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Date : 20141120


Dossier : IMM-5101-13

Référence : 2014 CF 1097

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 20 novembre 2014

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

JABOR NAZARI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demande d’asile de Jabor Nazari a été rejetée pour des raisons de crédibilité. La Commission n’a pas cru que M. Nazari avait une crainte fondée d’être persécuté en Afghanistan en raison de son implication dans la mort d’un trafiquant de drogue afghan qui est survenue en Grèce pendant que M. Nazari lui‑même vivait en Grèce.  

[2]               Dans son mémoire des faits et du droit, M. Nazari soutient que la Commission a commis une erreur dans l’évaluation de sa crédibilité en s’attachant à des incohérences mineures relevées dans ses éléments de preuve au lieu d’examiner sa preuve dans son ensemble. Cependant, je ne pense pas que la Commission a commis cette erreur.  

[3]               M. Nazari a soulevé de nombreux autres arguments à l’audition de sa demande. Non seulement il n’était pas juste vis‑à‑vis du défendeur de soulever de nouveaux arguments à l’audience, mais, comme nous l’expliquerons, ces arguments étaient ou bien douteux ou bien n’étaient pas étayés par la preuve.

[4]               En conséquence, la demande de M. Nazari est rejetée.

I.                   Contexte

[5]               M. Nazari est un citoyen afghan qui a vécu plusieurs années en Grèce. Durant son séjour dans ce pays, M. Nazari aurait travaillé comme interprète pour le service de police et le bureau du procureur à Patra. M. Nazari déclare qu’en raison de son travail, il était bien connu des réfugiés afghans qui trafiquaient de la drogue en Grèce. M. Nazari déclare aussi qu’il est en quelque sorte devenu un personnage public, paraissant à la télévision lorsque des journalistes couvraient des scènes de crime et interrogeant des témoins.

[6]               D’après M. Nazari, nombre d’Afghans vivant en Grèce étaient impliqués dans le trafic de drogue, dont Amir Ali, un de ses cousins éloignés. Amir a vraisemblablement trouvé la mort lors d’une descente antidrogue en 2011, et M. Nazari prétend que certains membres de la famille d’Amir vivant en Grèce se sont mis à lui faire des menaces et à l’accuser d’avoir informé la police qu’Amir trafiquait de la drogue.

[7]               M. Nazari soutient aussi que des membres de la famille d’Amir en Afghanistan ont fait des menaces à des membres de sa propre famille qui vivaient toujours en Afghanistan, et que sa famille a dû s’enfuir au Pakistan pour se mettre en sécurité. M. Nazari déclare qu’il serait lui‑même attaqué par les membres de la famille d’Amir s’il retournait en Afghanistan.

II.                Les nouveaux arguments de M. Nazari

[8]               Comme nous l’avons mentionné, M. Nazari a avancé plusieurs nouveaux arguments à l’audition de sa demande, dont aucun n’avait été mentionné dans son mémoire des faits et du droit. Pour les motifs qui suivent, je n’accorde aucune valeur à ces arguments.

                     M. Nazari prétend que la Commission n’a pas convenablement tenu compte de son état de santé. Toutefois, aucun élément de preuve dont disposait la Commission n’établissait que M. Nazari souffrait d’un problème de santé qui risquait de nuire à sa capacité de témoigner, et M. Nazari l’avait d’ailleurs précisément nié.

                     M. Nazari prétend que la Commission l’a privé d’une audience équitable en l’interrompant constamment et en l’empêchant ainsi de raconter toute son histoire. Cette affirmation générale a été formulée par le conseil, qui n’a donné aucun exemple précis. Cette allégation ne figure pas non plus dans la transcription. Et dans son affidavit, M. Nazari ne fait état d’aucun élément de preuve qu’il aurait pu fournir à la Commission pour étayer son allégation si la Commission lui en avait donné la possibilité.

                     M. Nazari allègue l’incompétence du conseil qui l’a représenté devant la Commission. Non seulement M. Nazari n’a pas soulevé cet argument dans son mémoire des faits et du droit, mais il a omis de se conformer au Protocole procédural concernant les allégations formulées contre les avocats dans les instances d’immigration. Plus précisément, M. Nazari n’a présenté aucun élément de preuve établissant qu’il avait mis son premier conseil au fait de ces allégations ou encore qu’il avait déposé une plainte contre lui auprès du Barreau du Haut‑Canada.

                     M. Nazari allègue aussi que l’interprétation de son témoignage était inadéquate. La jurisprudence de la Cour fédérale a toutefois établi que les préoccupations concernant l’interprétation doivent être signalées le plus tôt possible (Mohammadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 C.A.F. 191, au paragraphe 19, [2001] 4 R.C.F. 85). Le nouveau conseil de M. Nazari a avisé la Cour que le conseil précédent parlait le persan dari, la langue de M. Nazari. Comme ce premier conseil parlait aussi l’anglais, il aurait été en mesure de déterminer si le témoignage de M. Nazari était correctement interprété. Mais ni M. Nazari ni son conseil n’ont exprimé de préoccupation à l’audition de la demande d’asile quant à la qualité de l’interprétation. En outre, la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve qui appuie l’allégation selon laquelle la qualité de l’interprétation était médiocre.

III.             Le caractère raisonnable de l’appréciation de la crédibilité

[9]               La Commission a tenu pour avéré qu’un trafiquant de drogue est mort en Grèce au milieu de 2011, mais elle n’a pas cru que cette mort avait un quelconque rapport avec M. Nazari. Pour conclure au manque de crédibilité, la Commission s’est fondée dans une grande mesure sur les incohérences de l’exposé que lui a fait M. Nazari au sujet des événements entourant la mort du trafiquant de drogue. Contrairement à ce qu’a affirmé le conseil, ce qui s’est passé en Grèce était non seulement lié à la demande de M. Nazari, mais y était central, étant donné que le risque auquel M. Nazari prétend être exposé en Afghanistan découlerait directement des événements qui se seraient produits en Grèce.

[10]           Il était raisonnable pour la Commission de se préoccuper des incohérences relevées dans la preuve de M. Nazari. La Cour examine habituellement la cohérence des éléments de preuve d’un demandeur pour évaluer si son récit est crédible, et il ne lui est pas déraisonnable de le faire.

[11]           Cherchant à expliquer les incohérences relevées dans le récit de M. Nazari, le conseil a tout bonnement invoqué les différences culturelles entre les cultures occidentale et afghane quant à l’importance que revêtent les dates. Les « différences culturelles » sont fréquemment invoquées pour expliquer les incohérences d’un récit. Mais il ne suffit généralement pas d’affirmer tout bonnement qu’il existe pareilles différences. Si un demandeur veut se fonder sur des différences culturelles pour expliquer sa conduite ou son témoignage, il doit alors fournir des éléments de preuve précis de l’existence des pratiques ou normes culturelles auxquelles il se reporte.

[12]           M. Nazari affirme également que les motifs de la Commission sont inadéquats parce qu’ils ne reprennent pas précisément son allégation qu’il a dû s’enfuir au Pakistan. La Commission est toutefois présumée avoir soupesé et examiné tous les éléments de preuve dont elle disposait (Florea c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598, au paragraphe 1 (C.A.F.). En outre, « on ne s’attend pas à de la perfection ». La Commission n’a pas à reprendre tous les éléments de preuve et les arguments dans ses motifs et n’est pas tenue de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement qui a mené à sa conclusion finale (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 14 à 18, [2011] 3 RCS 708.

[13]           M. Nazari a particulièrement contesté la conclusion de la Commission selon laquelle son exposé renfermait une contradiction ayant trait à la date de la descente antidrogue. M. Nazari avait déclaré que la descente avait eu lieu le 16 juin 2011 tandis que la version anglaise d’une lettre rédigée en grec par un avocat en Grèce mentionnait que la descente avait eu lieu le 16 juillet 2011. Selon la transcription, lorsque la Commission a relevé cette contradiction manifeste à l’audience, le conseil de M. Nazari a déclaré qu’il avait remarqué cette différence entre les dates avant l’audience et qu’il y avait attiré l’attention de M. Nazari avant l’audience, lequel avait répondu qu’il s’agissait d’une erreur.

[14]           M. Nazari a ajouté à sa demande de nouveaux éléments de preuve émanant de la personne qui avait traduit du grec à l’anglais la lettre de l’avocat. Cet élément de preuve confirme que le traducteur a fait une erreur et que la lettre originale précisait que la descente avait eu lieu le 16 juin  et non le 16 juillet 2011. M. Nazari fait valoir qu’il n’y avait donc pas de contradiction à cet égard.

[15]           Même si j’accepte pour avéré que la traduction était erronée, la Commission a de nombreux autres motifs de ne pas croire le récit de M. Nazari, et il n’a pas été prouvé que ces motifs étaient déraisonnables. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Je conviens avec le conseil que l’affaire ne soulève aucune question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.  

« Anne L. Mactavish»

Juge

Traduction certifiée conforme

Marie-Michèle Chidiac, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5101-13

INTITULÉ :

JABOR NAZARI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 NOVEMBRE 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

lA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :

LE 20 NOVEMBRE 2014

COMPARUTIONS :

Kirk J. Cooper

POUR LE DEMANDEUR

John Loncar

pOUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rodney L.H. Woolf

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pOUR LE DÉFENDEUR

 

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