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Date : 20141210


Dossier : A‑218‑14

Référence : 2014 CAF 292

En présence de monsieur le juge Stratas

ENTRE :

GÁBOR LUKÁCS

demandeur

et

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

défendeur

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance prononcée à Ottawa (Ontario), le 10 décembre 2014.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20141210


Dossier : A‑218‑14

Référence : 2014 CAF 292

En présence de monsieur le juge Stratas

Dossier :A‑218‑14

ENTRE :

GÁBOR LUKÁCS

demandeur

et

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE STRATAS

A.        Introduction

[1]               Les présents motifs concernent deux requêtes :

                     Le commissaire à la protection de la vie privée du Canada a saisi la Cour d’une requête en vue d’intervenir dans la présente demande en vertu de la règle 109 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106.

                     Le demandeur a saisi la Cour d’une requête en vue d’obtenir le rejet de la requête en intervention du commissaire à la protection de la vie privée en raison de sa conduite pendant le contre‑interrogatoire du déposant du commissaire à la protection de la vie privée.

[2]               Dans son ordonnance du 14 novembre 2014, la Cour a informé les parties qu’elle trancherait en premier lieu la requête du demandeur et qu’elle se prononcerait ensuite sur la requête en intervention du commissaire à la protection de la vie privée.

[3]               Les deux dossiers de requête sont complets et les deux requêtes sont prêtes à être jugées. J’ai examiné les requêtes selon l’ordre prévu dans l’ordonnance du 14 novembre 2014 bien que, comme nous le verrons ci‑dessous, j’en traite dans l’ordre inverse dans les présents motifs. Comme nous le verrons également, mon raisonnement concernant la requête en intervention du commissaire à la protection de la vie privée a une incidence sur le sort de la requête du demandeur.

[4]               Pour les motifs qui suivent, j’accueille à certaines conditions la requête en intervention du commissaire à la protection de la vie privée. Je rejette la requête présentée par le demandeur en vue d’obtenir le rejet de la requête du commissaire, ainsi que d’autres réparations.

B.        La requête en intervention dans la présente demande

(1)        Nature de la demande et questions qu’elle soulève relativement à la Loi sur la protection des renseignements personnels

[5]               Dans la demande dont la Cour est saisie, le demandeur conteste la décision de l’Office des transports du Canada de refuser de lui communiquer certains documents au cours d’une instance. Dans ses motifs, l’Office s’est fondé en partie sur la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P‑21.

[6]               Le demandeur conteste le refus de l’Office de lui communiquer les documents en question en faisant notamment valoir que la Loi sur la protection des renseignements personnels ne saurait l’emporter sur le principe de la publicité des débats judiciaires.

[7]               Dans la présente requête, le commissaire à la protection de la vie privée affirme qu’il sera en mesure d’aider la Cour dans son analyse de la Loi sur la protection des renseignements personnels et dans la façon dont celle‑ci s’applique aux questions en litige dans la demande principale. En particulier, le commissaire à la protection de la vie privée affirme qu’il peut apporter une contribution valable dans la présente instance en présentant son point de vue à la Cour à l’égard de trois questions ayant trait à la Loi sur la protection des renseignements personnels :

                     Les renseignements personnels fournis à l’Office dans le cadre d’une instance judiciaire sont‑ils des « renseignements auxquels le public a accès » au sens du paragraphe 69(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels et échappent‑ils par conséquent aux limites en matière de communication prévues à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels?

                     L’Office peut‑il communiquer, sans le consentement de l’intéressé, des renseignements personnels qui lui ont été fournis dans le cadre d’une instance judiciaire sur le fondement de l’une ou de plusieurs des exceptions à l’obligation d’obtenir le consentement de l’intéressé prévues aux alinéas 8(2)a), 8(2)b) et 8(2)m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels?

                     Compte tenu du principe de la publicité des débats judiciaires, les limites en matière de communication imposées par la Loi sur la protection des renseignements personnels sont‑elles des limites contraires à l’alinéa 2b) de la Charte qui ne peuvent se justifier en vertu de l’article premier?

(2)        Le critère d’intervention prévu à la règle 109 des Règles des Cours fédérales

[8]               Le commissaire à la protection de la vie privée fait valoir que, pour se prononcer sur sa requête en autorisation d’intervenir, la Cour devrait appliquer le critère d’intervention qui a été énoncé pour la première fois dans l’arrêt Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Canada (Procureur général), [1990] 1 C.F. 90 (C.A.F.).

[9]               Ainsi que le demandeur le fait observer, j’ai récemment expliqué que ce critère était désuet, qu’il ne répondait plus aux exigences des procès modernes et qu’à certains égards, il était illogique (Conseil de la bande de Pictou Landing c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 21, 456 N.R. 365, au paragraphe 11). Dans l’arrêt Pictou, j’ai modifié le critère de façon à mieux répondre à certaines des principales préoccupations auxquelles la prise en compte des facteurs de l’arrêt Rothmans, Benson & Hedges s’efforçait de répondre et aux défis que posent les procès modernes que les cours fédérales sont appelées à instruire.

[10]           Voici comment j’ai défini dans l’arrêt Pictou (au paragraphe 11) le critère à appliquer :

I.                       La personne qui désire intervenir s’est‑elle conformée aux exigences procédurales particulières énoncées au paragraphe 109(2) des Règles? La preuve présentée à l’appui est‑elle précise et détaillée? Si la réponse à l’une ou l’autre de ces questions est négative, la Cour n’est pas en mesure d’évaluer adéquatement les autres facteurs et doit par conséquent refuser d’accorder le statut d’intervenant. Si la réponse aux deux questions est affirmative, la Cour est en mesure d’évaluer adéquatement les autres facteurs et de déterminer si, selon la prépondérance des probabilités, il convient d’accorder le statut d’intervenant.

II.                   La personne qui désire intervenir a‑t‑elle un intérêt véritable dans l’affaire dont la Cour est saisie, permettant ainsi de garantir à la Cour qu’elle possède les connaissances, les compétences et les ressources nécessaires et qu’elle les consacrera à l’affaire dont la Cour est saisie?

III.                En participant au présent appel de la manière qu’elle se propose, la personne qui désire intervenir fournira‑t‑elle à la Cour d’autres précisions et perspectives utiles qui l’aideront effectivement à la prise d’une décision?

IV.                 Est‑il dans l’intérêt de la justice d’autoriser l’intervention? Par exemple, l’affaire dont la Cour est saisie comporte‑t‑elle une dimension publique importante et complexe, de sorte que la Cour doit prendre connaissance d’autres points de vue que ceux exprimés par les parties à l’instance? La personne qui désire intervenir a‑t‑elle participé à des procédures antérieures concernant l’affaire?

V.                   L’intervention désirée est‑elle incompatible avec les exigences énoncées à l’article 3 des Règles, à savoir de permettre « d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible »? L’intervention devrait-elle être assujettie à des conditions qui pourraient répondre aux exigences prévues à l’article 3?

(3)        Application du critère d’intervention

[11]           À mon avis, tous les facteurs susmentionnés ont été respectés dans le cas qui nous occupe.

[12]           Le commissaire à la protection de la vie privée s’est conformé aux Règles des Cours fédérales et notre Cour est pleinement habilitée dans le présent dossier à trancher la présente requête.

[13]           Je suis convaincu que le commissaire à la protection de la vie privée possède les connaissances, les compétences et les ressources nécessaires et qu’il les consacrera à l’affaire dont la Cour est saisie.

[14]           Je suis également convaincu que le commissaire à la protection de la vie privée fournira des précisions et offrira des points de vue utiles à la Cour, qui l’aideront effectivement à trancher la présente affaire.

[15]           Le commissaire à la protection de la vie privée pourra participer utilement à l’instance et aider la Cour à trancher les questions énoncées au paragraphe 7.

[16]           Dans le cas qui nous occupe, la participation du commissaire à la protection de la vie privée est d’autant plus nécessaire que, à l’heure actuelle, une seule partie est parfaitement libre de s’exprimer sur les questions relatives à la Loi sur la protection des renseignements personnels qui sont soumises à la Cour, en l’occurrence, le demandeur.

[17]           La seule autre partie à la demande, l’Office, est également présente, mais l’Office se trouve dans une position inusitée en ce sens qu’il n’est pas entièrement libre de s’exprimer sur ce point. Dans les motifs de sa décision, l’Office a exposé son point de vue sur l’interprétation et l’application de la Loi sur la protection des renseignements personnels. À cet égard, il est maintenant functus officio. Devant notre Cour, qui est saisie d’une demande de contrôle de sa décision, l’Office doit prendre garde de ne pas renforcer de façon illégitime ses motifs en étoffant son analyse relative à la Loi sur la protection des renseignements personnels (United Brotherhood of Carpenters and Joiners of America, Local 1386 c. Bransen Construction Ltd., 2002 NBCA 27, 39 Admin. L.R. (3d) 1, aux paragraphes 26 et 33). Bien qu’il ne soit pas exclu qu’un décideur puisse comparaître devant la cour chargée de contrôler sa propre décision (le plus souvent en tant qu’intervenant), il est possible qu’il se voie imposer des limites quant à la portée des observations qu’il pourra présenter (Canada (Procureur général) c. Quadrini, 2010 CAF 246).

[18]           À mon avis, les questions soumises à la Cour en ce qui concerne la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui sont résumées ci‑dessus, sont complexes et méritent d’être pleinement débattues par les parties. Ce facteur milite en faveur d’autoriser le commissaire à la protection de la vie privée à participer à la présente instance en tant qu’intervenant.

[19]           La prochaine question à considérer est celle de l’intérêt public. Rien ne m’indique que la présente demande comporte une dimension d’intérêt public importante. De plus, le commissaire à la protection de la vie privée n’a pas participé à l’instance introduite devant l’Office. Je tiens toutefois à signaler que l’on favorisera l’intérêt du public à ce que les décisions de notre Cour soient respectées en permettant la participation du commissaire à la protection de la vie privée. Les décisions portant sur des questions techniques d’interprétation relative à la Loi sur la protection des renseignements personnels devraient reposer sur les meilleures explications possible, et le commissaire à la protection de la vie privée est une partie bien au fait de ces questions. Le commissaire à la protection de la vie privée l’a démontré à plusieurs reprises à l’occasion d’interventions devant des juridictions d’appel, dont la Cour suprême du Canada, ayant retenu l’attention des médias.

[20]           En dernier lieu, il reste à examiner la question de savoir si l’intervention proposée est incompatible avec les exigences énoncées à la règle 3 des Règles des Cours fédérales, à savoir de permettre « d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible ». En l’espèce, le commissaire à la protection de la vie privée aurait pu présenter sa requête en intervention plus tôt, mais il n’a pas pour autant perturbé le déroulement de l’instance. De plus, le commissaire à la protection de la vie privée est disposé à s’en tenir au dossier de preuve dont dispose déjà la Cour.

[21]           Somme toute, je vais donc accueillir la requête du commissaire à la protection de la vie privée.

[22]           Le paragraphe 109(3) des Règles des Cours fédérales m’habilite à donner des directives au sujet d’une intervention, et la règle 53 me permet d’assortir mon ordonnance de certaines conditions.

[23]           Le commissaire à la protection de la vie privée peut déposer un mémoire des faits et du droit sur les questions d’interprétation et d’application de la Loi sur la protection des renseignements personnels, en tenant compte du fait qu’il s’agit du contrôle judiciaire d’une décision de l’Office. Ce mémoire ne peut dépasser 15 pages et doit être déposé au plus tard vingt jours après la date de l’ordonnance lui accordant l’autorisation d’intervenir.

[24]           En contrepartie du droit du commissaire à la protection de la vie privée d’intervenir et de déposer un mémoire, le demandeur peut déposer un mémoire d’au plus 15 pages en réponse aux observations de l’intervenant. Ce mémoire doit être déposé dans les 20 jours de la signification du mémoire du commissaire à la protection de la vie privée.

[25]           Le commissaire à la protection de la vie privée ne doit rien ajouter au dossier de preuve. Le commissaire à la protection de la vie privée ne peut réclamer des dépens n’y être condamné à en payer.

[26]           Le commissaire à la protection de la vie privée aura le droit de présenter des observations orales ne devant pas dépasser 20 minutes lors de l’instruction de la demande. Le tribunal qui entendra la demande pourra évidemment modifier cette mesure s’il le juge à propos.

C.        Requête présentée par le demandeur en vue de faire rejeter la requête en intervention

[27]           Je vais maintenant examiner la requête par laquelle le demandeur cherche à faire rejeter la requête du commissaire à la protection de la vie privée en vue d’intervenir ou d’obtenir une mesure moindre. Le demandeur fonde sa requête sur l’alinéa 97d) des Règles des Cours fédérales (rejet d’une requête pour défaut de répondre à une question légitime posée lors d’un contre‑interrogatoire). Il affirme que le commissaire à la protection de la vie privée a refusé de façon irrégulière de permettre à son déposant de répondre à certaines questions lors de son contre-interrogatoire.

[28]           Le demandeur a posé des questions visant à connaître les observations précises que le commissaire entendait présenter lors de l’audition de la demande, et notamment dans quelle mesure elles seraient différentes de celles de l’Office. À mon avis, ces questions portaient sur un point pertinent, mais elles ne visaient pas à obtenir des renseignements qui l’étaient en ce qui concerne la requête en cause. La Cour n’a tout simplement pas besoin de disposer de renseignements aussi précis que ceux que le demandeur a cherché à obtenir par ses questions.

[29]           Supposons un instant que le déposant du commissaire à la protection de la vie privée ait répondu aux questions posées par le demandeur en déclarant qu’il n’avait pas encore préparé ses observations de façon précise. Est‑ce que cela aurait une incidence sur mon analyse? Pas du tout. Les facteurs pertinents militent très fortement en faveur de l’octroi au commissaire à la protection de la vie privée du droit d’intervenir.

[30]           Les autres questions posées par le demandeur, notamment celles de savoir à quel moment et de quelle façon le commissaire à la protection de la vie privée a appris l’existence de la présente affaire, n’ont rien à voir avec le critère juridique que j’ai appliqué.

D.        Questions diverses

[31]           Le greffe cherche à obtenir des directives sur la question de savoir si le dossier de requête du défendeur peut être accepté pour dépôt. Le demandeur s’y oppose pour cause de retard. La preuve au dossier explique bien pourquoi le défendeur a tardé à déposer son dossier; j’exerce donc mon pouvoir discrétionnaire d’accorder une prorogation de délai et de permettre le dépôt du dossier.

E.        Dispositif

[32]           Je fais donc droit à la requête en intervention du commissaire à la protection de la vie privée à certaines conditions et je rejette la requête du demandeur. Aucuns dépens ne seront adjugés relativement aux deux requêtes.

« David Stratas »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste



COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

A‑218‑14

 

INTITULÉ :

GÁBOR LUKÁCS c.

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :

le 10 décembre 2014

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Gábor Lukacs

 

le demandeur,

pour soN propre compte

 

Odette Lalumière

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Direction des services juridiques

Office des transports du Canada

PoUR LE DÉFENDEUR

 

 

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