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Date : 20141105


Dossier : T-1625-12

Référence : 2014 CF 1047

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 novembre 2014

En présence de madame la juge Strickland

ACTION RÉELLE ET PERSONNELLE EN MATIÈRE D’AMIRAUTÉ

INTENTÉE CONTRE LE NAVIRE À VOILES « AESTIVAL »

ENTRE :

0871768 B.C. LTD.

demanderesse

et

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES

PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE

NAVIRE À VOILES « AESTIVAL », LE NAVIRE À VOILES « AESTIVAL »,

ISLAND-SEA MARINE LTD.,

KENNETH W. HIGGS,

EXECUTIVE YACHT SERVICES LTD.

ET MICHAEL GUY COLBECK,

FAISANT AFFFAIRE SOUS LE NOM

EXECUTIVE YACHT SERVICES ET/OU

EXECUTIVE YACHT SERVICES LTD.

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demanderesse, 0871768 B.C. Ltd., à titre de propriétaire du navire « Ain’t Life Grand », a présenté une requête en jugement sommaire en vertu du paragraphe 213(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), visant à ce qu’il soit ordonné à chacun des défendeurs d’acquitter des frais de réparation et d’inspection d’un montant de 42 765,74 $, plus les intérêts avant jugement sur ce montant, des dommages-intérêts pour la perte de jouissance du « Ain’t Life Grand » ainsi que les dépens. La demanderesse a par la suite modifié son avis de requête afin que l’affaire soit instruite par procès sommaire en vertu de l’article 216 des Règles.

Contexte et allégations

[2]               La demanderesse est la société propriétaire du « Ain’t Life Grand », un bateau à voile en fibre de verre de 49 pieds qui, à tout moment pertinent, était inscrit au port d’Iqaluit, au Nunavut, sous le numéro d’immatriculation 818884 (le Navire). Matt Nielsen (M. Nielsen) et Christopher Thody (M. Thody), administrateurs de la société demanderesse, sollicitent des dommages-intérêts pour perte de jouissance du Navire.

[3]                La défenderesse Island-Sea Marine Ltd. (Island-Sea) est propriétaire du navire à voiles à coque d’acier « Aestival », portant le numéro d’immatriculation 800992. Kenneth W. Higgs (M. Higgs) est président d’Island-Sea.

[4]               Le défendeur Michael Guy Colbeck (M. Colbeck) exploite une entreprise qui offre des services de réparation et d’entretien de navires et fait affaire sous le nom d’Executive Yacht Services (Executive Yacht). Il a été embauché par Island-Sea et/ou M. Higgs, en vue de la réalisation de travaux et de la prestation de services pour l’« Aestival ».

[5]               Le 26 juillet 2012 et aux environs de cette date, le Navire reposait sur des blocs à la marina de Lynnwood (la marina) à North Vancouver, en Colombie-Britannique. Fraser Fibreglass Ltd. (Fraser Fibreglass) avait peu avant réparé, repeint et poli le Navire, en raison d’un accident qu’il avait subi. Le Navire se trouvait aux côtés de l’« Aestival », lui aussi posé sur des blocs.

[6]               Le 26 juillet 2012, affirme la demanderesse, Philip O’Donoghue (M. O’Donoghue), l’un des propriétaires et un administrateur de Fraser Fibreglass, a été informé par son contremaître que des travaux de meulage étaient exécutés sur l’« Aestival ». M. O’Donoghue s’est rendu sans attendre au Navire, et il a pu observer M. Colbeck qui se tenait à babord avant de l’« Aestival » et qui supervisait des travaux de meulage effectués par M. Higgs. La demanderesse ajoute que M. O’Donoghue a vu un nuage de poussière et de débris provenant du meulage et qui, faute de boîtier plastique, de bâche ou de toute autre mesure préventive prise par les personnes à bord de l’« Aestival », allait se déposer sur le Navire.

[7]               La demanderesse soutient également que, le 27 juillet 2012, M. O’Donoghue a pu voir des employés de Executive Yacht qui sablaient les côtés supérieurs de la coque de l’« Aestival ». Il n’y avait toujours pas de boîtier de protection ni de bâche qui aurait empêché la propagation dans l’air de la poussière et des débris, venus à nouveau se déposer sur le Navire.

[8]               La demanderesse soutient que des débris de meulage et de sablage émanant des travaux exécutés sur l’« Aestival », notamment des particules de métal, de peinture et de rouille, se sont déposés sur le Navire, notamment les œuvres mortes, les ponts de fibre de verre, la coque, les accessoires en acier inoxydable et les voiles, et lui ont causé de ce fait des dommages.

[9]               Le 31 août 2012, la demanderesse a déposé une déclaration in rem contre le navire à voiles « Aestival » et in personam contre les autres défendeurs. En septembre 2012, on a procédé à la saisie de l’« Aestival ».

[10]           Le protonotaire Lafrenière a instruit une requête, présentée au nom d’Island-Sea, de M. Higgs et de l’« Aestival », sollicitant en vertu de l’article 488 des Règles une ordonnance ayant pour effet d’annuler la saisie. Le protonotaire a conclu par ordonnance datée du 13 novembre 2013 que, la demanderesse exerçant un droit d’action valable contre l’« Aestival », elle avait le droit de saisir ce navire en vertu du paragraphe 43(8) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7. Le protonotaire a également fixé à 58 000 $ le montant du cautionnement.

Historique de la procédure

[11]           Je vais maintenant exposer l’historique de la procédure entourant la présente requête en procès sommaire.

[12]           Le 8 août 2013, la demanderesse a déposé un avis de requête en jugement sommaire en vertu du paragraphe 213(1) des Règles. Au soutien de cette requête, elle a produit les affidavits suivants :

  • affidavit de Matt Nielsen souscrit le 7 août 2013 (affidavit #1 de M. Neilsen);
  • affidavit de Christopher Thody souscrit le 7 août 2013 (affidavit #1 de M. Thody);
  • affidavit de Philip O’Donoghue souscrit le 7 août 2013 (affidavit de M. O’Donoghue);
  • affidavit de F.I. Hopkinson souscrit le 6 août 2013 (affidavit #1 de M. Hopkinson);
  • affidavit # 1 de Kenneth Higgs souscrit le 22 avril 2013 et déjà produit, le 2 août 2013, au soutien de la requête en annulation de la saisie de l’« Aestival » (affidavit #1 de M. Higgs).

[13]           Par directive donnée le 9 janvier 2014, le juge en chef a fixé au 7 mai 2014 la date d’instruction de la requête en jugement sommaire et prévu des dates limites pour certaines étapes de la procédure, les dossiers de réponse devant ainsi être signifiés et déposés au plus tard le 25 mars 2014.

[14]           Le 20 mars 2014, on a déposé la transcription du contre-interrogatoire de Philip Oldham (M. Oldham) à l’égard de son affidavit.

[15]           Le 25 mars 2014, le défendeur Colbeck a déposé en réponse à la requête en jugement sommaire un dossier de requête renfermant les éléments de preuve suivants :

         affidavit de Michael Colbeck souscrit le 29 janvier 2014 (affidavit #1 de M. Colbeck);

         deuxième affidavit de Michael Colbeck souscrit le 15 février 2014 (affidavit #2 de M. Colbeck);

         affidavit de Philip Oldham souscrit le 30 janvier 2014;

         affidavit de Philip Maier souscrit le 16 août 2013;

         affidavit d’Arvin Pacris souscrit le 16 août 2013;

         affidavit de Shawn Albert souscrit le 30 octobre 2013;

         transcription du contre-interrogatoire de Philip O’Donoghue à l’égard de son affidavit;

         troisième affidavit de Kenneth Higgs souscrit le 25 mars 2014, en réponse à un interrogatoire écrit (affidavit #3 de M. Higgs).

[16]           Le 25 mars 2014, la demanderesse a tenté de déposer un dossier de requête supplémentaire, mais le greffe l’a informé qu’il lui faudrait en obtenir l’autorisation, puisque le juge en chef n’avait pas fait mention du document dans sa directive. La demanderesse a présenté une demande d’autorisation le 27 mars 2014 et, le 10 avril 2014, le protonotaire Lafrenière a ordonné qu’on procède au dépôt du dossier de requête supplémentaire. Ce dossier de requête renfermait les éléments suivants :

  • deuxième affidavit de F.I. Hopkinson souscrit le 24 février 2014 (affidavit #2 de M. Hopkinson);
  • deuxième affidavit de Matt Neilsen souscrit le 8 mars 2014 (affidavit #2 de M. Neilsen);
  • deuxième affidavit de Christopher Thody souscrit le 21 mars 2014 (affidavit #2 de M. Thody);
  • un disque de copies numériques des photographies figurant à la pièce A et à la pièce B jointes à l’affidavit de M. O’Donoghue;
  • la copie agrandie d’une photographie figurant à la pièce A jointe à l’affidavit de M. O’Donoghue.

[17]           Le 25 mars 2014, la date limite prévue pour le dépôt, les défendeurs « Aestival », Island-Sea et Higgs (collectivement, les défendeurs Aestival) n’avaient toujours pas déposé de dossier de requête en réponse à la requête en jugement sommaire.

[18]           Le 25 mars 2014, les défendeurs Aestival ont plutôt présenté au greffe un dossier de requête qui comportait un avis de requête visant à opposer une requête en non‑lieu et/ou fondée sur l’absence de preuve à la requête en jugement sommaire. Ils demandaient des directives, subsidiairement, quant à la procédure à suivre ensuite lorsqu’est présentée une requête en non‑lieu et/ou fondée sur l’absence de preuve dans le cadre d’une requête en jugement sommaire.

[19]           Le 9 avril 2014, j’ai déclaré dans une directive que le concept de non‑lieu n’était pas compatible avec la présentation d’une requête en jugement sommaire et que, le 7 mai 2014, la requête en non‑lieu ne serait pas instruite. J’ai précisé que, si les défendeurs Aestival parvenaient à faire rejeter la requête en jugement sommaire en raison de l’existence d’une véritable question litigieuse, une requête en non-lieu pourrait alors être présentée après la clôture de la preuve de la demanderesse, lors du procès ou du procès sommaire. Aucune requête en non‑lieu n’a été déposée.

[20]           Le 22 avril 2014, une conférence de gestion d’instance a été tenue en vue de l’examen de la demande de dépôt d’un avis de requête modifié présentée par la demanderesse pour transformer sa requête en jugement sommaire en une requête en procès sommaire avec jugement, et de l’examen du défaut des défendeurs Aestival de déposer un dossier de requête en réponse à la requête en jugement sommaire. Ainsi, le même jour, le protonotaire Lafrenière a ordonné que la demanderesse soit autorisée à déposer l’avis de requête modifié et soit dispensée de l’obligation de signifier et déposer un dossier de requête modifié.

[21]           L’instruction de la présente affaire s’est déroulée le 7 mai 2014, à Vancouver. Lorsqu’a débuté l’audience, les défendeurs Aestival n’avaient toujours pas déposé de dossier de requête en réponse à la requête en jugement sommaire ou à la requête modifiée en procès sommaire.

[22]           Une fois les arguments de la demanderesse présentés à l’audience, l’avocat des défendeurs Aestival a exprimé l’intention de demander verbalement l’autorisation de présenter une requête en non‑lieu et de produire aux fins de cette requête des observations écrites et un cahier de jurisprudence et de doctrine. Par ailleurs, si la requête en non‑lieu devait être rejetée, il entendait alors déposer les observations ainsi que le recueil de jurisprudence et de doctrine aux fins du jugement sommaire des défendeurs Aestival, de même qu’un dossier de requête comportant un avis de requête au moyen duquel ces derniers solliciteraient :

1.   une ordonnance accordant aux défendeurs liés au navire l’autorisation de produire dans la présente instance l’affidavit de Ken Higgs souscrit le 22 avril;

2.   subsidiairement, une ordonnance prévoyant le dépôt d’autres affidavits en réponse à l’avis de requête modifié du 22 avril 2014 de la demanderesse, de manière conforme à l’article 214 des Règles des Cours fédérales;

3.   les dépens afférents à la présente requête;

4.   toute autre réparation que la Cour estime juste.

[23]           J’ai décidé que j’entendrais l’avocat des défendeurs Aestival et rendrais une seule décision traitant de toutes les questions exposées ci‑après.

Questions en litige

1.   Une requête en non‑lieu peut-elle être présentée?

2.   Le non‑lieu pourrait-il être accordé?

3.   Dans la négative, faut-il autoriser les défendeurs Aestival à présenter des éléments de preuve et des observations écrites en réponse à la requête en jugement sommaire, telle que modifiée en vue de constituer une requête en procès sommaire?

4.   L’affaire doit-elle être instruite par procès sommaire?

5.   Dans l’affirmative, la demande fondée sur la négligence de la demanderesse doit-elle être accueillie sur le fond et, le cas échéant, quel montant de dommages-intérêts est-il indiqué d’octroyer?

6.   La question des dépens.

QUESTION NO 1– Une requête en non‑lieu peut-elle être présentée?

[24]           À mon avis, la requête en non‑lieu des défendeurs Aestival ne peut être présentée.

[25]           L’article 359 des Règles prévoit que, sauf avec l’autorisation de la Cour, toute requête doit être présentée au moyen d’un avis de requête en la forme prescrite. En vertu du paragraphe 362(1), en outre, les avis de requête, accompagnés des affidavits requis, doivent être signifiés et déposés au moins trois jours avant la date d’audition de la requête indiquée dans l’avis. La Cour peut entendre la requête sur préavis de moins de trois jours lorsqu’il ne s’agit pas d’une requête ex parte, si toutes les parties y consentent, ou si le requérant convainc la Cour qu’il s’agit d’un cas d’urgence (paragraphe 362(2) des Règles).

[26]           En l’espèce, la Cour a déclaré qu’elle n’instruirait pas de requête en non‑lieu le 7 mai 2014. Les défendeurs Aestival font valoir qu’ils peuvent, de plein droit, présenter une requête en non‑lieu. De plus, la modification de la requête en jugement sommaire en une requête en procès sommaire, le 22 avril 2014, leur permettrait de présenter à nouveau la requête en non‑lieu; ils demandent donc à la Cour de se prononcer clairement sur ce point, compte tenu de la directive que j’ai donnée le 9 avril 2014.

[27]           Je ne suis pas d’accord pour dire que les défendeurs Aestival peuvent, de plein droit et sans préavis, présenter une requête en non‑lieu après la clôture de la preuve de la demanderesse relative au procès sommaire. C’est aux risques de la partie requérante, en effet, que sont mises de côté les dispositions des Règles sur la signification et le dépôt des requêtes.

[28]           Quant à ma directive antérieure du 9 avril 2014, je l’ai donnée alors qu’on avait encore affaire à une requête en jugement sommaire, et j’ai clairement déclaré que le concept de non‑lieu ne cadrait pas avec une telle requête et que, le 7 mai 2014, la requête en non‑lieu ne serait pas instruite. Pour ce qui est du reste de la directive, j’ai recouru à divers principes généraux pour tenter d’expliquer le refus de la Cour.

[29]           Avec le recul, la directive aurait peut‑être dû ne consister qu’en un refus d’instruire la requête en cause. Comme toutefois les défendeurs Aestival ont jugé la directive peu claire dans le contexte de la modification subséquente de la requête de la demanderesse en une requête en procès sommaire, il leur était loisible de demander des précisions à la Cour à tout moment avant la date limite prescrite pour le dépôt de l’avis de requête. Ils ne l’ont pas fait, ni n’ont tenté de déposer avant la date limite du 7 mai 2014, étant donné l’état modifié de l’instance, la requête en non‑lieu.

[30]           La question se pose aussi de savoir si la requête peut être instruite alors que les Règles ne renferment aucune disposition sur le non‑lieu. Tout en reconnaissant qu’il n’existe aucune règle portant précisément sur le non‑lieu, les défendeurs Aestival font valoir que la Cour conserve toujours le pouvoir inhérent de contrôler sa propre procédure, et peut rejeter une affaire dans les cas les plus clairs, quoi qu’il en soit des règles sur le jugement sommaire (Melina & Keith II (The) c Gerald’s Machine Shop Ltd, 1999 CanLII 8518 (CAF)). Les défendeurs Aestival soutiennent qu’une requête en non‑lieu s’apparente à une no evidence motion (requête fondée sur l’absence de preuve), au sens où l’entendent les Supreme Court Civil Rules de la Colombie-Britannique, BC Reg 168/2009 (les Règles de procédure civile – C-B). Ils reconnaissent également qu’il n’existe guère de jurisprudence sur ce point. Ils renvoient tout de même à une décision de la Cour canadienne de l’impôt (410812 Ontario Limited c La Reine, 2002 CanLII 11 (CCI) (410812 Ontario), où l’on a exposé des lignes directrices sur la procédure applicable aux non‑lieux dans le cadre d’appels en matière fiscale. Ils font de plus valoir que le non‑lieu est conforme à l’esprit et à l’objet des dispositions des Règles qui portent sur le jugement sommaire.

[31]           Pour répondre sur ce point, je relève que dans la décision Syndicat des travailleurs et des travailleuses des postes c Société canadienne des postes, 2011 CF 25, la Cour s’est penchée sur la possibilité, dans le cadre d’une procédure en outrage au tribunal, de présenter une requête en non‑lieu alors qu’une telle requête n’est pas expressément prévue dans les Règles. Après avoir examiné le peu de jurisprudence sur la question, la juge Bédard a conclu que rien n’empêchait une partie de présenter une telle requête.

[32]           La juge Bédard s’est ensuite tournée vers le critère applicable à une requête en non‑lieu :

[14]      Le concept du « non-lieu » est bien connu en droit civil et il est utile de s’inspirer des paramètres qui ont été élaborés. Les critères applicables à ce type de requête ont été bien définis par Sopinka, Lederman & Bryant, dans The Law of Evidence in Canada, 3e édition. Les auteurs définissent comme suit le concept d’une requête en non‑lieu :

[traduction]

On utilise toujours le terme « non‑lieu», mais relativement à la requête en jugement définitif que présente le défendeur au motif que le demandeur n'a établi aucune cause d'action contre lui.

[15]      Quant au rôle du juge saisi d’une requête en non‑lieu, les auteurs l’ont décrit comme suit, à la page 183 :

[traduction]

Lorsqu’il s’acquitte de cette fonction, le juge du procès ne décide pas s’il ajoute foi ou non à la preuve. Sa tâche consiste plutôt à déterminer s’il existe des éléments de preuve non contredits qui sont susceptibles de convaincre une personne raisonnable. Le juge du procès doit déterminer si le juge des faits pourrait raisonnablement donner gain de cause au demandeur s’il croyait la preuve présentée jusqu’à ce moment-là dans le procès. Le juge du procès ne décide pas si le juge des faits devrait accepter la preuve, mais plutôt si les éléments de preuve présentés permettraient de tirer l’inférence souhaitée par le demandeur, en supposant que le juge des faits choisisse de les accepter.

[16]      Le test applicable à une requête en non‑lieu et le fardeau imposé à la partie visée par la requête ont également été traités comme suit par la Cour d’appel de l’Ontario dans Calvin Forest Products Ltd. c Tembec, 208 O.A.C. 336, 147 A.C.W.S. (3d) 401 au para. 14 :

[traduction]

 [14]     Pour statuer sur une requête en non‑lieu, le juge du procès doit prendre en considération les faits les plus favorables parmi les éléments de preuve produits au procès, ainsi que les inférences à l’appui de ceux-ci. Pour faire échec à la requête de non‑lieu, le demandeur doit simplement démontrer qu’il existe des éléments de preuve qui, en supposant qu’ils soient acceptés, constitueraient la base d’une preuve prima facie. Or, une preuve prima facie n’est rien de plus qu’une preuve à laquelle le défendeur doit répondre (voir Hall v. Perberton (1974), 5 O.R. (2d) 438 (C.A. Ont.) et Ontario v. O.P.S.E.U. (1990), 37 O.A.C. 218, (Cour div. de l’Ont.), à la page 226).

[17]      Dans Prudential Securities Credit Corp. v Cobrand Foods Ltd., 2007 ONCA 425, 158 A.C.W.S. (3d) 792, au para. 35, la Cour d’appel de l’Ontario a précisé les principes qui doivent guider le juge saisi d’une requête en non‑lieu dans son appréciation de la preuve :

[traduction]

Lorsqu’il est saisi d’une requête en non‑lieu, le juge du procès mène un examen restreint. Son examen sera régi par deux principes pertinents. Premièrement, si un demandeur présente une preuve à l’appui de tous les éléments de sa prétention, le juge est tenu de rejeter la requête. Deuxièmement, au moment de déterminer si le demandeur a établi les faits de façon prima facie, le juge doit tenir pour acquis que la preuve fait foi de ce que le demandeur avance et il doit lui attribuer « le sens le plus favorable » dans le cas d’éléments de preuve pouvant mener à des inférences contradictoires. La Cour a traité ce dernier point dans Hall v. Perberton (1974), 5 O.R. (2d) 438 (C.A. de l’Ont.), à la page 438-0, où elle a cité Parfitt v. Lawless (1872), 41 L.J.P. & M. 68 (Eng. P.d.a.) aux pages 71-72.

[Italiques ajoutés.]

[33]           La juge Bédard a conclu que, pour pouvoir trancher la requête en non‑lieu, il lui fallait déterminer si le demandeur avait présenté une preuve prima facie à l’appui de chaque élément constitutif de l’outrage. La juge a estimé que le demandeur avait satisfait à ce fardeau.

[34]           Il semblerait sur ce fondement que, règle habituelle, bien que certains juristes mettent en cause l’utilité d’une telle requête (FL Receivables Trust 2002-A c Cobrand Foods Ltd, 2007 ONCA 425, aux paragraphes 13 et 14, le juge Laskin; John Sopinka et al, The Trial of an Action, 2e éd (Toronto : Butterworths Canada, 1999), 151 et 152), la Cour peut instruire une requête en non‑lieu même en l’absence de toute règle spécifique qui l’autorise. Dans l’affaire qui nous occupe, toutefois, la requête n’a pas été signifiée et déposée au moins trois jours avant l’audition de la requête, tel que le prescrit le paragraphe 362(1) des Règles. La requête en non-lieu est également présentée en l’espèce dans le cadre d’une requête en procès sommaire, et on n’a cité aucun précédent permettant de soutenir qu’il est possible – ou qu’il n’est pas possible – de présenter une requête en non‑lieu dans un tel contexte. La Cour a déjà déclaré que les décisions rendues par les tribunaux de la Colombie-Britannique au sujet des procès sommaires étaient instructives à ce titre (Louis Vuitton Malletier S.A. c Singga Enterprises (Canada) Inc, 2011 CF 776 [Louis Vuitton]; Teva Canada Limited c Wyeth LLC et Pfizer Canada Inc, 2011 CF 1169, aux paragraphes 28 et 29 [Teva Canada]). Je ferai toutefois remarquer que les Règles de procédure civile – C-B invoquées par les défendeurs Aestival au soutien de leur thèse traitent à la règle 9-7 des requêtes en procès sommaire. Or, la partie 12 des Règles de procédure civile – C-B porte sur les procès et la règle 12-5(1), qui prévoit les règles de procédure et de preuve applicables au procès, précise que la règle 12-5 ne s’applique pas aux procès sommaires visés à la règle 9-7, sauf dans la mesure où celle‑ci le prévoit; aucune mention n’est faite des requêtes fondées sur l’absence de preuve (règle 12-5(4)) ou fondées sur l’insuffisance de preuve (règle 12-5(6)). Ainsi, lors d’un procès sommaire instruit en conformité avec les Règles de procédure civile – C-B, il ne serait pas permis de présenter une requête fondée sur l’absence de preuve ou fondée sur l’insuffisance de preuve.

[35]           Dans ces conditions, je n’accorde pas l’autorisation de procéder à l’instruction, à court préavis, de la requête en non‑lieu. Bien que la Cour fédérale puisse instruire des requêtes en non‑lieu dans le cadre de procès, j’ai certains doutes quant à savoir si, compte tenu de ce qui précède, de telles requêtes sont indiquées dans le cas d’un procès sommaire. Je n’ai toutefois pas à me prononcer sur la question puisque, pour les motifs exposés plus loin, la requête en non‑lieu ne serait pas accueillie de toute manière dans la présente affaire.

QUESTION NO 2 – Le non‑lieu pourrait-il être accordé?

[36]           Même si les défendeurs Aestival avaient présenté leur requête en non‑lieu en temps opportun et si celle‑ci était appropriée dans le cadre d’un procès sommaire, cette requête ne serait pas accueillie dans les circonstances de l’espèce. La demanderesse a en effet produit des éléments de preuve qui, en supposant qu’on y prête foi, constitueraient la base d’une preuve prima facie.

[37]           On l’a autrement formulé comme suit dans Brooks-Martin c Martin, 2010 BCSC 1708 :

[traduction]

[5]        Le critère juridique à respecter par un défendeur présentant une requête en non‑lieu a été énoncé de nombreuses manières par bien des tribunaux différents. Je le formulerais pour ma part comme suit, en me fondant sur la jurisprudence : pour que sa requête en non‑lieu soit accueillie, le défendeur doit convaincre la cour qu’aucune preuve n’est susceptible d’établir les éléments essentiels de la cause d’action alléguée contre lui. La cour ne doit pas évaluer la preuve ni tenter de tirer une conclusion de fait ou d’apprécier la crédibilité. Plutôt, si une inférence essentielle à la preuve à établir par le demandeur n’est que « pure hypothèse », la requête en « non‑lieu » du défendeur devrait être accueillie. Voir Fenton c Baldo 2001 BCCA 95, aux paragraphes 25 et 26; Seiler c Mutual Fire Insurance Co. 2003 BCCA 696, au paragraphe 12; Craigdarloch Holdings Ltd., aux paragraphes 14 et 30; Tran c Kim Le Holdings Ltd. 2010 BCCA 156, au paragraphe 2.

[38]           Le seul fondement de la requête en non‑lieu invoqué par les défendeurs Aestival est l’absence alléguée de lien de causalité entre les travaux de meulage et de sablage effectués sur l’« Aestival » et les prétendus dommages subis par le Navire. Les défendeurs Aestival affirment que, pour établir un tel lien, il faut prouver que les débris de meulage sont liés à l’« Aestival » ainsi qu’à leurs actions. Selon eux, il n’existe tout simplement aucune preuve, factuelle ou d’expert, d’un tel lien.

[39]           Tel qu’on le verra en examinant plus en détail la demande de la demanderesse, toutefois, il existe bien une preuve factuelle d’un tel lien. Pour les besoins de la requête en non‑lieu demandée, il suffit de mentionner les éléments suivants pour conclure à l’existence d’une certaine preuve de causalité :

i)       M. O’Donoghue déclare dans son affidavit que le 26 juillet 2012, alors qu’il s’approchait du Navire et de l’« Aestival », il a pu voir que sur celui‑ci se trouvaient MM Colbeck et Higgs (au paragraphe 11). M. Colbeck se tenait à bâbord avant de l’« Aestival » et il supervisait des travaux de meulage (au paragraphe 13). M. O’Donoghue a vu un nuage de poussière en suspension dans l’air, entre les deux navires, et de la poussière et des débris qui se déposaient sur le Navire (au paragraphe 14). Pendant un échange subséquent au sujet du meulage, M. O’Donoghue a pu observer que des débris de meulage continuaient de se déposer sur le Navire (au paragraphe 18). Il est allé chercher son appareil photo et il a pu constater, à son retour, que les travaux se poursuivaient toujours sur l’« Aestival » et que de la poussière de meulage et des débris continuaient d’émaner de l’« Aestival » et de se déposer sur le Navire (au paragraphe 22). M. O’Donoghue est alors monté sur le Navire, où il a immédiatement constaté que le pont était couvert de débris de sablage et de meulage (au paragraphe 24). Il a pris des photographies, jointes comme pièces à son affidavit. Le lendemain, M. O’Donoghue a vu des employés de la société Executive Yacht qui sablaient les côtés supérieurs de la coque de l’« Aestival », tandis que de la poussière et des débris émanant de celui‑ci se déposaient toujours sur le Navire (aux paragraphes 29 et 30). Le 28 juillet 2012, M. O’Donoghue a mené une inspection de la coque et du pont du Navire, et il s’est rendu compte que des débris de meulage avaient endommagé l’enduit gélifié du pont. Le pont était couvert de débris contenant des particules d’acier et de peinture antisalissures noire qui avaient taché son fini gélifié. M. O’Donoghue a donné des précisions sur les autres dommages observés et il a aussi pris de nouvelles photographies, qui sont jointes à titre de pièces à son affidavit (aux paragraphes 33 à 35).

ii)      M. Higgs confirme dans son affidavit #1 que, le 26 juillet 2012, il était à bord de l’« Aestival » (au paragraphe 4) et qu’il a utilisé une meuleuse manuelle pendant 11 minutes pour un ajustement de la coque, en faisant en sorte que le plat‑bord en teck se raccorde correctement à sa partie supérieure, faite d’acier (au paragraphe 6). Il confirme aussi que M. Colbeck a omis de mettre l’aire de travail sous bâche, tel que requis (au paragraphe 10). M. Higgs a déclaré croire que les dommages prétendument subis par le Navire, qui n’avaient pas endommagé la surface, découlaient des actions de M. Colbeck (au paragraphe 14).

iii)     Il est déclaré dans le rapport de l’expert maritime Oldham, établi pour le compte de M. Colbeck, que les particules d’acier provenant du meulage vont, de manière inesthétique, s’incruster dans l’enduit gélifié en fibre de verre et s’y oxyder.

[40]           Ainsi, la demanderesse a présenté certains éléments de preuve et elle a établi prima facie l’existence d’un lien de causalité, la seule composante de la négligence dont les défendeurs Aestival ont contesté l’existence dans les observations qu’ils ont présentées relativement à la requête en non‑lieu.

[41]           Les défendeurs Aestival ont aussi laissé entendre que le lien de causalité ne peut être établi sans recours à une preuve d’expert. La demanderesse soutient pour sa part qu’aucune preuve d’expert n’est requise pour la question de la causalité. Elle invoque à cet égard l’arrêt R c Burns, [1994] 1 RCS 656, à la page 666, où la Cour suprême a conclu qu’en règle générale, le témoignage d’expert est recevable pour donner à la cour des renseignements scientifiques qui, selon toute vraisemblance, dépassent l’expérience et la connaissance d’un juge ou d’un jury; elle cite également R c Mohan [1994] 2 RCS 9 (Mohan).

[42]           Dans l’arrêt Mohan, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit :

b) La nécessité d’aider le juge des faits

[21]      Dans l'arrêt R. c. Abbey, précité, le juge Dickson, plus tard Juge en chef, a dit à la p. 42 :

Quant aux questions qui exigent des connaissances particulières, un expert dans le domaine peut tirer des conclusions et exprimer son avis. Le rôle d'un expert est précisément de fournir au juge et au jury une conclusion toute faite que ces derniers, en raison de la technicité des faits, sont incapables de formuler.  [traduction] « L'opinion d'un expert est recevable pour donner à la cour des renseignements scientifiques qui, selon toute vraisemblance, dépassent l'expérience et la connaissance d'un juge ou d'un jury.  Si, à partir des faits établis par la preuve, un juge ou un jury peut à lui seul tirer ses propres conclusions, alors l'opinion de l'expert n'est pas nécessaire » (Turner (1974), 60 Crim. App. R. 80, à la p. 83, le lord juge Lawton)

[22]      Cette condition préalable est fréquemment reprise dans la question de savoir si la preuve serait utile au juge des faits.  Le mot « utile » n'est pas tout à fait juste car il établit un seuil trop bas.  Toutefois, je ne jugerais pas la nécessité selon une norme trop stricte.  L'exigence est que l'opinion soit nécessaire au sens qu'elle fournit des renseignements « qui, selon toute vraisemblance, dépassent l'expérience et la connaissance d'un juge ou d'un jury » : cité par le juge Dickson, dans Abbey, précité.  Comme le juge Dickson l'a dit, la preuve doit être nécessaire pour permettre au juge des faits d'apprécier les questions en litige étant donné leur nature technique.  Dans l'arrêt Kelliher (Village of) c. Smith, [1931] R.C.S. 672, à la p. 684, notre Cour, citant Beven on Negligence (4e éd. 1928) à la p. 141, a déclaré que la preuve d'expert était admissible si [traduction] « l'objet de l'analyse est tel qu'il est peu probable que des personnes ordinaires puissent former un jugement juste à cet égard sans l'assistance de personnes possédant des connaissances spéciales ».  Plus récemment, dans l'arrêt R. c. Lavallee, précité, les passages précités des arrêts Kelliher et Abbey ont été appliqués pour admettre une preuve d'expert sur l'état d'esprit d'une femme « battue ».  On a souligné qu'il s'agissait là d'un domaine que la personne ordinaire ne comprend pas.

[43]           J’estime comme la demanderesse que dans la présente affaire, où un témoin oculaire témoigne du fait que des travaux de meulage et de sablage ont été effectués sur l’« Aestival » et qu’il a vu de la poussière et des débris occasionnés par ces travaux se déposer sur le Navire, et où, selon le propre témoignage de l’expert maritime des défendeurs Aestival, les particules d’acier provenant du meulage vont, de manière inesthétique, s’incruster dans l’enduit gélifié, il n’est pas nécessaire de recourir à une preuve d’expert pour établir le lien de causalité prima facie requis pour les besoins de la requête en non‑lieu demandée.

[44]           La requête en non‑lieu n’aurait pas été accueillie, compte tenu de ce qui précède, même si autorisation avait été donnée de la présenter.

QUESTION NO 3 – Faut-il autoriser les défendeurs Aestival à présenter des éléments de preuve et des observations écrites en réponse à la requête en jugement sommaire, modifiée en vue de constituer une requête en procès sommaire?

[45]           Il se peut que les règles relatives au non‑lieu exigent que, lorsqu’un défendeur introduit une requête en non‑lieu après que le demandeur a présenté sa preuve, il doive choisir s’il veut ou non produire une preuve. Si le défendeur choisit de produire une preuve, il n’est habituellement pas statué sur la requête en non‑lieu avant que cette preuve soit close. Si le défendeur fait le choix contraire, la requête en non‑lieu peut immédiatement être tranchée et le défendeur perd le droit de présenter une preuve.

[46]           C’est sur cette procédure que la Cour de l’impôt s’est penchée dans 410812 Ontario, précitée (au paragraphe 34). La Cour de l’impôt a déclaré que, lorsqu’une partie demandait le non‑lieu, son avocat devait être tenu de décider de présenter ou non une preuve avant que la Cour ne statue sur la requête. Si l’avocat décide de présenter une preuve, le juge devrait mettre la requête en délibéré jusqu’à ce que tous les éléments de preuve aient été produits. Si l’avocat choisit de ne pas présenter de preuve, la Cour devrait statuer immédiatement sur la requête en non‑lieu. Si le juge rejette la requête au motif que certains éléments de preuve étayent la cause de l’appelant (la demanderesse dans notre affaire), il devrait en résulter deux choses : (i) l’avocat qui a présenté la requête en non‑lieu devrait être lié par son choix et ne devrait pas, après le rejet de sa requête, avoir le droit de se soustraire à ce choix et de présenter une preuve, et (ii) l’avocat devrait alors avoir le droit de soutenir que, même si le juge a conclu que certains éléments de preuve étayaient la cause de l’appelant (ou de toute autre partie ayant le fardeau de preuve), la preuve ne suffit pas à satisfaire à ce fardeau. C’est là la distinction entre l’absence de preuve – une question de droit – et l’insuffisance de la preuve – une question de fait.

[47]           En l’espèce, bien qu’il y ait eu une requête en jugement sommaire, modifiée en vue de constituer une requête en procès sommaire, les défendeurs Aestival n’ont pas présenté de preuve en réponse sous la forme d’un dossier de réponse, aux termes du paragraphe 213(4) des Règles. Devant moi et dans leurs observations écrites relatives au non‑lieu, ils ont déclaré croire que, si leur requête en non‑lieu était rejetée, il leur serait loisible de produire des affidavits supplémentaires en réponse à la requête en procès sommaire modifiée quant à l’existence d’une véritable question litigieuse. À cet effet, ils estiment que la requête en procès sommaire devrait être ajournée, étant donné la modification tardive de l’avis de requête de la demanderesse.

[48]           J’ai refusé d’accorder l’ajournement à l’audience. Fixer la date du procès sommaire avait nécessité beaucoup de temps et d’efforts. Le résumé des inscriptions au greffe permet de constater que les défendeurs Aestival se sont montrés peu réceptifs aux efforts consentis pour fixer une date. La Cour a finalement fait savoir par une directive que, faute d’entente sur une date, elle en imposerait une. En outre, accorder un ajournement dans les circonstances m’aurait semblé injuste pour les autres parties qui s’étaient préparées en vue de l’instruction de la requête en jugement sommaire et qui y étaient présentes.

[49]           En outre, les défendeurs Aestival ont amplement eu l’occasion de déposer une réponse à la requête en jugement sommaire, et ils ont choisi au plan stratégique de s’en abstenir. À cet égard, le juge en chef a fixé dans sa directive les dates avant lesquelles les défendeurs devaient déposer leurs dossiers de réponse. Les défendeurs Aestival se sont abstenus d’agir et ils ont plutôt tenté de déposer une requête en non‑lieu dans le cadre de la requête en jugement sommaire. La Cour, on l’a dit, a rejeté la requête en non‑lieu. Dans une directive ultérieure, le juge Lafrenière a autorisé la demanderesse à signifier et à déposer l’avis de requête modifié, permettant de transformer sa requête en jugement sommaire en requête en procès sommaire, et il a dispensé la demanderesse de l’obligation de signifier et déposer un avis de requête modifié. L’ajout de : [traduction] « [u]ne ordonnance de procès sommaire, en application du paragraphe 213 (1) des Règles, jugement étant rendu en faveur de la demanderesse à l’encontre de chacun des défendeurs et de l’ensemble d’entre eux […] » a constitué la seule modification apportée à l’avis de requête.

[50]           Les défendeurs Aestival soutiennent qu’en raison de cette modification, il leur était de nouveau loisible de déposer un dossier de réponse. Qu’il en ait été ou non ainsi dans les circonstances, le paragraphe 213(4) des Règles imposait aux défendeurs Aestival de déposer leur dossier de réponse au plus tard le 28 avril 2014. En effet, la directive autorisant la demanderesse à déposer et signifier un avis de requête modifié a été donnée le 22 avril 2014 et l’avis de requête modifié a été déposé le jour même. La date déjà prévue d’instruction était le 7 mai 2014, et cela n’a été changé ni par la modification ni par la directive. Le paragraphe 213(4) des Règles exige que la partie qui reçoit signification d’une requête en jugement ou procès sommaire signifie et dépose un dossier de réponse au moins dix jours avant la date de l’instruction, le 28 avril 2014 en l’occurrence. Je ne vois donc pas comment l’argument avancé pourrait venir en aide aux défendeurs Aestival, comme à la date d’instruction ils n’avaient toujours pas déposé de dossier de requête en réponse à l’avis de requête en procès sommaire modifié.

[51]           Cela étant, j’estime que les défendeurs Aestival ont clairement décidé de ne pas présenter de preuve en s’abstenant de déposer un dossier de réponse tant dans le cadre de la requête en jugement sommaire, que de la requête modifiée en vue de constituer une requête en procès sommaire. Ils sont maintenant liés par cette décision quant à la production d’une preuve, abstraction faite de tout choix implicite lié à la requête en non‑lieu.

[52]           Par conséquent, le dossier de requête des défendeurs Aestival intitulé [traduction] « Dossier de requête en application de la règle 214(2) des défendeurs liés au Navire », qui renferme un avis de requête, daté du 7 mai 2014, par lequel est sollicitée une ordonnance autorisant le dépôt de l’affidavit #1 de M. Higgs, et produit dans la présente instance, ne peut être déposé, et la demande est rejetée. Je ferai remarquer qu’en tout état de cause, la Cour est déjà saisie de cet affidavit, versé au dossier de requête de la demanderesse. De même, la demande subsidiaire présentée par les défendeurs Aestival, dans leur avis de requête, en vue d’obtenir une ordonnance autorisant le dépôt d’affidavits supplémentaires en réponse à l’avis de requête modifié de la demanderesse, est également rejetée. 

QUESTION NO 4 – L’affaire doit-elle être instruite par procès sommaire?

Jugement et procès sommaires

Summary Judgment and Summary Trial

Requête et signification

Motion and Service

Requête d’une partie

213. (1) Une partie peut présenter une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire à l’égard de toutes ou d’une partie des questions que soulèvent les actes de procédure. Le cas échéant, elle la présente après le dépôt de la défense du défendeur et avant que les heure, date et lieu de l’instruction soient fixés.

Motion by a party

213. (1) A party may bring a motion for summary judgment or summary trial on all or some of the issues raised in the pleadings at any time after the defendant has filed a defence but before the time and place for trial have been fixed.

[…]

[…]

Obligations du requérant

(3) La requête en jugement sommaire ou en procès sommaire dans une action est présentée par signification et dépôt d’un avis de requête et d’un dossier de requête au moins vingt jours avant la date de l’audition de la requête indiquée dans l’avis.

Obligations of moving party

(3) A motion for summary judgment or summary trial in an action may be brought by serving and filing a notice of motion and motion record at least 20 days before the day set out in the notice for the hearing of the motion.

Obligations de l’autre partie

(4) La partie qui reçoit signification de la requête signifie et dépose un dossier de réponse au moins dix jours avant la date de l’audition de la requête indiquée dans l’avis de requête.

Obligations of responding party

(4) A party served with a motion for summary judgment or summary trial shall serve and file a respondent’s motion record not later than 10 days before the day set out in the notice of motion for the hearing of the motion.

Jugement sommaire

Summary Judgment

Faits et éléments de preuve nécessaires

214. La réponse à une requête en jugement sommaire ne peut être fondée sur un élément qui pourrait être produit ultérieurement en preuve dans l’instance. Elle doit énoncer les faits précis et produire les éléments de preuve démontrant l’existence d’une véritable question litigieuse.

Facts and evidence required

214. A response to a motion for summary judgment shall not rely on what might be adduced as evidence at a later stage in the proceedings. It must set out specific facts and adduce the evidence showing that there is a genuine issue for trial.

[…]

[…]

Procès sommaire

Summary Judgment

Dossier de requête en procès sommaire

216. (1) Le dossier de requête en procès sommaire contient la totalité des éléments de preuve sur lesquels une partie compte se fonder, notamment :

a) les affidavits;

b) les aveux visés à la règle 256;

c) les affidavits et les déclarations des témoins experts établis conformément au paragraphe 258(5);

d) les éléments de preuve admissibles en vertu des règles 288 et 289.

Motion record for summary trial

216. (1) The motion record for a summary trial shall contain all of the evidence on which a party seeks to rely, including

(a) affidavits;

(b) admissions under rule 256;

(c) affidavits or statements of an expert witness prepared in accordance with subsection 258(5); and

(d) any part of the evidence that would be admissible under rules 288 and 289.

Affidavits ou déclarations supplémentaires

(2) Des affidavits ou déclarations supplémentaires ne peuvent être signifiés que si, selon le cas :

a) s’agissant du requérant, ces affidavits ou déclarations seraient admissibles en contre-preuve à l’instruction et leurs signification et dépôt sont faits au moins cinq jours avant la date de l’audition de la requête indiquée dans l’avis de requête;

b) la Cour l’autorise.

Further affidavits or statements

(2) No further affidavits or statements may be served, except

(a) in the case of the moving party, if their content is limited to evidence that would be admissible at trial as rebuttal evidence and they are served and filed at least 5 days before the day set out in the notice of motion for the hearing of the summary trial; or

(b) with leave of the Court.

[…]

[…]

Conclusions défavorables

(4) La Cour peut tirer des conclusions défavorables du fait qu’une partie ne procède pas au contre-interrogatoire du déclarant d’un affidavit ou ne dépose pas de preuve contradictoire.

Adverse inference

(4) The Court may draw an adverse inference if a party fails to cross-examine on an affidavit or to file responding or rebuttal evidence.

[53]           Pour les motifs déjà exposés, le greffe ne doit pas déposer les documents des défendeurs Aestival intitulés [traduction] « Observations relatives au jugement sommaire des défendeurs liés au Navire » et « Recueil de jurisprudence et de doctrine aux fins du jugement sommaire des défendeurs liés au Navire », tous deux datés du 7 mai 2014 et présentés à la Cour lors de l’instruction à cette même date.

[54]           Il convient toutefois de noter que ces documents portent sur le jugement sommaire, et qu’on y soutient que la demanderesse ne peut avoir gain de cause parce qu’elle n’a pas établi l’existence d’une véritable question nécessitant la tenue d’un procès contre les défendeurs Aestival.

[55]           Il est vrai qu’en matière de jugement sommaire, la Cour doit déterminer s’il existe une véritable question litigieuse; or, dans le cadre d’un procès sommaire, elle instruit réellement les questions soulevées dans les actes de procédure et elle apprécie la preuve contenue dans les affidavits en vue de statuer sur certaines questions ou sur toute l’affaire, et jugement peut être rendu (Society of Composers, Authors and Music Publishers of Canada c Maple Leaf Sports & Entertainment, 2010 CF 731, aux paragraphes 13 à 17 et 40 à 47 [Society of Composers]; Inspiration Management (1989), 36 BCLR (2d) 202, au paragraphe 40; Teva Canada, précitée, à l’alinéa 32a)).

[56]           En l’espèce, la modification de l’avis de requête pour passer d’un jugement sommaire à un procès sommaire a changé l’objet de la requête, la question étant non plus de savoir s’il existe une véritable question litigieuse, mais de savoir quelle doit être l’issue de la demande. Les observations des défendeurs Aestival sont donc, et en tout état de cause, sans pertinence pour décider de l'opportunité du recours au procès sommaire, et le recours à cette voie, à mon sens, est opportun.

[57]            Le juge Hughes a examiné à fond la jurisprudence pertinente de la Cour fédérale sur le jugement sommaire dans la décision Teva Canada, précitée, aux paragraphes 28 à 37, appel accueilli pour d’autres motifs, 2012 CAF 141. Le juge Hughes a déclaré ce qui suit (au paragraphe 32) :

•    il n’est pas nécessaire de réserver la tenue d’un procès sommaire aux seuls cas où chaque question en litige sera tranchée. La Cour peut, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, examiner la ou les questions en litige en cause et décider s’il convient de les trancher par voie de procès sommaire (paragraphe 213(1) des Règles);

•    la partie qui demande un procès sommaire devrait présenter sa preuve pertinente quant aux questions en litige, tout comme la partie intimée, qui ne peut fonder sa réponse sur un élément qui pourrait être produit ultérieurement en preuve dans l’instance (article 214 des Règles);

•    lorsque la preuve n’est pas contestée ou controversée ou que la crédibilité n’est pas vraiment en jeu, la Cour devrait être davantage tentée d’accorder la requête en procès sommaire. Cela ne signifie pas qu’il n’y aura pas de procès sommaire si la preuve est contestée ou controversée ou que la crédibilité est en jeu. Cela signifie que la Cour doit décider s’il existe ou non « une véritable question litigieuse » (article 215 des Règles);

•    la Cour ne devrait pas éviter la tenue d’un procès sommaire pour la simple raison qu’il existe une question de droit sérieuse à trancher (paragraphe 215(5) des Règles) [paragraphe 215(3) des Règles].

[58]           Le recours au procès sommaire est en outre justifié lorsque les questions en litige sont bien définies et que leur solution permettra d’accélérer le déroulement ou le règlement de l’action ou de ce qui en reste entre les parties; les faits nécessaires pour répondre aux questions ressortent clairement de la preuve; la preuve n’est pas controversée et la crédibilité n’est pas en jeu; bien qu’elles soient nouvelles, les questions de droit peuvent être réglées aussi facilement qu’elles le seraient par ailleurs à l’issue d’un procès complet (Teva Canada, précitée, au paragraphe 34).

[59]           Dans le cadre d’une requête en procès sommaire, la partie requérante a le fardeau de démontrer l’opportunité de la tenue d’un procès sommaire (Teva Canada, précitée, au paragraphe 35, où l’on cite Trevor Nicholas Construction Co c Canada, 2011 CF 70, aux paragraphes 43 à 46). Une fois que la question est portée devant la Cour pour être instruite par voie de procès sommaire, le fardeau de preuve applicable est le fardeau de preuve habituel en matière civile. La partie qui formule une allégation doit en établir le bien‑fondé au moyen des éléments de preuve et des règles de droit pertinents (Teva Canada, précitée, au paragraphe 36).

[60]           Pour se prononcer sur l’opportunité d’un procès sommaire, la Cour fédérale a aussi pris en compte des facteurs tels que le coût élevé d’un procès, le montant en cause, la complexité de l’affaire et les questions de savoir si le procès sommaire prendrait beaucoup de temps, si la crédibilité était un facteur essentiel, si on avait procédé à un contre-interrogatoire et si un procès sommaire allait entraîner un [traduction] « procès par tranches » préjudiciable (Society of Composers, précitée, aux paragraphes 41 et 42; Wenzel Downhole Tools Ltd c National-Oilwell Canada Ltd, 2010 CF 966, aux paragraphes 36 à 38; voir également Louis Vuitton, précitée, au paragraphe 96).

[61]           Il convient de noter que la Cour suprême du Canada a récemment jugé, alors que les principes de la proportionnalité et de l’accès à la justice étaient en cause, qu’il fallait donner une interprétation large aux règles relatives au jugement sommaire (Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7, au paragraphe 5). 

[62]           Appliquant ces principes généraux à la présente affaire, j’en viens aux conclusions suivantes :

-          Les questions en litige sont bien définies en l’espèce : il s’agit de savoir si la négligence des défendeurs a causé les dommages prétendument subis par le Navire et quel montant de dommages-intérêts, le cas échéant, il convient d’octroyer.

-          Les faits nécessaires pour résoudre ces questions sont exposés dans les affidavits produits en preuve. Les faits pertinents essentiels ayant été établis par la preuve par affidavit, l’instruction de la cause permettrait d’ajouter des détails, mais pas nécessairement de nouveaux éléments de preuve importants (Pawar c Canada, [1999] 1 CF 158, au paragraphe 16 (1re inst.); confirmée par (1999), 247 N.R. 271; autorisation d’appel rejetée, [1999] CSCR n° 526);

-          La crédibilité n’est pas sérieusement en jeu.

-          La présente instance a débuté par une requête en jugement sommaire. À ce titre, les défendeurs devaient défendre au mieux leur cause (article 214 des Règles). Cela, les défendeurs Aestival ne l’ont pas fait. Le même principe de base s’applique au procès sommaire, la Cour pouvant alors tirer des conclusions défavorables du fait qu’une partie ne procède pas au contre-interrogatoire de l’auteur d’un affidavit ou ne dépose pas de preuve contradictoire (paragraphe 216(4) des Règles). On a également appliqué au procès sommaire le concept de défense au mieux de sa cause et jugé que le non‑respect du principe n’empêchait pas la Cour de procéder par voie de procès sommaire (Everest Canadian Properties Ltd c Mallman, 2008 BCCA 275, au paragraphe 34; voir aussi Louis Vuitton, précitée, aux paragraphes 94 à 99). En l’espèce, les défendeurs ont eu amplement l’occasion d’obtenir et de produire une preuve d’expert sur le lien de causalité, mais ils ont choisi de n’en rien faire.

-          L’application des faits au critère de la négligence est une question mixte de fait et de droit qu’il est possible de trancher par procès sommaire.

-          En vertu du paragraphe 216(6) des Règles, si la Cour juge que la preuve est suffisante pour trancher l’affaire, indépendamment des sommes en cause, de la complexité des questions en litige et de l’existence d’une preuve contradictoire, elle peut rendre jugement sur l’ensemble des questions ou sur une question en particulier, à moins qu’elle n’estime cela injuste. Or, à mon avis, la présente affaire n’est pas complexe et peu d’éléments de preuve sont sérieusement contradictoires.

-          Le montant réclamé en l’espèce s’élève à 42 765,74 $ et correspond aux frais de réparation et d’inspection ainsi qu’à la perte de jouissance du Navire. Une requête a été introduite plus tôt pour faire annuler la saisie, diverses directives ont été données et la Cour a réservé une journée entière à l’instruction de l’affaire. L’article 3 des Règles prévoit qu’il faut interpréter et appliquer celles‑ci de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible. Le principe de la proportionnalité est selon moi applicable et il penche fortement en faveur, en l’espèce, de l’instruction de l’affaire par procès sommaire.

[63]           Il est à mon avis possible de statuer sur les faits et d’appliquer le droit de telle sorte que je puisse, par voie de procès sommaire, apporter au litige une solution qui soit juste et équitable.

QUESTION NO 5 – La demande fondée sur la négligence de la demanderesse doit-elle être accueillie sur le fond et, le cas échéant, quel montant de dommages-intérêts est-il indiqué d’octroyer?

[64]           La demanderesse soutient que les 26 et 27 juillet 2012 et aux environs de ces dates, les défendeurs ont effectué sur l’« Aestival » des travaux d’entretien et de réparation, plus précisément de meulage et de sablage, de manière imprudente et négligente. Les défendeurs n’ont pris aucune mesure pour contenir les débris de meulage et de sablage qui se sont alors déposés sur le Navire et l’ont endommagé, ce qui a fait subir des pertes à la demanderesse.

[65]           Selon la demanderesse, il lui faut établir quatre éléments aux fins de sa réclamation pour négligence : l’existence d’une obligation de diligence, un manquement à la norme de diligence, un lien de causalité et un préjudice indemnisable (Ediger C Johnston, 2013 CSC 18, au paragraphe 24).

i) Obligation de diligence

Position de la demanderesse

[66]           La demanderesse soutient que les défendeurs avaient une obligation de diligence à son endroit, invoquant et appliquant à cet égard le critère en deux volets établi dans l’arrêt Anns c Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 (H. L.) et affiné dans Cooper c Hobart, 2001 CSC 79, [2001] 3 R.C.S. 537 (le critère Anns/Cooper), tel qu’il a été résumé dans The Los Angeles Salad Company Inc c Canadian Food Inspection Agency, 2013 BCCA 34, au paragraphe 4 [The Los Angeles Salad Company].

[67]           La demanderesse soutient qu’il était raisonnablement prévisible que les travaux négligents de meulage et de sablage des défendeurs pourraient causer des dommages au Navire. MM. Colbeck et Higgs ont effectué ces travaux à bord de l’« Aestival », situé à côté et à proximité directe du Navire. La preuve révèle que M. Higgs était expérimenté dans la réparation de navire et que M. Colbeck connaissait les règles de la marina concernant la mise sous bâche ou sous couvert de toutes les aires de travail. Il était prévisible que, faute d’être ainsi contenus, les débris causés pourraient se propager et aller se déposer sur le Navire, et l’on sait que de tels débris peuvent occasionner des dommages. Il existait un lien de proximité suffisamment étroit ainsi qu’un rapport étroit et direct entre les parties. Il en résulte donc une obligation de diligence prima facie.

[68]           Dès lors que l’existence d’une obligation de diligence prima facie est établie, le fardeau de preuve se déplace vers les défendeurs, qui doivent démontrer l’existence de considérations de politique générale dominantes susceptibles d’écarter l’obligation de diligence (Childs c Desormeaux, 2006 CSC 18 [Childs]). La demanderesse fait valoir qu’en l’espèce les considérations de politique générale jouent en fait en sa faveur, puisqu’il convient pour des raisons de principe que les personnes dont le manque de diligence cause un préjudice soient tenues responsables des dommages pouvant en résulter.

Position du défendeur Colbeck

[69]           Dans ses observations, M. Colbeck s’oppose à l’affirmation de la demanderesse selon laquelle le meulage d’acier n’était pas autorisé à la marina, cela n’étant pas étayé par la preuve invoquée, mais il concède que les personnes effectuant des travaux de meulage et de sablage à la marina, les navires y étant à proximité les uns des autres, sont tenues de contenir les résidus créés par ces travaux. M. Colbeck concède également que l’« Aestival » se trouvait à proximité directe du Navire.

[70]           M. Colbeck soutient que tard l’après-midi du 26 juillet 2012, croyant les travaux de sablage terminés, il avait retiré les bâches de protection utilisées pour l’« Aestival ». Il n’était pas prévisible que d’autres travaux de sablage seraient effectués, ni que M. Higgs, contrairement à l’avis de M. Colbeck et en son absence, s’adonnerait au meulage d’acier sans d’abord installer des bâches ou demander à M. Colbeck de le faire. Il n’était pas non plus prévisible que M. Higgs refuserait de mettre fin au meulage lorsque M. Colbeck le lui demanderait. 

Analyse

[71]           Dans l’arrêt Childs, précité, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit au sujet du critère général applicable à l’obligation de diligence (aux paragraphes 11 à 13 :

[11]      Dans l’arrêt Anns c. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 (H.L.), lord Wilberforce a proposé un critère en deux volets permettant de déterminer s’il existe une obligation de diligence.  Le premier volet met l’accent sur le lien entre le demandeur et le défendeur et consiste à se demander s’il est suffisamment étroit ou [traduction] « proche » pour donner naissance à une obligation de diligence (p. 742).  Le second volet consiste à décider s’il existe des considérations de politique générale dominantes susceptibles d’écarter l’obligation de diligence.  Dans l’arrêt Kamloops (Ville de) c. Nielsen, [1984] 2 R.C.S. 2, p. 10‑11, cette Cour a adopté la démarche en deux étapes de l’arrêt Anns et l’a reformulée de la façon suivante:

(1)        y a‑t‑il un lien « suffisamment étroi[t] entre les parties » ou un rapport de « proximité » justifiant l’imposition d’une obligation, et dans l’affirmative,

(2)        existe-t-il des considérations de politique générale exigeant de restreindre ou de rejeter la portée de l’obligation, la catégorie de personnes qui en bénéficient ou les dommages auxquels un manquement à l’obligation peut donner lieu?

[12]      Dans l’arrêt Succession Odhavji c. Woodhouse, [2003] 3 R.C.S. 263, la Cour a confirmé le critère énoncé dans Anns et le juge Iacobucci a fait état des trois conditions suivantes : la prévisibilité raisonnable, l’existence d’un lien suffisamment étroit et l’absence de considérations de politique générale dominantes qui écartent l’obligation prima facie dont l’existence est établie par la prévisibilité et le lien de proximité étroit : par. 52.  Dans certaines décisions, on parle de la prévisibilité comme d’un élément de la proximité lorsque le terme « proximité » est employé dans le sens de l’établissement d’un lien suffisant pour donner naissance à une obligation de diligence : voir, p. ex., Kamloops.  Dans Odhavji par contre, on envisage la prévisibilité et la proximité comme des éléments distincts considérés à la première étape; la« proximité » est alors employée dans un sens plus restreint qui s’attache aux caractéristiques du lien autres que la prévisibilité.  Rien n’indique que l’arrêt Odhavji était censé modifier le critère énoncé dans Anns; il a plutôt précisé simplement que la prévisibilité raisonnable ne suffit pas toujours à établir le rapport de proximité.  Il est clair qu’à la première étape, la prévisibilité et les facteurs ayant trait au lien qui existe entre les parties doivent être examinés en vue de déterminer s’il existe une obligation de diligence prima facie.  À la deuxième étape, il faut se demander si cette obligation est écartée par d’autres considérations de politique plus générales.

[13]      Le demandeur doit s’acquitter de la charge ultime d’établir l’existence d’une cause d’action valide, et donc d’une obligation de diligence : Odhavji.  Mais une fois que le demandeur a établi l’existence d’une obligation de diligence prima facie, le fardeau de prouver qu’il existe des considérations de politique générale dominantes incombe alors au défendeur, conformément à la règle générale voulant que la partie qui affirme un fait doive en établir l’existence.

[72]           La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a reformulé le principe comme suit dans l’arrêt The Los Angeles Salad Company, précité :

[traduction]

[12]      On commence l’analyse du rapport de proximité conforme à Anns/Cooper en examinant si l’affaire relève d’une catégorie reconnue de liens donnant naissance à l’obligation de diligence alléguée. Dans l’affirmative, on peut généralement en déduire une proximité suffisante entre les parties pour qu’il existe une obligation de diligence prima facie, et il n’est pas nécessaire de poursuivre l’examen de la proximité. Si toutefois le cas ne correspond pas clairement à un lien déjà reconnu, il faut examiner avec soin si la proximité a été établie (Cooper, au paragraphe 36; Childs c. Desormeaux, 2006 CSC 18, au paragraphe 15, [2006] 1 R.C.S. 643).

[73]           La Cour d’appel s’est également penchée sur la question de la proximité :

[traduction]

[38]      Le sens précis à donner à la proximité a évolué depuis la mise en lumière de la notion, sortie de l’ombre de celle de prévisibilité raisonnable dans Cooper. Dans l’arrêt Hill, après avoir fait observer (au paragraphe 23) que le lien entre l’auteur allégué de la faute et la victime devait être suffisamment étroit et direct pour qu’il convienne d’imposer au premier une obligation de diligence, la Cour suprême a expliqué comme suit la notion de proximité :

[24]      En général, la détermination d’un rapport de proximité suppose l’examen de la relation en cause au regard, par exemple, des attentes, des déclarations, de la confiance, des biens en cause et des autres intérêts en jeu : Cooper, par. 34.  À relations différentes, considérations différentes.  « Les facteurs susceptibles de satisfaire à l’exigence de proximité sont variés et dépendent des circonstances de l’affaire.  On chercherait en vain une caractéristique unique unificatrice » : Cooper, par. 35.  Aucun facteur ou règle unique, ni aucune liste définitive de facteurs ne peut s’appliquer dans tous les cas.  « Le lien étroit peut être utilement considéré non pas tellement comme un critère en soi, mais comme une notion large qui peut inclure différentes catégories d’affaires comportant différents facteurs » (Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Norsk Pacific Steamship Co., [1992] 1 R.C.S. 1021, p. 1151, cité dans l’arrêt Cooper, par. 35).

[74]           La Cour d’appel a en outre confirmé, au paragraphe 41, que l’analyse de proximité requise par le critère Anns/Cooper nécessitait la prise en compte des questions de prévisibilité, de proximité et de politique générale que soulève le lien entre les parties.

[75]           Dans l’affaire dont je suis saisie, la preuve permet de conclure à l’existence d’une obligation de diligence.

[76]           Il n’est pas contesté que l’« Aestival » était placé sur des blocs, à côté et à proximité directe du Navire. Dans l’affidavit #1 de M. Colbeck, la distance entre les deux bateaux est évaluée à 22 pieds au milieu et à 30 pieds à la proue.

[77]           M. O’Donoghue déclare dans son affidavit que, dans l’après-midi du 26 juillet 2012, il a pu observer MM. Colbeck et Higgs qui se trouvaient à bord de l’« Aestival ». M. Colbeck supervisait des travaux de meulage effectués sur le pavois bâbord de l’« Aestival ». Ayant remarqué la présence d’un nuage de poussière en suspension dans l’air entre les deux bateaux, et de débris se déposant sur le Navire, ainsi que l’absence de bâche ou de toute autre mesure de protection quelconque, M. O’Donoghue a demandé à M. Colbeck de mettre fin au meulage et l’a informé que Fraser Fibreglass venait tout juste d’effectuer sur le Navire, au coût de 60 000 $, des travaux de peinture et de polissage. M. O’Donoghue affirme que M. Colbeck a ignoré sa demande et que M. Higgs a poursuivi ses travaux de meulage. M. O’Donoghue ajoute dans son affidavit qu’il a alors offert à M. Colbeck un rouleau de feuille de plastique pour protéger le Navire, mais que ce dernier a continué de l'ignorer. M. Higgs a alors dit qu’il nettoierait le Navire à l’aide d’un jet d’eau. M. O’Donoghue affirme avoir répondu que cela ne ferait qu’empirer l’état du Navire et qu’il était nécessaire de couvrir l’« Aestival ». M. Higgs continuait ses travaux de meulage pendant que se déroulait cette conversation. M. O’Donoghue affirme dans son affidavit que, le lendemain, il a pu observer des employés d’Executive Yacht à bord de l’« Aestival » qui y sablaient les côtés supérieurs de la coque, encore une fois sans bâche ni autre moyen de confinement, ainsi que de la poussière et des débris qui émanaient de l’« Aestival » et qui se déposaient sur le Navire.

[78]           M. Higgs confirme dans son affidavit #1 qu’il est président de la société défenderesse Island-Sea, propriétaire de l’« Aestival » depuis 1971. Il déclare que l’« Aestival » a été conduit à la marina afin que M. Colbeck, faisant affaire sous le nom Executive Yacht Services, remette sa coque extérieure en état. M. Higgs affirme qu’il compte plus de 50 ans d’expérience en travaux de rénovation d’acier d’importance et de remotorisation complète de gros remorqueurs et barges de haute mer effectués dans de nombreux chantiers navals. Il dit aussi être capitaine côtier depuis plus de 45 ans; il a conduit à ce titre divers navires en mer, qu’il surveillait lorsqu’ils faisaient l’objet de réparations. M. Higgs affirme qu’il croyait que M. Colbeck connaissait les règles de la marina concernant la mise sous bâche des aires de travail, comme il y faisait des travaux depuis plus de 10 ans et qu’il y louait un espace, et qu’il était au courant de son obligation de confiner les travaux.

[79]           Dans son affidavit #1, M. Colbeck affirme qu’il fait affaire à la marina depuis 1991 et qu’il y dispose d’un atelier. Il déclare que, le 18 juillet 2012, des membres de son équipage et lui‑même ont suspendu des bâches de protection de plastique par‑dessus les côtés de l’« Aestival » et que, pendant toute la période où ils y ont travaillé, ils ont utilisé des bâches de plastique pour contenir la poussière et les débris, ainsi qu’une ponceuse à ramasse-sciure lorsqu’ils ont procédé au sablage du fond de la coque. Les intéressés ont enroulé les bâches de plastique à la fin de l’après-midi du 26 juillet 2012, étant d’avis que la préparation de la coque pour l’application d’apprêt était terminée et qu’ils voulaient inspecter la coque et la nettoyer.

[80]           Au vu de la preuve, il est manifeste que chacun des défendeurs avait une obligation de diligence envers la demanderesse. L’« Aestival » était situé à côté et à proximité directe du Navire. M. Colbeck était un réparateur de navire d’expérience, dont M. Higgs avait retenu les services et qui connaissait bien la marina. M. Higgs était également un propriétaire et exploitant de bateau d’expérience, et il a affirmé croire que M. Colbeck connaissait les règles de chantier de la marina relatives à la mise sous bâche. Tant M. Colbeck que M. Higgs savaient, ou auraient dû savoir, qu’il fallait entourer l’« Aestival » de bâches lorsqu’on procédait à des travaux, tels le sablage ou le meulage, susceptibles de causer des débris en suspension dans l’air. M. Colbeck déclare d’ailleurs dans son affidavit que l’« Aestival » était entouré de bâches jusqu’à ce que ses employés et lui‑même pensent que les travaux de sablage étaient terminés. Manifestement, il savait qu’il fallait recourir à des bâches de protection, et il était prévisible pour lui que ne pas le faire pendant les travaux de meulage ou de sablage effectués sur l’« Aestival » était susceptible d’endommager le Navire. M. O’Donoghue déclare d’ailleurs dans son témoignage qu’il a informé MM. Higgs et Colbeck du fait que des débris se déposaient sur le Navire. M. Higgs l’a lui‑même reconnu en déclarant qu’il allait nettoyer le Navire à l’aide d’un jet d’eau, ce qu’il a fait par la suite.

[81]           M. Colbeck affirme qu’il ne pouvait pas prévoir que M. Higgs, une fois la bâche enlevée, s’adonnerait à des travaux de meulage. Il déclare toutefois aussi que le matin du 27 juillet 2012 un de ses employés, Shawn Albert, [traduction] « a sablé à certains endroits l’enduit d’apprêt et la vieille peinture sur les côtés supérieurs de l’« Aestival » ». Il ne dit pas que des bâches étaient alors utilisées et, d’après l’affidavit de M. O’Donoghue, on n’avait installé aucune feuille de plastique ou bâche, aucun boîtier en plastique ni aucun autre moyen de confinement. Il était donc prévisible pour M. Colbeck que des débris provenant du sablage effectué par son employé puissent aller se déposer sur le Navire et ainsi lui causer éventuellement des dommages.

[82]           Le lien et le rapport de proximité entre les parties étaient tels qu’il était raisonnablement prévisible pour les défendeurs que le défaut de contenir les débris provenant de leurs travaux puisse endommager le Navire. Il en résulte donc une obligation de diligence prima facie.

[83]           Par ailleurs, aucune politique générale dominante n’écarte en l’espèce l’obligation de diligence.

ii) Quelle est la norme de diligence applicable et les défendeurs ont-ils violé cette norme?

Position de la demanderesse

[84]           La demanderesse soutient que les défendeurs devaient exécuter les travaux sur l’« Aestival » de façon aussi diligente que l’aurait fait une personne ordinaire raisonnable et prudente placée dans la même situation (Ryan c Victoria (Ville), [1999] 1 RCS 201, aux paragraphes 21 à 28 [Ryan]). Les deux bateaux étant proches l’un de l’autre, et le risque de préjudice causé par les débris de meulage et de sablage étant bien réel, les défendeurs auraient dû prendre des mesures adéquates pour contenir toute matière susceptible de faire des dommages. Les défendeurs auraient dû connaître les règles de chantier affichées à la marina, lesquelles prévoyaient : [traduction] « Il faut contenir les résidus de sablage et la peinture pulvérisée » et « Pas de sablage ». C’était là la norme de diligence applicable.

[85]           De plus, MM. Higgs et Colbeck auraient dû être conscients du risque existant, compte tenu de leur vaste expérience de l’exploitation, de l’entretien et de la réparation de navires, de la norme sociale bien claire exprimée par l’affiche et de l’avertissement donné par M. O’Donoghue. M. Higgs a répliqué à l’avertissement de M. O’Donoghue qu’il nettoierait le Navire par jet d’eau, ce à quoi M. O’Donoghue a répondu que la mesure ne ferait qu’empirer les choses. Malgré l’avertissement reçu, les défendeurs ont continué leurs travaux sans faire quoi que ce soit pour contenir les débris, et ils ont travaillé à nouveau le lendemain, toujours sans prendre de mesures de confinement.

[86]           Une personne raisonnable, jouissant de la vaste expérience des demandeurs dans l’exploitation, l’entretien et la réparation de navires, et à qui on aurait donné divers avertissements, aurait pris des mesures pour empêcher les débris de s’épandre et d’aller se déposer sur le Navire. Les défendeurs ont violé la norme de diligence en ne le faisant pas.

Position du défendeur Colbeck

[87]           M. Colbeck soutient que la norme de diligence a été respectée le matin du 26 juillet 2012 et auparavant, puisqu’on avait installé une bâche de protection autour de l’« Aestival », et que cela n’est contredit par aucun élément de preuve. Il ne projetait de faire aucun travail de sablage ou de meulage dans l’après‑midi. Il a également dit à M. Higgs qu’il faudrait obtenir une nouvelle plaque d’acier pour le profilé chapeau, il a crié trois fois pour que ce dernier cesse de meuler et il a tiré sur la rallonge de la meuleuse, de sorte qu’il a aussi respecté de cette manière la norme de diligence.

[88]           M. Colbeck nie avoir été présent lorsque M. O’Donoghue aurait offert un rouleau de plastique, ou encore lors de la conversation sur le nettoyage par jet d’eau du Navire. Quoi qu’il en soit, il n’aurait pu mettre l’« Aestival » sous bâche au moment pertinent sans risque de blessure. Une personne ordinaire et prudente ne tenterait pas par ailleurs d’en maîtriser physiquement une autre pendant qu’elle utilise un outil électrique dangereux.

[89]           Le caractère raisonnable d’une conduite, d’après l’arrêt Ryan, précité, au paragraphe 28, dépend notamment de la probabilité qu’un préjudice connu ou prévisible survienne ainsi que de la gravité de ce préjudice. M. Colbeck a déclaré dans son témoignage qu’il n’y avait pas assez de poussière pour qu’il ait à porter des lunettes de protection et la présence de poussière n’est pas manifeste sur les photographies; cela laisse croire que la prévisibilité d’un préjudice n’était pas élevée. En outre, Shawn Albert a principalement utilisé une ponceuse à la main le 27 juillet 2012, les navires étaient à 20 pieds l’un de l’autre et on aurait pu se débarrasser du mastic et de la poussière de peinture au moyen d’un jet d’eau. Ainsi, la prévisibilité et le niveau de gravité du préjudice étaient peu élevés. En pareilles circonstances, ne pas installer de bâches ne constituait pas une violation de la norme de diligence.

Analyse

[90]           Comme la Cour suprême du Canada l’a déclaré dans l’arrêt Ryan, précité, lorsque l’obligation de diligence est en cause, l’examen porte sur son existence, alors que la norme de diligence, de son côté, précise la teneur de cette obligation :

[28]      Une conduite est négligente si elle crée un risque de préjudice objectivement déraisonnable.  Pour éviter que sa responsabilité ne soit engagée, une personne doit agir de façon aussi diligente que le ferait une personne ordinaire, raisonnable et prudente placée dans la même situation.  Le caractère raisonnable d’une conduite dépend des faits de chaque espèce, y compris la probabilité qu’un préjudice connu ou prévisible survienne, la gravité de ce préjudice, et le fardeau ou le coût qu’il faudrait assumer pour le prévenir.  En outre, on peut se fonder sur des indices externes de conduite raisonnable tels que l’usage, la pratique dans l’industrie concernée et les normes législatives ou réglementaires.

[91]           Dans son affidavit #1, F.I. Hopkinson déclare qu’il est expert maritime, propriétaire et administrateur de F.I. Hopkinson Marine Surveyors Ltd., et capitaine au long cours. On a joint comme pièce B à l’affidavit, conformément à l’article 52.2 des Règles, un certificat concernant le Code de déontologie régissant les témoins experts. La pièce C est la copie d’un rapport d’inspection du Navire daté du 15 septembre 2012 et établi à la demande de Navis Marine Insurance Brokers. La pièce D renferme des photographies en couleurs, dont une photographie des règles de chantier affichées à la marina. L’une des règles prévoit ceci : [traduction] « Il faut contenir les résidus de sablage et la peinture pulvérisée » et « Pas de sablage ».

[92]           Il est vrai que le meulage n’est pas mentionné dans les règles de chantier. Il est toutefois raisonnable de conclure que, si la norme sociale exprimée par les règles exigeait de contenir les résidus de sablage et la peinture pulvérisée, la même norme requérait aussi de contenir les débris de meulage d’acier.

[93]           Rappelons que M. Colbeck a déclaré dans son témoignage qu’il faisait affaire à la marina depuis 1991 et qu’il était un réparateur de navires d’expérience. Il connaissait donc, ou aurait dû connaître, les règles de chantier. M. Higgs a pour sa part déclaré dans son témoignage qu’il était un exploitant de navire d’expérience qui avait déjà surveillé des navires faisant l’objet de réparations. Tant M. Higgs que M. Colbeck ont été avertis par M. O’Donoghue du risque couru et malgré cela, le 26 juillet 2012, M. Higgs a continué de sabler l’« Aestival » sans prendre la moindre mesure de confinement. En agissant ainsi, M. Higgs a violé la norme de diligence.

[94]           M. O’Donoghue a affirmé dans son affidavit que, lorsqu’il s’est rendu voir l’« Aestival » et le Navire le 26 juillet 2012, MM. Colbeck et Higgs étaient tous deux à bord de l’« Aestival ». M. Colbeck se tenait à bâbord avant, où il supervisait des travaux de meulage effectués par M. Higgs. M. O’Donoghue connaissait M. Higgs; il lui a demandé de cesser les travaux de meulage comme, a-t-il dit, des débris se déposaient sur le Navire, qui venait tout juste d’être peint et poli. Il n’a obtenu aucune réponse et M. Higgs a poursuivi le meulage. M. O’Donoghue affirme qu’il a alors offert un rouleau de plastique afin de protéger le Navire, mais qu’encore une fois, M. Colbeck l’avait ignoré. M. Higgs a alors dit qu’il nettoierait le Navire à l’aide d’un jet d’eau; M. O’Donoghue lui a répondu que cela ne ferait qu’empirer l’état du Navire et qu’il était nécessaire de couvrir l’« Aestival ». M. Higgs a poursuivi le meulage et M. Colbeck est resté silencieux. M. O’Donoghue est alors parti chercher son appareil photo. À son retour, il a constaté que les travaux de meulage se poursuivaient, et il a entendu M. Colbeck dire : [traduire] « Le trou d’cul a un appareil photo ». Le travail de meulage a continué et M. O’Donoghue a pris des photographies.

[95]           Lorsqu’il a contre-interrogé M. O’Donoghue sur son affidavit, l’avocat de M. Colbeck lui a demandé s’il était possible que seul M. Higgs ait été présent lors des échanges sur le nettoyage par jet d’eau du Navire. M. O’Donoghue a répondu que ce n’était pas possible parce qu’il avait alors parlé avec M. Colbeck. M. O’Donoghue ne connaissait pas M. Higgs et il ne savait pas que ce dernier était le propriétaire de l’« Aestival ». Lorsque l’avocat a laissé entendre que M. Colbeck n’était pas présent parce qu’on l’avait convoqué à une rencontre, M. O’Donogue a répondu que l’information était inexacte.

[96]           On a aussi demandé à M. O’Donoghue s’il était possible que M. Colbeck ne l’ait pas entendu. M. O’Donoghue a répondu que, lorsqu’il avait demandé à M. Colbeck de couvrir l’« Aestival » pour le protéger, M. Higgs avait cessé de meuler et dit qu’il allait nettoyer le Navire à l’aide d’un jet d’eau. M. Colbeck n’a jamais répondu à M. O’Donoghue. On a enfin demandé à M. O’Donoghue si, lorsqu’il était revenu sur les lieux muni d’un appareil photo, il avait pu en réalité entendre dire par M. Colbeck : [traduction] « Arrête, le trou d’cul a un appareil photo ». M. O’Donoghue a répondu que, selon lui, M. Colbeck n’avait pas utilisé ces paroles.

[97]           M. Colbeck affirme pour sa part dans son affidavit #1 que le 26 juillet 2012, vers 15 h 30, il a demandé à M. Higgs de venir à l’avant de l’« Aestival » pour lui montrer qu’un morceau d’acier qu’il lui avait donné ne pourrait pas s’ajuster correctement. M. Colbeck a proposé de faire un modèle et de le remettre à M. Higgs pour qu’il obtienne une nouvelle plaque d’acier qui pourrait s’ajuster. M. Higgs s’est opposé, disant qu’il pourrait faire s’ajuster le morceau d’acier existant. M. Colbeck a dû s’interrompre pendant cet échange pour aller rencontrer un des gérants de la marina. Au retour de M. Colbeck, M. Higgs, muni d’une meuleuse d’acier, meulait une partie en acier du support de profilé chapeau. M. Colbeck a immédiatement crié à M. Higgs de s’arrêter, mais celui‑ci a continué de meuler. M. Colbeck a crié une deuxième fois et a débranché la meuleuse en tirant sur la rallonge. M. Higgs a répondu en criant qu’il avait parlé au propriétaire du bateau voisin (le Navire) et lui avait dit qu’il allait nettoyer son bateau par jet d’eau une fois le meulage terminé. Il a rebranché la meuleuse alors que M. Colbeck la tenait toujours dans ses mains. M. Higgs a ensuite retiré la meuleuse des mains de M. Colbeck puis a recommencé à meuler, tandis que ce dernier l’observait, frustré et ne sachant pas quoi faire. Peu après, M. Colbeck a vu M. O’Donoghue sur le pont du Navire qui prenait des photos, et il a crié à M. Higgs : [traduction] « Arrête de meuler, le trou d’cul a un appareil photo ». M. Higgs a toutefois continué de meuler et M. Colbeck ne pouvait rien faire d’autre que regarder.

[98]           M. Colbeck déclare que, si M. O’Donoghue lui a dit quoi que ce soit, le bruit fait par la meuleuse l’avait empêché de l'entendre, et qu’il ne se rappelait s’être fait offrir du matériel en plastique par ce dernier. D’ailleurs, même si on lui en avait offert il n’aurait rien pu en faire, par crainte de blessures, pendant que la meuleuse fonctionnait. M. Colbeck ajoute qu’il n’était pas présent lors des échanges sur le nettoyage du Navire par jet d’eau.

[99]           Arvin Pacris affirme dans son affidavit du 26 juillet 2012 qu’il était un employé de Fraser Fibreglass et que, tandis qu’il effectuait des travaux sur un autre bateau à la marina, il avait entendu M. Colbeck crier : [traduction] « arrête […] arrête ». M. Pacris se tenait en haut du bateau et il a pu voir un homme sur l’« Aestival », qu’il croyait être son propriétaire, en train d’utilser une meuleuse tandis que M. Colbeck l’observait depuis le sol.

[100]       M. Higgs déclare dans son affidavit #1 qu’il a utilisé une meuleuse manuelle pendant 11 minutes pendant que M. Colbeck rencontrait le directeur général de la marina, après avoir été convoqué sur son cellulaire. M. Higgs a souscrit son affidavit #3 en réponse à un interrogatoire par écrit fait par l’avocat de M. Colbeck. Il lui était demandé si M. Colbeck était présent lorsqu’il avait parlé de nettoyage par jet d’eau à une personne qu’il croyait être le propriétaire du « Ain’t Life Grand », et il a répondu : [traduction] « M. Colbeck n’était d’abord pas présent, puis il est arrivé par la suite, mais avant que je ne procède au nettoyage par jet d’eau ». M. Higgs a aussi reconnu qu’il avait nettoyé le Navire par jet d’eau. On ne l’a pas contre-interrogé sur ses affidavits.

[101]       J’estime par conséquent, bien que j’aie certains doutes quant aux affirmations de M. Colbeck au sujet du moment où il se trouvait sur l’« Aestival » lors de l’incident et aux mesures qu’il a prises pour faire stopper le meulage, que M. Higgs seul, selon la preuve non contestée, a effectué le meulage, sans s’arrêter lorsqu’on lui a signalé l’absence de mesure de confinement, et a ensuite nettoyé le Navire au jet d’eau, alors que M. O’Donoghue l’avait mis en garde contre l’une et l’autre actions. Dans ces conditions, M. Colbeck n’a pas violé la norme de diligence, le 26 juillet 2012, en n’installant pas des bâches tandis que M. Higgs continuait de meuler.

[102]       Toutefois, un employé de M. Colbeck a effectué des travaux de sablage le lendemain, toujours sans qu’aient été prises des mesures de confinement.

[103]       À cet égard, Shawn Albert a joint à son affidavit, comme pièce A, le registre utilisé pour consigner le temps de travail des employés de Executive Yacht. Le registre révèle que M. Albert a travaillé pendant 6,5 heures le 27 juillet 2012 sur l’« Aestival ». Il est noté ce qui suit : [traduction] « 27 juillet – Shawn – Mastic, sablage, application ciblée d’apprêt sur métal nu – 6 ½ ». M. Albert déclare qu’il avait l’habitude, en inscrivant des renseignements dans le registre de temps de travail, de faire état dans l’ordre chronologique des travaux qu’il avait effectués. Il ne se rappelle pas avoir meulé du métal nu ce jour‑là et, s’il l’avait fait, il aurait utilisé le mot [traduction] « meulage », comme dans le cas des entrées du 18 et du 30 juillet. Il se peut qu’il ait employé une ponceuse orbitale pneumatique pendant de courts laps de temps pour sabler à de petits endroits, mais on sablait les zones plus importantes à la main en utilisant une longue table. M. Albert affirme qu’il n’a pas sablé ni meulé du métal nu. Il ajoute que d’après son expérience, lorsqu’on sablait du mastic, la poussière de mastic était aisée à nettoyer au moyen d’un boyau et d’eau froide. En outre, comme il était inscrit en dernier [traduction] « application ciblée d’apprêt sur métal nu », le travail en cause a dû être effectué tard dans la journée. Il s’agissait comme travail de pulvériser une petite quantité de peinture sur de petites zones pendant 2 ou 3 secondes à peine. M. Albert déclare qu’à sa connaissance, il était le seul à faire du travail sur l’« Aestival » ce jour‑là.

[104]       Il ressort manifestement de ces éléments de preuve, quant à la norme de diligence, que même si M. Colbeck a déclaré qu’on avait enroulé les bâches de plastique en fin d’après-midi le 26 juillet 2012 en croyant la préparation de la coque terminée pour l’application d’apprêt, un employé de Colbeck a ensuite été chargé d’effectuer d’autres travaux de sablage et de pulvérisation ciblée de peinture, le 27 juillet 2012, sans que des bâches aient de nouveau été installées ni aucune autre mesure de confinement prise. Cela contrevenait aux règles de chantier et violait la norme de diligence.

[105]       Selon moi, le fait que M. Colbeck n’ait pas porté de lunettes de protection pendant que M. Higgs effectuait du meulage n’est pas révélateur de la norme de diligence applicable, ni de la probabilité d’un préjudice causé par des débris se déposant sur les navires voisins. M. O’Donoghue ayant averti MM. Colbeck et Higgs que des débris s’y déposaient, il ne fait donc aucun doute que la probabilité d’un préjudice causé au Navire était prévisible.

[106]       Je conviens avec la demanderesse qu’en raison de la proximité directe d’autres bateaux dans la marina, y compris le Navire, et du risque existant que des débris de meulage et de sablage les endommagent, les défendeurs devaient effectuer leurs travaux de meulage et de sablage de façon aussi diligente que l’aurait fait une personne ordinaire, raisonnable et prudente dans la même situation. Cela aurait nécessité de prendre les mesures indiquées avant de procéder à tout meulage et sablage, et ainsi de contenir les débris et d’éviter qu’ils n’aillent se déposer sur les bateaux voisins, y compris le Navire visé par la présente demande. Le témoignage de M. Colbeck, selon lequel l’« Aestival » avait été mis sous bâche jusqu’en fin d’après-midi le 26 juillet, moment où il a cru les travaux de sablage terminés, confirme qu’il connaissait la nécessité de mettre les navires sous bâche lorsqu’on procédait à des travaux de meulage ou de sablage.

[107]       Par conséquent, le défendeur Higgs a violé la norme de diligence le 26 juillet 2012, et le défendeur Colbeck l’a fait le 27 juillet 2012.

iii) Lien de causalité

Position de la demanderesse

[108]       La demanderesse soutient que le critère de détermination du lien de causalité est celui du « facteur déterminant » (« but for test ») (Resurfice Corp c Hanke, 2007 CSC 7, aux paragraphes 20 à 23 [Resurfice]), et qu’ainsi, si ce n’avait été des travaux négligents de meulage et de sablage effectués sur l’« Aestival » par les défendeurs, sans la prise des mesures requises pour empêcher le transport dans les airs des débris en résultant, le Navire n’aurait pas été endommagé et elle n’aurait pas dû engager des frais pour le faire réparer et nettoyer. Le préjudice a été directement causé par un nuage de débris d’acier et d’autres matières qui se sont déposés sur la coque et les côtés supérieurs du Navire et les ont tachés. M. Hopkinson a déclaré dans son témoignage que les débris d’acier peuvent, tout particulièrement, pénétrer l’enduit gélifié et y laisser des taches brunes qu’il peut être difficile, voire impossible d’enlever. Les défendeurs sont donc seuls responsables des dommages causés au Navire, aggravés par le nettoyage au jet d’eau, et de la perte de jouissance du Navire pendant la période des travaux de réparation.

Position du défendeur Colbeck

[109]       M. Colbeck fait valoir que le Navire était posé depuis un mois sur des blocs à la marina lorsque les incidents allégués sont survenus, et que la contamination avait pu avoir de nombreuses autres sources, comme l’atelier de métallurgie situé près du Navire, un atelier de menuiserie et de fibre de verre, aussi situé dans la marina, les autres bateaux où étaient effectués des travaux et les trains de charbon passant près de là.

[110]       M. Colbeck soutient par ailleurs que la demanderesse n’a pas établi selon la prépondérance des probabilités que les dommages prétendument causés par le meulage ne seraient pas survenus si ce n’avait été des actions commises par lui‑même ou par M. Higgs. Aucun échantillon de contaminants n’a été prélevé et, bien que M. O’Donoghue ait fait état d’un nuage de débris, ses photographies ne permettaient pas d’en constater l’existence. La preuve révèle également que les relations entre M. Colbeck et M. O’Donoghue n’étaient pas bonnes. M. Colbeck soutient ainsi que M. O’Donoghue a pu exagérer l’importance du transport de poussière et de débris provenant de l’« Aestival » et s’étant déposés sur le Navire. Par ailleurs, une telle exagération aurait servi à justifier les factures de nettoyage élevées présentées par Fraser Fibreglass. Cela étant, et en l’absence de preuve corroborante, il faudrait rejeter le témoignage de M. O’Donoghue ou ne lui reconnaître qu’une faible valeur. Si de plus le nettoyage par jet d’eau a aggravé tout dommage subi, ce qui n’est pas admis, le préjudice ainsi causé ne peut être imputé qu’à M. Higgs seul.

[111]       Quant aux dommages qui auraient été causés le 27 juillet 2012 par les actions d’employés de M. Colbeck, ce dernier soutient qu’ils sont divisibles par rapport aux dommages causés par la poussière de métal le ou avant le 26 juillet 2012 (Moore c Kyba, 2012 BCCA 361, aux paragraphes 32 à 37). En effet, les travaux en cause ont été effectués des jours différents par des personnes différentes, les dommages prétendument subis proviennent de substances différentes, ainsi que de projets différents, et le mode de nettoyage diffère grandement selon qu’on ait affaire à une contamination par les métaux ou à une contamination par le mastic et la peinture. Or, l’auteur d’un délit ne peut être tenu responsable que du préjudice qu’il cause. Tout au plus, M. Colbeck ne devrait être tenu responsable que pour ce qui est de la poussière de mastic et de peinture. Toutefois, puisque la poussière de mastic et de peinture n’a pas amplifié les dommages préexistants causés par la poussière de métal, et n’a pas nécessité des travaux de nettoyage additionnels, elle n’a causé en fait aucun dommage.

[112]       M. Colbeck fait valoir qu’en vertu du paragraphe 4(2) de la Negligence Act, RSBC 1996, c 333, de la Colombie-Britannique, la responsabilité solidaire ne s’applique que si les dommages sont indivisibles. Ainsi, il ne saurait y avoir de responsabilité solidaire en l’espèce. M. Colbeck soutient de manière subsidiaire que la doctrine de la vulnérabilité de la victime (Athey c Leonati, [1996] 3 R.C.S. 458, 140 DLR (4th) 235 [Athey c Leonati]) est ici applicable. Le Navire a été endommagé le 26 juillet 2012 par une contamination par les métaux (l’état préexistant). Il fallait pour régler ce problème d’importants travaux de nettoyage. La poussière de peinture et de mastic du lendemain, le seul dommage dont M. Colbeck pourrait être tenu responsable, ne requérait pour sa part qu’un nettoyage par jet d’eau d’une heure. Comme toutefois le nettoyage des débris de peinture et de mastic ne nécessitait pas de travaux additionnels, ces débris n’ont pas aggravé les dommages préexistants causés par la contamination et M. Colbeck ne devrait être tenu à aucune responsabilité à leur égard. Compte tenu de l’application de la règle de la vulnérabilité de la victime, il ne saurait y avoir de responsabilité solidaire.

Analyse

[113]       Le critère fondamental de détermination du lien de causalité demeure le critère du « facteur déterminant ». Il incombe au demandeur de démontrer que, si ce n’avait été des actes ou omissions négligents de chacun des défendeurs, il n’y aurait eu aucun préjudice. Lorsque la négligence de plus d’un défendeur a causé la même perte, les dommages peuvent être répartis tel que la loi le permet (Clements c Clements, 2012 CSC 32, aux paragraphes 8 et 12).

[114]       La demanderesse doit établir selon la prépondérance des probabilités que les actions des défendeurs ont été la cause des dommages subis, autrement dit, que si ce n’avait été des travaux de meulage ou de sablage effectués sur l’« Aestival », il n’y aurait pas eu de dommages.

[115]       Premièrement, quant à l’observation selon laquelle la contamination aurait pu provenir d’une autre source, la preuve à cet égard est de nature hypothétique. 

[116]       Philip Maier, le gérant de la marina, déclare dans son affidavit que le Navire est revenu dans l’espace commun de la marina le 20 juin 2012, après avoir été à l’atelier de Fraser Fibreglass. Il ajoute que la marina se trouve dans une zone industrielle et est situé presque directement sous le pont Second Narrows et à côté d’une voie ferrée. M. Maier a déclaré : [traduction] « Si les navires sont laissés à découvert de deux à trois semaines, ils tendent à se salir ».

[117]       Cela se peut fort bien, mais il semble alors être question de l’exposition générale de tous les navires à la poussière et à la pollution atmosphérique. Cela n’explique pas la présence des particules de métal ou des autres débris décrits dans le témoignage de M. O’Donoghue.

[118]       M. Colbeck déclare dans son affidavit #1 que le lieu où l’on a entreposé le Navire du 20 juin au 7 août 2012 était [traduction] « sale et il s’y trouvait de nombreuses sources possibles de contamination ». M. Colbeck affirme que ce lieu est situé presque sous le pont Second Narrows et à côté d’une voie ferrée où circulent fréquemment des trains de charbon. L’été, de nombreux navires sont sablés et peints à la marina. Dans une aciérie près du lieu d’entreposage du Navire, on soude et on meule de l’acier chaque jour. Au cours de l’été 2012, on a laissé les portes souvent ouvertes à l’aciérie, comme on l’a fait dans divers ateliers, par exemple dans les ateliers de réparation de fibre de verre et de menuiserie. Parfois aussi, à l’aciérie, on faisait du meulage dans la cour devant ses portes, située près du Navire. À l’époque où le Navire était à la marina, il s’y trouvait aussi d’autres bateaux dans ses environs où l’on effectuait des travaux de meulage et de sablage.

[119]       M. Colbeck a souscrit son affidavit #2 en réponse à un interrogatoire écrit. À la question 3a), il a répondu que, même si de nombreux bateaux dans la zone environnante faisaient l’objet de travaux, il ne s’agissait pas dans tous les cas de travaux de meulage et de sablage. Comme les travaux sur les autres bateaux étaient antérieurs à l’incident du 26 juillet 2012, il ne disposait à leur égard d’aucune note ni photographie, et ne pouvait pas fournir de renseignements précis sur l’emplacement de chaque bateau et sur la date et l’heure des travaux. La plupart des bateaux étaient de plus protégés par des bâches, mais pas tous entièrement. M. Colbeck a déclaré que, d’après ce qu’il avait constaté en travaillant à la marina, tôt le matin et le soir, lorsque le personnel de la marina était absent, les gens tendaient à enfreindre plus fréquemment les règles concernant la mise sous bâche. Il n’en a toutefois pas donné d’exemple précis valable pendant la période en cause du 20 juin au 26 juillet 2012.

[120]       À mon avis, cette preuve est de nature non spécifique. De plus, si l’aciérie avait gardé ses portes ouvertes et laissé des particules d’acier provenant du meulage s’échapper, les propriétaires de navires en fibre de verre de la marina auraient vraisemblablement formulé de nombreuses plaintes. M. Maier, le gérant de la marina, n’a pas non plus laissé entendre dans son affidavit qu’il s’agissait là d’une source de contamination.

[121]       M. O’Donoghue déclare pour sa part dans son affidavit #1 que, le 26 juillet 2012, ses employés et lui-même avaient terminé depuis peu leurs travaux de réparation, notamment de nouvelle application de peinture et de polissage, sur le Navire : [traduction] « Le 26 juillet 2012, par conséquent, même si le Navire était toujours hors de l’eau à la marina, sur des blocs, il était propre, poli, en parfait état et prêt à être remis à l’eau ».

[122]       M. O’Donoghue a ajouté que, le 26 juillet 2012, il avait vu M. Higgs faire des travaux de meulage sur le pavois bâbord de l’« Aestival », et observé un nuage de poussière en suspension dans l’air entre les deux bateaux, ainsi que de la poussière et des débris qui se déposaient sur le Navire. M. Higgs admet dans son premier affidavit qu’il a commencé des travaux de meulage à cette date. Il semblerait donc que la source des débris n’était pas une simple accumulation antérieure au 26 juillet 2012. M. O’Donoghue déclare en outre qu’il a procédé à une inspection du Navire le 28 juillet 2012. Il a découvert que des débris de meulage avaient endommagé l’enduit gélifié sur le pont. Le pont était également couvert de débris contenant des particules d’acier et de la peinture antisalissure noire qui avaient taché le fini gélifié du pont. Les voiles, la toile et les pièces en acier inoxydable étaient aussi endommagées, de même que la coque, là où des débris d’acier s’étaient déposés sur le rail de guidage. De nombreuses photos prises lors de l’inspection sont jointes à l’affidavit de M. O’Donoghue. Lorsqu’on l’a interrogé sur son affidavit, M. O’Donoghue a déclaré qu’il avait pu voir un nuage de poussière en suspension dans l’air se déplaçant, de manière très visible, vers le Navire. On a examiné avec M. O’Donoghue des copies de photographies prises par lui et on lui a demandé de montrer le nuage de débris en suspension dans l’air; M. O’Donoghue a toutefois déclaré qu’en raison de la qualité des copies des photos, il lui était difficile de le faire. Toutefois, dans le cas d’une photographie, M. O’Donoghue a pu signaler des points devant l’objectif causés, selon ses dires, par la poussière. La demanderesse a versé à son dossier de requête supplémentaire une copie agrandie de cette photo ainsi qu’un disque des photos prises.

[123]       Bien que les photographies ne démontrent pas de manière concluante l’existence d’un nuage de poussière et de débris, il ne fait aucun doute que, le 26 juillet 2012, M. Higgs a meulé de l’acier près du Navire; M. Higgs l’admet lui‑même et des photographies le confirment. M. O’Donoghue a été témoin oculaire de ces travaux de meulage ainsi que du dépôt de débris sur le Navire, qu’il a dit être propre avant le 26 juillet 2012. Les photographies de M. O’Donoghue permettent bel et bien de constater des accumulations de poussière et de débris à divers endroits sur le Navire ainsi que des taches causées par des métaux.

[124]       Dans son rapport d’inspection du 15 septembre 2012 établi pour le compte des assureurs de la demanderesse, M. Hopkinson a décrit comme suit les dommages subis par le Navire : [traduction] « Les ponts, les œuvres mortes, les toiles et les voiles entreposées sur le pont avant du Ain’t Life Grand ont été contaminés par des débris qui ont entaché le fini gélifié des ponts ». M. Hopkinson a examiné trois des factures présentées par Fraser Fibreglass pour ses travaux de réparation. Il a approuvé intégralement la première facture (n° 8706), de 15 075,87 $, jugée juste et raisonnable; il a déduit de la deuxième facture (n° 8724) la somme de 388 $, les frais requis pour attacher à nouveau les voiles, en approuvant le solde de 13 579,68 $, jugé juste et raisonnable; il a déduit de la troisième facture (n° 8718) pour frais d’entreposage à la marina les frais engagés pour l’entreposage antérieur au 26 juillet, en approuvant le solde de 3 247,33 $. M. Hopkinson a approuvé intégralement la facture n° 25636 pour nettoyage de voiles, de 975,39 $, présentée par North Sails Vancouver. La pièce D jointe à l’affidavit #1 de M. Hopkinson renferme des photographies en couleurs du Navire. La pièce E est la facture de M. Hopkinson lui‑même pour ses travaux d’inspection [traduction] « […] visant les dommages causés au pont, aux côtés supérieurs, aux œuvres mortes, aux toiles et aux voiles par des meulures contenant des particules d’acier qui sont provenues du ketch Aestival » [non mis en évidence dans l’original]. La pièce F comprend la copie d’une lettre du 31 juillet 2012 adressée à M. Higgs et dans laquelle M. Hopkinson déclare ce qui suit :

[traduction]

Nous sommes des experts maritimes à qui les assureurs pour coque et machines du navire susmentionné ont demandé de faire enquête sur la cause, la nature et l’étendue des dommages causés par des travaux récemment faits sur votre bateau, par suite desquels des particules de métal et d’autres débris se sont déposés sur ce navire.

Les débris comme vous le savez, en particulier les particules d’acier, peuvent entacher l’enduit gélifié; dans certains cas, les débris sont absorbés par l’enduit gélifié et causent de vilaines taches brunes qu’il est difficile, voire impossible, d’enlever.

Nous avons recommandé que des mesures correctrices soient prises le plus tôt possible en vue de minimiser les dommages. Le travail requis a débuté cet après‑midi, lorsqu’on a recouru à un nettoyeur à vapeur pour enlever les contaminants se trouvant sur le pont et sur les œuvres mortes. Ce travail devrait se poursuive demain. Nous verrons si ce mode de nettoyage connaît du succès, mais il est tout à fait possible que d’autres modes soient requis comme le polissage de découpe et le brossage à la main.

[…]

[Italiques ajoutés.]

[125]       Bien que M. Hopkinson se soit fié aux dires de M. O’Donoghue quant à la source de la contamination, il a procédé à sa propre inspection et n’a pas mis en doute la contamination du Navire, notamment par des débris de métal, et il a autorisé les travaux de nettoyage requis pour ce type de contamination.

[126]       Dans son affidavit, M. Oldham se décrit lui‑même comme un inspecteur maritime. La pièce B jointe à l’affidavit est un certificat concernant le Code de déontologie régissant les témoins experts, établi conformément à l’article 52.2 des Règles et confirmant le fait que M. Colbeck a retenu les services d’expert de M. Oldham. La pièce C est une copie du rapport sur le Navire établi par M. Oldham en date du 27 janvier 2014. On a notamment demandé à M. Oldham si les travaux effectués par Fraser Fibreglass étaient nécessaires pour nettoyer les dégâts par contamination qu’aurait causés l’« Aestival » les 26 et 27 juillet 2012. M. Oldham a notamment répondu comme suit : [traduction] « les particules d’acier provenant du meulage vont s’incruster dans l’enduit gélifié en fibre de verre et s’y oxyder. Cela rend le fibre de verre inesthétique mais ne porte pas atteinte à l’intégrité de la structure ».

[127]       M. Oldham met en question la méthode utilisée pour nettoyer la poussière de meulage, mais il ne laisse pas entendre qu’il n’y a pas eu de débris de métaux ni que ces débris n’ont causé aucun dommage.

[128]       J’estime, selon la prépondérance des probabilités, que les travaux de meulage effectués par M. Higgs le 26 juillet 2012 ont été la source des particules de métal qui ont contaminé le Navire, et que ces particules ont bel et bien endommagé le Navire. Si ce n’avait été des actions de M. Higgs, aucun dommage n’aurait été causé.

[129]       Quant aux événements du 27 juillet, M. O’Donoghue a déclaré, lorsqu’on l’a contre‑interrogé sur son affidavit, qu’une personne avait meulé ou sablé le tableau arrière de l’« Aestival » ce jour‑là, mais qu’il ne savait pas si du métal, du bondo, de la peinture ou bien de l’époxy avait alors été meulé. Il n’avait pu voir que de la poussière. Shawn Albert confirme dans son affidavit qu’il a fait du sablage et appliqué du mastic ainsi que de l’apprêt de manière ciblée ce jour‑là, mais il nie avoir meulé du métal. À mon avis, il n’a pas été établi, selon la prépondérance des probabilités, que du métal a été sablé lorsqu’on a procédé à des travaux de sablage le 27 juillet 2012. Toutefois, les autres particules qui se sont déposées sur le Navire ce jour‑là ont résulté des travaux de sablage de Shawn Albert.

[130]       Quant aux relations entre MM. O’Donoghue et Colbeck, il ressort à l’évidence de la preuve que les deux hommes ne s’aimaient guère.

[131]       Questionné sur ses relations avec M. Colbeck, lors de son contre-interrogatoire, M. O’Donoghue a déclaré que ce dernier ne l’avait jamais beaucoup aimé. Lui‑même n’avait rien contre M. Colbeck, un concurrent, mais celui‑ci ne regardait jamais dans sa direction ni ne lui adressait la parole. Lorsqu’on lui a demandé s’il reconnaissait que M. Colbeck s’était déjà plaint auprès de la direction de la marina du fait que ses employés ne mettaient pas correctement les bateaux sous bâche, M. O’Donoghue a déclaré qu’il en avait déjà entendu parler. M. O’Donoghue a confirmé qu’il avait lui aussi porté plainte contre M. Colbeck, et qu’une fois ce dernier avait débranché une ponceuse utilisée par un de ses employés, une action qu’il avait jugée être dangereuse. M. O’Donoghue a toutefois affirmé ne s’être jamais plaint auprès de WorkSafeBC ou la Workmen’s Compensation Board.

[132]       D’entrée de jeu dans son affidavit #1, M. Colbeck a pour sa part déclaré que M. O’Donoghue avait toujours semblé le détester, sans doute présumait-il parce qu’il avait mis sur pied une entreprise concurrente, dans une position avantageuse à la marina. Il s’était aussi parfois plaint auprès de la direction du fait que M. O’Donoghue ou Fraser Fibreglass ne suivait pas les règles de chantier relatives aux bâches de protection. Au cours des deux ou trois années précédentes, Fraser Fibreglass avait exercé des représailles en raison de la formulation de telles plaintes. Plus d’une fois par suite d’une plainte, par exemple, des inspecteurs de la Workers’ Compensation Board s’étaient présentés à son propre atelier pour donner suite à une plainte concernant de prétendues mauvaises habitudes de travail.

[133]       Même si MM. Colbeck et O’Donoghue n’étaient pas en bons termes, M. Colbeck a fait de simples suppositions, selon moi, en faisant état de mesures représailles de la part de M. O’Donoghue; ce dernier a d’ailleurs nié avoir pris de telles actions. Aucun élément de preuve n’étaye non plus les allégations de M. Colbeck selon lesquelles, en raison des frictions entre eux deux, M. O’Donoghue a pu exagérer l’importance du transport de poussière et de débris provenant de l’« Aestival » et s’étant déposés sur le Navire, et exagérer l’importance de ce transport aurait servi à justifier, en outre, les factures élevées présentées par Fraser Fibreglass pour les travaux de nettoyage. Aucunement étayées par la preuve, ces allégations visent simplement, selon moi, à discréditer le témoignage préjudiciable d’un témoin oculaire.

[134]       Je ferai aussi remarquer que M. O’Donoghue n’a pas fait réparer la Navire sans aucune supervision. Ses factures ont été passées en revue par l’expert maritime Hopkinson qui, comme je l’ai mentionné, s’est rendu sur le Navire après les événements des 26 et 27 juillet, et qui, pour le compte de l’assureur de la demanderesse, a approuvé les factures présentées, après ajustement, qu’il a estimées justes et raisonnables. Rien ne laisse croire que M. Hopkinson a mis en doute la source de la contamination ou a jugé exagérées les conséquences de celle‑ci.

[135]       À mon avis, la demanderesse a établi, selon la prépondérance des probabilités, que les dommages par contamination causés au Navire par les travaux de meulage entrepris et poursuivis le 26 juillet 2012, sans que des mesures aient été prises pour éviter la propagation des débris dans l’air, ne seraient pas survenus si ce n’avait été des actions ou omissions de M. Higgs. La demanderesse n’a toutefois pas établi qu’il était prévisible pour M. Colbeck que M. Higgs ferait des travaux de meulage ce jour‑là, et que M. Colbeck aurait donc dû, ou pu, installer des bâches de protection avant que M. Higgs ne débute ces travaux ou pendant qu’il les exécutait. La contamination du 27 juillet 2012 ne se serait toutefois pas produite si ce n’avait été des actions et omissions de M. Colbeck ou de ses employés, tant en raison des travaux de sablage effectués que du défaut d’installer des bâches de protection.

[136]       Cela dit, l’on ne doit tenir les défendeurs responsables que du préjudice causé par leurs actes négligents (Athey c Leonati, précité). En l’espèce, M. Higgs est responsable des dommages attribuables à sa négligence le 26 juillet, et M. Colbeck est responsable de tout dommage attribuable à la négligence de ses employés le 27 juillet. Les dommages causés par ces deux incidents sont toutefois divisibles ou distincts et, comme nous le verrons plus loin, la contamination survenue le 27 juillet 2012 n’a pas fait subir des dommages additionnels à la demanderesse, ni ne lui a fait engager des frais de réparation supplémentaires.

[137]       Dans l’affaire Sunrise Co c Lake Winnipeg (Le), [1991] 1 RCS 3 [Lake Winnipeg], le navire demandeur était entré en collision avec le navire défendeur et s’était échoué. On a imputé la collision à la négligence du défendeur, et la réparation des avaries causées par la collision a exigé que le navire passe 27 jours en cale sèche. Alors que le navire demandeur se dirigeait vers une zone d’ancrage, il s’est échoué une deuxième fois lors d’un incident sans lien avec le premier. Les réparations requises par le second incident auraient nécessité 14 jours de cale sèche, mais elles ont toutes été effectuées pendant la période initialement prévue de 27 jours.

[138]       S’exprimant au nom de la majorité de la Cour suprême du Canada, la juge L’Heureux-Dubé a autorisé le demandeur à réclamer au défendeur la perte de profits subie pendant la période entière de 27 jours, même s’il eût été possible de dire, selon la jurisprudence sur les blessures corporelles dans les cas où le second incident n’est pas délictuel, que 13 jours de réparations sur les 27 auraient été requis de toute manière et ne relevaient pas de la responsabilité du défendeur. La juge L’Heureux-Dubé s’est fondée sur la proposition suivante tirée de The Haversham Grange, [1905] P 307, à la page 398, qu’elle a citée :

[traduction]

(b)        S’il est nécessaire d’effectuer des réparations découlant des deux abordages, les dommages relatifs à l’arrêt sont attribuables à l’auteur du premier abordage, dans la mesure où ces dommages ne sont pas augmentés par le deuxième abordage.

[139]       Tout en mettant en garde contre les comparaisons entre les affaires de perte de profits en matière maritime et les affaires de blessures corporelles, la juge L’Heureux-Dubé a donné un exemple d’application du principe dans un domaine autre que la navigation, le disant pertinent pour ce qui est des dommages matériels :

Il me semble qu'une utilisation plus significative des principes établis dans les affaires de navigation est illustrée dans l'arrêt Performance Cars Ltd. v. Abraham, [1962] 1 Q.B. 33, puisque, comme dans les affaires de navigation, la question portait sur des dommages matériels.  Dans cette affaire, une automobile avait subi deux collisions.  Le dommage occasionné était léger, mais la première collision avait nécessité l'application d'une nouvelle peinture sur toute la partie inférieure de l'automobile.  Comme le demandeur ne pouvait récupérer de l'auteur du premier délit la somme nécessaire pour la nouvelle peinture, il a soutenu que, puisque les dommages causés par le deuxième auteur de délit auraient en eux‑mêmes nécessité l'application d'une nouvelle peinture, il pouvait exiger de l'auteur du deuxième délit le remboursement de ces frais.  Lord Evershed, maître des rôles, s'est fondé en partie sur le raisonnement des arrêts The Carslogie et The Haversham Grange pour arriver à sa conclusion.  À la page 40, il conclut comme suit :

[traduction]

À mon avis, en l'espèce, on doit considérer que le défendeur a endommagé une automobile qui était déjà, à certains égards (c.‑à‑d. en ce qui a trait au besoin d'une nouvelle peinture), endommagée; de sorte que dans la mesure de ce besoin ou de ce préjudice, les dommages revendiqués ne découlaient pas du délit du défendeur.

[Je souligne.]

[140]       La juge L’Heureux-Dubé a conclu, au paragraphe 30 de l’arrêt Lake Winnipeg, précité, qu’il ne suffisait pas dans cette affaire de déterminer simplement que le dommage causé par le deuxième incident avait été une cause de l’arrêt. Même si le deuxième incident avait nécessité un arrêt en cale sèche, il n’existait pas de lien de causalité entre lui et la perte de profits des propriétaires du navire demandeur, puisque les réparations imputables au deuxième incident ont été effectuées à l’intérieur de l’arrêt de 27 jours en cale sèche nécessité par le premier incident. Par conséquent le navire défendeur, seul responsable du premier incident, était entièrement responsable de la perte de profits découlant de la période entière d’arrêt de 27 jours en cale sèche.

[141]       Bien que dans l’affaire Lake Winnipeg le deuxième incident n’ait pas été de nature délictuelle, la juge L’Heureux-Dubé a déclaré dans une remarque incidente que cet élément n’avait aucune incidence sur la responsabilité du deuxième défendeur.

[142]       Dans la présente affaire, les deux délits se sont produits à des jours différents et sont le fait de personnes différentes et, comme nous le verrons, ils ont causé des dommages ou des pertes différents au Navire demandeur. Par conséquent, comme les dommages se chevauchent mais sont distincts, il ne s’agit pas ici d’un cas où s’applique la règle de la responsabilité partagée en proportion de la faute, prévue au paragraphe 17(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, LC 2001, c 6 (la LRMM), ou la règle de la responsabilité solidaire, prévue au paragraphe 17(2) de la LRMM. La conclusion serait la même si les dispositions pertinentes de la Negligence Act, RSBC 1996, c 333 de la Colombie-Britannique (le paragraphe 1(3) et l’article 4) étaient plutôt en jeu.

[143]       Par conséquent, les défendeurs Aestival sont entièrement responsables des dommages causés au Navire par le dépôt de particules d’acier et d’autres débris le 26 juillet 2012. M. Colbeck est pour sa part responsable de tout dommage ou de toute perte causé par les travaux de sablage effectués le 27 juillet 2012 sur l’« Aestival ».

[144]       Je conclus à cet égard, en fonction de la preuve, que les dommages causés par les travaux de sablage faits le 27 juillet 2012 par l’employé de M. Colbeck n’ont occasionné à la demanderesse aucune perte s’ajoutant aux pertes déjà entraînées par les actions commises par M. Higgs le 26 juillet 2012. M. O’Donoghue a déclaré dans son témoignage qu’il ne pouvait pas dire si on avait meulé du métal le 27 juillet, et M. Albert a déclaré qu’à cette date il n’avait ni sablé ni meulé du métal nu. La preuve ne démontre donc pas, selon la prépondérance des probabilités, que les actions du 27 juillet 2012 de l’employé de M. Colbeck ont, en raison d’une contamination par particules de métal, causés des dommages au Navire. Aucune preuve ne démontre non plus que l’effet combiné de la contamination de l’une et l’autre journées a causé des dommages particuliers.

[145]       M. Oldham déclare dans son affidavit #1 qu’il aurait fallu une heure de nettoyage par jet d’eau pour débarrasser le Navire des particules de sablage qui s’y étaient déposées par suite de l’incident du 27 juillet 2012. On n’a soumis M. Oldham à aucun contre-interrogatoire. De plus, l’examen des factures m’amène à conclure qu’on n’a pas passé au jet d’eau ni nettoyé le pont pour y enlever les particules de mastic ou de peinture en sus de ce qui était requis, en tout état de cause, pour remédier aux dommages causés le 26 juillet 2012 par le dépôt de particules d’acier. M. Colbeck ne saurait donc être tenu responsable des dommages causés.

iv) Dommages

Position de la demanderesse

[146]       La demanderesse soutient que les frais de réparation, de nettoyage et d’entreposage engagés pendant les travaux de réparation, d’un montant de 37 886,32 $, ainsi que les frais d’inspection de 4 879,42 $, sont indemnisables (42 765,74 $ au total). Elle estime aussi que la perte de jouissance du Navire pendant la période des réparations est également indemnisable, les administrateurs de la demanderesse ayant prévu d’y passer des vacances (Perera c De Groot, 2006 BCSC 1281 [Perera]; Strachen c Constant Craving (The), 2003 CFPI 86 [Strachen]).

Position du défendeur Colbeck

[147]       M. Colbeck a contesté au moyen d’observations longues et détaillées le coût des réparations et la façon dont elles ont été exécutées.

[148]       M. Colbeck soutient essentiellement que la demanderesse a surestimé le montant des dommages, que les réparations auraient pu être effectuées à moindre coût et que la demanderesse n’a pas su mitiger ses dommages. À cet égard, il se fonde sur le rapport d’inspection établi par M. Oldham. Ce dernier s’est dit d’avis que si on avait nettoyé les ponts du Navire en recourant à un jet à basse pression et à de l’acide oxalique, puis à du polissage de découpe et à du brossage, les travaux requis auraient duré 50 heures. M. Colbeck soutient que si l’on avait obtenu plusieurs devis, il est probable qu’un des soumissionnaires aurait connu la méthode de nettoyage à l’acide oxalique et présenté en conséquence une soumission plus concurrentielle.

[149]       M. Colbeck soutient également que les taches de rouille autour de l’acier inoxydable n’ont pu être causées par les contaminants par meulage et sablage, que certaines taches de rouille sur le pont étaient attribuables à une chaîne d’ancre rouillée et que d’autres aires, protégées par les voiles, n’avaient pas à être nettoyées. En outre, M. Hopkinson n’a pas approuvé la facture n° 8729 de Fraser Fibreglass, de 3 846,64 $, ni une facture de Malkin Cleaners, de 1 161,41 $, pour des chiffons de nettoyage et de la literie, et les frais en cause ne devraient pas être indemnisés.

[150]       M. Colbeck soutient aussi que le Navire avait été mis en vente et que cela a influé sur le montant des frais de nettoyage.

[151]       M. Colbeck ajoute que M. Hopkinson n’a pas uniquement fourni un rapport d’expert et qu’il y aurait donc lieu de réduire les frais d’établissement de son rapport.

[152]       Quant à la perte de jouissance, M. Colbeck soutient qu’il est permis de se demander si, même en l’absence de la contamination, le Navire aurait été prêt à l’été 2012. La remise à l’eau ayant déjà été retardée du 26 juin au 27 juillet, elle aurait pu tout autant l’être jusqu’en septembre 2012. La demanderesse n’a donc pas établi selon la prépondérance des probabilités que la contamination a entraîné la perte de jouissance. Quoi qu’il en soit, la contamination du 27 juillet 2012 n’a été la cause d’aucune perte de jouissance puisqu’il s’agissait alors uniquement de poussière de mastic et de peinture qu’on pouvait nettoyer par jet d’eau en une heure.

[153]       Enfin, M. Colbeck fait aussi valoir que les administrateurs des sociétés demanderesses ne sont pas demandeurs nommés dans l’instance, que la perte n’est pas quantifiée et qu’aucune preuve n’atteste la location d’un navire de remplacement. Compte tenu de la vente du Navire au prix de 340 000 $, le 14 juin 2013, le montant de la réclamation pour perte de jouissance pourrait être établi à 1 341,60 $ (Teschner c Teschner, [1995] OJ n° 1569).

Analyse

[154]       M. Hopkinson déclare dans son rapport d’inspection du 15 septembre 2012 qu’il a commencé à procéder à l’inspection, à la demande de Navis Marine Insurance Brokers, le 31 juillet 2012. M. Hopkinson précise que Fraser Fibreglass a nettoyé les ponts et les œuvres mortes de diverses manières, notamment au moyen d’un dispositif de nettoyage à vapeur et d’acide chlorhydrique, et fait nettoyer les ponts et les aires antidérapantes à la main avec un composé de polissage de découpe et d’autres produits nettoyants. Il a examiné trois factures de Fraser Fibreglass, procédé à des ajustements pour deux d’entre elles et donné son autorisation pour un montant de 32 878,27 $, dont 975,39 $ pour des services de nettoyage de voiles. Dans sa lettre du 31 juillet 2012 à M. Higgs, M. Hopkinson a notamment recommandé qu’on prenne des mesures correctrices aussitôt que possible afin de minimiser les dommages, et a dit que, même si le nettoyage à la vapeur avait débuté cet après-midi-là, d’autres modes de nettoyage pourraient s’avérer nécessaires. J’estime, au vu de ce témoignage, que la prétention de M. Colbeck selon laquelle la demanderesse n’a pas mitigé les dommages subis ne repose sur aucun fondement.

[155]       M. Hopkinson a souscrit son affidavit #2 en réponse à un interrogatoire écrit. On lui a demandé pourquoi il n’était pas possible de recourir au nettoyage à haute pression pour le pont du Navire, et il a répondu que ce procédé aurait pu rendre les taches pires encore. On lui a aussi demandé s’il recommandait l’utilisation d’acide oxalique pour le nettoyage de particules d’acier. Il a répondu par la négative, et a dit qu’il ne recommandait habituellement l’acide oxalique que pour blanchir le teck. On a demandé à M. Hopkinson si Fraser Fibreglass avait la réputation d’être l’un des réparateurs dont les services étaient les plus chers, et il a convenu que oui. M. Hopkinson a également convenu que les propriétaires du Navire avaient des attentes plus élevées que la moyenne quant au degré de propreté demandé pour le Navire.

[156]       On a demandé à M. Oldham d’exprimer son avis, dans son rapport, sur la nécessité des travaux exécutés par Fraser Fibreglass pour nettoyer tout dégât que la prétendue contamination attribuable à l’« Aestival » aurait pu causer, et sur le caractère raisonnable ou non des frais de réparation demandés. M. Oldham a déclaré qu’à son avis, si on avait nettoyé la poussière de meulage déposée sur les ponts du Navire en recourant à un jet à basse pression, la plupart des débris de meulage auraient été éliminés. L’application d’acide oxalique aurait dissous les particules de métal et éliminé le fibre de verre taché. Le polissage de découpe et le brossage auraient achevé le processus. M. Oldham a dit estimer qu’on avait consacré trop de temps au nettoyage de la poussière de meulage sur les ponts et qu’en l’effectuant avec célérité, ce travail aurait pu être fait en 50 heures. M. Oldham a précisé que Fraser Fibreglass avait nettoyé les ponts par application d’acide chlorhydrique au moyen d’une machine nettoyante à vapeur et par polissage à la main.

[157]       L’avocat de M. Colbeck a demandé à M. O’Donoghue, lorsqu’il l’a contre-interrogé sur son affidavit, pourquoi il n’avait pas utilisé d’acide oxalique. M. O’Donoghue a répondu qu’il utilisait habituellement un produit nommé On & Off ainsi que de l’acide chlorhydrique, qu’il jugeait extrêmement efficaces, et même meilleurs, pour enlever les débris d’acier et d’oxyde de cuivre. Il a déclaré que l’On & Off renfermait un acide très efficace pour supprimer la contamination entachant les navires et que c’était un bon produit nettoyant. Ce produit figure dans la facture de M. O’Donoghue.

[158]       À mon avis, les défendeurs n’ont pas établi que la méthode utilisée et le temps consacré aux travaux par M. O’Donoghue étaient inopportunément excessifs. M. Oldham n’était pas sur les lieux immédiatement après que les dommages sont survenus. Il n’a pas non plus déclaré inappropriée l’utilisation d’On & Off et d’acide chlorhydrique. Je suis aussi influencée par le fait que M. Hopkinson, dans les rapports faits aux assureurs tout au long de la période de nettoyage, ne conteste ni la méthode utilisée pour nettoyer le pont, ni le temps qui y a été consacré. M. Hopkinson a aussi expliqué pourquoi il ne recommanderait pas, comme l’a fait M. Oldham, le recours au nettoyage sous pression.

[159]       Quant à l’absence de devis concurrentiels, M. Oldham a confirmé lors de son contre‑interrogatoire qu’il s’était rendu voir le Navire pour la première fois le 28 septembre 2012. On l’a renvoyé à son rapport, où il avait déclaré qu’il était pratique courante, lorsque des réparations étaient susceptibles de coûter autant que celles requises par le présent incident, d’obtenir des devis supplémentaires. M. Oldham a confirmé qu’obtenir de tels devis n’était pas obligatoire, et que la décision en revenait au propriétaire ou à l’assureur, qui pouvait choisir d’en demander un seul. M. Hopkinson a souscrit son affidavit #2 en réponse à un interrogatoire écrit, où on lui avait demandé s’il obtenait habituellement plus d’un devis avant d’approuver une réparation particulière. M. Hopkinson a répondu qu’il s’efforçait d’obtenir plus d’un devis, mais que cela s’avérait parfois impossible. Dans l’affaire qui nous occupe, il n’avait pas sollicité d’autres devis, parce que l’ampleur des travaux à faire n’était pas connue dès le départ.

[160]       Selon moi, le fait qu’aucun devis supplémentaire n’ait été obtenu, surtout que l’on a jugé nécessaire de réagir rapidement à la contamination, ne peut être invoqué pour mettre en cause les frais de réparation réclamés. Il en est de même du fait que la demanderesse s’en tenait à une norme élevée pour le Navire.

[161]       M. Oldham a aussi dit estimer qu’il convenait d’exclure les frais de nettoyage du fibre de verre taché autour de l’accastillage, comme il s’agissait là de dommages subis de manière habituelle par un navire. Pour attester l’existence de ce type de dommage, il a renvoyé à la photographie figurant à la page 33 de l’affidavit de M. O’Donoghue. M. Hopkinson a pour sa part déclaré dans son témoignage qu’il n’avait ni vu ni approuvé la facture n° 8729 de Fraser Fibreglass qui visait notamment les travaux en cause. M. Neilsen déclare dans son affidavit #2 qu’on s’en était toujours tenu à une norme élevée pour le Navire, et qu’à sa connaissance, il n’y avait jamais eu auparavant d’exsudation à la base des étançons. Des photographies prises entre le printemps et l’automne 2011 sont jointes à titre de pièces à l’affidavit, en vue de faire voir l’état général du Navire à l’époque.

[162]       Je ne suis pas convaincue que ce dommage a résulté de la contamination du 26 juillet 2012. Bien que la facture vise aussi d’autres travaux, je ne ferai pas droit, comme M. Hopkinson ne l’a pas approuvée, à la réclamation faite d’un montant de 3 846,64 $.

[163]       Je refuserais de même la facture de 1 161,41 $ présentée par Malkin Cleaners pour le nettoyage de serviettes et de literie. Dans une lettre du 7 août 2012 adressée à Navis Marine Insurance Brokers, M. Hopkinson déclare qu’il a reçu un appel de M. Neilsen après avoir inspecté l’intérieur du Navire, et qu’il lui a dit estimer que l’incident n’avait aucunement endommagé l’intérieur. M. Hopkinson a précisé dans la lettre que, même si on avait pu constater une très légère accumulation de poussière sur certaines surfaces horizontales à l’intérieur, il s’agissait là du dépôt inévitable de poussière en suspension dans l’air dans le Navire pendant l’exécution des travaux de réparation. On a utilisé un aimant en procédant à l’inspection, et aucune particule d’acier n’a été repérée dans la poussière.

[164]       Quant aux honoraires de 4 879,42 $ pour les services de M. Hopkinson, je suis d’avis que les services fournis sont conformes à ce qu’on peut attendre d’un expert maritime en semblables circonstances, et qu’il n’y a pas lieu de les réduire.

[165]       Enfin, la réclamation pour perte de jouissance ne peut être accueillie. MM. Neilsen et Thody, administrateurs de la demanderesse, ne sont pas des demandeurs nommés dans la présente action, contrairement à ce qui en était dans les affaires Perera et Strachen, précitées. La demanderesse, à titre de propriétaire du Navire, est une personne morale qui ne prend pas de vacances. La décision Nordholm I/S c Canada (1996), 105 FTR 161, invoquée par la demanderesse à l’audience, ne m’incite pas à penser le contraire.

[166]       En résumé, j’accorde les dommages-intérêts suivants :

        i.            la somme de 37 757,69 $, correspondant aux factures de 32 878,27 $ approuvées et ajustées par M. Hopkinson et aux honoraires d’inspection de 4 879,42 $ de ce dernier;

      ii.            les intérêts avant et après jugement, au taux de cinq pour cent (5%) prévu par la Loi sur l’intérêt, L.R.C. 1985, c I-15.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.                          Le navire défendeur « Aestival », son propriétaire, la défenderesse Island‑Sea Marine Ltd ainsi que le défendeur Kenneth W. Higgs doivent payer à la demanderesse des dommages-intérêts de 37 757,69 $, plus les intérêts avant et après jugement, au taux de cinq pour cent (5%) prévu par la Loi sur l’intérêt, L.R.C. 1985, c. I-15.

2.                          La demanderesse a droit à ses dépens, lesquels seront acquittés par le navire défendeur « Aestival », son propriétaire, la défenderesse Island-Sea Marine Ltd et le défendeur Kenneth W. Higgs.

« Cecily Y. Strickland »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1625-12

 

INTITULÉ :

0871768 B.C. LTD. c LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE À VOILES « AESTIVAL », LE NAVIRE À VOILES « AESTIVAL », ISLAND-SEA MARINE LTD., KENNETH W. HIGGS, EXECUTIVE YACHT SERVICES LTD. ET MICHAEL GUY COLBECK, FAISANT AFFAIRE SOUS LE NOM

EXECUTIVE YACHT SERVICES ET/OU EXECUTIVE YACHT SERVICES LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 MAI 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

lA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS ET

DU JUGEMENT :

LE 5 NOVEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Paul D. Mooney

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

K. Joseph Spears

 

POUR LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE À VOILES « AESTIVAL », LE NAVIRE À VOILES « AESTIVAL », ISLAND-SEA MARINE LTD., KENNETH W. HIGGS, EXECUTIVE YACHT SERVICES LTD., DÉFENDEURS

 

Brad Caldwell

POUR MICHAEL GUY COLBECK, FAISANT AFFAIRE SOUS LE NOM EXECUTIVE YACHT SERVICES ET/OU EXECUTIVE YACHT SERVICES LTD., DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bernard LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Straith Litigation Chambers

Avocats

West Vancouver

(Colombie-Britannique)

 

POUR LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE À VOILES « AESTIVAL », LE NAVIRE À VOILES « AESTIVAL », ISLAND-SEA MARINE LTD., KENNETH W. HIGGS, EXECUTIVE YACHT SERVICES LTD., DÉFENDEURS

 

Caldwell & Co.

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR MICHAEL GUY COLBECK, FAISANT AFFAIRE SOUS LE NOM EXECUTIVE YACHT SERVICES ET/OU EXECUTIVE YACHT SERVICES LTD.

 

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