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Date : 20141201


Dossier : T-711-14

Référence : 2014 CF 1143

Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2014

En présence de madame la juge Bédard

ENTRE :

MICHEAL SWIFT

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur est détenu à l’Établissement de Donnacona (l’Établissement). Il recherche le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 26 février 2014 par un président indépendant (PI) au terme de laquelle il a été reconnu coupable d’avoir commis une infraction grave, soit d’avoir déclenché l’alarme d’urgence de sa cellule sans raison valable. Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.                   Contexte

[2]               Le 4 décembre 2013, le demandeur a reçu un rapport d’infraction disciplinaire pour avoir, le 3 décembre 2013, déclenché l’alarme de sa cellule sans raison valable. L’article 4 de la Section C - Règlements en cellule des Règlements institutionnels en vigueur - Établissement Donnacona (le Règlement institutionnel) prévoit ce qui suit :

4. Il est interdit de déclencher l’alarme d’incendie de sa cellule de façon intentionnelle dans un but utilitaire ou comme mode de protestation. Une utilisation abusive et inutile de cette alarme peut amener la rédaction d’un rapport d’infraction.

Le bouton d’alarme en cellule est situé sur le mur près du lavabo et ne sert qu’en cas d’urgence, et non pour faire ouvrir la porte de cellule sur demande. L’alarme de cellule utilisée inutilement peut entraîner une mesure disciplinaire.

[3]               Il est utile, pour comprendre la suite des choses, et les arguments des parties, d’exposer sommairement certains aspects du régime disciplinaire en milieu carcéral. Ce régime disciplinaire est strictement encadré par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [la Loi], le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 [le Règlement] et la Directive du Commissaire 580 - Mesures disciplinaires prévues à l’endroit des détenus (la DC 580).

[4]               L’article 40 de la Loi énonce une série de comportements qui constituent des infractions disciplinaires. En l’espèce, le demandeur a été accusé en vertu de l’alinéa 40r) de la Loi, soit d’avoir contrevenu délibérément à une règle écrite régissant la conduite des détenus.

[5]               En vertu du paragraphe 41(2) de la Loi, le directeur de l’établissement peut porter une accusation d’infraction disciplinaire contre un détenu. Cette accusation peut porter sur une infraction disciplinaire qui est soit mineure ou grave. C’est la gravité de la faute et l’existence de circonstances aggravantes ou atténuantes qui guident la détermination de la catégorie de l’infraction (voir également article 8 de la DC 580). Selon l’article 9 de la DC 580, le directeur de l’établissement peut, par le biais d’un ordre permanent, déléguer ses pouvoirs en la matière à un membre du personnel qui occupe un poste équivalent ou supérieur à celui de gestionnaire correctionnel. C’est ce qui s’est produit en l’espèce.

[6]               Le processus disciplinaire applicable à chacune des catégories d’infractions diffère. Lorsqu’un détenu est accusé d’une infraction disciplinaire mineure, l’accusation est instruite par le directeur de l’établissement ou par l’agent qu’il désigne (paragraphe 27(1) du Règlement). En revanche, lorsqu’une accusation a trait à une infraction disciplinaire grave, l’accusation doit être instruite par un PI (paragraphe 27(2) du Règlement). Le processus et les décisions relatives à des infractions mineures peuvent faire l’objet de griefs. Par contre, les décisions rendues par des PI ne peuvent faire l’objet de griefs. Par conséquent, ces décisions ne peuvent être contestées autrement que par le biais d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale.

[7]               En vertu du paragraphe 30(3) du Règlement, lorsqu’un PI est saisi d’une accusation à une infraction grave et qu’il conclut que l’accusation se rapporte plutôt à une infraction mineure, il doit modifier l’accusation en conséquence. Le cas échéant, il peut quand même tenir l’audition disciplinaire lui-même ou renvoyer l’affaire au directeur de l’établissement.

[8]               Le fardeau de preuve applicable aux accusations disciplinaires est le même qu’en matière criminelle, soit celui commandant une preuve hors de tout doute raisonnable. Le paragraphe 43(3) de la Loi prévoit à cet égard ce qui suit :

Déclaration de culpabilité

(3) La personne chargée de l’audition ne peut prononcer la culpabilité que si elle est convaincue hors de tout doute raisonnable, sur la foi de la preuve présentée, que le détenu a bien commis l’infraction reprochée.

Decision

(3) The person conducting the hearing shall not find the inmate guilty unless satisfied beyond a reasonable doubt, based on the evidence presented at the hearing, that the inmate committed the disciplinary offence in question.

[9]               Tel que mentionné, le demandeur a été accusé d’une infraction disciplinaire grave et l’audition a été instruite par un PI.

II.                Déroulement de l’audition et décision du PI

[10]           Au début de l’audition, la procureure du demandeur et l’assesseur de l’Établissement ont recommandé au PI de modifier l’acte d’accusation en application du paragraphe 30(3) du Règlement afin qu’il renvoie à une infraction mineure plutôt qu’à une infraction majeure.

[11]           Le PI n’a pas donné suite à cette demande. Il a déclaré qu’il n’était pas lié par la suggestion des parties et indiqué qu’il considérait que l’infraction en cause constituait une infraction disciplinaire grave et non une infraction mineure. L’audition s’est poursuivie et l’Établissement a administré sa preuve.

[12]           La preuve de l’Établissement a été constituée du témoignage d’Yves Bonneau. Celui-ci a déclaré qu’il était l’officier en charge le 3 décembre 2013 et qu’il était au poste de contrôle lorsque l’alarme dans la cellule du demandeur a été déclenchée. Il a indiqué avoir demandé à l’officier CX-4 qui était responsable de cette unité (l’officier CX-4) de se rendre à la cellule du demandeur pour vérifier ce qui se passait. M. Bonneau a déclaré qu’à son retour, l’officier CX-4 l’a avisé qu’il n’y avait pas d’urgence et que rien ne justifiait le déclenchement de l’alarme. En réponse à des questions posées par la procureure du demandeur, M. Bonneau a indiqué ne pas se souvenir qui était l’officier CX-4 qui s’était rendu à la cellule du demandeur et qui lui avait fait rapport. Il a également reconnu ne pas avoir parlé directement au demandeur et ne pas se souvenir exactement de ce que l’officier CX-4 lui avait rapporté quant aux raisons invoquées par le demandeur pour avoir déclenché l’alarme.

[13]           Après le témoignage de M. Bonneau, la procureure du demandeur a fait une demande de non-lieu. Elle a demandé au PI de rejeter l’accusation au motif que l’Établissement n’avait pas prouvé, hors de tout doute raisonnable, que le demandeur avait déclenché l’alarme sans raison valable. La procureure du demandeur a en outre avancé que le demandeur reconnaissait que la preuve établissait que l’officier CX-4 avait informé M. Bonneau qu’il était d’avis que le demandeur n’avait pas de raison valable pour déclencher l’alarme. Toutefois, elle a soumis qu’en l’absence du témoignage de l’officier CX-4 qui viendrait expliquer sur quelles bases objectives et subjectives il a émis cette opinion, la preuve était insuffisante pour établir, hors de tout doute raisonnable, que le demandeur n’avait pas de raison valable pour déclencher l’alarme.

[14]           Le PI a rejeté la demande de la procureure du demandeur. Il a indiqué que la preuve démontrait que M. Bonneau avait déclaré avoir parlé à l’officier CX-4 qui s’était rendu à la cellule du demandeur et que ce dernier lui avait indiqué que le demandeur « appeared perfectly normal ». Le PI a ajouté que rien ne pouvait l’amener à penser que le demandeur avait demandé des services médicaux ou une aide quelconque. Il a donc conclu que rien dans la preuve ne lui permettait de croire qu’il y avait une situation d’urgence.

[15]           L’audience s’est donc poursuivie et le demandeur a témoigné afin d’expliquer pourquoi il avait déclenché l’alarme d’urgence de sa cellule. Il a déclaré avoir déclenché l’alarme parce qu’il voulait obtenir la médication (du Motrin) qu’il prend pour soulager des migraines et de l’arthrite. Il a aussi indiqué qu’il avait demandé en vain sa médication à plusieurs reprises et qu’il l’attendait depuis plusieurs jours. Le demandeur a aussi indiqué qu’au moment des événements, il était plus compliqué d’obtenir de la médication qu’à l’habitude en raison de la grève qui sévissait dans l’Établissement et qui entraînait le confinement des détenus dans leur cellule.

[16]           À l’issue de l’audience, le PI a déclaré le demandeur coupable d’une infraction disciplinaire grave, soit d’avoir déclenché l’alarme de sa cellule sans raison valable, contrevenant ainsi à l’article 4 du Règlement institutionnel et à l’alinéa 40r) de la Loi.

[17]           Les parties ont ensuite fait une suggestion commune quant à la sentence. Ils ont recommandé qu’une sentence de trois jours d’isolement sans privilèges, suspendue pour 90 jours soit imposée au demandeur. Cette recommandation était fondée sur le fait qu’il s’agissait d’une première infraction et qu’il n’y avait pas eu de conséquences sérieuses. Le PI a plutôt choisi d’imposer au demandeur une sentence de cinq jours d’isolement sans télévision, suspendue pour 90 jours. Il a expliqué avoir ajouté deux jours à la suggestion commune parce qu’il était d’avis que le demandeur ne réalisait pas qu’il avait commis une infraction sérieuse qui ne devait pas être répétée.

III.             Les questions en litige

[18]           Le demandeur formule plusieurs reproches à l’endroit de la décision du PI et a soumis cinq questions en litige. Je reformulerais ces questions comme suit :

Première question en litige

(1) Le PI a-t-il erré en refusant de conclure que l’infraction se rapportait à une infraction mineure et non à une infraction grave?

[19]           Le demandeur a invoqué trois éléments relativement à cette question qui soulèvent en fait trois sous-questions :

         Le PI a-t-il erré en écartant la recommandation commune qui lui a été faite par les parties relativement à la catégorie d’infraction ?

         Le PI a-t-il erré en se prononçant sur la catégorie d’infraction disciplinaire en cause avant même d’avoir entendu la preuve?

         Le PI a-t-il erré dans son interprétation  de la DC 580?

Deuxième question en litige

(2) Le PI a-t-il erré en concluant que la preuve démontrait hors de tout doute raisonnable que le demandeur avait commis l’infraction dont il était accusé?

[20]           Les arguments soulevés par le demandeur se divisent ici en deux sous-questions :

                Le PI a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale en refusant d’accueillir la demande de non-lieu soumise par le demandeur?

                Le PI a-t-il erré en concluant que l’infraction avait été prouvée hors de tout doute raisonnable?

Troisième question en litige

(3) Le PI a-t-il erré en écartant la recommandation commune qui lui a été faite par les parties relativement à la sentence?

IV.             Les normes de contrôle

[21]           Le demandeur soutient que la norme de la décision correcte doit s’appliquer aux questions de droit et d’équité procédurale et que la norme de la décision raisonnable doit s’appliquer à l’égard des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit. Il a appuyé sa position sur Bonamy c Canada (Procureur général), 2010 CF 153 aux para 46-48, [2010] ACF no 179.

[22]           Le défendeur soutient, pour sa part, que toutes les questions en litige sont soit des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit et que la décision du PI doit être révisée en appliquant la norme de la décision raisonnable. Il appuie sa position sur McDougall c Canada (Procureur général), 2011 CAF 184 au para 24, [2011] ACF no 841 [McDougall].

[23]           La première question en litige, et les trois sous-questions qu’elle contient, soulève des questions mixtes de fait et de droit, mais, à mon avis, il est possible d’en isoler des questions de droit. La décision du PI de refuser de modifier l’acte d’accusation en une accusation se rapportant à une infraction mineure impliquait qu’il interprète le paragraphe 30(3) du Règlement et certaines dispositions de la DC 580.  

[24]           Dans Sweet c Canada (Procureur général), 2005 CAF 51 aux para 14-15, [2005] ACF no 216 [Sweet], la Cour d’appel fédérale a énoncé qu’en matière de griefs déposés par des détenus, les questions qui portent sur l’interprétation de la Loi ou de ses règlements sont assujetties à la norme de la décision correcte. Ces principes ont été réitérés dans Yu c Canada (Procureur général), 2011 CAF 42, [2011] ACF no 162 [Yu]. Toujours dans Yu, au para 21, la Cour d’appel fédérale s’est appuyée sur Mercier c Canada (Service correctionnel), 2010 CAF 167 au para 58, 320 DLR (4th) 429, pour ajouter que les directives du commissaire doivent être considérées comme des règlements. Par conséquent, la Cour a conclu que les questions soulevées dans le cadre du processus de griefs des détenus qui mettent en cause l’interprétation des directives du commissaire sont, elles aussi, des questions de droit assujetties à la norme de la décision correcte.

[25]           Ces principes ont par la suite été réitérés dans McDougall, au para 24 :

24        En matière de décision sur un grief de détenu, la norme de la décision correcte s'applique aux questions de droit, lesquelles comprennent l'interprétation de la Loi, de ses règlements et des directives du commissaire, ainsi qu'aux questions d'équité procédurale. La norme de la décision raisonnable s'applique aux questions de fait et aux questions mixtes de droit et de fait, à moins qu'il soit possible d'en isoler une question de droit, auquel cas la norme de la décision correcte peut s'y appliquer: Sweet c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 51, 332 N.R. 87, paragraphes 15 et 16; Yu c. Canada (Procureur général), précité, paragraphe 21.

[26]           Les principes énoncés dans Sweet, Yu et McDougall l’ont été à l’égard de décisions rendues en matière de griefs, et non à l’égard de décisions rendues par des PI. La question se pose donc à savoir si ces principes peuvent être transposés intégralement à des décisions rendues à l’égard d’accusations à une infraction disciplinaire grave.

[27]           Certains éléments militent en faveur d’une réponse positive. Lorsque des accusations disciplinaires se rapportent à des infractions mineures qui peuvent faire l’objet de griefs, les décideurs sont appelés à interpréter et appliquer la même Loi, le même Règlement et la même directive du commissaire que les PI saisis d’accusations à des infractions graves. Il serait donc logique que leurs décisions soient révisables selon la même norme de contrôle. Il y a également de la jurisprudence de notre Cour qui a transposé les principes dégagés à l’égard des normes de contrôle applicables en matière de griefs aux décisions rendues par des PI (Lemoy c Canada (Procureur général), 2009 CF 448 au para 13, [2009] ACF no 589. Dans Cyr c Canada (Procureur général), 2011 CF 213 au para 13, [2011] ACF no 245[Cyr], la Cour a aussi appliqué la norme de la décision correcte à l’égard d’une question de droit que devait trancher la PI sans toutefois renvoyer aux autorités en matière de griefs.

[28]           Il y a toutefois des particularités qui sont propres aux PI et qui, à mon avis, militent en faveur de la norme de la raisonnabilité. Les PI sont nommés par le ministre et ils doivent connaître le processus de prise de décision administrative dans le milieu carcéral sans être des agents ou des délinquants (alinéa 24(1)a) du Règlement). L’alinéa 60a) de la DC 580 prévoit que le directeur de l’établissement doit veiller à ce que les gestionnaires supérieurs de l’établissement puissent échanger de l’information avec les PI sur une base régulière sur les sujets suivants :

i. valeurs, priorités et objectifs de l’établissement

ii. perceptions du personnel et des détenus

iii. préoccupations de la direction

iv. examen des décisions des tribunaux qui ont des répercussions sur le régime disciplinaire des détenus  

[29]           L’alinéa 60c) de la DC 580 prévoit que le directeur de l’établissement doit aussi encourager les PI à se réunir avec les représentants des détenus pour discuter de questions ayant trait à la discipline au sein de l’établissement.

[30]           La discipline en milieu carcéral est donc au cœur du mandat des PI dont l’unique rôle est d’instruire les accusations à des infractions disciplinaires graves. Les dispositions du Règlement qui traitent du processus disciplinaire et les dispositions de la DC 580 sont intimement liées à l’exercice de leur mandat et à leurs responsabilités. Les PI sont appelés à interpréter le paragraphe 30(3) du Règlement et les dispositions de la DC 580 à chaque fois qu’ils sont chargés d’instruire une accusation à des infractions disciplinaires graves.

[31]           Par conséquent, je considère qu’en l’espèce, le PI devait interpréter le paragraphe 30(3) du Règlement, l’article 8 de la DC 580 et les définitions données à l’annexe A de la DC 580, et que ce faisant, il interprétait des dispositions qui sont au cœur de son mandat et de son expertise et dont il a une connaissance approfondie. De plus, l’interprétation du paragraphe 30(3) du Règlement ou des dispositions de la DC 580 n’implique pas des questions constitutionnelles, de compétence, ou encore de questions qui revêtent une importance pour l’ensemble du système juridique et qui sont étrangères au domaine d’expertise des PI. J’estime donc, à la lumière de la jurisprudence récente de la Cour suprême du Canada , que l’interprétation qu’il a fait de la Loi, du Règlement et de la DC 580 doit être révisée suivant la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux para 54, 57, [2008] 1 RCS 190; Smith c Alliance Pipeline Ltd, 2011 CSC 7 au para 28, [2011] 1 RCS 160; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2011 CSC 53 au para 16, [2011] 3 RCS 471; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 aux para 30, 34 [2011] 3 RCS 654; Agraira c Canada (ministre de la Sécurité publique et de la protection civile), 2013 CSC 36 aux para 49-50, [2013] 2 RCS 559 [Agraira]; McLean c Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67 au para 21, [2013] 3 RCS 895; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c Canada (Procureur général), 2014 CSC 40 au para 55, [2014] ACS no 40; Front des artistes canadiens c Musée des beaux-arts du Canada, 2014 CSC 42 au para 13, [2014] ACS no 101;Untel c Ontario (Finances), 2014 CSC 36 au para 17, [2014] ACS no 36; Ontario (Sécurité communautaire et Services correctionnels c Ontario (Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée), 2014 CSC 31 au para 26-27, [2014] 1 RCS 674.

[32]           Quant à la deuxième question en litige, tel qu’indiqué, elle comporte deux sous‑questions. La première soulève une question ayant trait à l’équité procédurale qui ne doit pas faire l’objet de déférence et qui est révisable selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79, [2014] 1 RCS 502; Gendron c Canada (Procureur général), 2012 CF 189 au para 12, [2012] ACF no 202 [Gendron]; Obeyesekere c Canada (Procureur général), 2014 CF 363 au para 21, [2014] ACF no 386.

[33]           La deuxième sous-question, soit celle concernant l’appréciation qu’a faite le PI de la culpabilité du demandeur, soulève une question mixte de fait et de droit qui doit être révisée en appliquant la norme de la raisonnabilité. La jurisprudence est claire à cet égard (voir par exemple Forrest c Canada (Procureur Général), 2002 CFPI 539 aux para 17-18, [2002] ACF no 713 [Forrest], conf par Forrest c Canada (Procureur général), 2004 CAF 156 au para 8, [2004] ACF no 709; Brennan c Canada (Procureur général), 2009 CF 40 au para 29, [2009] ACF no 81; Lemoy au para 14; Cyr au para 13; Tremblay c Canada (Procureur général), 2011 CF 404 au para 5, [2011] ACF no 503; Gendron au para 12; Piché c Canada (Procureur général), 2013 CF 652 au para 10, [2013] ACF no 683).

[34]           La troisième question soulève elle aussi une question mixte de droit et de fait assujettie à la norme de la décision raisonnable (Gendron au para 12).

V.                Position des parties

A.                Position du demandeur

[35]           Dans un premier temps, le demandeur soutient qu’aux termes du paragraphe 30(3) du Règlement, le PI avait l’obligation de modifier l’acte d’accusation pour le faire passer d’une infraction grave à une infraction mineure et qu’en omettant de le modifier, il a commis une erreur de droit. Le demandeur soumet trois principaux motifs au soutien de sa position.

[36]           D’abord, il soutient que le paragraphe 30(3) du Règlement impose une obligation au PI et qu’il ne possède pas la discrétion de modifier ou non un acte d’accusation lorsqu’il constate que l’infraction en cause est mineure. De plus, le PI ne pouvait pas rendre sa décision sur la catégorie de l’infraction avant même d’avoir entendu la preuve à cet égard. Du point de vue du demandeur, en l’absence de toute preuve, la décision du PI s’appuyait sur des conjectures et non sur les éléments factuels se rapportant à son dossier.

[37]           Le demandeur avance également que le PI ne pouvait pas écarter la suggestion commune des parties suivant laquelle l’infraction en cause devait être envisagée comme étant une infraction mineure. À cet égard, le demandeur s’appuie sur le principe bien reconnu en droit criminel et disciplinaire suivant lequel le décideur ne peut écarter une suggestion commune en matière de sentence que s’il la juge déraisonnable. Lorsqu’un décideur a l’intention de ne pas retenir une suggestion commune, il doit en informer les parties et leur donner l’occasion de faire des commentaires additionnels. Si le décideur choisit malgré tout de ne pas retenir une suggestion commune, il doit, dans sa décision, expliquer pourquoi il ne l’a pas retenue et sa décision doit trouver des assises dans la preuve. Le demandeur a appuyé sa position sur des jugements en matière pénale ainsi que sur des décisions en matière de déontologie policière et de discipline professionnelle. Le demandeur soutient qu’en l’espèce, le PI a erré lorsqu’il a indiqué qu’il n’était d’aucune façon lié à la suggestion des parties.

[38]           Enfin, le demandeur soutient que la suggestion commune était raisonnable puisque l’infraction dont il a été accusé correspond à une infraction mineure telle que définie à l’annexe A de la DC 580. Le demandeur soutient que les directives du commissaire sont des règlements que le PI est tenu de respecter.

[39]           Dans un deuxième temps, le demandeur soutient qu’il était déraisonnable pour le PI de conclure que l’infraction avait été prouvée hors de tout doute raisonnable.

[40]           À cet égard, il avance que le PI a omis d’exercer son rôle inquisitoire de façon équitable en tenant une enquête complète avant d’entendre son témoignage. Or, le demandeur soutient qu’il est manifeste qu’une conclusion de culpabilité hors de tout doute raisonnable ne pouvait reposer sur le seul témoignage de M. Bonneau. Il insiste que même si M. Bonneau a déclaré que l’officier CX-4 l’a informé être d’avis qu’aucune raison valable ne justifiait le déclenchement de l’alarme, aucune preuve de ce qui a amené l’officier CX-4 à conclure en ce sens n’avait été soumise. Le demandeur soutient que devant cette preuve insuffisante, le PI aurait dû rejeter l’accusation ou ordonner que l’officier CX-4 témoigne. Le demandeur ajoute qu’en rejetant sa demande de non-lieu, le PI l’a forcé à témoigner alors que la preuve était jusque-là insuffisante pour prononcer sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.

[41]           Le demandeur soutient également que le PI a erré en limitant son analyse de l’infraction en cause aux seules circonstances liées à des urgences. Il devait aussi envisager le volet lié à une utilisation abusive et inutile de l’alarme. Or, selon le demandeur, la preuve non contredite a démontré qu’une raison médicale expliquait et justifiait ce qui l’avait amené à déclencher l’alarme.

[42]           Enfin, le demandeur soumet que pour prononcer sa culpabilité à l’infraction, le PI devait aussi tirer une conclusion quant au caractère délibéré du geste qu’il a posé, par opposition à une simple insouciance. Or, à son avis, la preuve non contredite a démontré qu’il a déclenché l’alarme pour des motifs médicaux et ce, dans des circonstances exceptionnelles (la grève qui sévissait à l’Établissement et les demandes répétitives qu’il avait fait pour obtenir sa médication). Il soutient donc que la preuve a ainsi démontré qu’il n’a pas déclenché l’alarme de façon abusive. Le demandeur avance donc qu’il subsistait un doute quant au caractère délibéré de l’infraction et que le PI ne pouvait conclure que l’infraction avait été établie hors de tout doute raisonnable.

[43]           Subsidiairement, le demandeur soutient que la suggestion commune sur la sentence était raisonnable, et que le PI ne pouvait donc pas s’en écarter.

B.                 Position du défendeur

[44]           Le défendeur soutient que le PI n’avait aucune obligation d’accepter la suggestion commune des parties et de modifier l’infraction en une infraction mineure. Il soumet qu’il appartient au directeur de l’établissement, ou à la personne à qui il a délégué ce pouvoir, de déterminer la catégorie d’une infraction disciplinaire. Il renvoie à cet égard au paragraphe 41(2) de la Loi et aux articles 8 et 9 de la DC 580. En l’espèce, la catégorie de l’infraction dont a été accusé le demandeur a été déterminée conformément aux règles applicables.

[45]           Le défendeur a aussi appuyé sa position sur l’article 34 du Règlement qui impose au PI de considérer certains facteurs dans la détermination de la sentence, dont « toute recommandation présentée à l’audition quant à la peine qui s’impose » (alinéa 34g)). De l’avis du défendeur, le législateur a expressément indiqué que le PI devait considérer les recommandations faites relativement à la peine et s’il avait voulu imposer une obligation similaire au niveau de la détermination de la catégorie d’infraction, il l’aurait prévu de façon expresse. En l’absence de mention expresse à cet égard, le législateur n’entendait pas imposer une quelconque obligation au PI lorsqu’il examine si l’infraction se rapporte bien à une infraction grave.

[46]           Le défendeur ajoute que c’est uniquement lorsqu’il détermine que l’infraction en cause se rapporte à une infraction mineure plutôt qu’à une infraction grave, que le PI a l’obligation de modifier l’acte d’accusation. Le PI n’a pas l’obligation de conclure qu’une infraction appartient à la catégorie des infractions mineures. En l’espèce, le PI a jugé que l’infraction dont était accusé le demandeur constituait une infraction majeure et rien ne permet de conclure qu’il avait l’obligation d’accepter, ou même de considérer, la suggestion commune des parties et de modifier l’acte d’accusation.

[47]           Le défendeur soutient également que le PI n’a pas erré en concluant que l’infraction avait été prouvée hors de tout doute raisonnable puisque la preuve était suffisante pour soutenir une conclusion de culpabilité. À cet égard, M. Bonneau a déclaré que l’officier CX-4 qu’il a chargé d’aller vérifier ce qui se passait lui a indiqué que tout était normal et qu’il n’y avait rien de spécial, et il a indiqué que c’est pour cette raison que le rapport d’infraction a été rédigé. De plus, le demandeur a expliqué pourquoi il avait déclenché l’alarme, soit dans le but d’avoir du Motrin. Le défendeur soutient qu’il était raisonnable de conclure que le fait de déclencher l’alarme pour obtenir du Motrin ne constituait pas une situation d’urgence. Il était donc raisonnable pour le PI de conclure que la preuve l’avait convaincu hors de tout doute raisonnable que le demandeur avait déclenché l’alarme sans motif valable.

[48]           Le défendeur soutient enfin que le PI n’a commis aucune erreur quant au choix de la sentence qu’il a imposée au demandeur et qu’il a considéré tous les facteurs pertinents. Le défendeur invoque que le PI a bel et bien tenu compte de la suggestion commune des parties, mais qu’il n’avait pas l’obligation de l’entériner en totalité. De plus, le PI a expliqué pourquoi il a décidé d’imposer au demandeur une sentence légèrement plus sévère que celle recommandée par les parties: il estimait que le demandeur ne reconnaissait pas avoir commis une infraction sérieuse et il souhaitait le dissuader de recommencer.

VI.             Analyse

(1)               Le PI a-t-il erré en refusant de conclure que l’infraction se rapportait à une infraction mineure et non à une infraction grave?

[49]           Je considère que le PI n’a pas interprété de façon déraisonnable l’obligation qui lui incombait en vertu du paragraphe 30(3) du Règlement. Il est utile de reproduire à nouveau le paragraphe 30(3) du Règlement :

30. (3) Lorsque le président indépendant conclut qu’une accusation d’infraction grave se rapporte plutôt à une infraction mineure, il doit modifier l’accusation et soit tenir l’audition disciplinaire, soit renvoyer l’affaire au directeur du pénitencier.

30. (3) Where the independent chairperson determines that a charge of a serious offence should proceed as a charge of a minor offence, the independent chairperson shall amend the charge and shall conduct the hearing or refer the matter to the institutional head.

[50]           D’abord, il ressort clairement du paragraphe 41(2) de la Loi et de l’article 8 de la DC 580, qu’il appartient au départ au directeur de l’établissement, ou à la personne à qui il délègue ce pouvoir (article 9 de la DC 580), de déterminer si une accusation à une infraction disciplinaire sera portée. L’article 8 de la DC 580 prévoit que la catégorie d’une infraction disciplinaire est déterminée en considérant la gravité de la faute présumée et l’existence de facteurs atténuants ou aggravants.

[51]           Le paragraphe 30(3) du Règlement impose au PI l’obligation de se pencher sur la catégorie d’infraction qui a été déterminée par le directeur de l’établissement. Lorsque le PI conclut, à la suite de son examen, qu’une accusation d’infraction grave se rapporte plutôt à une infraction mineure, il doit alors modifier l’accusation. Cette obligation n’est toutefois engagée que si le PI a jugé que la catégorie d’infraction se rapporte à une infraction disciplinaire mineure. En l’espèce, le PI a clairement exprimé qu’à son avis, l’infraction dont était accusé le demandeur constituait une infraction grave.

a)                  Le PI a-t-il erré en écartant la recommandation commune qui lui a été faite relativement à la catégorie d’infraction ?

[52]           Le paragraphe 30(3) du Règlement n’indique pas que le PI doit, dans son examen de la catégorie d’infraction, considérer une recommandation commune des parties et aucune autre disposition de la Loi, du Règlement ou de la DC 580 ne lui impose de considérer ce facteur.

[53]           Il est intéressant de noter, comme l’a soulevé la procureure du défendeur, que l’alinéa 34g) du Règlement énonce qu’une recommandation présentée à l’audition constitue l’un des facteurs dont le PI doit tenir compte dans l’établissement de la peine. Ainsi, en matière de sentence, le législateur a expressément imposé au PI de considérer les recommandations des parties. J’estime que si le législateur avait souhaité que le PI considère également une suggestion commune lorsqu’il examine la catégorie de l’infraction, il l’aurait prévu de façon tout aussi expresse.

[54]           Les commentaires suivants du professeur Côté dans Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 4e éd, Montréal, Thémis, 2009 aux pp 351-352, 385-387 m’apparaissent applicables au présent contexte :

1152. On peut supposer que la rationalité du législateur se manifestera d’abord à l’intérieur même d’un texte législatif donné: la loi s’interprète comme un tout, chacun de ses éléments devant être considéré comme s’intégrant logiquement dans le système d’ensemble que la loi forme. [...]

1244. En supposant que l’auteur de la loi est logique, on peut déduire des normes expressément formulées certaines règles implicites qui s’en dégagent logiquement.

[...]

1249. Les exemples de raisonnement a contrario sont très abondants en jurisprudence. [...] Par exemple, si une loi mentionne un élément d’un ensemble et pose à son sujet une règle donnée, on supposera que cette règle ne s’applique pas à l’égard des éléments non mentionnés [...]

[55]            En l’espèce, je considère que le législateur a clairement manifesté son intention : il a imposé au PI de considérer une recommandation commune des parties lors de l’imposition de la peine, mais il n’a pas voulu lui imposer cette même obligation lorsqu’il examine l’acte d’accusation pour vérifier s’il se rapporte bien à une infraction grave.

[56]           De plus, le principe de la déférence à l’égard des suggestions communes sur lequel a insisté le demandeur s’applique généralement lors de l’imposition de peines en droit criminel ou de sanctions en matière de déontologie et de discipline professionnelle. C’est justement ce principe qui est codifié à l’alinéa 34g) du Règlement. D’ailleurs, presque toutes les autorités citées par le demandeur se rapportaient à des cas ou les suggestions communes se rapportaient à des recommandations relativement à la sanction. Il m’apparaît aussi utile de noter qu’en l’espèce, le demandeur n’a pas demandé au PI de modifier l’acte d’accusation en échange d’un plaidoyer de culpabilité à une infraction mineure. Il lui a simplement demandé de modifier l’acte d’accusation pour qu’il se rapporte à une infraction mineure plutôt qu’à une infraction grave.

[57]           De toute façon, je considère qu’en l’espèce l’intention du législateur est claire et qu’il n’est pas nécessaire de recourir à des précédents en matière criminelle ou disciplinaire. Je considère donc que le PI a rendu une décision raisonnable lorsqu’il a déclaré qu’il n’était pas lié par la recommandation du demandeur et de l’assesseur de l’établissement. Ma décision demeurerait la même si la décision du PI à cet égard devait être analysée en vertu de la règle de la décision correcte.

b)                  Le PI a-t-il erré en se prononçant sur la catégorie d’infraction disciplinaire en cause avant même d’avoir entendu la preuve?

[58]           Il m’apparaît clair que le PI pouvait se prononcer sur la catégorie d’infraction en cause sans entendre de la preuve. Il ressort clairement du paragraphe 30(3) du Règlement que le PI doit examiner la catégorie de l’infraction en cause avant l’audition, et donc avant que la preuve n’ait été administrée. Le rôle du PI à cette étape ne consiste pas à déterminer si la preuve établie que le demandeur a commis l’infraction qui lui était reprochée, mais bien si les gestes allégués correspondent bien à une infraction disciplinaire grave.

c)                  Le PI a-t-il erré dans son interprétation  de la DC 580?

[59]           Je vais maintenant examiner si la décision du PI de considérer que l’infraction en cause constituait une infraction grave et non une infraction mineure est conforme à la DC 580.

[60]           Dans sa décision, le PI n’a pas mentionné le paragraphe 30(3) du Règlement et les dispositions de la DC 580 lorsqu’il a expliqué pourquoi il était d’avis que l’infraction en cause n’était pas une infraction mineure. J’estime toutefois qu’il y a lieu de présumer que le PI a considéré le Règlement et la DC 580 et que sa décision est le fruit de l’interprétation implicite qu’il a donné aux dispositions pertinentes de la DC 580. À mon avis, les propos du juge Lebel dans Agraira, aux para 55-57 sont directement applicables en l’espèce :

[55]      L'interprétation de l'expression « intérêt national » au par. 34(2) de la LIPR était au coeur de l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre en l'espèce. Comme il ressort explicitement de la Loi, le ministre exerce ce pouvoir discrétionnaire en décidant si le demandeur le convainc que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national. Par conséquent, l'interprétation de l'« intérêt national » dans le contexte de cet article est cruciale, puisqu'elle définit la norme que le ministre doit appliquer pour évaluer l'effet de la présence du demandeur au Canada aux fins de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[56]      En prenant sa décision concernant l'appelant, le ministre n'a pas défini expressément l'expression « intérêt national ». La première tentative en ce sens appartient au juge Mosley de la Cour fédérale, et il a également certifié au sujet de cette définition une question soumise à l'appréciation de la Cour d'appel fédérale. Nous ne sommes donc saisis, sur ce point, d'aucune décision rendue expressément par un décideur administratif.

[57]      Cette situation a été abordée, quoique dans un contexte différent, par notre Cour dans Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers' Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654. Le juge Rothstein a statué dans cet arrêt que la décision que le décideur administratif rend sur le fond peut suggérer une interprétation particulière de la disposition législative en question, même si le décideur ne s'est pas prononcé expressément sur le sens de cette disposition.

[61]           À mon avis, la décision du PI, n’était pas déraisonnable, à la lumière des dispositions de la DC 580. L’annexe A de la DC 580 donne les définitions suivantes pour chaque catégorie d’infraction :

Infraction grave : lorsqu’un détenu commet, tente de commettre ou incite d’autres à commettre des actes qui constituent de graves atteintes à la sécurité, sont violents, causent du tort à autrui et constituent des violations des règles à répétition.

Infraction mineure : comportement négatif ou non productif du détenu, qui est contraire aux règles de l’établissement.

[62]           L’article 8 de la DC 580 énonce que le directeur de l’établissement peut porter une accusation d’infraction mineure ou grave en considérant la gravité de la faute présumée et l’existence de facteurs aggravants ou atténuants. Je considère que l’article 8 et les définitions données à l’annexe A de la DC 580 sont rédigés en termes suffisamment larges pour accorder au PI une certaine discrétion.

[63]           En l’espèce, le demandeur était accusé d’avoir déclenché l’alarme de sa cellule sans raison valable. Le demandeur soutient que l’infraction constitue une accusation qui se rapporte à un comportement qui est contraire aux règles de l’établissement, en l’espèce à l’article 4 du Règlement institutionnel, et qu’il s’agit clairement d’une infraction mineure tel que définie à la DC 580 puisqu’il s’agissait d’une première violation à une règle de l’Établissement. Je conviens que l’on reprochait au demandeur d’avoir adopté un comportement qui est contraire au Règlement institutionnel et qu’il ne s’agissait pas d’une première infraction. Je considère toutefois que les définitions ne sont pas limitatives au point de devoir conclure que tout comportement contraire aux règles de l’établissement constitue, lorsqu’il s’agit d’une première violation, d’une infraction mineure. Au contraire, les infractions graves se rapportent elles aussi à des gestes qui peuvent clairement constituer des contraventions aux règles de l’établissement, mais dont la gravité est plus importante et ce, sans qu’il y ait nécessairement eu de caractère répétitif.

[64]           Dans sa décision, le PI a expliqué pourquoi il était d’avis que l’infraction en cause constituait une infraction grave et il ressort de ses explications, qu’il a considéré que le geste reproché au demandeur mettait en cause des questions de sécurité et d’urgence. Voici un extrait des motifs qu’il a présentés aux parties :

Ce n’est pas une infraction mineure, parce que c’a des conséquences. Premièrement, la sonnette l’alarme est là pour la protection de tout le monde. Puis si on en abuse, puis si on s’en sert à tout propos pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la sécurité, qui n’ont rien à voir avec la santé, qui n’ont rien à voir avec l’urgence, on est dans une situation où finalement tout le monde va se précipiter, comme c’est le cas.

On ne sait pas, quand une sonnette d’urgence sonne, pourquoi elle sonne. Est-ce qu’il y a le feu quelque part? Est-ce qu’il y a quelqu’un qui est en mauvaise position physique? Est-ce qu’il y a quelqu’un qui est en détresse de santé? Est-ce que quelqu’un a besoin d’aide immédiate et urgente? C’est à ça que ça sert, la... la sonnette.

Et quand elle est sonnée pour d’autre choses que ça, ce n’est pas mineur parce que ça, ça entraîne des conséquences importantes dans le déplacement de personnel, dans l’utilisation du personnel, dans le stress pour tout le monde, et ce n’est pas quelque chose qui est mineur, loin de là. [...]

[65]           Compte tenu des gestes reprochés au demandeur, soit d’avoir déclenché le bouton d’alarme de sa cellule dont l’utilisation doit se limiter à des circonstances urgentes, il n’était pas déraisonnable de conclure, à la lumière des définitions données pour chaque catégorie d’infractions, que l’infraction reprochée au demandeur constituait une infraction majeure. En effet, le déclenchement d’une alarme d’urgence sans raison valable peut être envisagé comme constituant une atteinte grave à la sécurité. Le déclenchement de l’alarme de cellule est réservé aux situations d’urgence et banaliser l’importance de limiter son utilisation à des situations d’urgence pourrait compromettre la sécurité des détenus et du personnel. Je considère donc que, compte tenu de la nature du geste reproché au demandeur, le PI a fait une interprétation raisonnable de la DC 580.

(2)               Le PI a-t-il erré en concluant que la preuve démontrait hors de tout doute raisonnable que le demandeur avait commis l’infraction dont il était accusé?

a)                  Le PI a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale en refusant d’accueillir la demande de non-lieu soumise par le demandeur?

[66]           Le demandeur soutient que le PI a manqué à l’équité procédurale en rejetant sa demande de non-lieu. À son avis, le témoignage de M. Bonneau était clairement insuffisant pour conclure qu’il avait déclenché son alarme de cellule sans raison valable puisque ce dernier ne pouvait pas attester des raisons pour lesquelles il avait déclenché l’alarme. M. Bonneau se souvenait seulement que l’officier CX-4, dont il ne se souvenait pas de l’identité, lui avait dit que rien ne justifiait le déclenchement de l’alarme.

[67]           Pour déclarer la culpabilité d’un détenu accusé d’une infraction disciplinaire, le PI doit être convaincu hors de tout doute raisonnable, à la lumière de l’ensemble de la preuve, que le détenu a commis l’infraction dont il est accusé (paragraphe 43(3) de la Loi et Ayotte c Canada (Procureur général), 2003 CAF 429 au para 14, [2003] ACF no 1699 [Ayotte]).

[68]           Les accusations disciplinaires en milieu carcéral sont toutefois instruites dans le cadre d’un processus administratif, qui doit être souple et équitable, et le PI assume un rôle de nature inquisitoire. Dans Forrest, au para 16, la Cour a repris les principes qui régissent la discipline en milieu carcéral et qui sont reconnus par notre Cour depuis de nombreuses années : 

16     Dans la décision Canada (Service correctionnel) c. Plante, [1995] A.C.F. no 1509 (C.F. 1re inst.), le juge Pinard a énoncé la nature de la norme de contrôle applicable aux décisions rendues par le tribunal disciplinaire d'un pénitencier :

6 Quant à la nature et aux fonctions du tribunal disciplinaire en cause elles ont bien été résumées par mon collègue le juge Denault dans Hendrickson c. Tribunal disciplinaire de la Kent Institution (Président indépendant), (1990) 32 F.T.R. 296, aux pages 298 et 299 :

Les principes régissant la discipline pénitentiaire se trouvent dans les arrêts Martineau no 1 (précité) et Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui (no 2) (1979), 30 N.R. 119; 50 C.C.C. (2d) 353 (C.S.C.); Blanchard c. Tribunal disciplinaire des détenus de l'établissement de Millhaven (1982), 69 C.C.C. (2d) 171 (C.F. 1re inst.); Howard c. Tribunal disciplinaire des détenus de l'établissement de Stony Mountain (1985), 57 N.R. 280; 19 C.C.C. (3d) 195 (C.A.F.), et peuvent être résumés comme suit :

1. Une audience dirigée par le président indépendant du tribunal disciplinaire d'une institution est une procédure administrative qui n'a aucun caractère judiciaire ou quasi judiciaire.

2. Sauf dans la mesure où il existe des dispositions légales ou des règlements ayant force de loi et indiquant le contraire, il n'y a aucune obligation de se conformer à une procédure particulière ou de respecter les règles régissant la réception des dépositions généralement applicables aux tribunaux judiciaires ou quasi judiciaires ou à une procédure accusatoire.

3. Il existe un devoir général d'agir avec équité en assurant que l'enquête est menée équitablement et en respectant la justice naturelle. À une audience devant un tribunal disciplinaire, le devoir d'agir avec équité consiste à permettre à la personne de connaître les allégations, le témoignage et la nature du témoignage contre elle, de pouvoir répondre au témoignage et donner sa version des faits.

4. L'audience ne doit pas être menée contre une mesure accusatoire mais comme une procédure d'enquête et la personne dirigeant l'audience n'a pas le droit d'étudier chaque défense concevable, bien qu'elle ait le devoir de mener une enquête complète et équitable ou, en d'autres termes, d'étudier les deux côtés de la question.

5. Cette Cour n'a pas à réviser le témoignage comme le ferait la cour dans une affaire jugée par un tribunal judiciaire ou lors de la révision d'une décision d'un tribunal quasi judiciaire. Elle doit simplement considérer s'il y a vraiment eu manquement au devoir général d'agir avec équité.

6. La discrétion judiciaire en matière disciplinaire doit être exercée modérément et un redressement ne doit être accordé [TRADUCTION] qu'en cas de sérieuse injustice (Martineau no 2, p. 360).

[69]           Ces principes ont également été repris dans Ayotte, au para 9, et plus récemment dans Gendron, au para 15.

[70]           L’article 37 de la DC 580 énonce d’ailleurs la souplesse qui prévaut dans la présentation de la preuve :

37. Les règles de présentation de la preuve en matière pénale ne s’appliquent pas aux audiences disciplinaires. Le président qui tient l’audience peut admettre tout élément de preuve qu’il juge valable et digne de foi.

[71]           En l’espèce et en réponse à la demande en non-lieu du demandeur, le PI a motivé comme suit sa décision de rejeter la demande :

Well, I’ve heard Monsieur Bonneau, and Monsieur Bonneau has spoken to the officer who went to the cell, and he saw Mr. Swift. Mr. Swift, from what he saw, appeared perfectly normal, there was no reason to... and he didn’t... I have no... nothing that can lead me to believe that Mr. Swift requested any kind of medical service or aid, and the officers who went to check in Mr. Swift’s cell came back to the Control Room and told Mr. Bonneau that there was nothing to... worry about, that everything was normal, and that the alarm could be stopped.

And that was the end of that as far as they were concerned, there was... and I have nothing to make me believe that there was an urgency, an emergency, or call it whatever you want... of any kind, and I’m sure that the... the report came... was written on this basis, that there was no emergency, and I have not the beginning of one little proof that it was contrary to that in any kind of proof before me, so I reject your request.

[72]           Compte tenu de la flexibilité dont bénéficie le PI dans le déroulement de l’audition et dans l’admission des éléments de preuve, je considère que le PI n’a pas manqué à son obligation d’agir équitablement en rejetant la demande de non-lieu.

[73]           S’il est exact de dire qu’à ce stade de l’enquête, le motif exact pour lequel le demandeur avait déclenché son alarme de cellule n’était pas connu, M. Bonneau avait tout de même déclaré que l’officier CX-4 lui avait rapporté n’avoir constaté aucune situation d’urgence et, dans les faits, aucune intervention additionnelle auprès du demandeur n’a été requise. Le PI n’est pas lié aux règles de preuve en matière civile et criminelle et il a retenu du témoignage de M. Bonneau que l’officier CX-4 lui avait clairement rapporté qu’il n’y avait aucune urgence et donc qu’aucune circonstance ne justifiait le déclenchement de l’alarme.

[74]           Il n’est pas nécessaire que je détermine de façon définitive si le témoignage de M. Bonneau était suffisant pour appuyer une conclusion de culpabilité hors de tout doute raisonnable parce que le demandeur a ensuite choisi de témoigner. Le demandeur soutient que la décision du PI le forçait en quelque sorte à témoigner. Avec égard, rien dans la transcription de l’audition ne me permet de croire que le demandeur a été forcé de témoigner. Le demandeur aurait très bien pu choisir de ne pas témoigner et d’attendre la décision finale du PI qui aurait alors été rendue à la lumière de la preuve qui avait été jusque-là introduite. Toutefois, en décidant de témoigner et en expliquant la raison pour laquelle il avait déclenché son alarme de cellule, le demandeur a lui-même comblé l’élément qui manquait dans la preuve. Ainsi, le témoignage du demandeur permettait au PI de connaître et d’apprécier les raisons pour lesquelles il avait déclenché l’alarme de sa cellule.

b)                  Le PI a-t-il erré en concluant que l’infraction avait été prouvée hors de tout doute raisonnable?

[75]           Il ressort clairement des notes sténographiques que le PI a apprécié l’ensemble de la preuve, incluant les explications données par le demandeur, et qu’il a jugé que les raisons invoquées par le demandeur ne constituaient pas des raisons valables justifiant le déclenchement d’une alarme d’urgence. Il n’appartient pas à la Cour de substituer son appréciation de la preuve à celle du PI et, à mon avis, il n’était pas raisonnable de conclure que le fait de déclencher l’alarme d’urgence dans le but d’obtenir de la médication non essentielle ne constituait pas une raison valable. Le PI a clairement indiqué qu’à son avis, l’infraction avait été commise hors de tout doute raisonnable et il a clairement expliqué sur quoi il basait sa décision.

[76]            Le demandeur soutient que le PI ne devait pas limiter son analyse au volet « urgence », et qu’il devait également examiner si le demandeur avait fait une utilisation abusive et inutile de l’alarme. Il soutient à cet égard qu’il avait une raison médicale pour justifier le déclenchement de l’alarme et donc qu’il ne s’agissait pas d’une utilisation abusive et inutile.

[77]           Avec égard, le deuxième alinéa de l’article 4 du Règlement institutionnel indique clairement que l’alarme de cellule qui est utilisée inutilement peut entraîner une mesure disciplinaire. Le fait de déclencher l’alarme sans raison valable équivaut clairement à déclencher l’alarme inutilement. Il ressort également des motifs du PI qu’il a jugé que le demandeur avait déclenché l’alarme sans aucune raison valable. Quant à la raison médicale invoquée par le demandeur, le PI a jugé qu’il ne s’agissait pas d’une circonstance qui justifiait le déclenchement de l’alarme de cellule.

[78]           Le demandeur soutient également que le PI devait tirer une conclusion quant au caractère délibéré du geste par opposition à une simple insouciance. Avec égard, il ressort clairement de la preuve que le demandeur a déclenché l’alarme de façon délibérée. Il a clairement témoigné à cet égard. Il a déclenché l’alarme parce qu’il voulait parler à un agent correctionnel dans le but d’obtenir sa médication. Le demandeur a jugé qu’il s’agissait d’une circonstance qui le justifiait de déclencher l’alarme et il n’a jamais déclaré qu’il avait agit avec insouciance. On peut donc, à la lumière de la preuve, aisément inférer de la décision du PI qu’il a jugé que le demandeur avait agi délibérément.

(3)               Le PI a-t-il erré en écartant la recommandation commune qui lui a été faite par les parties relativement à la sentence?

[79]           Le demandeur reproche au PI de ne pas avoir suivi la recommandation commune soumise par les parties quant à la peine qu’il lui a été imposé. Les détenus reconnus coupables d’infractions disciplinaires sont passibles de diverses peines qui sont énumérées au paragraphe 44(1) de la Loi, dont la perte de privilèges et l’isolement. L’article 34 du Règlement énonce les facteurs qui doivent être considérés dans l’établissement des peines :

34. Avant d’infliger une peine visée à l’article 44 de la Loi, la personne qui tient l’audition disciplinaire doit tenir compte des facteurs suivants :

a) la gravité de l’infraction disciplinaire et la part de responsabilité du détenu quant à sa perpétration;

b) ce qui constitue la mesure la moins restrictive possible dans les circonstances;

c) toutes les circonstances, atténuantes ou aggravantes, qui sont pertinentes, y compris la conduite du détenu au pénitencier;

d) les peines infligées à d’autres détenus pour des infractions disciplinaires semblables commises dans des circonstances semblables;

e) la nature et la durée de toute autre peine visée à l’article 44 de la Loi qui a été infligée au détenu, afin que l’ensemble des peines ne soit pas excessif;

f) toute mesure prise par le Service par rapport à cette infraction avant la décision relative à l’accusation;

g) toute recommandation présentée à l’audition quant à la peine qui s’impose.

34. Before imposing a sanction described in section 44 of the Act, the person conducting a hearing of a disciplinary offence shall consider

(a) the seriousness of the offence and the degree of responsibility the inmate bears for its commission;

(b) the least restrictive measure that would be appropriate in the circumstances;

(c) all relevant aggravating and mitigating circumstances, including the inmate’s behaviour in the penitentiary;

(d) the sanctions that have been imposed on other inmates for similar disciplinary offences committed in similar circumstances;

(e) the nature and duration of any other sanction described in section 44 of the Act that has been imposed on the inmate, to ensure that the combination of the sanctions is not excessive;

(f) any measures taken by the Service in connection with the offence before the disposition of the disciplinary charge; and

(g) any recommendations respecting the appropriate sanction made during the hearing.

[80]           Une recommandation des parties constitue l’un des facteurs que le PI doit considérer, mais ce n’est pas le seul critère pertinent. Il doit également considérer la gravité de l’infraction et toutes les circonstances atténuantes et aggravantes. Je considère donc qu’il ressort clairement de l’article 34 du Règlement que le PI n’est pas lié par une suggestion commune faite par les parties. En l’espèce, les parties avaient suggéré une sentence suspendue de trois jours d’isolement sans privilèges. Le PI s’est écarté légèrement de cette recommandation en augmentant le nombre de jours à cinq et il a clairement expliqué pourquoi il imposait une sentence de cinq jours :

What bothers me here, I see that you’re suggesting something that... you’re doing that with the administration and by... with this... the assessor, and on the other hand, I’m bothered by the fact... and I’ll tell you what bothers me, is that Mr. Swift, from what he says, does not realize that it is a serious offence, and an offence that cannot be repeated.

I will accept the suggestion. I will accept the suggestion, but that will not be three (3) days, that will be five (5) days. My concern is that this is not repeated.

[81]           Je ne vois rien de déraisonnable dans le raisonnement suivi par le PI et par la sentence qu’il a imposée au demandeur.

[82]           Pour tous ces motifs, je considère que rien ne justifie en l’espèce l’intervention de la Cour.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-711-14

 

INTITULÉ :

MICHEAL SWIFT c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 OCTOBRE 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER DÉCEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Me Rita Magloé Francis

 

Pour le demandeur

 

Me Claudia Gagnon

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rita Magloé Francis

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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