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Date : 20141118


Dossier : IMM-8426-13

Référence : 2014 CF 1086

Montréal (Québec), le 18 novembre 2014

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

ABOUBACAR LASSIDY TOURE

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], à l’encontre d’une mesure d’exclusion rendue le 18 décembre 2013 par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC].

II.                Faits

[2]               Le demandeur, un citoyen de la République de Guinée, âgé de 21 ans, est arrivé au Canada le 12 décembre 2010 avec un statut de résident temporaire à titre d’étudiant étranger. Le permis d’études du demandeur a expiré le 31 août 2013.

[3]               À défaut d’avoir soumis une demande de renouvellement de permis d’études à l’intérieur du délai de 90 jours avant l’expiration de son permis d’études, tel que prévu à l’article 217 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR], le demandeur a soumis une demande de renouvellement de son Certificat d’acceptation du Québec auprès du Ministère de l’immigration et des communautés culturelles du Québec, le 28 octobre 2013, ainsi qu’une demande de rétablissement de statut et de permis d’études, le 29 novembre 2013.

[4]               Le 3 décembre 2013, alors que l’entrée lui fut refusée par la douane américaine, le demandeur a fait l’objet d’un contrôle par l’ASFC à la frontière canado-américaine. Faute de statut valide, en raison de son permis d’étudiant expiré, un rapport aux termes du paragraphe 44(1) de la LIPR été rédigé à l’encontre du demandeur. Le 4 décembre 2013, suite à un deuxième contrôle par l’ASFC, découlant d’un refus d’entrée aux États-Unis à l’aéroport de Montréal, le demandeur a consenti à quitter volontairement le Canada en retirant sa demande d’admission au Canada. En conséquence, aucune mesure d’exclusion n’a été émise à son encontre.

[5]               Le jour prévu de son départ pour la Guinée, le 18 décembre 2013, le demandeur a fait part aux autorités de son intention de ne plus vouloir désormais quitter volontairement le Canada, de telle sorte qu’une mesure d’exclusion fut émise contre lui ce même jour. Cette décision d’exclure le demandeur est contestée devant la Cour.

III.             Décision contestée

[6]               La décision contestée est celle de la mesure d’exclusion et le rapport d’interdiction de territoire émise selon le paragraphe 44(1) de la LIPR à l’encontre du demandeur, incluant les notes de l’agent consignées dans le Système mondial de gestion des cas y afférents.

[7]               La mesure d’exclusion à l’encontre du demandeur indique que le demandeur est interdit de territoire pour « manquement à la [LIPR] en raison de tout fait – acte ou omission – commis directement ou indirectement en contravention avec la [LIPR] et, s’agissant du résident permanent, le manquement à l’obligation de résidence et aux conditions imposées », en vertu de l’article 41 de la LIPR.

[8]               Particulièrement, le rapport indique que le demandeur aurait manqué à l’alinéa 20(1)b) du RIPR selon lequel « l’étranger […] qui cherche à entrer au Canada ou y séjourner est tenu de prouver, pour devenir un résident temporaire, qu’il détient les visa ou autres documents requis par règlement », ainsi qu’à l’article 9 du RIPR selon lequel « un étranger ne peut entrer au Canada pour y étudier sans avoir préalablement obtenu un permis d’études » (Dossier du demandeur, à la p 6).

[9]               Le rapport rédigé par l’agent aux termes du paragraphe 44(1) est fondé sur les renseignements suivants, selon lesquels le demandeur :

         n’est pas citoyen du Canada ou résident permanent du Canada;

         a déclaré avoir étudié à l’Université du Québec à Montréal durant la session d’automne 2013. Par ce fait, le demandeur déclare qu’il allait manquer ses examens de fin de session;

         n’a pas soumis une demande de renouvellement de son permis d’études avant la date d’expiration, soit le 31 août 2013;

         a déclaré avoir soumis une demande de restauration en date du 29 novembre 2013 et que, malgré cette demande, il n’était pas en droit de fréquenter un établissement scolaire.

(Dossier du demandeur, à la p 10).

IV.             Analyse

[10]           La question dont est saisie la Cour est de savoir si la mesure d’exclusion portée à l’encontre du demandeur en vertu du paragraphe 44(1) est susceptible de révision judiciaire.

[11]           Selon le demandeur, l’agent aurait porté atteinte à l’équité procédurale en émettant une mesure d’exclusion à son encontre. À l’appui, le demandeur invoque l’insuffisance des motifs de l’agent ainsi que le caractère arbitraire de sa décision. Le demandeur soutient que la décision de l’agent ne considère pas l’ensemble du dossier, notamment sa demande de rétablissement de permis d’études en vertu du paragraphe 182(1) du RIPR.

[12]           Afin de permettre à la Cour de trancher la demande, une attention particulière aux dispositions législatives et réglementaires pertinentes est de mise.

[13]           D’abord, la décision de l’agent d’exclure le demandeur en vertu de l’article 41 de la LIPR est fondée sur un « fait, acte ou omission » commis par le demandeur, notamment en contravention de l’alinéa 20(1)b) et de l’article 9 du RIPR.

[14]           Le défendeur soutient que le demandeur est un étranger ayant « cherché à entrer au Canada et à y séjourner » puisqu’il a été refoulé à deux reprises par la douane américaine, ce qui engendre l’application de l’alinéa 20(1)b) à l’égard du demandeur. Le défendeur soutient que le demandeur est une « personne cherchant à entrer au Canada » en vertu du paragraphe 27(3) du RIPR. Les dispositions pertinentes sont les suivantes :

Obligation à l’entrée au Canada

Obligation on entry

20. (1) L’étranger non visé à l’article 19 qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver :

20. (1) Every foreign national, other than a foreign national referred to in section 19, who seeks to enter or remain in Canada must establish,

[…]

[…]

b) pour devenir un résident temporaire, qu’il détient les visa ou autres documents requis par règlement et aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

(b) to become a temporary resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

Obligation

Obligation on entry

27. (1) Sauf disposition contraire du présent règlement, la personne qui cherche à entrer au Canada doit sans délai, pour se soumettre au contrôle prévu au paragraphe 18(1) de la Loi, se présenter à un agent à un point d’entrée.

27. (1) Unless these Regulations provide otherwise, for the purpose of the examination required by subsection 18(1) of the Act, a person must appear without delay before an officer at a port of entry.

Admission refusée par un pays tiers

Refused entry elsewhere

(3) Pour l’application de l’article 18 de la Loi, toute personne retournée au Canada du fait qu’un autre pays lui a refusé l’entrée est une personne cherchant à entrer au Canada.

(3) For the purposes of section 18 of the Act, every person who has been returned to Canada as a result of the refusal of another country to allow that person entry is a person seeking to enter Canada.

Permis d’études

Study permit

9. (1) L’étranger ne peut entrer au Canada pour y étudier que s’il a préalablement obtenu un permis d’études.

9. (1) A foreign national may not enter Canada to study without first obtaining a study permit.

[15]           La Cour constate que le demandeur a tenté à plusieurs reprises d’obstruer la loi ainsi que le mandat des agents de l’ASFC. Notamment, le demandeur a fait défaut de présenter une demande de renouvellement de son permis d’études à l’intérieur du délai accordé en vertu du paragraphe 217(1) du RIPR. De plus, ce n’est que le jour même de son départ prévu que le demandeur a déclaré ne plus vouloir se conformer à son consentement antérieur du 4 décembre 2013 de quitter le Canada, conformément au retrait formel de sa demande d’entrée au Canada.

[16]           De plus, la Cour considère que l’objet de la LIPR visant à faciliter l’entrée au Canada aux étudiants et travailleurs temporaires doit également être équilibré par la nécessité de protéger l’intégrité des programmes de Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] et de promouvoir le respect des diverses obligations prévues par la LIPR (Sui c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 1314 au para 51 [Sui]; Adroh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 393 au para 10 [Adroh]).

[17]           Malgré le caractère répréhensible de son comportement, la Cour constate que le demandeur bénéficie du droit à ce que sa demande de rétablissement de statut, présentée dans le délai imparti, soit considérée par l’agent de l’ASFC.

[18]           Notamment, l’agent a l’obligation de considérer si la demande de rétablissement du demandeur est conforme aux conditions prévues au paragraphe 182(1) du RIPR :

Rétablissement

Restoration

182. (1) Sur demande faite par le visiteur, le travailleur ou l’étudiant dans les quatre-vingt-dix jours suivant la perte de son statut de résident temporaire parce qu’il ne s’est pas conformé à l’une des conditions prévues à l’alinéa 185a), aux sous-alinéas 185b)(i) à (iii) ou à l’alinéa 185c), l’agent rétablit ce statut si, à l’issue d’un contrôle, il est établi que l’intéressé satisfait aux exigences initiales de sa période de séjour, qu’il s’est conformé à toute autre condition imposée à cette occasion et qu’il ne fait pas l’objet d’une déclaration visée au paragraphe 22.1(1) de la Loi.

182. (1) On application made by a visitor, worker or student within 90 days after losing temporary resident status as a result of failing to comply with a condition imposed under paragraph 185(a), any of subparagraphs 185(b)(i) to (iii) or paragraph 185(c), an officer shall restore that status if, following an examination, it is established that the visitor, worker or student meets the initial requirements for their stay, has not failed to comply with any other conditions imposed and is not the subject of a declaration made under subsection 22.1(1) of the Act.

[19]           Le libellé du paragraphe 182(1) du RIPR établit que l’agent doit rétablir le statut pour lequel une demande de rétablissement a été soumise dans les délais impartis, si les conditions spécifiées sont remplies. Plus précisément, le paragraphe 182(1) du RIPR accorde le droit au rétablissement de statut à un étudiant sur demande présentée « dans les quatre-vingt-dix jours suivant la perte de son statut de résident temporaire parce qu’il ne s’est pas conformé à l’une des conditions prévues à l’alinéa 185a), aux sous-alinéas 185b)(i) à (iii) ou à l’alinéa 185c) » et « que l’intéressé satisfait aux exigences initiales de sa période de séjour, qu’il s’est conformé à toute autre condition imposée à cette occasion et qu’il ne fait pas l’objet d’une déclaration visée au paragraphe 22.1(1) de la Loi ».

[20]            En l’espèce, le demandeur a présenté sa demande de rétablissement dans les délais requis, soit à l’intérieur des 90 jours suivant l’expiration de son permis d’études. À cet effet, la juge Danièle Tremblay-Lamer énonce dans Adroh, ci-dessus :

[7]        Comme le souligne la juge Gauthier dans l'affaire Sui c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 1314, [2006] ACF no 1659 aux paragraphes 33-34 [Sui]:

Pour demander le rétablissement, le visiteur, le travailleur ou l'étudiant ne doit pas avoir perdu son statut de résident temporaire pendant plus de 90 jours [...] Aucun pouvoir discrétionnaire n'est conféré à l'agent saisi d'une demande de prolongation. Il doit rétablir le statut [de la demanderesse] si, à l'issue d'un contrôle, il est convaincu que [cette dernière] satisfait aux exigences initiales de son séjour.

[21]           Tel qu’il appert du permis d’études du demandeur, les exigences initiales qui y sont reliées sont les suivantes : 1) le demandeur doit quitter le Canada au plus tard le 31 août 2013; 2) il ne peut exercer un emploi au Canada sans autorisation (Dossier du demandeur, à la p 41).

[22]           Conformément, la Cour constate que le manquement à l’exigence de quitter le Canada à l’expiration de son permis d’études ne peut fonder à elle seule la mesure d’exclusion à l’encontre du demandeur, puisqu’un individu présentant une demande de rétablissement de statut se retrouve vraisemblablement sans statut valide. Il est à noter que la demande de rétablissement soumise par le demandeur en date du 29 novembre 2013 ne lui accorde aucune prolongation de statut, contrairement au maintien de statut accordé dans le cadre d’une demande de renouvellement, par le paragraphe 183(5) du RIPR jusqu’à disposition finale d’une telle demande. Donc, invoquer le manque de statut valide du demandeur comme motif d’exclusion n’est pas cohérent avec la logique du mécanisme de rétablissement de statut prévu au paragraphe 182(1). À cet effet, la juge Johanne Gauthier énonce dans Sui :

[35]      L'article 179 du Règlement énonce les exigences initiales applicables à la délivrance d'un visa de résident temporaire (voir la décision Radics v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2004 CF 1590, [2004] A.C.F. no 1932 (QL), paragraphe 10). Selon l'alinéa 179e), l'étranger doit établir qu'il n'est pas interdit de territoire. Interpréter cette disposition comme si elle signifiait que l'agent peut décider que le demandeur n'a pas satisfait aux exigences initiales de son séjour simplement parce qu'il n'a pas quitté le Canada à la fin de la période autorisée aurait pour effet de priver de sens l'article 182 du Règlement. L'agent pourrait toujours rejeter la demande pour cette raison. Le demandeur n'aurait absolument aucune chance d'obtenir le rétablissement de son statut puisqu'il est à mon avis manifeste que, dans l'attente d'une décision statuant sur la demande de rétablissement, un demandeur comme M. Sui est et demeure sans statut. Cela serait contraire à l'intention du législateur. Cela serait en outre incompatible avec les renseignements fournis au grand public, y compris Tao Sui, dans le guide de l'immigration relatif au Traitement des demandes au Canada de CIC, en particulier le passage reproduit au paragraphe 21, puisque M. Sui ne faisait l'objet d'aucun rapport rédigé en vertu du paragraphe 44(1) lorsqu'il a produit sa demande.

[Je souligne.]

[23]           De plus, la juge Gauthier énonce, toujours dans Sui, l’obligation d’un délégué du ministre de considérer une demande de rétablissement dûment présentée :

[55]      Le fait que le législateur a confié au ministre (et à ses délégués) la responsabilité définitive de veiller à ce que les agents d'exécution aient exercé leur pouvoir discrétionnaire de façon appropriée lorsqu'ils ont rédigé le rapport en vertu du paragraphe 44(1) sur le fondement de l'article 41 et du paragraphe 29(2) de la LIPR ne signifie pas que le ministre n'a pas à se demander si et comment la demande de rétablissement dûment présentée en application de l'article 182 du Règlement a été prise en compte par ces agents d'exécution.

[…]

[59]      Comme une "[...] disposition législative doit être lue dans son contexte global, en prenant en considération non seulement le sens ordinaire et grammatical des mots mais aussi l'esprit et l'objet de la loi et l'intention du législateur" (Glykis c. Hydro-Québec, [2004] 3 R.C.S. 285, au paragraphe 5), je suis arrivée à la conclusion qu'en l'espèce, le délégué du ministre avait le pouvoir discrétionnaire, et même l'obligation, de tenir compte du fait que M. Sui avait demandé le rétablissement de son statut bien avant de faire l'objet d'un rapport rédigé en vertu du paragraphe 44(1) parce qu'il avait omis de quitter le Canada à la fin de son séjour autorisé.

[24]           Dans cette vue, il se dégage du cadre législatif, règlementaire et jurisprudentiel de la LIPR que l’agent avait l’obligation de considérer la demande de rétablissement du demandeur afin d’émettre la mesure d’exclusion à son encontre, ce qu’il n’a pas fait. Les motifs au soutien de la mesure d’exclusion émise à l’encontre du demandeur devaient se fonder sur des motifs autres que le seul manque de permis d’études valide du demandeur.

V.                Conclusion

[25]           Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que la demande doit être accueillie.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.      La demande de contrôle judiciaire soit accueillie;

2.      Il n’y a aucune question à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8426-13

 

INTITULÉ :

ABOUBACAR LASSIDY TOURE c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 novembre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 novembre 2014

 

COMPARUTIONS :

Salif Sangare

 

Pour la partie demanderesse

 

Mario Blanchard

 

Pour la partie défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Salif Sangare

Montréal (Québec)

 

Pour la partie demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la partie défenderesse

 

 

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