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Date : 20141209

Dossiers : A-48-14

A-49-14

Référence : 2014 CAF 290

En présence de monsieur le juge Stratas

ENTRE :

MCKESSON CANADA CORPORATION

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2014.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS


 


Date : 20141209

Dossiers : A-48-14

A-49-14

Référence : 2014 CAF 290

En présence de monsieur le juge Stratas

ENTRE :

MCKESSON CANADA CORPORATION

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE STRATAS

[1]               L'appelante sollicite l'autorisation de déposer un avis d'appel modifié et demande des réparations connexes.

[2]               Les faits ayant donné lieu à la présente requête se résument comme suit. Le jugement porté en appel a été rendu par la Cour canadienne de l'impôt (le juge Boyle) : 2013 CCI 404. Il traite d'une des questions en litige dans le dossier. Le juge de la Cour de l'impôt est demeuré saisi des autres questions.

[3]               L'appelante a par la suite déposé auprès de notre Cour son avis d'appel, le dossier d'appel et son mémoire des faits et du droit. L'intimée a quant à elle déposé son mémoire des faits et du droit.

[4]               Après ces dépôts, le juge de la Cour de l'impôt s'est récusé de l'affaire. Il a rédigé des motifs pour en expliquer les raisons : 2014 CCI 266. Il avait examiné le mémoire des faits et du droit de l'appelante, et dans ses motifs de récusation, il a commenté certains points y figurant. Compte tenu desdits motifs, l'appelante souhaite maintenant soulever un nouveau motif d'appel.

[5]               De façon générale, dans son nouveau motif d'appel, l'appelante fait valoir que le juge de la Cour de l'impôt a répondu de façon très détaillée à son mémoire. Ce faisant, le juge s'est selon elle indûment ingéré dans le processus d'appel et en a compromis l'intégrité.

[6]               L'intimée s'oppose à la requête. Elle affirme que les motifs de récusation ne sont pas pertinents en ce qui concerne le bien‑fondé de la décision de la Cour de l'impôt. Elle ajoute que ces motifs ne compromettent ni en apparence ni en réalité le caractère équitable de la procédure d'appel devant notre Cour.

[7]               De nombreux arrêts de notre Cour traitent de l'article 75 des Règles dans le cas des actes de procédure déposés en première instance, mais notre Cour n'a jamais exposé, dans des motifs approfondis, les principes applicables à une requête présentée en vertu de l'article 75 en vue de modifier un avis d'appel. Cependant, selon moi, les principes qui s'appliquent à la modification des actes de procédure déposés en première instance, lesquels sont exposés dans l'affaire Canderel Ltée c. Canada, [1994] 1 C.F. 3 (C.A.F.), s'appliquent également, à quelques différences près, à la modification d'un avis d'appel. La règle d'interprétation de l'article 3 des Règles me guide dans la transposition des principes exposés dans l'arrêt Canderel à la modification d'un avis d'appel. L'article 3 introduit dans l'analyse les concepts d'équité, de prévention des retards et d'économie, ainsi que l'idée qu'il convient de privilégier les décisions rendues sur le fond.

[8]               Comme c'est le cas pour les modifications apportées aux actes de procédure déposés en première instance, la Cour, saisie d'une requête en modification d'un avis d'appel, doit se demander si la modification porte sur le fond de l'affaire. Pour répondre à cette question, la Cour doit comprendre la nature des arguments soulevés par les parties, déterminer si la modification est pertinente quant à l'issue de l'affaire et, lorsqu'un nouveau motif d'appel est invoqué, se demander s'il pourrait être accueilli.

[9]               En se demandant si le nouveau motif d'appel pourrait être accueilli, le juge des requêtes devrait garder à l'esprit ce qui différencie ses tâches de celles d'une formation saisie d'un appel. La ligne de démarcation entre leurs tâches respectives dépend de la certitude du résultat. Lorsqu'il est clair ou évident que le nouveau motif sera rejeté, le juge des requêtes ne devrait pas permettre qu'il soit soulevé en appel. Par contre, s'il est possible pour des esprits raisonnables de diverger d'opinion sur le bien-fondé du nouveau motif, le juge des requêtes devrait permettre qu'il fasse partie des questions examinées en appel, et laisser à la formation chargée d'instruire l'appel le soin de statuer définitivement sur celui‑ci. Par analogie, voir Collins c. Canada, 2014 CAF 240, au paragraphe 6, qui portait sur une question de preuve.

[10]           Cela ne règle toutefois pas la question. Aux termes de l'article 75 des Règles, la Cour peut refuser une modification si la partie requérante a tardé à agir, ou si des considérations d'équité ou de préjudice militent contre la modification et que ces considérations ne peuvent pas être prises en compte de manière satisfaisante en imposant des conditions. Dans plusieurs cas, la Cour autorise les modifications avec des conditions. L'imposition de conditions est un outil pratique pour promouvoir l'équité et limiter le préjudice, tout en permettant à la cour de concentrer son attention sur les véritables questions en litige.

[11]           J'applique maintenant ces principes à la requête de l'appelante. À mon avis, les motifs de récusation, comme ils répondent au mémoire des faits et du droit de l'appelante, s'écartent de la norme. Ils constituent un élément nouveau et important dans le présent appel et ils font maintenant partie des véritables questions en litige. En respectant la démarcation entre les tâches des juges des requêtes et celles des formations saisies d'un appel, je dirai seulement qu'il n'est ni clair ni évident que le nouveau motif d'appel soulevé par l'appelante sera rejeté.

[12]           À mon avis, il n'y a aucune raison de refuser que le nouveau motif d'appel soit examiné dans l'appel. Il aurait peut‑être été préférable que l'appelante présente sa requête plus tôt, mais elle n'a pas trop tardé à agir. Il n'y a rien d'injuste dans l'introduction d'un nouveau motif d'appel à ce stade‑ci. En fait, le principe d'équité milite en faveur de cette interprétation : l'appelante s'estime lésée par ce qu'elle prétend être une intervention inappropriée et sans précédent du juge de la Cour de l'impôt. L'introduction d'un nouveau motif d'appel, rendant nécessaire le dépôt d'un nouveau mémoire, ne retardera pas l'appel de manière notable. L'intimée n'a allégué aucune autre forme de préjudice.

[13]           Par conséquent, j'autoriserai l'appelante à modifier son avis d'appel afin d'introduire un nouveau motif d'appel.

[14]           Il reste deux questions à trancher.

– I –

[15]           Dans ses observations écrites, l'intimée a souligné que les motifs de récusation n'ont pas été compris dans le dossier d'appel. Ils n'ont pas pu l'être puisque le dossier d'appel a été déposé avant que le juge de la Cour de l'impôt ne rende ses motifs.

[16]           L'intimée affirme que les motifs de récusation ne peuvent pas être soumis à l'examen de la Cour, car l'appelante n'a pas présenté de requête en vue de présenter de nouveaux éléments de preuve en vertu de l'article 351. Je rejette cet argument. Les motifs de récusation ne constituent pas un élément de preuve. Les motifs rendus par les tribunaux font partie des règles de droit générales dont la Cour a connaissance d'office.

[17]           J'estime que je devrais autoriser le dépôt d'un dossier d'appel supplémentaire contenant les motifs de récusation et l'ordonnance rendue par la Cour dans la présente requête.

[18]           Les dossiers d'appel contiennent habituellement deux types de documents. On y trouve, premièrement, les documents qui relèvent de la connaissance de la Cour, comme l'ordonnance et les motifs du jugement de l'instance inférieure, les ordonnances rendues par notre Cour lors de l'appel et l'avis d'appel. Ces documents, bien qu'ils relèvent de la connaissance de la Cour, sont inclus dans le dossier d'appel par souci de commodité pour la Cour et les parties. Deuxièmement, on y trouve le dossier de preuve, lequel est habituellement constitué du dossier dont disposait l'instance inférieure.

[19]           Les motifs de récusation et l'ordonnance rendue par notre Cour en réponse à la requête dont la Cour est présentement saisie entrent dans la première catégorie de documents. Bien que la Cour puisse en prendre connaissance d'office, l'appelante devrait déposer un dossier d'appel supplémentaire contenant ces documents par souci de commodité pour la Cour et les parties.

– II –

[20]           L'appelante demande l'autorisation de déposer un mémoire supplémentaire des faits et du droit portant sur le nouveau motif d'appel. J'accorderai l'autorisation et je donnerai aussi à l'intimée la possibilité de déposer un mémoire en réponse.

[21]           L'appelante a utilement déposé un projet de mémoire afin que la Cour puisse l'examiner. Le document compte 29 pages. Il me semble que la meilleure façon d'aider la Cour serait de lui fournir un document n'excédant pas 20 pages.

[22]           Dans les circonstances, un document de 20 pages suffit amplement à la tâche. Les parties présentent habituellement toutes leurs observations écrites relatives à tous les motifs d'appel dans un document n'excédant pas 30 pages, conformément à l'article 70 des Règles, et ce, dans des affaires souvent plus complexes que celle‑ci. Cependant, en l'espèce, le nouveau motif est quelque peu inédit et les circonstances sont quelque peu inhabituelles. Je suis donc prêt à donner un peu de latitude à l'appelante.

[23]           La différence entre le nombre de pages proposé par l'appelante et le nombre que je suis prêt à autoriser est de neuf pages. Certains pourraient se demander : « Pourquoi faire tout un plat pour neuf pages? »

[24]           Lorsqu'elles sont inutilement longues et diffuses, les observations se comparent à une boule de neige légère et mal tassée. Lorsque vous la lancez, votre cible la sent à peine. En revanche, les observations brèves et précises se comparent à une boule de neige bien tassée, semblable à une boule de glace. Lorsque vous la lancez, votre cible la sent réellement. Les observations écrites plus concises sont plus efficaces et, par conséquent, se révèlent plus utiles pour la Cour.

[25]           Les structures qui entraînent des répétitions, une exposition trop détaillée des arguments, des blocs de citation et des fioritures rhétoriques rendent les observations diffuses. Les structures simples, mais claires, des arguments présentés une seule fois et de façon succincte, les exposés concis où les détails précis sont présentés de façon convaincante et de courts extraits de jurisprudence, cités au besoin seulement, rendent les observations bien ciblées. Les observations diffuses dissipent la force de l'argumentation alors que les observations bien ciblées en concentrent la force.

[26]           Si les parties peuvent présenter leurs observations sur le nouveau motif d'appel en moins de 20 pages, ce sera encore mieux.

[27]           Une ordonnance sera prononcée conformément aux présents motifs.

« David Stratas »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme

Yves Bellefeuille, réviseur


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

A-48-14 ET A-49-14

INTITULÉ :

MCKESSON CANADA CORPORATION c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 DÉCEMBRE 2014

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Paul B. Schabas

Jeffrey Trossman

Al Meghji

Amanda Heale

Marie Henein

Scott C. Hutchinson

Matthew Gourlay

 

POUR L'APPELANTE

 

Janie Payette

Sylvain Ouimet

Chantal Roberge

 

POUR L'INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

Osler, Hoskin & Harcourt

Toronto (Ontario)

Henein Hutchinson LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR L'APPELANTE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L'INTIMÉE

 

 

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