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Date : 20141209


Dossier : A-405-13

Référence : 2014 CAF 288

CORAM :

LE JUGE NADON

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE SCOTT

 

ENTRE :

AIR CANADA

appelante

et

MARLEY GREENGLASS et OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

intimés

Audience tenue à Montréal (Québec), le 7 octobre 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2014.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE SCOTT

 


Date : 20141209


Dossier : A-405-13

Référence : 2014 CAF 288

CORAM :

LE JUGE NADON

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE SCOTT

 

ENTRE :

AIR CANADA

appelante

et

MARLEY GREENGLASS et OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]               Le 2 août 2013, l’Office des transports du Canada (l’Office) a rendu sa décision définitive (décision no 303-AT-A-2013 ou la décision définitive) concernant la demande, fondée sur le paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10 (la Loi), que Mme Marley Greenglass (la demanderesse) a présentée contre la politique d’Air Canada permettant de transporter des chiens de compagnie dans la cabine d’un aéronef, particulièrement parce que cela nuit aux personnes allergiques aux chiens, comme la demanderesse. Aux paragraphes 62 à 68 de la décision définitive, l’Office a ordonné à Air Canada de se conformer aux mesures d’accommodement suivantes :

CONCLUSION

[62]      Par conséquent, l’Office ordonne à Air Canada d’élaborer et de mettre en œuvre les politiques et les procédures nécessaires pour fournir l’accommodement approprié suivant et d’offrir la formation requise à son personnel pour veiller à la fourniture de l’accommodement approprié.

En ce qui a trait aux chiens transportés en tant qu’animaux de compagnie

[63]      À bord des aéronefs qui ont des systèmes de circulation d’air et de ventilation munis de filtres HEPA ou qui fournissent uniquement de l’air frais non recirculé :

           une séparation de sièges confirmée avant l’embarquement du vol qui garantit qu’il y a au moins cinq rangées de sièges entre une personne ayant une déficience en raison de son allergie aux chiens et les chiens de compagnie, notamment durant l’embarquement et le débarquement, et entre le siège de la personne allergique et les toilettes; ou

           une interdiction de transporter des chiens de compagnie dans la cabine d’un aéronef à bord duquel se trouve une personne ayant une déficience en raison de son allergie aux chiens.

[64]      À bord des aéronefs qui n’ont pas de systèmes de circulation d’air et de ventilation munis de filtres HEPA ou qui ne fournissent pas uniquement de l’air frais non recirculé :

           une interdiction de transporter des chiens de compagnie dans la cabine d’un aéronef à bord duquel se trouve une personne ayant une déficience en raison de son allergie aux chiens.

[65]      Lorsqu’un préavis de moins de 48 heures est donné par les personnes ayant une déficience en raison de leur allergie aux chiens, il faut interdire le transport de chiens de compagnie si aucun passager voyage[a]nt avec un chien de compagnie n’a déjà réservé un siège à bord du vol choisi. Si une personne qui voyage avec un chien de compagnie a déjà réservé un siège à bord du vol, les personnes ayant une déficience en raison de leur allergie aux chiens doivent se voir fournir cette même mesure (interdiction), dans les 48 prochaines heures, sur le prochain vol disponible à bord duquel aucun passager voyageant avec un chien de compagnie n’a déjà réservé un siège. Si le prochain vol disponible dépasse la période prévue de 48 heures, les personnes ayant une déficience en raison de leur allergie aux chiens doivent se voir accorder la priorité et obtenir les mesures d’accommodement applicables si elles donnent un préavis d’au moins 48 heures.

En ce qui a trait aux chiens aidants

[66]      À bord des aéronefs qui ont des systèmes de circulation d’air et de ventilation munis de filtres HEPA ou qui fournissent uniquement de l’air frais non recirculé :

           une séparation de sièges confirmée avant l’embarquement du vol qui garantit qu’il y a au moins cinq rangées de sièges entre une personne ayant une déficience en raison de son allergie aux chiens et les chiens aidants, notamment durant l’embarquement et le débarquement, et entre le siège de la personne allergique et les toilettes.

[67]      À bord des aéronefs qui n’ont pas de systèmes de circulation d’air et de ventilation munis de filtres HEPA ou qui ne fournissent pas uniquement de l’air frais non recirculé :

           donner la priorité de réservation à quiconque de la personne ayant une déficience en raison de son allergie aux chiens et de la personne voyageant avec un chien aidant effectue sa réservation en premier. Une personne ayant une déficience en raison de son allergie aux chiens et une personne qui voyage avec un chien aidant ne seront pas acceptées à bord du même aéronef s’il n’est pas muni de filtres HEPA ou s’il ne fournit pas uniquement de l’air frais non recirculé.

[68]      Air Canada a jusqu’au 16 septembre 2013 pour se conformer à cette ordonnance.

[2]               Le 10 octobre 2013, le juge Pelletier a accordé à Air Canada l’autorisation d’interjeter appel de la décision définitive de l’Office et, le 29 novembre 2013, Air Canada a déposé son avis d’appel.

[3]               Les faits sur lesquels repose le présent appel sont simples. En bref, sur un vol en partance de Toronto vers Phoenix, en Arizona, la demanderesse était assise dans une rangée située directement derrière un passager accompagné d’un chien. La présence du chien a causé des « problèmes de santé » à la demanderesse, qui ont fait en sorte que son vol a été retardé. Elle a pris des médicaments et a enfilé un masque avec filtre à charbon pour éviter que sa situation ne s’aggrave. Finalement, le chien a été déplacé, mais il était trop tard parce que la demanderesse ne se sentait pas bien et a dû augmenter sa dose de médicaments tout au long du vol. Durant le vol, la demanderesse a eu une deuxième « attaque » et il lui a fallu plusieurs jours pour se rétablir.

[4]               Le 7 février 2012, la demanderesse a déposé sa demande à l’encontre de la politique d’Air Canada prévoyant le transport d’animaux de compagnie dans les cabines des aéronefs, relativement à son allergie aux chiens.

[5]               Le 6 mars 2012, l’Office a ajourné l’instruction de la demande dans l’attente de la décision relative à une enquête sur les politiques de WestJet, d’Air Canada et d’Air Canada Jazz en matière de personnes dont l’allergie aux chats constitue une déficience au sens de la Loi.

[6]               Le 14 juin 2012, l’Office a rendu sa décision définitive concernant les allergies aux chats (la décision concernant les allergies aux chats). Dans cette décision, l’Office a énoncé les mesures d’accommodement appropriées que les compagnies aériennes doivent adopter pour les personnes allergiques aux chats (décision no 227-AT-A-2012).

I.                   La décision faisant l’objet du contrôle

[7]               En plus de sa décision définitive, l’Office a rendu trois autres décisions qui sont pertinentes en l’espèce puisqu’elles font partie intégrante de la décision définitive. Ces décisions sont désignées comme : la première décision sur l’ouverture des actes de procédure, rendue le 16 janvier 2013; la deuxième décision sur l’ouverture des actes de procédure, rendue le 7 mars 2013; et la décision de demande de justification, rendue le 5 juin 2013. Un bref examen de ces décisions est nécessaire pour bien comprendre la décision définitive et les questions soulevées en l’espèce.

A.                Les première et deuxième décisions sur l’ouverture des actes de procédure

[8]               Le 16 janvier 2013, l’Office a ouvert les actes de procédure dans la demande de la demanderesse et lui a donné l’occasion de compléter sa demande, à la suite de laquelle Air Canada aurait l’occasion de déposer une réponse.

[9]               La première décision sur l’ouverture des actes de procédure (cette décision porte le no LET-AT-A-10-2013) expose un processus en trois étapes pour régler les demandes au moyen du processus décisionnel formel : premièrement, la demanderesse devra confirmer qu’elle est une personne ayant une déficience au sens de la Loi; deuxièmement, la demanderesse devra établir qu’elle a rencontré un « obstacle », c.-à-d. qu’elle avait besoin de mesures d’accommodement qui ne lui ont pas été fournies; troisièmement, l’Office devra décider si l’obstacle constitue un obstacle abusif et si des mesures correctives s’imposaient pour l’éliminer.

[10]           S’agissant de la troisième étape, l’Office a expliqué qu’un obstacle ne sera pas considéré comme « abusif » si le fournisseur de services peut en justifier l’existence en démontrant que l’élimination de l’obstacle serait déraisonnable, peu pratique ou impossible, de sorte que toute mesure d’accommodement ferait subir au fournisseur une contrainte excessive.

[11]           Dans la première décision sur l’ouverture des actes de procédure, l’Office a conclu, de façon préliminaire, que les mesures d’accommodement qu’il a ordonnées dans la décision concernant les allergies aux chats constituent l’accommodement approprié pour répondre aux besoins des personnes ayant une déficience en raison de leur allergie aux chiens.

[12]           L’Office a demandé à la demanderesse de fournir une lettre ou un certificat médical d’un médecin ou allergologue dans lequel ce dernier répondrait à certaines questions posées par l’Office. L’Office a également demandé à la demanderesse de décrire en détail en quoi la politique d’Air Canada permettant le transport d’animaux de compagnie dans la cabine de l’aéronef a nui à sa capacité de voyager en avion.

[13]           La demanderesse n’a pas répondu à la première décision sur l’ouverture des actes de procédure, comme il était exigé. Par conséquent, l’Office a fermé son dossier (cette décision porte le no LET-AT-A-28-2013).

[14]           Le 21 février 2013, la demanderesse a présenté de nouveau sa demande et a informé l’Office qu’elle sollicitait les mêmes mesures d’accommodement qu’il a fournies aux personnes allergiques aux chats dans sa décision concernant les allergies aux chats.

[15]           Le 7 mars 2013, l’Office a rouvert le dossier de la demanderesse et a envoyé la deuxième décision sur l’ouverture des actes de procédure aux parties (cette décision porte le no LET-AT-A-46-2013). Dans cette décision, l’Office a là encore énoncé les conclusions tirées dans la décision concernant les allergies aux chats et a pris en note la demande de la demanderesse selon laquelle les mesures d’accommodement adoptées dans cette décision devraient être fournies aux personnes ayant une déficience en raison de leur allergie aux chiens.

[16]           Le 4 avril 2013, Air Canada a déposé sa réponse à la deuxième décision sur l’ouverture des actes de procédure, dans laquelle elle soulève la question de ses obligations en matière de chiens aidants. Le 7 avril 2013, la demanderesse a déposé une réplique aux observations d’Air Canada, et les actes de procédure étaient considérés comme clos.

B.                 La décision de demande de justification

[17]           Le 5 juin 2013, l’Office a rendu sa décision de demande de justification (cette décision porte le no LET-AT-A-82-2013), dans laquelle il a tiré trois conclusions définitives et une conclusion préliminaire.

[18]           Premièrement, l’Office a déterminé que la demanderesse était une personne ayant une déficience au sens de la Loi. Deuxièmement, il a statué que les mêmes mesures d’accommodement qu’il a fournies dans la décision concernant les allergies aux chats étaient appropriées en l’espèce. L’Office a indiqué qu’Air Canada a déposé un article paru sur le site Web « My Health News Daily » (publié le 26 juillet 2012) qui indiquait qu’il y a des différences entre les squames de chats et les squames de chiens. Plus particulièrement, l’article indiquait que les protéines sécrétées par un chat sont si petites et légères qu’elles peuvent rester en suspens dans l’air pendant des heures. L’article citait ensuite le Dr Mark Larche, professeur en immunologie de l’Université McMaster, selon qui les pneumallergènes de chiens ne restent pas dans l’air de la même façon que ceux des chats. Suivant cet article, Air Canada a fait valoir que la séparation de cinq rangées de sièges entre les chats et les personnes allergiques aux chats, comme il a été recommandé dans la décision concernant les allergies aux chats, n’était peut‑être pas nécessaire pour les personnes allergiques aux chiens.

[19]           L’Office a rejeté cet argument dans les termes suivants au paragraphe 46 de la décision de demande de justification :

Même si l’article déposé par Air Canada indique que les pneumallergènes de chiens ne restent pas en suspens dans l’air de la même manière que les pneumallergènes de chats, Air Canada n’a pas déposé d’élément de preuve précisant en quoi les caractéristiques de suspension dans l’air des pneumallergènes de chiens diffèrent des pneumallergènes de chats, ni les conséquences de telles différences sur les personnes ayant une déficience en raison de leur allergie aux chiens. Air Canada n’a pas donné de raisons qui viendraient appuyer la conclusion selon laquelle des mesures différentes sont nécessaires pour répondre aux besoins des personnes ayant une déficience en raison de leur allergie aux chiens comparativement aux personnes ayant une déficience en raison de leur allergie aux chats compte tenu de la façon différente dont les pneumallergènes restent en suspens dans l’air. Par ailleurs, Air Canada n’a fourni aucun élément de preuve démontrant que les particules de squames de chiens ne seraient pas efficacement retenues par les filtres HEPA ou que l’air entièrement frais qui circule ne débarrasserait pas la cabine de ces particules.

[20]           Par conséquent, l’Office a conclu que, lorsqu’un préavis d’au moins 48 heures était fourni par les personnes ayant une déficience en raison de leur allergie aux chiens (ou que les meilleurs efforts étaient pris pour en faire autant si un préavis de moins de 48 heures était donné), l’accommodement approprié en ce qui a trait aux chiens aidants consistait en une séparation d’au moins cinq rangées de sièges entre les chiens et les personnes allergiques aux chiens à bord des aéronefs qui sont munis de filtres à haute efficacité pour les particules de l’air (HEPA) ou qui fournissent uniquement de l’air frais non recirculé. À bord des aéronefs qui ne sont pas munis de filtres HEPA ou qui ne fournissent pas de l’air frais non recirculé (comme le Dash 8 de Bombardier), l’accommodement approprié consistait à donner la priorité de réservation à quiconque a effectué sa réservation en premier, que ce soit la personne voyageant avec un chien aidant ou la personne souffrant d’une allergie aux chiens.

[21]           Troisièmement, l’Office a conclu que la politique actuelle d’Air Canada portant sur le transport de chiens dans la cabine d’un aéronef constituait un obstacle aux possibilités de déplacement des personnes allergiques aux chiens, dont la demanderesse.

[22]           Enfin, l’Office a conclu, de façon préliminaire, que la politique d’Air Canada portant sur le transport de chiens dans la cabine d’un aéronef constitue un obstacle abusif aux possibilités de déplacement de la demanderesse et des autres personnes souffrant d’une allergie aux chiens. L’Office a demandé à Air Canada de justifier pourquoi cette conclusion préliminaire ne devrait pas être rendue définitive et la demanderesse a eu l’occasion de répliquer à toute observation formulée à cet égard par Air Canada.

C.                 La décision définitive

[23]           Dans sa décision définitive, l’Office a rendu définitive sa conclusion préliminaire énoncée dans la décision de demande de justification portant sur le fait que la politique d’Air Canada constitue un obstacle abusif aux possibilités de déplacement de la demanderesse et des autres personnes allergiques aux chiens. Avant d’en arriver à cette conclusion, l’Office a refusé de tenir compte des observations supplémentaires formulées par Air Canada à l’égard de la conclusion de l’Office dans la décision de demande de justification concernant l’accommodement approprié en l’espèce. En bref, Air Canada a fait valoir qu’un rapport déterminant, à savoir celui du Dr Sussman intitulé « Report Addendum : Cat and Dog Dander in the Aircraft Cabin », daté du 23 mai 2008, auquel on a fait référence dans la décision de demande de justification et dans la décision concernant les allergies aux chats, devait être modifié afin de tenir compte de la situation précise des personnes allergiques aux chiens. De même, l’Office a refusé d’examiner les autres observations formulées par la demanderesse concernant la nécessité de modifier le rapport du Dr Sussman.

[24]           L’essentiel de la décision définitive porte sur l’interprétation et l’application d’un ensemble de règlements provenant du département des Transports des États‑Unis intitulé Nondiscrimination on the Basis of Disability in Air Travel, 14 C.F.R. § 382 (2008) (le règlement américain). En raison de la conclusion à laquelle je suis arrivé à l’égard des arguments d’Air Canada sur l’équité procédurale, il m’est inutile d’examiner ou d’analyser les conclusions de l’Office sur les composantes précises du règlement américain.

II.                Les observations de l’appelante

[25]           Air Canada formule certaines observations quant à savoir pourquoi le présent appel devrait être accueilli. Elle affirme que l’Office a inversé le fardeau de la preuve et a rendu sa décision en l’absence de preuve, violant ainsi le principe de l’équité procédurale. Elle fait également valoir qu’en refusant de tenir compte de ses arguments concernant une autre mesure d’accommodement appropriée, l’Office a violé le principe de l’équité procédurale. Enfin, elle soutient que la décision est déraisonnable puisque Air Canada sera forcée de faire preuve de discrimination envers les personnes qui ont besoin de chiens aidants d’une façon précisément interdite par le règlement américain. Là encore, en raison de la conclusion que j’ai tirée sur la question de l’équité procédurale, je n’ai pas besoin de me pencher sur la dernière observation d’Air Canada.

III.             La norme de contrôle

[26]           Comme je l’ai déjà indiqué, j’ai l’intention de restreindre mon analyse aux questions de l’équité procédurale soulevées par Air Canada. À cet égard, il ne fait aucun doute que ces questions doivent être analysées selon la norme de la décision correcte (voir Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502, aux paragraphes 79 et 83).

IV.             Discussion

[27]           À mon sens, les questions d’équité procédurale soulevées par Air Canada découlent principalement du libellé des première et deuxième décisions sur l’ouverture des actes de procédure par lesquelles l’Office a tenté de fixer des « règles de base » qui lui permettraient de trancher la demande de la demanderesse. En fin de compte, le processus a entraîné un manquement à l’équité procédurale à l’égard d’Air Canada. Il va sans dire que ce résultat n’était pas intentionnel. Toutefois, au final, il appert que la forme l’a emporté sur le fond et que le processus est devenu rigide. On a interdit à Air Canada de produire des éléments de preuve sur un nombre de questions cruciales, comme l’obstacle et l’accommodement approprié. Cette situation est survenue en raison de la méthode adoptée par l’Office et la manière dont il a communiqué son « plan de match » aux parties.

[28]           Comme j’ai conclu que, dans les circonstances particulières de l’espèce, Air Canada a été privée d’équité procédurale, j’accueillerais le présent appel. Les motifs de ma conclusion sont les suivants.

[29]           Je commence par la page 10 de l’annexe A de la première décision sur l’ouverture des actes de procédure, où l’Office a informé les parties qu’il incombait à la demanderesse d’établir son besoin d’accommodement et que la politique d’Air Canada ne satisfaisait pas à ce besoin. Le texte figurant à la page 10 de l’annexe A dispose :

Il incombe au demandeur de fournir des éléments de preuve suffisamment convaincants pour établir son besoin d’accommodement et pour prouver que ce besoin n’a pas été satisfait. La norme de preuve qui s’applique au fardeau de la preuve est la prépondérance des probabilités.

[30]           L’Office a répété cette affirmation au paragraphe 37 de la décision de demande de justification.

[31]           L’Office a réitéré cette affirmation dans une décision (no 430-AT-A-2011) rendue le 15 décembre 2011, qui fait partie intégrante de sa décision concernant les allergies aux chats, dans laquelle il affirme au paragraphe 225 que « [l]es demandeurs n’ont pas déposé de preuve convaincante selon laquelle la séparation des sièges est inefficace, et le fardeau de la preuve, à l’étape de la détermination d’un obstacle, leur incombe ».

[32]           L’affirmation précédente indique qu’il appartenait à la demanderesse de prouver son besoin d’accommodement et que ce besoin n’a pas été satisfait par Air Canada. Toutefois, à la page six de la première décision sur l’ouverture des actes de procédure, l’Office semble affirmer autre chose. Dans cette décision, il indique que la demanderesse doit établir son besoin d’accommodement si ce besoin diffère de la conclusion préliminaire de l’Office relative à l’accommodement approprié dans la décision concernant les allergies aux chats. Autrement dit, l’Office semble dire que la demanderesse n’a pas besoin de faire quoi que ce soit à moins qu’elle veuille un autre accommodement que celui qu’il a énoncé dans sa décision concernant les allergies aux chats. Les passages pertinents disposent :

[traduction]

        La demanderesse aura jusqu’au 6 février 2013 pour démontrer qu’elle est une personne ayant une déficience et qu’elle a besoin d’un accommodement différent de l’accommodement approprié énoncé dans la conclusion préliminaire de l’Office pour répondre à ses besoins liés à sa déficience et à ceux des personnes ayant une déficience en raison de leurs allergies aux chiens, le cas échéant;

        La défenderesse aura jusqu’au 20 février 2013 pour répondre aux observations de la demanderesse sur la déficience ainsi que sur l’obstacle et l’accommodement approprié et pour déposer ses arguments en matière de contrainte excessive à l’égard de la conclusion préliminaire de l’Office relative à l’accommodement approprié et toute autre mesure de rechange proposée par la demanderesse et pour proposer toute autre forme d’accommodement;

        La demanderesse aura ensuite jusqu’au 25 février 2013 pour déposer une réplique.

[33]           Pour rendre les choses légèrement plus compliquées, à la page deux de la deuxième décision sur l’ouverture des actes de procédure, dans laquelle l’Office a autorisé la demanderesse à rétablir sa demande après avoir indiqué qu’elle sollicitait le même accommodement que celui énoncé dans la décision concernant les allergies aux chats, l’Office a ensuite informé Air Canada qu’elle avait jusqu’au 28 mars 2013 (cette date a été reportée au 4 avril 2013) pour déposer ses observations en réponse aux observations de la demanderesse sur la déficience ainsi que sur l’obstacle et l’accommodement approprié et pour déposer ses arguments en matière de contrainte excessive. Les passages pertinents disposent :

[traduction]

Le 21 février 2013, Mme Greenglass a déposé la demande et le formulaire d’évaluation de déficience ci‑joints concernant son allergie aux chiens. Madame Greenglass a demandé à ce que l’accommodement susmentionné énoncé par l’Office pour les personnes ayant une déficience en raison de leur allergie aux chats soit fourni par Air Canada aux personnes ayant une déficience en raison de leur allergie aux chiens.

La défenderesse a jusqu’au 28 mars 2013 pour répondre aux observations de la demanderesse sur la déficience ainsi que sur l’obstacle et l’accommodement approprié et pour déposer ses arguments en matière de contrainte excessive à l’égard de la conclusion préliminaire de l’Office relative à l’accommodement approprié et pour proposer une autre forme d’accommodement, après quoi la demanderesse aura jusqu’au 4 avril 2013 pour déposer sa réplique.

[34]           La différence de fond entre les deux passages que je viens de reproduire est que, au moment de la première décision sur l’ouverture des actes de procédure, la demanderesse n’avait pas indiqué qu’elle adoptait l’accommodement décrit par l’Office dans la décision concernant les allergies aux chats, alors qu’au moment de la deuxième décision sur l’ouverture des actes de procédure, elle l’avait fait.

[35]           Air Canada fait valoir que l’Office a inversé le fardeau de preuve lorsqu’il a autorisé la demanderesse à importer la décision concernant les allergies aux chats sans arguments ni éléments de preuve à l’appui. Elle présente certains arguments juridiques à l’appui de cette thèse. Je suis loin d’être convaincu, selon la jurisprudence, que l’affirmation d’Air Canada est exacte. Toutefois, je suis convaincu qu’Air Canada a été induite en erreur par les deux décisions sur l’ouverture des actes de procédure, dont j’ai déjà reproduit les passages pertinents. Plus précisément, la directive de l’Office envers Air Canada selon laquelle elle devrait répondre aux observations de la demanderesse au plus tard le 28 mars 2013 a comme conséquence que la demanderesse formulerait effectivement des observations sur les questions de l’obstacle et de l’accommodement approprié.

[36]           Avec le recul, il m’apparaît clairement que l’Office a considéré que la demanderesse avait déjà présenté ses observations lorsqu’elle a adopté l’accommodement énoncé dans la décision concernant les allergies aux chats. Par conséquent, Air Canada n’aurait pas dû attendre les observations de la demanderesse, mais aurait dû répondre aux mesures d’accommodement fixées par l’Office dans la décision concernant les allergies aux chats, étant entendu que ces mesures avaient été proposées par la demanderesse et qu’elles seraient adoptées par l’Office, à moins que les arguments les appuyant soient réfutés.

[37]           Toutefois, avec le recul, il m’apparaît clairement qu’Air Canada a visiblement mal compris les décisions sur l’ouverture des actes de procédure de l’Office et n’a pas, avant le prononcé de la décision de demande de justification, présenté d’éléments de preuve concernant l’obstacle et l’accommodement approprié autre que l’article paru sur Internet précédemment décrit.

[38]           Je suis convaincu qu’Air Canada a compris que la demanderesse était obligée de démontrer pourquoi elle avait besoin des mesures prescrites par l’Office dans la décision concernant les allergies aux chats, c.-à-d. une séparation d’au moins cinq rangées de sièges à bord d’avions munis de filtres HEPA ou qui fournissent uniquement de l’air frais non recirculé et l’exclusion de tout chien à bord des avions non munis de tels systèmes, et non une autre forme d’accommodement. Comme la demanderesse n’a présenté aucun élément de preuve, Air Canada n’a pas présenté les éléments de preuve qu’elle aurait pu produire pour contrer l’importation de la décision concernant les allergies aux chats. En particulier, Air Canada soutient qu’elle aurait présenté des éléments de preuve indiquant que des mesures moins perturbatrices pourraient être mises en place pour accommoder tant les personnes qui voyagent avec des chiens que celles souffrant d’allergies aux chiens. Toutefois, selon la tournure des événements, cet élément de preuve n’a pas été présenté en raison du refus de l’Office de l’examiner.

[39]           Le seul élément de preuve qu’Air Canada a présenté était l’article paru sur Internet. Dans la décision de demande de justification, l’Office a examiné cet article et a conclu qu’il n’expliquait pas en quoi les caractéristiques de suspension dans l’air des pneumallergènes de chiens diffèrent des pneumallergènes de chats, ni les conséquences de telles différences sur les personnes comme la demanderesse. Par conséquent, aucun élément de preuve n’étayait le point de vue selon lequel des mesures d’accommodement différentes suffiraient pour satisfaire aux besoins des personnes ayant une déficience en raison de leur allergie aux chiens. L’Office a également conclu que la preuve ne démontrait pas que les particules de squames de chiens ne seraient pas efficacement retenues par les filtres HEPA ou que l’air entièrement frais qui circule ne débarrasserait pas la cabine de ces particules.

[40]           En l’absence de tout élément de preuve de la part d’Air Canada, l’Office a conclu que les mesures d’accommodement qu’il avait ordonnées dans la décision concernant les allergies aux chats constituaient l’accommodement approprié nécessaire pour répondre aux besoins des personnes ayant une déficience en raison de leur allergie aux chiens, que ces chiens soient des chiens aidants ou de compagnie.

[41]           Après avoir conclu que la politique d’Air Canada portant sur le transport des chiens dans les cabines des aéronefs constituait un obstacle aux possibilités de déplacement de la demanderesse et d’autres personnes allergiques aux chiens, l’Office s’est penché sur la question de savoir si l’obstacle était abusif. À cette question, il a donné une réponse préliminaire portant que la politique d’Air Canada constituait un obstacle abusif aux possibilités de déplacement de la demanderesse et d’autres personnes ayant une déficience en raison de leur allergie aux chiens. Par conséquent, au paragraphe 89 de la décision de demande de justification, l’Office a indiqué qu’il convenait de donner à Air Canada l’occasion de présenter des éléments de preuve afin de donner suite à cette conclusion préliminaire. Il a affirmé, au paragraphe 90, qu’« Air Canada doit justifier pourquoi l’Office ne devrait pas rendre définitive sa conclusion préliminaire concernant l’obstacle abusif à l’égard de l’accommodement approprié à fournir aux personnes ayant une déficience en raison de leur allergie aux chiens ».

[42]           En réponse, Air Canada a présenté des observations détaillées concernant le conflit d’application que l’accommodement proposé par l’Office a créé avec le règlement américain et a également fait valoir que le fardeau créé par ces mesures était abusif puisque des mesures moins intrusives pouvaient être mises en place tout en répondant aux besoins des personnes comme la demanderesse. Plus particulièrement, Air Canada a fait valoir que, comme son objectif était de limiter les situations où elle devrait déplacer ou sortir un passager d’un vol, particulièrement lorsque cette personne est une personne ayant une déficience, elle avait l’intention de proposer d’autres mesures concernant le transport de chiens à bord d’aéronefs qui n’étaient pas équipés de filtres HEPA.

[43]           Air Canada a conclu ses observations en demandant à l’Office de rayer sa conclusion dans la décision de demande de justification selon laquelle une personne ayant une déficience en raison de son allergie aux chiens et un chien aidant ne pourraient être acceptés dans le même aéronef si celui‑ci n’est pas équipé de filtres HEPA ou ne fournit pas uniquement de l’air frais non recirculé.

[44]           Cependant, dans sa décision définitive, l’Office a refusé d’examiner les observations susmentionnées au motif qu’elles n’avaient pas été déposées dans le délai accordé à Air Canada pour ce faire. L’Office a expliqué qu’il avait donné à Air Canada l’occasion de fournir des éléments de preuve et de présenter des observations concernant la question de l’obstacle et de l’accommodement approprié lorsqu’il a rendu sa deuxième décision sur l’ouverture des actes de procédure, ajoutant que l’objectif de la décision de demande de justification n’était pas de donner à Air Canada une deuxième chance de répondre à la même question, mais plutôt de lui permettre de commenter la conclusion préliminaire de l’Office relativement à l’obstacle abusif. Par conséquent, les observations d’Air Canada, ainsi que celles formulées par la demanderesse sur le même sujet, étaient réputées hors délai et, par conséquent, n’ont pas été examinées.

[45]           Ainsi, Air Canada a été pratiquement incapable de présenter des éléments de preuve ou de formuler des observations concernant les questions importantes de l’obstacle et de l’accommodement approprié. Air Canada fait valoir, et je suis totalement d’accord avec elle, que l’Office semble avoir justifié sa décision en indiquant que le caractère abusif de l’accommodement proposé pourrait être examiné en l’absence de tout contexte et indépendamment de l’existence d’autres réparations vraisemblablement moins intrusives.

[46]           Il m’apparaît que, dans l’ensemble, l’équité exigeait d’accorder à Air Canada l’occasion de présenter des observations concernant l’autre mesure d’accommodement, même à l’étape de détermination de « la contrainte excessive » de l’enquête de l’Office. Il est prudent de dire que, si l’Office avait autorisé Air Canada à présenter ces observations, celles‑ci n’auraient eu aucune conséquence sur la demande de la demanderesse autre que dans la mesure où l’Office aurait conclu à l’existence d’autres mesures d’accommodement.

[47]           Il ne fait aucun doute qu’il y a eu une rupture dans les communications entre Air Canada et l’Office. Air Canada a compris des deux décisions sur l’ouverture des actes de procédure qu’elle devait répondre aux observations de la demanderesse sur, entre autres, l’obstacle et l’accommodement approprié. Puisque la demanderesse n’avait présenté aucune observation, Air Canada ne croyait pas qu’elle devait répondre à quoi que ce soit. C’est pourquoi elle n’a pratiquement présenté aucun élément de preuve autre que l’article paru sur Internet, ce qui a engendré d’autres problèmes procéduraux par la suite.

[48]           J’affirme sans hésitation que le bon sens ne l’a pas emporté dans la présente affaire. L’Office a statué sur des questions importantes, non seulement pour la demanderesse et tous ceux qui sont allergiques aux chiens, mais aussi pour Air Canada. Il l’a fait sans bénéficier d’éléments de preuve matérielle de la part des parties et, plus particulièrement, d’Air Canada. Il est en ainsi parce qu’Air Canada a visiblement eu de la difficulté à comprendre la signification des différentes directives de l’Office dans ses décisions sur l’ouverture des actes de procédure.

[49]           Si le bon sens avait prévalu, on se serait attendu à ce que l’Office, à un moment donné, réalise qu’il statuait sur des questions importantes sans bénéficier de la pleine participation d’Air Canada. Je reconnais, comme je me dois de le faire, que l’Office est habilité à fixer ses règles et procédures. Toutefois, au final, les règles et procédures existent pour servir les intérêts de la justice. À mon sens, la justice en l’espèce exigeait qu’Air Canada ait l’occasion de présenter des éléments de preuve sur les questions de l’obstacle, de l’accommodement approprié et de la contrainte excessive. Ce n’est pas vraiment ce qui s’est passé en l’espèce.

V.                Dispositif

[50]           Par conséquent, j’accueillerais l’appel, j’annulerais la décision définitive rendue par l’Office le 2 août 2013 et je renverrais l’affaire à l’Office pour qu’il effectue un nouvel examen en fonction des présents motifs. Compte tenu des circonstances particulières de l’affaire, je ne rendrais aucune ordonnance quant aux dépens.

« M. Nadon »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Johanne Gauthier, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

A.F. Scott, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIER :

A-405-13

(APPEL DE LA DÉCISION NO 303-AT-A-2013 DE L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA DATÉE DU 2 AOÛT 2013, DOSSIER NO U3570/13-01171)

INTITULÉ :

AIR CANADA c. MARLEY GREENGLASS ET OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 OCTOBRE 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LES JUGES GAUTHIER ET SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 DÉCEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Patrick Girard

Patrick Désalliers

 

POUR L’AppelantE

 

Andray Renaud

Simon-Pierre Lessard

 

POUR L’INTIMÉ

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stikeman Elliott, s.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR L’AppelantE

 

Direction générale des services juridiques

Office des transports du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTIMÉ

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

 

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