradictions non importantes dans les éléments de preuve des demandeurs d’asile qui, collectivement, établissaient que ceux‑ci ne s’étaient pas montrés francs avec les responsables canadiens de l’immigration et la CISR.

Tout compte fait, j’estime que, selon la prépondérance des probabilités, les demandeurs d’asile n’ont pas produit d’éléments de preuve fiables et dignes de foi en l’espèce.

[Renvois omis.]

[11]           La Commission a décrit deux incohérences ou contradictions dans le témoignage des demandeurs comme étant pertinentes pour leur demande. La première était le défaut des demandeurs de divulguer dans leurs Formulaires de renseignements personnels (FRP) que plusieurs membres de la famille de CD avaient fui le pays vers la même période qu’eux et présenté des demandes d’asile fructueuses dans un autre pays. La Commission a estimé que cette information était pertinente au regard de la demande d’asile des demandeurs puisque le fait que des membres de leur famille auraient été persécutés dans leur pays d’origine aurait eu une incidence sur la situation des demandeurs là‑bas. La Commission a conclu que les demandeurs (Décision, au paragraphe 26) :

[…] ont tenté de cacher ces renseignements au tribunal; ils n’ont révélé que des renseignements restreints au sujet de ces membres de la famille qu’après la divulgation par le ministre de renseignements [sur ces derniers].

La Commission a conclu que le père et la sœur de CD vivaient ailleurs depuis deux mois et demi lorsque les demandeurs ont présenté leurs FRP et que ces derniers n’ont modifié leurs FRP que lorsque le ministre leur a présenté sa preuve à l’audience.

[12]           La Commission a jugé non crédible l’explication fournie par CD selon laquelle même si elle avait communiqué régulièrement, pendant et après leur voyage, avec sa mère qui vivait encore dans leur pays d’origine à l’époque, cette dernière ne l’avait pas informée que les autres membres de sa famille avaient fui et demandé l’asile ailleurs. Elle a aussi conclu que les demandeurs adultes s’étaient contredits sur ce point puisque AB avait dit n’avoir eu aucun contact avec la famille de CD pendant leur voyage. AB a aussi donné des réponses incohérentes sur le moment où il a appris pour la première fois que des membres de la famille de CD avaient fui leur pays d’origine, disant à différents moments qu’il l’avait appris récemment seulement, plus d’un an auparavant, 14 ou 15 mois auparavant et 12 à 13 mois auparavant. La Commission a conclu que CD avait menti lors de l’entrevue menée par un agent d’immigration après la production de son FRP : elle avait dit que son père et sa sœur vivaient encore dans leur pays d’origine, mais a demandé à l’agent de ne communiquer ni avec son père ni avec sa mère; en fait, elle aurait probablement dû savoir à ce moment que sa famille n’y habitait plus. La Commission a conclu que (Décision, au paragraphe 41) :

[CD] ne voulait pas que l’agent communique avec sa mère ou son père parce que cela aurait permis à ce dernier d’apprendre qu’elle venait de lui mentir. Ces appels téléphoniques auraient permis la découverte des omissions importantes et intentionnelles de la demandeure d’asile associée dans son FRP.

[13]           La Commission a estimé que les demandeurs n’avaient pas donné suite à la demande explicite de fournir certains documents concernant les demandes d’asile de membres de leur famille (Décision, aux paragraphes 31 à 33) :

De plus, même lorsque j’ai explicitement dit aux demandeurs d’asile et à leur conseil le premier jour de l’audience que je voulais qu’ils prennent des mesures pour que les membres de la famille en Angleterre leur envoient tout ce qui concerne leur demande d’asile et les décisions y afférentes, ils n’ont pas réussi à obtenir ces documents. Il convient de souligner que la mère de la demandeure d’asile associée se trouve maintenant avec le père et la sœur de celle‑ci en Angleterre.

Les demandeurs d’asile n’ont aucunement expliqué pourquoi les membres de la famille n’ont pas pu leur envoyer le moindre renseignement quant à leur demande d’asile dans le délai de presque un mois que je leur avais accordé. Ils ont effectivement réussi à déposer des documents, mais pas ceux que j’avais demandés en particulier.

Le père, la sœur et le beau‑frère de la demandeure d’asile associée se sont chacun vu donner une copie de l’entrevue qu’ils avaient eue avec un agent d’immigration du Royaume‑Uni. Cette copie comprend toutes leurs allégations quant aux raisons pour lesquelles ils demandent une protection. Sur la copie qui leur a été remise figure leur signature confirmant la conformité des renseignements recueillis lors de l’entrevue. Encore une fois, la demandeure d’asile associée n’a pas transmis cette information à la CISR ou les demandeurs d’asile n’ont pas choisi de l’inclure dans les éléments de preuve.

[Renvois omis.]

[14]           La Commission a aussi estimé que les demandeurs avaient déposé un document qui n’était pas authentique. Ils ont déposé une photocopie d’une citation à comparaître visant AB qui aurait été délivrée après la fuite des demandeurs. Cependant, ce document n’a pas été envoyé à la dernière adresse des demandeurs, mais au domicile des parents de CD. La Commission a jugé qu’AB n’avait pas réussi à expliquer pourquoi l’envoi avait été fait de cette manière. À l’audition de sa demande, un mois plus tard, CD a témoigné que c’était dû au fait que les demandeurs n’avaient pas de boîte aux lettres à leur domicile et qu’ils avaient donc donné l’adresse de ses parents aux institutions qui devaient communiquer avec eux. La Commission a rejeté cette explication comme suit (Décision, au paragraphe 48) :

J’estime que l’ensemble de l’explication des demandeurs d’asile est trompeur. Premièrement, le demandeur d’asile principal lui‑même ne pouvait pas se souvenir que, pendant des années, ses factures de téléphone, ses relevés de cartes de crédit, ses relevés bancaires et ainsi de suite n’allaient pas directement chez lui, mais plutôt chez ses beaux‑parents. Les demandeurs d’asile n’ont pas produit d’autres documents au cours du mois dont ils disposaient entre les audiences pour corroborer le fait que c’était leur manière de procéder. Je n’ai pas pu examiner les renseignements contenus sur les pages de leurs passeports pour vérifier si cela corroborait leur nouvelle allégation, parce que leurs adresses n’étaient pas traduites dans les passeports.

[Renvois omis.]

La Commission a aussi fait remarquer que la preuve documentaire indiquait que des mandats d’arrêt dans leur pays d’origine devaient être signifiés aux accusés à leur dernière adresse connue et qu’une « façon de faire semblable doit s’appliquer aux citations à comparaître » (Décision, au paragraphe 49).

[15]           Par ailleurs, la Commission a fait remarquer que les demandeurs n’avaient pas mentionné cette citation à comparaître dans leurs FRP et qu’il s’agissait d’une omission importante. Dans son témoignage, AB a dit qu’il n’avait pas parlé à la mère de CD, mais seulement à ses propres parents après son arrivée au Canada, et CD a témoigné que sa mère ne lui avait pas parlé de la citation à comparaître parce qu’elle était déjà très traumatisée. La Commission n’a pas jugé ces explications crédibles. Elle a conclu que la citation à comparaître était suffisamment sérieuse pour que la mère de CD en informe les parents d’AB, même s’ils n’étaient pas des amis proches, et que les parents d’AB en auraient fort probablement parlé à leur fils. En outre, la Commission a estimé que la mère de CD lui aurait aussi probablement parlé de la citation à comparaître. Cette dernière s’était vu confier la tâche d’obtenir les documents et tout ce qui était nécessaire pour étayer les demandes d’asile des demandeurs et des autres membres de sa famille et, dans ces circonstances, elle n’aurait pas cédé aux prétendues demandes insistantes de sa fille de ne parler de rien d’important lors de leurs communications.

[16]           La Commission a conclu que la citation à comparaître était un document frauduleux et que, sans lui, aucun des autres documents corroborants ne pouvait étayer de façon indépendante les allégations des demandeurs étant donné qu’elle estimait qu’ils n’étaient pas crédibles.

[17]           La Commission a estimé qu’en plus des contradictions importantes susmentionnées, le cumul d’une série de contradictions non significatives révélait que « les présents demandeurs d’asile n’ont pas le moindre scrupule à l’idée de mentir » (Décision, au paragraphe 57). CD a dit à l’agent d’immigration qui l’a interviewée qu’elle ne connaissait pas le nom du passeur, mais elle a témoigné à l’audience qu’elle le connaissait. Priée de décrire comment ils connaissaient l’homme qui les avait hébergés au Canada à leur arrivée, CD a dit à l’agent d’immigration qu’il était un ami alors qu’en réalité, il était un parent. La Commission a fait observer (Décision, au paragraphe 62) :

Ce n’est qu’un autre exemple où la demandeure d’asile associée a tenté de cacher la vérité. Compte tenu de cela, je ne peux pas dire ce qui est vrai ou faux en l’espèce.

[18]           La SPR a fait remarquer que les demandeurs avaient présenté une demande d’asile sur place, parce que, à leurs dires, les demandeurs d’asile sont interrogés s’ils sont renvoyés. La Commission a conclu que la preuve documentaire ne démontrait pas que « tous les demandeurs d’asile sont interrogés à leur retour, mais que ce ne sont que ceux qui sont des militants politiques ou qui ont tenté de faire de la propagande à l’étranger qui sont détenus » (Décision, au paragraphe 70). Elle est arrivée à la conclusion qu’il n’y avait aucune preuve crédible que les demandeurs avaient déjà participé à des activités politiques et qu’ils ne seraient par conséquent pas interrogés s’ils retournaient dans leur pays.

QUESTIONS À TRANCHER

[19]           Les demandeurs ont soulevé les questions suivantes dans la présente demande :

a.       La SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n’étaient pas crédibles en s’appuyant sur des éléments sans importance ou secondaires, sans fournir de motifs clairs du rejet des allégations fondamentales de leurs demandes?

b.      La commissaire de la SPR a‑t‑elle manqué au devoir d’équité procédurale en disant qu’elle n’avait pas besoin d’en apprendre davantage sur les événements traumatisants, puis en concluant que ceux‑ci ne s’étaient pas produits?

c.       La SPR a‑t‑elle commis une erreur en évaluant la crédibilité des demandeurs sans tenir compte des rapports médicaux et psychologiques traitant de la capacité réduite des demandeurs à témoigner?

d.      La SPR a‑t‑elle commis une erreur en ne cherchant pas à savoir si les demandeurs avaient besoin de protection, même si leurs témoignages à certains égards n’étaient pas crédibles?

NORMES DE CONTRÔLE

[20]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle. Ainsi, lorsque la norme de contrôle qui s’applique à la question particulière dont la Cour est saisie a été établie de manière satisfaisante par la jurisprudence, il est loisible à la cour de révision de l’adopter. Ce n’est que dans le cas où cette recherche s’avère infructueuse, ou si la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire, que la cour de révision doit entreprendre l’examen des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[21]           Les questions a., c. et d. susmentionnées se rapportent à l’évaluation de la crédibilité des demandeurs selon la Commission et les conclusions auxquelles celle‑ci arrive en se fondant sur la preuve. La norme de contrôle applicable à ces questions est celle de la décision raisonnable : voir Cruz Herrera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 979, au paragraphe 14; He c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 525, aux paragraphes 6 à 9; Lawal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 558, au paragraphe 11; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1993], 160 NR 315, [1993] ACF no 732, au paragraphe 4 (CA) (QL) [Aguebor]. La question b. soulève une question d’équité procédurale susceptible de révision selon la norme de la décision correcte : voir Mission Institution c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, au paragraphe 100; Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404, au paragraphe 53.

[22]           Lors du contrôle d’une décision suivant la norme du caractère raisonnable, l’analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[23]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

ARGUMENTS

Demandeurs

Fondement des conclusions relatives à la crédibilité sur des points secondaires sans tenir compte des allégations principales

[24]           Les demandeurs soutiennent que la SPR a fondé son évaluation de leur crédibilité sur des points sans importance ou secondaires sans tenir compte des éléments fondamentaux de leur demande, qui étaient à la fois cohérents entre eux et cohérents avec la preuve médicale et la documentation sur leur pays d’origine qui lui ont été soumises. La SPR a rendu une décision défavorable sur leur crédibilité qui ne dit rien des allégations fondamentales, même si elle a admis les FRP remplis à titre de témoignages sous serment et décidé de ne pas interroger les demandeurs sur les allégations fondamentales qui y sont formulées.

[25]           Les demandeurs soulignent que la Commission a fondé ses conclusions en matière de crédibilité sur l’omission de fournir dans leurs FRP des renseignements sur les demandes de la famille de CD et sur le défaut de mentionner la citation à comparaître ou d’expliquer pourquoi celle‑ci a été livrée au domicile de la famille de CD. Ils affirment que la décision de fonder l’évaluation de la crédibilité sur ces éléments de leurs témoignages était déraisonnable pour plusieurs raisons :

a.       les demandes d’asile des membres de leur famille et la citation à comparaître sont des éléments sans importance ou secondaires quant à leur demande;

b.      le fait que le père et la sœur de CD ont demandé l’asile dans un autre pays et ont été reconnus comme des réfugiés au sens de la Convention aurait dû, au contraire, renforcer et non miner la crédibilité des demandeurs;

c.       les demandeurs ne peuvent être blâmés pour ne pas avoir produit tous les documents relatifs à ces demandes puisque ces documents étaient hors de leur contrôle;

d.      la SPR a commis une erreur en mettant en doute la crédibilité d’AB en s’appuyant sur des omissions du FRP de son épouse puisque la SPR savait qu’il n’en avait jamais pris connaissance;

e.       la SPR n’a pas expliqué en des termes clairs et non équivoques pourquoi elle n’avait pas tenu compte des autres éléments de preuve, notamment des allégations fondamentales.

[26]           Les demandeurs reconnaissent que la Commission est habilitée à rendre des conclusions défavorables en matière de crédibilité en soulignant des incohérences, mais ils soutiennent que ce ne sont pas toutes les incohérences qui justifient de telles conclusions. En effet, de telles conclusions ne doivent pas être fondées sur un examen « “à la loupe” des éléments qui ne sont pas pertinents ou qui sont accessoires à la revendication » : Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, aux paragraphes 10 et 11; Cooper c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 118, aux paragraphes 3 et 4 [Cooper].

[27]           Selon les demandeurs, les faits importants touchent le fondement de la cause (Pfizer Canada c Canada (Ministre de la Santé), 2011 CAF 215, aux paragraphes 21 et 22) et aucun des principaux points soulevés par la SPR ne touche le fondement de la demande de protection que les demandeurs ont présentée au Canada. Il est à la fois peu pertinent et sans importance que des parents des demandeurs aient demandé l’asile dans d’autres pays, que les demandeurs aient ou non été au courant de l’existence de ces demandes et qu’ils aient ou non pu produire tous les documents relatifs aux demandes de membres de leur famille que la SPR avait exigés. De même, l’endroit où la citation à comparaître délivrée contre AB et le fait qu’il savait ou non pourquoi elle avait été signifiée à cet endroit sont également peu pertinents et sans importance. S’il n’y avait jamais eu de citation à comparaître, cette question n’aurait pas d’incidence sur le fond ni sur l’authenticité de la demande de protection d’AB puisqu’il n’est pas obligatoire de produire des citations à comparaître pour corroborer des demandes d’asile. Par conséquent, les deux points sur lesquels la décision est fondée ne sont pas pertinents.

[28]           S’il est vrai que des points peu importants peuvent légitimement servir à établir la crédibilité, et l’effet cumulatif de plusieurs points peu importants peut être déterminant, les demandeurs soutiennent toutefois que c’est commettre une erreur que de sauter l’analyse des allégations fondamentales et de passer directement à un examen d’éléments peu importants. Ce faisant, on néglige, à leur avis, de faire une évaluation du fond et des éléments importants de la demande d’asile. Ils citent l’analyse que fait le juge Rennie dans la décision Cooper, précitée, au paragraphe 3 :

J’estime que la décision de la Commission sort du champ des issues juridiques acceptables compte tenu des faits et du droit, et qu’elle est déraisonnable. Nonobstant les préoccupations touchant la crédibilité de la demanderesse, cette décision n’a pas donné lieu à une analyse substantielle de la demande d’asile. Au lieu de s’attarder sur les questions factuelles pertinentes en regard de la demande de protection, la Commission s’est concentrée sur des sujets sans importance et sans rapport avec celle‑ci. Par conséquent, la Commission n’a pas analysé le fondement de principe de l’allégation touchant le risque.

[Souligné par les demandeurs.]

Se fondant sur la conclusion de la Cour dans Tsyhanko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 819, au paragraphe 16, les demandeurs soutiennent que la Commission a implicitement accepté, ou n’a pas mis en doute, les éléments cruciaux de leur demande d’asile, mais qu’elle a rejeté celle-ci en se fondant sur des incohérences relatives à des points secondaires.

[29]           Les demandeurs font remarquer qu’à la demande de la SPR, ils ont produit des documents confirmant que des parents de CD avaient obtenu l’asile dans un autre pays. En accord avec le raisonnement de la Commission selon lequel la persécution des parents de CD aurait eu une incidence sur la situation des demandeurs eux‑mêmes, ces derniers soutiennent que le fait que leurs parents ont obtenu l’asile ailleurs peut être interprété comme un élément qui renforce, au lieu d’affaiblir, la demande d’asile qu’ils ont présentée au Canada. La conclusion de la SPR selon laquelle l’omission de cette information dans les FRP des demandeurs l’autorise à juger que les demandeurs n’avaient pas besoin de protection est déraisonnable. Le bon sens serait de demander pourquoi un demandeur d’asile dissimulerait des renseignements qui corroborent sa demande, mais la SPR n’a jamais posé ni examiné cette question.

[30]           En outre, les documents que la SPR a demandés n’étaient pas sous le contrôle des demandeurs. Ces derniers ont demandé aux parents de CD de leur faire parvenir la preuve de leurs demandes d’asile et ils ont produit les documents que les parents de CD leur ont fait parvenir. La SPR ne peut les blâmer de n’avoir pas produit des documents qui ne sont pas sous leur contrôle. Si la Commission estimait qu’elle avait besoin du dossier d’asile complet, elle aurait pu demander des copies des documents aux autorités de ce pays.

[31]           Les demandeurs soutiennent qu’AB n’avait aucune raison d’inclure des renseignements sur les parents de CD dans son FRP et que la Commission n’avait aucune raison de le blâmer de ne pas l’avoir fait. Le formulaire demande des renseignements sur les membres de la famille immédiate (parents, frères et sœurs, époux et enfants). Il n’était ni demandé ni pertinent pour AB de fournir des renseignements sur la famille de CD. La partie narrative du FRP est le seul endroit où il aurait pu mentionner les problèmes de la famille de son épouse, mais il n’a pas fui son pays à cause des problèmes de sa belle‑famille avec les autorités. Il a fui à cause de ses expériences personnelles. Il est déraisonnable de mettre en doute sa crédibilité au motif qu’il aurait dû inclure des renseignements sur sa belle‑famille. Par ailleurs, AB n’aurait à aucun moment été mis au courant du contenu du FRP de son épouse et la SPR savait qu’il ne l’avait jamais vu.

[32]           Enfin, les demandeurs soutiennent que la décision est déraisonnable parce que la Commission n’a pas expliqué en des termes clairs et non équivoques pourquoi elle a rejeté les incidents traumatisants et cruciaux sur lesquels les demandes étaient fondées : Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 130 NR 236, [1991] ACF no 228 (CA) (QL); Martinez Caicedo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 749. Dans ces motifs, la Commission n’examine pas, et encore moins n’analyse, les éléments cruciaux de la demande. Il faut supposer qu’elle les a rejetés sur la base qu’ils n’étaient pas crédibles, mais ce n’est qu’une hypothèse.

Défaut d’informer les demandeurs de l’intention de mettre l’accent sur des éléments peu importants plutôt que sur les allégations fondamentales

[33]           Les demandeurs font remarquer que la SPR avait manqué à son devoir d’équité en leur laissant croire qu’elle avait admis les éléments fondamentaux de leurs demandes d’asile, avant de rejeter ces allégations en se fondant sur une conclusion générale de non‑crédibilité. Ainsi, ils n’ont pu savoir ce qu’on entendait faire valoir contre eux, ni contester, corriger ou contredire tout ce qui était préjudiciable à leur thèse, ou présenter des arguments et des éléments de preuve pour répondre aux préoccupations de la Commission, contrairement aux directives formulées par la Cour et la Cour d’appel sur le contenu de l’obligation d’équité dans ce contexte : Thamotharem c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 16, aux paragraphes 62 à 64 [Thamotharem (CF)]; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thamotharem, 2007 CAF 198, au paragraphe 37. Un témoignage sous serment est présumé véridique en l’absence de motif de conclure autrement (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302, (CAF) [Maldanado]), et si la SPR n’a aucune question sur des éléments de la demande d’asile, le demandeur n’a aucune raison d’examiner ce qui a été accepté par écrit à titre de fondement de la demande. Les demandeurs citent l’analyse du juge Blanchard dans la décision Thamotharem (CF), précitée, au paragraphe 50, qui cite lui‑même l’analyse du juge Pelletier dans Veres c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 124 (1re instance), concernant une décision de la Section du statut de réfugié (la SSR, le prédécesseur de la SPR) :

[Le juge Pelletier] a plutôt affirmé qu’il est inéquitable que la Section reproche aux demandeurs, dans ses motifs, de ne pas avoir fourni certains éléments de preuve sans leur avoir dit qu’ils se trouvaient dans une situation délicate à cet égard. Le juge Pelletier a écrit ce qui suit au paragraphe 28 de sa décision :

Il est clair que la SSR est maître de sa procédure. Elle est fondée à tenir compte de l’économie de temps dans l’élaboration de ses règles de procédure. Elle peut également décider quelle preuve elle veut entendre de la bouche du témoin et quelle preuve elle le dispense de présenter. Mais, quand elle dit qu’elle n’a pas besoin d’entendre le témoin, elle ne peut par la suite se plaindre qu’elle ne l’a pas entendu.

[Souligné par les demandeurs.]

[34]           Les demandeurs disent qu’ils n’avaient aucune raison de soupçonner que la SPR doutait des incidents à l’origine de leurs demandes puisque la Commission avait admis leurs FRP à titre de témoignes sous serment : arrêt Maldonado, précité. Lors de la discussion préliminaire avec le conseil et dans sa façon d’interroger les demandeurs, la commissaire de la SPR a mentionné que les allégations constituant le fondement des demandes d’asile n’étaient pas en litige. Le conseil de CD a soulevé la question des sujets d’interrogation sur lesquels la SPR voulait se pencher et la commissaire de la SPR a énuméré les domaines qui l’intéressaient. Elle n’a jamais exprimé au conseil de préoccupations concernant les incidents fondamentaux, ni mis en doute elle‑même ces éléments. Les demandeurs ont plutôt été interrogés sur des événements qui n’étaient liés que de façon indirecte ou accessoire aux événements cruciaux. Ces renseignements indirects n’ont révélé aucune incohérence avec les allégations fondamentales.

[35]           Les demandeurs affirment que l’équité procédurale commandait qu’ils avaient le droit de réagir aux préoccupations de la SPR avant que la décision soit rendue. Dès que la commissaire de la SPR a cru que les demandeurs n’étaient pas crédibles sur des points secondaires, elle aurait dû les informer de ses doutes concernant les allégations fondamentales. Le défaut de le faire a fait en sorte que les demandeurs n’ont pas reconnu la nécessité d’établir leur crédibilité à l’égard de ces événements parce qu’ils avaient l’impression que la Commission n’avait aucun doute. Autrement dit, ils se sont vu refuser la possibilité de savoir ce qu’ils devaient réfuter et, par conséquent, le droit à une audience équitable.

Évaluation de la crédibilité sans égard à la preuve médicale et psychologique ni à la documentation sur les traumatismes

[36]           Les demandeurs font remarquer qu’ils ont déposé un rapport médical et un rapport psychologique au sujet de CD, dans lequel il est mentionné qu’elle est gravement traumatisée et qu’elle présente l’éventail complet des symptômes du SSPT, notamment des problèmes de concentration et de mémoire et que les progrès ont été lents dans son traitement d’un SSPT de stade I. Un rapport médical pose un diagnostic de SSPT, en rémission partielle, chez AB et il y est mentionné qu’il présente des symptômes de dépression sévère. Il est précisé dans le rapport que les problèmes de santé mentale d’AB conjugués à l’effet sédatif de sa médication risquaient vraisemblablement d’affecter sa mémoire et son rappel de la séquence d’événements.

[37]           Les demandeurs reconnaissent que les professionnels de la santé ne peuvent pas attester l’étiologie d’une maladie contractée dans une contrée lointaine, mais ils soutiennent que la SPR est passée à côté de l’objet de ces rapports, qui est double : premièrement, les pathologies médicales et psychologiques décrites sont compatibles avec le récit que font les demandeurs des traumatismes et des mauvais traitements qu’ils ont subis; deuxièmement, elles offrent une explication possible des incohérences et des lacunes dans leur témoignage.

[38]           Selon les demandeurs, la proposition de la Commission selon laquelle le SSPT dont souffre CD pourrait être dû aux difficultés éprouvées pendant le voyage est non seulement hypothétique, mais elle illustre l’incompréhension de la gravité des diagnostics qui sont beaucoup plus lourds que les troubles que de telles difficultés auraient pu causer.

[39]           En outre, la SPR est arrivée à des conclusions en se fondant sur des incohérences dans le témoignage des demandeurs sans tenir compte de la mise en garde formulée dans chacun des rapports, c’est‑à‑dire que les demandeurs auraient probablement de la difficulté à témoigner à l’audience, qu’ils auraient des troubles de mémoire et qu’ils étaient susceptibles d’être confus à propos de la séquence des événements, des heures et des dates. Ils invoquent l’incapacité d’AB d’expliquer pourquoi la citation à comparaître a été livrée au domicile de ses beaux‑parents plutôt qu’à son ancienne adresse à titre d’exemple du type de difficulté à témoigner que la preuve médicale peut expliquer. La confusion d’AB est évidente dans son témoignage, disent‑ils, alors qu’il lui aurait été très simple de concocter une explication cohérente si son intention avait été de cacher la vérité. La commissaire de la SPR n’a pas expliqué pourquoi les conclusions du médecin et du psychologue n’avaient aucune incidence dans le dossier, et son défaut de tenir compte de leurs rapports pour évaluer la crédibilité des demandeurs rend la décision déraisonnable : Mico c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 964, [Mico]; Sokhi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 140; Atay c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 201; Owusu‑Ansah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1989), 98 NR 312, [1989] ACF no 442 (CA) (QL); Arslan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 252, au paragraphe 36.

Défaut de tenir compte du besoin de protection même si les demandeurs manquaient de crédibilité à certains égards

[40]           Enfin, les demandeurs soulignent qu’un demandeur d’asile peut avoir besoin de protection même si l’on estime qu’il manque de crédibilité et la SPR avait le devoir d’examiner tous les éléments de preuve afin de déterminer si une protection était justifiée : Kulasekaram c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 388. Ils affirment que la SPR n’a pas énoncé en termes clairs et non équivoques les raisons pour lesquelles elle rejetait tous les éléments de preuve qu’ils ont présentés, si tel est bel et bien le cas, et qu’elle n’a pas cherché à savoir s’ils ont besoin de protection même si une partie de leur témoignage a été jugée non crédible.

Défendeur

[41]           Le défendeur soutient que la demande a été traitée comme il se doit, la commissaire de la SPR ayant tenu compte des vulnérabilités des demandeurs et de leurs allégations particulières de traumatismes, et que la Commission est arrivée à une conclusion raisonnable en se fondant sur les incohérences, les contradictions et les invraisemblances dans le témoignage des demandeurs.

Conclusions en matière de crédibilité

[42]           Les arguments des demandeurs selon lesquels la Commission a commis une erreur en arrivant à des conclusions défavorables sur leur crédibilité en se fondant sur des éléments accessoires et un examen insuffisant de la preuve médicale constituent une mauvaise compréhension des motifs de la Commission, de l’importance des nombreux problèmes de crédibilité soulignés et de l’effet des demandes d’adaptation présentées par les demandeurs eux‑mêmes. Sur la foi des preuves présentées, la Commission pouvait raisonnablement conclure que les demandes manquaient de crédibilité et devaient être rejetées.

[43]           Selon le défendeur, il est bien établi que tous les demandeurs d’asile ont l’obligation de fournir des renseignements véridiques et que l’intégrité du système de reconnaissance du statut de réfugié exige que cette obligation soit prise au sérieux : Cao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 450, au paragraphe 28; Garcia Porfirio c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 794, au paragraphe 46. Lorsqu’un demandeur d’asile omet de mentionner des faits importants dans son FRP, il est légitime de considérer que cette omission porte atteinte à sa crédibilité : Lopez Pineda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 889, aux paragraphes 14 et 15; Sahi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 527, au paragraphe 18 [Sahi].

[44]           En l’espèce, le défendeur dit qu’il était raisonnable que la Commission conclue que les demandes d’asile de la famille étaient pertinentes quant aux demandes d’asile que les demandeurs ont présentées au Canada, étant donné le lien existant entre les demandeurs et les parents de CD, le rôle qu’ils ont joué dans le voyage des demandeurs au Canada et le fait que la famille de CD a quitté leur pays d’origine peu de temps après le départ des demandeurs. CD a dit à maintes reprises que sa famille vivait dans son pays d’origine alors que ce n’était pas le cas et la Commission a jugé qu’elle n’était pas crédible lorsqu’elle disait ne pas être au courant des demandes d’asile de sa famille. AB a dit deux fois qu’il savait que la famille de CD vivait dans un autre pays au moins un an avant l’audience. La raison pour laquelle les demandeurs voudraient cacher aux agents d’immigration canadiens le fait que des membres de leur famille avaient présenté des demandes d’asile semble avoir préoccupé la Commission. Les demandeurs ont refusé de fournir des détails à la Commission sur la nature des demandes d’asile des membres de leur famille ou sur les raisons pour lesquelles ils se sont vu accorder le droit d’asile, malgré une demande en ce sens. Le défendeur soutient qu’il était raisonnable que la SPR demande des preuves concernant les demandes d’asile et de s’attendre que la famille de CD ait accès à ces documents. En plus de ne pas avoir modifié leurs FRP avant l’audience, les demandeurs ont donné un faux témoignage. Ce fait, à lui seul, mine considérablement leur crédibilité et il était tout naturel de la part de la Commission d’en tirer une conclusion défavorable : Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 998, au paragraphe 17; Ren c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 973, aux paragraphes 15 à 18.

[45]           Le défendeur fait remarquer que la Commission a conclu que la citation à comparaître soumise par les demandeurs n’était pas authentique et, de pair avec d’autres éléments du témoignage, cela indiquait clairement que les demandeurs n’étaient pas crédibles. Il est mentionné dans le FRP d’AB qu’on les avait informés qu’ils recevraient une citation à comparaître et que c’était la crainte qu’AB soit incarcéré de nouveau qui avait précipité leur fuite. Pourtant, la citation à comparaître n’était pas mentionnée dans les FRP des demandeurs et cette omission fait naître des doutes sérieux sur la prétendue signification de ce document à la famille de CD. La SPR a conclu que le récit des demandeurs était incohérent, invraisemblable et incompatible avec la preuve documentaire. Par conséquent, la SPR pouvait raisonnablement conclure que la citation à comparaître n’était pas authentique.

[46]           En ce qui concerne la preuve médicale, le défendeur dit que les motifs et les transcriptions montrent que la Commission a explicitement tenu compte de l’effet des traumatismes qu’auraient subi les demandeurs sur leur aptitude à témoigner. Comme la Commission l’a fait remarquer, il ne ressort pas de la preuve que des personnes traumatisées mentent ou sont incapables d’évoquer le souvenir d’événements non liés au traumatisme. Le fait que les demandeurs ont bénéficié d’adaptations d’ordre procédural en reconnaissance de leur vulnérabilité n’indique pas que la Commission a accepté la crédibilité de leur demande d’asile. La SPR a mené l’audience de façon respectueuse et prudente à la lumière de la désignation de personne vulnérable de CD et des traumatismes que les deux demandeurs auraient, à leurs dires, subis. L’avocate de CD a explicitement dit qu’elle ne souhaitait pas interroger sa cliente sur les détails de sa présumée détention. Les demandeurs ont été interrogés sur des aspects clés de leur demande, y compris les événements ayant mené à leur présumée détention et en ayant découlé et sur les principales omissions et faussetés qui ont miné leur crédibilité.

[47]           Le défendeur soutient que les demandeurs n’ont pas simplement déformé la séquence des événements, mais ont dissimulé des situations importantes. Il n’y avait aucune preuve qu’ils souffert de symptômes qui les auraient poussés à dire des faussetés importantes, par exemple au sujet de l’endroit où se trouvait la famille de CD et de la demande d’asile de ces derniers. En outre, ils n’ont pas dit avoir « oublié » que la famille n’était pas dans leur pays d’origine, mais qu’ils n’en avaient pas été informés au départ. De même, aucune preuve n’expliquerait la production d’un faux document.

[48]           La Commission s’est demandé si les rapports médicaux étaient déterminants quant à la crédibilité des demandeurs et a conclu qu’ils ne l’étaient pas. Elle avait le droit de conclure que le SSPT ne découlait pas forcément des événements allégués. Les conclusions médicales étaient fondées sur ce que les demandeurs eux‑mêmes avaient déclaré à des professionnels de la santé et, comme la Commission a conclu que ces allégations n’étaient pas fondées, elle n’était pas tenue d’accepter des conclusions fondées principalement sur les propres déclarations des demandeurs concernant la cause de leurs difficultés : Benipal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 1491, au paragraphe 5 (1re inst) (QL); décision Sahi, précitée, au paragraphe 19.

[49]           La Commission a aussi relevé plusieurs contradictions « sans importance » et elle était en droit de conclure que, cumulativement, ces contradictions et ces invraisemblances entachaient la crédibilité des demandeurs : Lawal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 558, au paragraphe 25.

[50]           En bref, le défendeur soutient que la Commission était en droit d’analyser les demandes d’asile des demandeurs en se fondant sur la rationalité, le bon sens et sa propre compréhension du comportement humain pour rejeter des éléments de preuve si ceux‑ci n’étaient pas compatibles avec l’ensemble du dossier et de conclure que les incohérences et les contradictions étaient révélatrices d’un manque de crédibilité : Shahamati c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 415 (CA) (QL); arrêt Aguebor, précité; Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 358, au paragraphe 9 [Li (2002)].

Les demandeurs ne courent pas de risque

[51]           Les demandeurs affirment que la Commission n’a pas examiné la question de savoir s’ils couraient un risque indépendamment de ces conclusions défavorables sur leur crédibilité. Or, selon le défendeur, ils n’ont présenté aucune autre base qui aurait permis à la Commission de conclure à l’existence d’un risque. Cette dernière a examiné leur demande d’asile sur place et estimé qu’aucun élément crédible ne prouvait qu’ils étaient actifs sur le plan politique. L’argument selon lequel leur demande n’a pas été analysée de façon exhaustive est sans fondement et il est établi que la preuve documentaire sur les conditions générales du pays ne peut servir de fondement à une demande d’asile sans autres éléments de preuve crédibles se rapportant au demandeur : Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 238, au paragraphe 244.

Aucun manquement à l’équité procédurale

[52]           Le défendeur affirme que la Commission n’était nullement obligée de faire part aux demandeurs de ses préoccupations concernant la faiblesse de leur témoignage afin que ceux‑ci y répondent, y compris ses préoccupations à l’égard des invraisemblances dans leurs témoignages. Par conséquent, il n’y a pas d’obligation d’équité dans les présentes circonstances : décision Li (2002), précitée, au paragraphe 10; Markauskas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 902, au paragraphe 24. Néanmoins, ces préoccupations ont été exprimées aux demandeurs et à leur conseil à plusieurs reprises au cours de l’instance. Le déroulement de l’audience et les demandes d’explications et de documents formulées par la Commission illustrent bien que les préoccupations de la SPR ont été exprimées. Par ailleurs, le conseil des demandeurs a présenté des observations orales sur la crédibilité, les demandeurs ont été longuement interrogés sur leur crédibilité et ils ont déposé des observations écrites après l’audience. Le fait que leurs explications n’ont pas convaincu la Commission ne rend pas ses conclusions déraisonnables et les demandeurs n’ont présenté aucune explication valable dont la Commission n’a pas tenu compte.

Réponse des demandeurs

Les demandeurs n’ont pas exclu la possibilité d’être interrogés sur les incidents traumatisants

[53]           Selon les demandeurs, en soutenant que leur conseil avait demandé qu’ils ne soient pas interrogés sur les détails de ce qui était survenu pendant l’incarcération de CD, le défendeur a déformé les propos du conseil. Le conseil a explicitement invité la commissaire de la SPR à l’informer des sujets de questions qui intéressaient la SPR, et jamais les demandeurs ni leur conseil n’ont dit que les demandeurs ne voulaient pas répondre à des questions sur ce qui leur est arrivé. En fait, en demandant qu’AB n’assiste pas au témoignage de CD, on voulait garantir que CD puisse décrire ce qu’elle avait vécu dans les cellules du poste de police sans que son mari l’entende. Si la commissaire de la SPR avait des doutes sur ce qui s’était produit, elle aurait pu et aurait dû interroger CD pour mettre sa crédibilité à l’épreuve sur ce point. La SPR a plutôt opté pour éviter la question, substituant des éléments secondaires aux éléments fondamentaux de la demande, à l’encontre des directives que la Cour donne dans la décision Cooper, précitée, aux paragraphes 3 et 6. Comme la SPR n’a pas posé de questions sur le fondement des demandes d’asile ni demandé au conseil de le faire, ce témoignage est présumé véridique : arrêt Maldonado, précité, aux paragraphes 305 et 306. Le défaut de la SPR de tenir compte de ce témoignage ou d’expliquer pourquoi elle l’a accepté ou rejeté constitue une erreur susceptible de révision.

Décision de la SPR de ne pas poser de questions sur les événements traumatisants

[54]           La SPR a dit qu’elle avait choisi de ne pas interroger les demandeurs sur les événements traumatisants allégués afin de leur éviter un nouveau traumatisme, mais, selon les demandeurs, rien ne prouve qu’un tel interrogatoire de la part de la SPR aurait causé un nouveau traumatisme. En fait, l’expérience aurait pu être libératrice. La décision de la SPR d’éviter d’interroger les demandeurs sur les événements traumatisants pour les « protéger » a abouti à la décision dévastatrice qu’ils n’ont pas besoin de protection; la douleur ou la détresse que des questions de cet ordre auraient pu causer sont banales par rapport à la détresse causée par la décision défavorable. Si la SPR a été réceptive au besoin d’adaptations sur le plan procédural des demandeurs, allant jusqu’à permettre à AB de s’absenter pour que CD puisse témoigner librement, les motifs ne permettent pas de dire si la commissaire a conclu, au bout du compte, que les événements allégués n’ont jamais eu lieu.

Désignation de personne vulnérable et présomption de véracité

[55]           Les demandeurs disent que le défendeur a déformé leur argument en ce qui concerne la présomption de véracité. Ils n’affirment pas qu’ils croyaient que la SPR avait admis leurs allégations simplement parce qu’elle a reconnu leur vulnérabilité et leur a accordé une protection d’ordre procédural. Au contraire, la décision de la SPR d’admettre les FRP à titre de témoignages sous serment a créé une présomption réfutable que les allégations contenues dans les FRP étaient véridiques. Si la SPR a conclu qu’elles ne l’étaient pas, elle avait l’obligation d’expliquer pourquoi et d’analyser les allégations fondamentales au lieu de se concentrer exclusivement sur des détails secondaires.

Les demandeurs ont fourni les documents relatifs aux demandes d’asile

[56]           Les demandeurs disent qu’ils n’ont pas refusé de fournir à la SPR des détails sur les demandes d’asile de leur famille, contrairement à ce qu’indique la décision. Ils rappellent la directive que la Commission leur a donnée de bien vouloir obtenir des copies des demandes d’asile et des décisions, et ils disent avoir cru comprendre que la SPR tenait à corroborer le fait que les membres de la famille de CD s’étaient vu octroyer le statut de réfugié. En plus de produire des documents corroborant ce fait, ils ont produit des documents décrivant le processus d’asile dans le pays qui les a accueillis. Ce processus ne comporte pas d’équivalent à un FRP ni au formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA). Les demandeurs d’asile se prêtent plutôt à une entrevue sur le besoin de protection et l’agent chargé de mener cette entrevue préliminaire peut rendre une décision favorable, apparemment sans être tenu de fournir des motifs. Les parents de CD ont été admis au terme de leurs entrevues initiales et on leur a communiqué les décisions, que les demandeurs ont produites. Ces derniers ne pouvaient pas produire les « demandes » écrites comme la commissaire l’avait demandé puisqu’il n’y a pas les FRP et les FDA n’ont pas d’équivalents dans ce système. Ils ont tenté de satisfaire à la demande de la SPR en produisant les décisions et, faute de demandes écrites, ils ont produit une description du processus d’asile. Or, leur défaut de produire une transcription des entrevues des membres de leur famille a été décrit comme de l’obstruction délibérée de leur part, description qui n’est ni exacte ni juste. La SPR a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable sur la crédibilité des demandeurs en se fondant sur leur défaut de fournir des documents qui n’étaient pas en leur possession ou sous leur contrôle.

Importance des demandes d’asile

[57]           Les demandeurs soutiennent que les demandes d’asile des membres de leur famille n’avaient pas d’incidence sur leur besoin de protection, et le fait qu’elles occupaient une grande place dans l’esprit de la SPR n’en font pas des éléments pertinents. Les demandeurs ont demandé la protection en fonction de leur propre vécu et non de celui des parents de CD. La seule raison pour laquelle ils n’ont pas révélé l’existence des demandes accueillies est qu’il croyait à tort que ces demandes n’étaient pas pertinentes.

[58]           Par ailleurs, l’observation du défendeur selon laquelle les demandeurs n’ont modifié leurs FRP que lorsque le ministre leur a présenté sa preuve donne à penser qu’il y a eu malice et est incorrecte. Le ministre n’a pas divulgué le fait que les parents de CD avaient présenté des demandes d’asile. Le ministre a plutôt produit une communication de 11 pages, trois jours ouvrables avant l’audience des demandeurs, dans laquelle il était brièvement mentionné que les parents des demandeurs vivaient dans un autre pays et non dans leur pays d’origine. Au début de l’audience, les demandeurs ont présenté plusieurs corrections à leurs FRP, notamment concernant le lieu de résidence des parents de CD, des corrections qui, dans leur esprit, n’avaient pas plus d’incidence sur leur besoin de protection que les autres corrections biographiques qui ont été apportées au début de l’audience (par exemple au nom d’AB et aux études et aux adresses de CD). Les demandeurs font remarquer qu’ils n’avaient pas de conseil entre le dépôt de leurs FRP et la mise au rôle de l’audience et qu’il est courant que des demandeurs d’asile ne mettent à jour leurs FRP que lorsque l’audience est imminente − surtout lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, ils ne savent ni lire ni écrire l’anglais.

Conclusions erronées concernant l’entrevue menée à l’Agence des services frontaliers du Canada en août 2012

[59]           Les demandeurs contestent l’exactitude des conclusions selon lesquelles CD a donné un témoignage contradictoire sur sa connaissance du vrai nom du passeur et qu’elle avait dit à un agent d’immigration que son père vivait dans leur pays d’origine et qu’elle ne voulait pas qu’il communique avec lui. Selon les notes de l’agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), CD a dit qu’elle ne connaissait pas le vrai nom du passeur tandis qu’ils étaient en transit, mais qu’elle l’a appris à son arrivée au Canada. Cela correspond au témoignage qu’elle a rendu à l’audience. Par ailleurs, elle n’a pas dit à l’agent de l’ASFC que son père vivait dans leur pays d’origine ni demandé qu’on ne communique pas avec lui. Elle a dit que pendant qu’ils étaient en transit, elle communiquait avec sa mère dans leur pays d’origine, où celle‑ci était effectivement restée après le départ de la famille. Selon les notes de l’agent, lorsqu’il a demandé le numéro de téléphone du père de CD, le conseil de CD de l’époque est intervenu, disant qu’ils ne tenaient pas à solliciter une autre personne. Ainsi, la SPR a de nouveau justifié ses conclusions défavorables en matière de crédibilité en soulignant des incohérences et des contradictions qui n’existaient pas.

Défaut de tenir compte de la preuve médicale

[60]           Les demandeurs réitèrent qu’ils n’affirment pas que les rapports médicaux auraient dû être déterminants, mais plutôt qu’ils renferment des renseignements pertinents qui auraient dû être pris en compte. En particulier, ils affirment que la SPR n’a pas tenu compte de l’effet du SSPT sur leur aptitude à témoigner : voir la décision Mico, précitée, au paragraphe 49. Les médecins ne se proposent pas comme témoins des événements allégués, mais cela semble avoir été la seule pertinence potentielle, aux yeux de la SPR : la Commission a conclu que le SSPT peut être causé par bien des choses et que, en conséquence, elle n’accordait aucune pertinence à cet élément de preuve. Toutefois, dans la décision Mico, précitée, cet élément de preuve avait été présenté pour alerter la Commission quant à l’état de santé des demandeurs et à l’incidence que celui‑ci pourrait avoir sur leur témoignage. Il aurait dû être tenu compte de cet élément de preuve pour sa capacité à expliquer la confusion et les doutes, et le défaut de la SPR de le faire rend la décision déraisonnable.

ANALYSE

[61]           Au paragraphe 71 de la décision, la Commission conclut que :

En l’espèce, il n’y a aucun élément de preuve crédible établissant que les demandeurs d’asile ont déjà participé à des activités politiques à l’encontre de […], que ce soit dans ce pays ou à l’étranger. Pour cette raison, j’estime qu’ils ne seront pas interrogés s’ils retournent en […].

[62]           En décidant qu’il n’y avait « aucun élément de preuve crédible » à l’appui de la demande d’asile des demandeurs, la Commission a choisi de ne pas les interroger sur les aspects cruciaux de leur demande concernant les traitements que leur ont fait subir les autorités de l’État qui, aux dires des demandeurs, avait précipité leur fuite au Canada (Décision, aux paragraphes 23 et 24) :

La documentation sur les traumatismes produite en l’espèce n’appuie pas l’affirmation selon laquelle les personnes traumatisées peuvent mentir ou ne peuvent pas se souvenir d’événements qui ne sont pas liés à leur traumatisme. C’est entre autres pour cette raison que les arbitres peuvent trancher la question de savoir si un demandeur d’asile a produit des éléments de preuve crédibles, fiables et dignes de foi. De plus, lorsque j’ai évalué la crédibilité des demandeurs d’asile en l’espèce, tout en étant conscient des traumatismes qu’ils ont subis, j’ai estimé qu’ils n’avaient pas produit d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi. Il y avait des omissions et des contradictions importantes qui n’ont pas été expliquées adéquatement, et il y avait un document corroborant qui, à mon avis, n’est pas authentique.

Ayant choisi de ne pas examiner les événements traumatisants eux‑mêmes pour éviter de traumatiser davantage les demandeurs d’asile, j’ai dû également inclure dans mon évaluation de la crédibilité des éléments non importants de leur demande d’asile. Il y avait une multitude d’omissions et de contradictions non importantes dans les éléments de preuve des demandeurs d’asile qui, collectivement, établissaient que ceux‑ci ne s’étaient pas montrés francs avec les responsables canadiens de l’immigration et la CISR.

[Renvois omis.]

[63]           À mon avis, la Commission a conclu que les demandeurs n’étaient pas des témoins crédibles en se fondant sur :

(a)    des omissions et des contradictions pertinentes sur le sort d’autres membres de leur famille qui avaient présenté des revendications et qui s’étaient vu accorder l’asile ailleurs;

(b)   la conclusion qu’une citation à comparaître émise contre AB, déposée en preuve, n’était pas un document authentique;

(c)    plusieurs contradictions peu importantes de la part de la demandeure d’asile sur ce qu’elle savait du passeur qui avait conduit les demandeurs au Canada et des contradictions entre les demandeurs au sujet de leur relation avec GH.

[64]           Les points importants en l’espèce concernent les faits relatifs à la famille et la citation à comparaître et, à mon avis, la question que la Cour doit trancher est de savoir si les conclusions défavorables de la Commission sur ces points étaient déraisonnables et si ces conclusions étaient suffisantes pour étayer une conclusion générale défavorable sur la crédibilité étant donné que la Commission n’a jamais vérifié les autres allégations fondamentales relatives au traitement que les demandeurs auraient subi aux mains des autorités de l’État.

[65]           En ce qui concerne les questions relatives aux membres de la famille des demandeurs et aux demandes d’asile qu’ils ont présentées dans un autre pays, la Commission soupçonnait manifestement les demandeurs de dissimuler des renseignements qui auraient compromis leurs demandes d’asile au Canada.

[66]           Il y avait manifestement des incohérences importantes sur les allées et venues d’autres membres de leur famille et le moment où les demandeurs ont appris que ces membres avaient fui. Cependant, la Commission n’avait aucune preuve que les demandes d’asile de la famille contredisaient le récit des demandeurs sur les événements qui les avait incités à fuir. Nous ne savons simplement pas ce que les demandes d’asile auraient appris à la Commission sur les demandeurs qui aurait eu une incidence sur leurs demandes d’asile au Canada. C’est pourquoi la Commission a explicitement demandé que le demandeur fournisse tous les documents et décisions concernant les demandes d’asile et lorsque les documents produits n’ont pas fourni les renseignements dont la Commission avait besoin, celle‑ci a conclu (Décision, aux paragraphes 31 à 33) :

De plus, même lorsque j’ai explicitement dit aux demandeurs d’asile et à leur conseil le premier jour de l’audience que je voulais qu’ils prennent des mesures pour que les membres de la famille […] leur envoient tout ce qui concerne leur demande d’asile et les décisions y afférentes, ils n’ont pas réussi à obtenir ces documents. Il convient de souligner que la mère de la demandeure d’asile associée se trouve maintenant avec le père et la sœur de celle‑ci […].

Les demandeurs d’asile n’ont aucunement expliqué pourquoi les membres de la famille n’ont pas pu leur envoyer le moindre renseignement quant à leur demande d’asile dans le délai de presque un mois que je leur avais accordé. Ils ont effectivement réussi à déposer des documents, mais pas ceux que j’avais demandés en particulier.

Le père, la sœur et le beau‑frère de la demandeure d’asile associée se sont chacun vu donner une copie de l’entrevue qu’ils avaient eue avec un agent d’immigration […]. Cette copie comprend toutes leurs allégations quant aux raisons pour lesquelles ils demandent une protection. Sur la copie qui leur a été remise figure leur signature confirmant la conformité des renseignements recueillis lors de l’entrevue. Encore une fois, la demandeure d’asile associée n’a pas transmis cette information à la CISR ou les demandeurs d’asile n’ont pas choisi de l’inclure dans les éléments de preuve.

[Renvois omis.]

[67]           Les demandeurs ont dit qu’ils ne devaient pas être blâmés pour des omissions dans les documents d’un autre pays parce que ces éléments étaient hors de leur contrôle. Toutefois, mise à part cette question, je ne vois pas clairement quelle incidence la SPR croyait que ses conclusions sur la situation de la famille avaient sur les revendications des demandeurs. Le défaut de produire des documents d’un autre pays afin de satisfaire l’examen de la Commission sur ce point n’établit pas que ces demandes avaient une quelconque incidence sur les demandes des demandeurs au Canada ou qu’elles auraient entaché leur crédibilité. La Commission soupçonnait simplement que cela pourrait être le cas et il ne peut être accordé que peu de poids à ces soupçons alors que la Commission a délibérément choisi elle‑même de ne pas interroger les demandeurs sur le traitement que les autorités gouvernementales leur ont fait subir.

[68]           À mon avis, le défaut des demandeurs d’établir le fondement des demandes d’asile fructueuses de proches parents n’est pas un fondement raisonnable pour conclure que les mauvais traitements infligés par des agents de l’État n’ont pas eu lieu, d’autant plus que la façon dont la Commission a traité la question de la citation à comparaître pose problème.

[69]           Cette question est traitée comme suit (Décision, aux paragraphes 44 à 56) :

Les demandeurs d’asile ont déposé en preuve une photocopie d’une citation à comparaître apparemment délivrée […] pour que le demandeur d’asile principal se présente […]. Cette citation à comparaître montre en soi qu’elle a été délivrée […].

J’ai plusieurs raisons d’estimer que ce document n’est pas authentique. Outre cette estimation, il n’y a aucun document corroborant qui pourrait appuyer indépendamment les allégations du demandeur d’asile principal, en dépit de ma conclusion quant à la crédibilité des demandeurs d’asile.

Selon le demandeur d’asile principal, la citation à comparaître n’a pas été envoyée chez lui, c’est‑à‑dire au domicile matrimonial qu’il avait avec la demandeure d’asile associée, mais chez les parents de cette dernière. À la question visant à savoir pourquoi la citation à comparaître n’avait pas été envoyée chez lui, le demandeur d’asile principal n’avait aucune véritable explication à donner à cet égard. Il a dit qu’il avait peut‑être écrit cela parce que sa belle‑mère se trouvait avec lui lorsqu’il était allé chercher la demandeure d’asile associée à sa libération de détention. Ou, peut‑être, il avait utilisé cette adresse parce que les demandeurs d’asile demeuraient souvent au domicile de la famille de la demandeure d’asile associée.

Lorsque la demandeure d’asile associée a plus tard livré son témoignage à ce sujet, presque un mois après le témoignage du demandeur d’asile principal, une réponse définitive a été donnée à cette question compliquée. Il n’y avait pas de boîte à lettres au domicile des demandeurs d’asile. Le courrier était glissé sous la porte. Par conséquent, les demandeurs d’asile donnaient l’adresse et même le numéro de téléphone des parents de la demandeure d’asile associée à toute personne ou institution ayant besoin de communiquer avec eux.

J’estime que l’ensemble de l’explication des demandeurs d’asile est trompeur. Premièrement, le demandeur d’asile principal lui‑même ne pouvait pas se souvenir que, pendant des années, ses factures de téléphone, ses relevés de cartes de crédit, ses relevés bancaires et ainsi de suite n’allaient pas directement chez lui, mais plutôt chez ses beaux‑parents. Les demandeurs d’asile n’ont pas produit d’autres documents au cours du mois dont ils disposaient entre les audiences pour corroborer le fait que c’était leur manière de procéder. Je n’ai pas pu examiner les renseignements contenus sur les pages de leurs passeports pour vérifier si cela corroborait leur nouvelle allégation, parce que leurs adresses n’étaient pas traduites dans les passeports.

Enfin, j’ai tenu compte de la Réponse à la demande d’information (RDI) […]. Selon cette RDI, un mandat d’arrêt doit être signifié à l’accusé à sa dernière adresse connue. J’estime que, même si cette RDI porte uniquement sur les mandats, une façon de faire semblable doit s’appliquer aux citations à comparaître. Une citation à comparaître ne serait pas livrée dans la boîte à lettres sûre d’une personne (adresse des parents de la demandeure d’asile associée), mais à la dernière adresse connue de la personne recherchée. J’estime que l’adresse du demandeur d’asile principal aurait dû figurer sur la citation à comparaître, et non celle de ses beaux‑parents. Cela aurait dû être l’endroit où vivrait le demandeur d’asile principal s’il n’avait pas fui […]

Deuxièmement, même si cette prétendue citation à comparaître avait été délivrée [avant que les demandeurs d’asile remplissent leurs FRP], les demandeurs d’asile ont omis de le dire dans leurs FRP. […] Il s’agit d’une omission importante.

Les demandeurs d’asile auraient dû être au courant de la citation à comparaître, si celle‑ci avait réellement été délivrée. Selon le témoignage des demandeurs d’asile, la mère de la demandeure d’asile associée vivait à l’endroit où la citation à comparaître a été envoyée. La mère communiquait par téléphone et Skype avec la demandeure d’asile associée pendant qu’ils voyageaient à destination du Canada et communique également avec cette dernière depuis son arrivée ici au Canada […].

La mère de la demandeure d’asile associée était certainement au courant de la citation à comparaître, du fait que les demandeurs d’asile ont dit lors de leur témoignage que la mère l’aurait confiée à un autre membre de la parenté après son déménagement […]. Ce membre de la parenté, à qui aurait été confiée la citation à comparaître, l’a finalement numérisée et envoyée au Canada à temps pour l’audience relative à la demande d’asile.

J’ai posé de nombreuses questions aux demandeurs d’asile pour comprendre comment pouvaient‑ils ne pas être au courant de la délivrance de la citation à comparaître au moment du dépôt de leurs FRP, s’il y en avait une qui avait été délivrée. Le demandeur d’asile principal a affirmé que, après son arrivée au Canada, il n’avait pas parlé à la mère de la demandeure d’asile associée et qu’il avait uniquement parlé à ses propres parents. Même si c’était vrai, j’estime que les parents mêmes du demandeur d’asile principal lui auraient parlé de la citation à comparaître. Lors de son témoignage, le demandeur d’asile principal a dit que ses parents et ceux de la demandeure d’asile associée ne sont pas des amis proches, mais qu’ils se montrent cordiaux les uns envers les autres. Les deux familles vivent dans la même ville […] [J’]estime incroyable que les membres de la famille de la demandeure d’asile associée n’aient pas communiqué avec les parents du demandeur d’asile principal pour leur parler de la grave situation à laquelle leur fils est exposé […]. Il s’agit d’une information essentielle non seulement pour l’audience relative à la demande d’asile des demandeurs d’asile, mais également pour la vie même de ceux‑ci s’ils devaient retourner […].

Je tire une conclusion défavorable quant à l’authenticité de cette citation à comparaître. Si cette citation à comparaître existait, il n’est pas crédible que les parents mêmes du demandeur d’asile principal ne lui en aient pas parlé.

La demandeure d’asile associée a insisté pour dire que sa mère ne lui en avait pas parlé du fait qu’elle, la demandeure d’asile associée, était aussi traumatisée. Elle avait dit à sa mère de ne pas lui dire quoi que ce soit; sa mère devait seulement l’écouter pleurer. Je trouve cette explication dépourvue de sens. La mère se trouvait [chez elle] pendant que son époux ainsi que la sœur de la demandeure d’asile associée et l’époux de la sœur, la demandeure d’asile associée et le demandeur d’asile principal se trouvaient [dans d’autres pays], tentant de sortir de prison et tentant de se voir accorder la qualité de réfugié au sens de la Convention dans l’un ou l’autre de ces pays. J’estime que, dans ces circonstances, il n’est tout simplement pas crédible que cette mère et épouse, investie d’une responsabilité aussi incroyable, à savoir d’obtenir des documents et toute autre chose nécessaire à sa famille dans une situation aussi précaire, ait cédé aux prétendues insistances de sa fille qui refusait de recevoir de l’information importante lors de toutes leurs communications.

Lorsqu’on communique avec une personne, il y a des moments pour fondre en larmes et d’autres pour recevoir du réconfort. Il y a également des moments où une personne doit transmettre une information d’une importance primordiale à ses enfants devenus adultes, si cette personne a potentiellement la chance de sauver leur vie. Le fait que cette information d’une importance primordiale n’ait été transmise aux demandeurs d’asile qu’un certain temps après le dépôt des FRP [des mois] après la prétendue délivrance de la citation à comparaître, vient renforcer ma conclusion selon laquelle il s’agit d’un document frauduleux qui n’a jamais été délivré par le gouvernement de […].

[Renvois omis.]

[70]           La Commission conclut que le témoignage de la demanderesse selon lequel sa mère n’a pas informé son mari de l’existence de la citation à comparaître parce qu’elle était à tel point traumatisée qu’elle était devenue « inepte », mais une fois encore, la Commission ne tient pas compte de la preuve médicale importante sur l’état de santé de la demanderesse qui explique pourquoi cette explication pourrait ne pas être dépourvue de sens.

[71]           La conclusion selon laquelle la mère de la demanderesse aurait informé la mère d’AB de la citation à comparaître constitue une supposition.

[72]           À mon avis, la Commission semble avoir une opinion erronée de ce que la preuve médicale nous dit sur l’aptitude des demandeurs d’évoquer des événements du passé alors qu’ils vivent le stress de témoigner à l’audition de leur demande d’asile. Au paragraphe 23 de la décision, la Commission affirme que la « documentation sur les traumatismes produite en l’espèce n’appuie pas l’affirmation selon laquelle les personnes traumatisées peuvent mentir ou ne peuvent pas se souvenir d’événements qui ne sont pas liés à leur traumatisme » [renvois omis]. L’élément de preuve cité à l’appui de cette affirmation est la « pièce 5.1, p. 206‑207 » du Dossier certifié du tribunal (DCT) mais, comme l’avocat du défendeur l’a souligné à l’audience, ce renvoi ne se rapporte pas à la question médicale. Je ne trouve rien dans le dossier pour étayer la conclusion de la Commission et beaucoup pour me laisser croire qu’elle est incorrecte. Par exemple, la preuve sur le SSPT et le rappel traumatique, à la p. 390 du DCT, indique ceci :

[traduction] Le rappel de souvenirs traumatisants liés au SSPT a été accompagné par une perte de mémoire sur des détails secondaires, lesquels sont nécessaires à la formation d’une reconstruction détaillée et fidèle d’un événement traumatisant (Herlihy, Scragg et Turner, 2002).* Selon une étude prospective intéressante réalisée par Yovel et ses collaborateurs (2003), des trous de mémoire persistants, « constants, circonscrits et stables » (p. 684) et limités à de brefs moments liés aux moments les plus horrifiants de l’insulte ou de l’agression sont courants chez de nombreuses victimes de traumatismes. En conséquence, des trous de mémoire brefs et circonscrits n’empêchent pas la production d’un récit relativement complet, cohérent et personnellement significatif du traumatisme. Toutefois, les survivants d’un traumatisme qui en viennent à présenter des symptômes du SSPT après 30 jours souffrent de pertes de mémoire qui prennent une ampleur dépassant largement les perceptions traumatisantes les plus horrifiantes. Les chercheurs concluent que la perte de mémoire associée au SSPT est progressive et persistante. Les récits des traumatismes ayant causé le SSPT étaient souvent dénués de séquence chronologique, ils étaient vagues et diffus quant à la somme des détails fournis sur le traumatisme et imprégnés d’un grand degré de culpabilité du survivant. Par exemple, au jour 120, un participant qui en est venu à présenter plus tard des symptômes du SSPT avait de la difficulté à reconnaître et à se remémorer des détails traumatisants accessoires dont il s’était souvenu plus tôt, malgré des encouragements vigoureux. Bien qu’une certaine perte des détails accessoires des éléments les plus horrifiants d’un événement traumatisant soit normale, la perte progressive et élargie de mémoire des détails semble associée à l’expression des symptômes du SSPT.

[73]           La Commission accepte sans réserve la preuve médicale sur le traumatisme (« je ne doute aucunement que les demandeurs d’asile souffrent du SSPT », Décision, au paragraphe 18) et le fait que la demanderesse était une « personne vulnérable ». La Commission s’est en effet appuyée sur cette preuve pour décider de ne pas interroger les demandeurs sur le traitement que leur ont fait subir directement les autorités de l’État et qui a provoqué leur fuite vers le Canada. Pourtant, la preuve médicale ne se voit pas accorder le même poids, en supposant qu’un poids lui ait été accordé, lors de l’examen des demandes d’asile des membres de la famille de CD et de la citation à comparaître. Par exemple, au paragraphe 40 de la décision, la Commission se fie au fait que AB « a signalé [à son médecin] qu’il perçoit personnellement sa mémoire comme étant bonne » [renvoi omis], mais elle néglige de mentionner et de peser l’avis du médecin selon lequel AB semble minimiser ses difficultés.

[74]           Ma conclusion générale est que, selon la preuve dont disposait la Commission, les raisons et les motifs qu’elle a fournis n’étayent pas de façon raisonnable une conclusion générale défavorable sur la crédibilité, dans la mesure où les demandeurs n’ont jamais été interrogés sur les expériences vécues qui les ont poussés à quitter leur pays d’origine et à demander l’asile au Canada.

[75]           Les demandeurs ont proposé, dans l’éventualité d’une issue défavorable, des questions à certifier que je n’ai pas besoin d’examiner. Le défendeur a fait valoir que la décision est essentiellement fondée sur des faits et ne soulève aucune question d’importance générale. Je suis d’accord.

[76]           Le défendeur a aussi souligné que les demandeurs ont mal identifié le défendeur à différents endroits dans leurs documents. Les demandeurs reconnaissent leur erreur et conviennent que le défendeur est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada et que leurs documents devraient être modifiés en conséquence.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.                 La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre membre de la Commission, pour nouvel examen.

2.                 Il n’y a aucune question à certifier.

3.                 Les documents des demandeurs sont par la présente modifiés de façon à indiquer que le défendeur est le « ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ».

« James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7691‑13

 

INTITULÉ :

AB, CD, EF c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 JUILLET 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 SEPTEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS

Lesley E. Stalker

Carolyn McCool

 

POUR LES DEMANDEURS

Timothy E. Fairgrieve

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Lesley Stalker et Carolyn McCool

Avocates

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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