Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20150120


Dossier : A-344-13

Référence : 2015 CAF 12

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE WEBB

LE JUGE BOIVIN

 

ENTRE :

 

SAINT HONORE CAKE SHOP LIMITED

 

appelante

 

et

 

CHEUNG'S BAKERY PRODUCTS LTD.

 

intimée

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 26 novembre 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 20 janvier 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE WEBB

 


Date : 20150120


Dossier : A-344-13

Référence : 2015 CAF 12

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE WEBB

LE JUGE BOIVIN

 

ENTRE :

 

SAINT HONORE CAKE SHOP LIMITED

 

appelante

 

et

 

CHEUNG'S BAKERY PRODUCTS LTD.

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE BOIVIN

[1]               La Cour est saisie de l'appel de la décision rendue par le juge Beaudry (le juge) de la Cour fédérale le 5 septembre 2013. Le juge a rejeté les appels interjetés par Saint Honore Cake Shop Limited (l'appelante) à l'encontre de deux décisions du 20 juin 2011 par lesquelles la Commission des oppositions des marques de commerce (la Commission) a refusé deux demandes d'enregistrement. Un peu plus tard, soit le 1er août 2011, la Commission a apporté des modifications aux deux décisions afin de corriger des omissions mineures. Il a aussi été fait appel de ces corrections (collectivement, les décisions de la Commission).

[2]               Le litige dont la Cour est saisie met en cause la conclusion du juge selon laquelle l'affidavit déposé par l'appelante ne peut être admis en preuve et qu'il convient, en tout état de cause, de ne pas lui accorder beaucoup de poids. La Cour doit aussi se prononcer sur les conclusions du juge concernant la probabilité de confusion, le droit à l'enregistrement et le caractère distinctif. Je souscris aux conclusions du juge, quoique pour des motifs quelque peu différents.

I.                   Les faits

[3]               Les faits de l'affaire sont relativement simples.

[4]               L'appelante est une société chinoise qui vend des produits de boulangerie-pâtisserie et d'autres produits alimentaires. Elle exerce déjà ses activités en Chine et à Hong‑Kong et elle cherche apparemment à percer le marché sino‑canadien.

[5]               Le 13 décembre 2006, l'appelante a déposé les demandes nos 1 329 117 et 1 329 118 en vue de l'enregistrement des marques de commerce suivantes :

(demande no 1 329 117)

                        (demande no 1 329 118)

[6]               Le 27 février 2008, Cheung's Bakery Products Ltd. (l'intimée) a produit des déclarations d'opposition à l'égard des deux demandes d'enregistrement au motif qu'elles créent de la confusion avec ses propres marques de commerce déposées :

(LMC480506)

ANNA'S CAKE HOUSE (LMC354194)

(LMC354193)

(LMC667403)

[7]               L'intimée a produit des copies des marques de commerce figurant ci‑dessus. De plus, elle a déposé quatre affidavits au sujet desquels l'appelante a été autorisée à contre‑interroger les auteurs, ce qu'elle n'a pas fait au final. L'appelante n'a produit aucune preuve. Les deux parties ont demandé la tenue d'une audience devant la Commission; lors de cette audience, elles étaient représentées par avocat (par. 8 et 9 des motifs rédigés par la Commission pour chacune des demandes).

[8]               La Commission a jugé que l'appelante ne s'était pas acquittée du fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu'il n'existait aucune probabilité raisonnable de confusion avec les marques de commerce de l'intimée. Elle a donc fait droit aux motifs d'opposition invoqués par l'intimée sur le fondement de l'alinéa 12(1)d) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 (la Loi), mais uniquement pour ce qui concerne les marchandises semblables. De plus, la Commission a conclu que l'appelante ne s'était pas acquittée du fardeau d'établir, conformément au paragraphe 16(3) de la Loi, l'absence de probabilité de confusion avec les marques de commerce de l'intimée. Enfin, la Commission a jugé que l'intimée s'était acquittée du fardeau que lui imposait l'alinéa 38(2)d) en établissant que ses marques de commerce étaient devenues suffisamment connues pour annuler le caractère distinctif des marques de commerce de l'appelante, mais uniquement ce qui concerne les marchandises semblables.

II.                La décision du juge

[9]               Devant le juge, une question préliminaire a été soulevée concernant l'admissibilité d'un élément de preuve additionnel déposé par l'appelante en vertu de l'article 56 de la Loi : l'affidavit souscrit par Mme Becky Xi Chen (l'affidavit de Mme Chen).

[10]           S'appuyant sur l'arrêt Es‑Sayyid c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CAF 59, [2013] 4 R.C.F. 3 (Es‑Sayyid), le juge a déterminé que l'affidavit de Mme Chen était inadmissible en raison d'un [TRADUCTION] « vice irrémédiable », Mme Chen ayant omis d'accompagner son affidavit du certificat se rapportant au Code de déontologie régissant les témoins experts, conformément à la règle 52.2(1)c) des Règles des Cours fédérales (DORS/98‑106) (motifs du juge, aux paragraphes 17 et 19). Le juge a ajouté que même s'il devait se tromper sur ce point, il estimait, de toute façon, que Mme Chen n'était pas reconnue en qualité d'experte et qu'elle ne pouvait exprimer une opinion sur des données du recensement, de sorte qu'il n'aurait accordé que peu de poids à son affidavit (motifs du juge, au paragraphe 24).

[11]           S'agissant de la norme de contrôle applicable, le juge s'est fondé sur la décision CEG License Inc. c. Joey Tomato's (Canada) Inc., 2012 CF 1541 (CEG), pour conclure que la véritable question était celle de savoir si les nouveaux éléments de preuve étaient importants au point qu'ils auraient eu une incidence réelle sur les décisions de la Commission. Le cas échéant, il fallait appliquer la norme de la décision correcte. Dans le cas contraire, c'est la norme de la décision raisonnable qui devait s'appliquer (CEG, aux paragraphes 14 à 16).

[12]           Le juge s'est ensuite demandé si la Commission avait commis une erreur dans son appréciation des motifs d'opposition relatifs aux marchandises semblables et fondés sur les alinéas 12(1)d) (non‑enregistrement pour cause de confusion), 16(3)a) (confusion avec une marque de commerce employée ou révélée au Canada) ou 38(2)d) (absence de caractère distinctif) de la Loi (motifs du juge, au paragraphe 20). Il a estimé que l'appelante ne s'était pas acquittée de son fardeau d'établir, selon la prépondérance des probabilités, qu'aucune confusion n'était possible avec les marques de commerce déposées de l'intimée. Se fondant sur la preuve produite, le juge est ainsi arrivé à la conclusion que la Commission avait rendu, quant à chacun des trois motifs d'opposition, des décisions raisonnables et correctes pour ce qui concernait les marchandises semblables.

III.             Les observations des parties

[13]           L'appelante soutient que le juge a commis une erreur en concluant que l'affidavit de Mme Chen était inadmissible; selon elle, rien n'indique que Mme Chen n'ait pas respecté le Code de déontologie. L'appelante affirme que le non-respect des dispositions de la règle 52.2(1)c) est le fait de l'inattention de l'avocat et que l'intimée n'en a subi aucun préjudice. Par conséquent, elle soutient que l'affidavit de Mme Chen était non seulement admissible, mais également qu'il était important au point de modifier les décisions de la Commission, de telle sorte que la Cour devrait procéder à un examen de novo de l'affaire.

[14]           S'agissant des motifs d'opposition, l'appelante fait valoir, en se fondant plus particulièrement sur l'affidavit de Mme Chen, qu'il n'existe aucune probabilité raisonnable de confusion parce que ses marques de commerce débutent par un caractère ou mot différent (« Saint »). Or, il a été établi que le premier mot, ou le premier son, est important lorsqu'il s'agit d'analyser le risque de confusion (Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, [2011] 2 R.C.S. 387 (Masterpiece), au paragraphe 63). L'appelante affirme également que le juge n'a pas tenu compte de la décision rendue par le registraire à l'étape de l'examen (Masterpiece, aux paragraphes 110 à 112).

[15]           Par ailleurs, l'appelante ajoute qu'il n'a pas été établi que les clients de l'intimée étaient en mesure de lire les deux formes de caractères chinois puis d'en faire la traduction ou la translittération. Or, l'impression que laisse la vue de ses marques de commerce est si différente de celle des marques de commerce de l'intimée qu'il n'existe aucune probabilité raisonnable de confusion (mémoire des faits et du droit de l'appelante, aux paragraphes 33 à 41).

[16]           De son côté, l'intimée fait essentiellement valoir que le juge n'a commis aucune erreur lorsqu'il a conclu que l'affidavit de Mme Chen était inadmissible et que la Commission pouvait conclure, comme elle l'a fait, qu'il existait une probabilité de confusion.

A.                Les questions en litige

[17]           Les questions que la Cour est appelée à trancher sont les suivantes :

1.                  Le juge a‑t‑il commis une erreur lorsqu'il a déclaré l'affidavit de Mme Chen inadmissible?

2.                  Le juge a‑t‑il commis une erreur lorsqu'il a conclu que les conclusions tirées par la Commission concernant la confusion, le droit à l'enregistrement et le caractère distinctif étaient correctes?

B.                 La norme de contrôle

[18]           En principe, la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer lors de l'appel d'une décision de la Commission est celle de la décision raisonnable. Toutefois, lorsque des éléments de preuve additionnels sont présentés au juge en appel suivant l'article 56 de la Loi et que le juge conclut que ces éléments auraient eu un effet sur les conclusions de fait de la Commission ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, il doit tirer ses propres conclusions sur la question à laquelle la preuve additionnelle se rapporte (Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145, au paragraphe 51).

[19]           Le rôle de la Cour consiste à déterminer, dans un premier temps, si le juge a choisi la bonne norme de contrôle applicable aux questions en litige et, dans un second temps, s'il a appliqué cette norme correctement (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 45 à 47; Agence du revenu du Canada c. Telfer, 2009 CAF 23, au paragraphe 18).

[20]           Lorsque de nouveaux éléments de preuve sont produits, comme en l'espèce, la Cour doit aussi tenir compte des conclusions du juge sur la question de savoir si cette preuve aurait eu un effet important sur les décisions de la Commission. Cette analyse commande l'application de la norme de contrôle applicable en appel énoncée dans l'arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. En l'absence d'une erreur de fait manifeste et dominante ou d'une erreur de droit isolable, la décision du juge sera maintenue. Ainsi que l'a affirmé la Cour au paragraphe 4 de l'arrêt Monster Cable Products, Inc. c. Monster Daddy, LLC, 2013 CAF 137 :

Lors d'un appel interjeté à l'égard d'une décision rendue en vertu du paragraphe 56(1) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 (la Loi), notre Cour doit déterminer si le juge a correctement énoncé et appliqué la norme de contrôle. Nul ne conteste que le juge a correctement indiqué que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable. Il a aussi rappelé à juste titre qu'il ne pouvait examiner une question de novo que si la nouvelle preuve produite par Master Cable aurait influé de façon significative sur les conclusions tirées par le registraire à cet égard. Notre Cour a déjà déterminé que la question de la pertinence de la nouvelle preuve est une question mixte de fait et de droit et que les conclusions du juge seront maintenues à moins qu'il n'ait commis une erreur manifeste et dominante ou une erreur de droit isolable. [Renvoi omis.] [Non souligné dans l'original.]

IV.             Analyse

1.         Le juge a-t-il commis une erreur lorsqu'il a déclaré l'affidavit de Mme Chen inadmissible?

[21]           Comme nous l'avons vu précédemment, l'appelante a voulu présenter l'affidavit de Mme Chen à titre d'élément de preuve additionnel, mais le juge a conclu que l'affidavit était inadmissible étant donné qu'au moment où il avait été souscrit, le 25 novembre 2011, il n'était pas accompagné du certificat attestant que l'expert avait lu le Code de déontologie régissant les témoins experts comme l'exige la règle 52.2, plus exactement la règle 52.2(1)c) :

52.2 (1) Affidavit ou déclaration d'un expert — L'affidavit ou la déclaration du témoin expert doit :

52.2 (1) Expert's affidavit or statement —An affidavit or statement of an expert witness shall

a) reproduire entièrement sa déposition;

(a) set out in full the proposed evidence of the expert;

b) indiquer ses titres de compétence et les domaines d'expertise sur lesquels il entend être reconnu comme expert;

(b) set out the expert's qualifications and the areas in respect of which it is proposed that he or she be qualified as an expert;

c) être accompagné d'un certificat, selon la formule 52.2, signé par lui, reconnaissant qu'il a lu le Code de déontologie régissant les témoins experts établi à l'annexe et qu'il accepte de s'y conformer;

(c) be accompanied by a certificate in Form 52.2 signed by the expert acknowledging that the expert has read the Code of Conduct for Expert Witnesses set out in the schedule and agrees to be bound by it; and

d) s'agissant de la déclaration, être présentée par écrit, signée par l'expert et certifiée par un avocat.

(d) in the case of a statement, be in writing, signed by the expert and accompanied by a solicitor's certificate.

(2) Inobservation du Code de déontologie — La Cour peut exclure tout ou partie de l'affidavit ou de la déclaration du témoin expert si ce dernier ne se conforme pas au Code de déontologie.

(2) Failure to comply — If an expert fails to comply with the Code of Conduct for Expert Witnesses, the Court may exclude some or all of the expert's affidavit or statement.

[22]           L'affidavit de Mme Chen a été souscrit le 25 novembre 2011. Or, ce n'est que plus tard, le 21 août 2012, lorsque Mme Chen a reconnu en contre‑interrogatoire qu'elle n'avait en fait jamais vu le Code de déontologie, qu'on a découvert que l'affidavit n'était pas accompagné du certificat exigé. Bien que l'avocat de l'appelante ait relevé cette lacune, aucune autre mesure n'a été prise jusqu'à la préparation du dossier de la demande avant l'audience devant le juge. Le 19 novembre 2012, Mme Chen a donc produit un second affidavit dans lequel elle déclarait ce qui suit :

[TRADUCTION]

4.         J'ai pris connaissance du Code de déontologie régissant les témoins experts qui figure à l'annexe des Règles de la Cour fédérale [sic]. Conformément à la règle 52.2 des Règles de la Cour fédérale [sic], j'ai signé le certificat concernant le Code de déontologie régissant les témoins experts, dont copie est jointe au présent affidavit en tant que pièce « B ».

(Dossier d'appel, volume 4, onglet 12, à la page 2365)

[23]           Le 19 août 2013, durant l'audience devant le juge, l'intimée a contesté l'admissibilité de l'affidavit de Mme Chen au motif qu'il n'était pas conforme aux dispositions de la règle 52.2 au moment où il avait été souscrit, le 25 novembre 2011. Le juge a convenu avec l'intimée que l'affidavit de Mme Chen était inadmissible, estimant que « [l]'affidavit du 19 novembre 2012 n'a pas remédié au vice du premier affidavit souscrit le 25 novembre 2011 » (motifs du juge, au paragraphe 19). Pour arriver à cette conclusion, le juge s'est appuyé sur l'arrêt Es‑Sayyid de notre Cour qui, à son avis, confirmait le caractère obligatoire de la règle 52.2.

[24]           En toute déférence, j'estime que le juge a commis une erreur lorsqu'il a conclu que l'affidavit de Mme Chen était inadmissible dans les circonstances. Sa conclusion fait l'amalgame entre les exigences particulières de la règle 52.2(1)c) quant à l'affidavit d'expert et l'objectif général de la règle 52.2(2) quant à l'observation du Code de déontologie régissant les témoins experts. L'inobservation des exigences ne doit pas être assimilée à un manquement au Code. En fait, bien que la règle 52.2(2) permette d'écarter en totalité ou en partie l'affidavit de l'expert qui ne s'est pas conformé au Code de déontologie, cette même règle ne s'applique pas forcément en cas de manquement aux exigences particulières énoncées à la règle 52.2(1) relativement au contenu de l'affidavit.

[25]           L'arrêt Es‑Sayyid sur lequel se fonde le juge concerne une demande de sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi. Dans cette affaire, la Cour a déclaré que la règle 52.2 prévoyait « une procédure exigeante qui doit être suivie par quiconque veut faire admettre une preuve d'expert » (Es‑Sayyid, au paragraphe 42). La Cour a également souligné que la procédure était conçue, entre autres, « pour favoriser l'indépendance et l'objectivité des experts sur lesquels les cours peuvent s'appuyer » (ibid.). Sans vouloir diminuer l'importance des exigences énoncées à la règle 52.2, je ne vois pas dans les observations formulées par la Cour dans l'arrêt Es‑Sayyid une interprétation formaliste de la règle 52.2 qui empêcherait une partie, dans certaines circonstances, de remédier à un manquement dans le but de se conformer aux dispositions de la règle 52.2(1). Dans l'arrêt Es‑Sayyid, la Cour s'inquiétait plutôt du fait que la règle 52 « n'avait pas été suivie » (ibid.), ce qui l'amenait à avoir « de sérieuses réserves quant à l'objectivité et à l'indépendance de l'opinion » (ibid., au paragraphe 43).

[26]           En l'espèce, rien n'indique que Mme Chen ne s'est pas conformée au Code de déontologie régissant les témoins experts comme l'exige la règle 52.2(2). La seule preuve dont disposait le juge était celle de l'oubli d'accompagner l'affidavit de Mme Chen d'un certificat reconnaissant que Mme Chen avait lu le Code de déontologie régissant les témoins experts au moment de souscrire cet affidavit, le 25 novembre 2011. L'absence de certificat a été corrigée par l'affidavit du 19 novembre 2012. Il convient également de signaler que lors du contre‑interrogatoire de Mme Chen, le 21 août 2012, soit près d'un an avant l'audience devant le juge, l'intimée savait elle aussi que Mme Chen témoignerait en qualité d'experte et, selon le dossier, elle ne semble pas avoir subi de préjudice en raison de la production tardive du certificat exigé.

[27]           Je suis donc d'avis, étant donné les circonstances, que le juge a commis une erreur de droit en concluant que l'affidavit de Mme Chen était inadmissible au seul motif qu'il n'avait pas été accompagné dès le départ du certificat requis. N'eût été cette erreur de droit, l'affidavit de Mme Chen n'aurait pas été considéré comme étant inadmissible; le juge aurait donc été tenu d'en examiner la nature et la qualité et de se demander s'il aurait pu avoir un effet important sur les décisions de la Commission. Puisque le juge ne l'a pas fait, cette tâche revient à la Cour.

[28]           L'appelante s'appuie largement sur l'affidavit de Mme Chen pour établir une distinction entre le fait de parler couramment une langue et la capacité de pouvoir la lire et l'écrire. L'affidavit de Mme Chen occupe une place centrale dans la thèse que l'appelante présente en appel, selon laquelle ses marques de commerce ne créent pas de confusion avec celles de l'intimée. En fait, le mémoire des faits et du droit de l'appelante renferme pas moins de 37 renvois directs à l'affidavit de Mme Chen.

[29]           Je crois qu'il est utile de résumer les allégations pertinentes de l'affidavit de Mme Chen :

                Il existe une nette différence entre la capacité de parler et de comprendre une langue à l'oral, et celle de la lire et de la comprendre à l'écrit. Une distinction doit donc être établie entre la capacité de parler couramment une langue et la capacité de pouvoir la lire et l'écrire (au paragraphe 6);

                L'écriture du chinois utilise un système idéographique : les caractères chinois représentent non pas un son, mais un sens, contrairement aux caractères alphabétiques utilisés pour l'écriture du français et de l'anglais (aux paragraphes 12 et 13);

                Il existe deux formes d'écriture de la langue chinoise : la forme traditionnelle et la forme simplifiée (aux paragraphes 14 à 16);

                La personne qui a appris et peut lire et comprendre les caractères chinois simplifiés n'est pas forcément capable de lire les caractères chinois traditionnels (au paragraphe 17);

                Parce que l'écriture du chinois utilise un système idéographique, c'est par mémorisation qu'on en fait l'apprentissage. Il faut se familiariser avec la langue par des contacts répétés et par l'enseignement (aux paragraphes 19, 20, 24 et 27);

                Les caractères utilisés dans l'écriture du chinois peuvent avoir plusieurs sens et correspondre à différents sons (au paragraphe 23);

                On aurait tort de supposer que tous les Sino‑Canadiens parlant une langue chinoise, ou même la plupart d'entre eux, sont capables de lire et de comprendre les caractères chinois (au paragraphe 27);

                Les données statistiques sur lesquelles se fonde l'intimée ne tiennent pas compte de la proportion de Canadiens en mesure de lire les caractères chinois (aux paragraphes 29 à 37).

(Affidavit de Mme Chen, dossier d'appel, volume 1, onglet 9)

[30]           À mon avis, l'affidavit de Mme Chen ne permet pas d'écarter la preuve présentée par l'intimée devant la Commission. L'examen de cette preuve révèle que l'intimée cible la communauté chinoise du grand Vancouver. De plus, la Commission pourrait raisonnablement se fonder sur cette preuve qui, en partie, n'est ni contestée ni contredite, pour en déduire qu'une partie importante des clients réels de l'intimée seraient en mesure de lire et de comprendre les caractères chinois (décisions de la Commission, aux paragraphes 90 à 94 et 98).

[31]           Après examen de l'affidavit de Mme Chen et de la preuve dont disposait la Commission, je conclus que cet affidavit n'est pas important et qu'il n'aurait pas eu une incidence réelle sur les décisions de la Commission. Ce constat m'amène à souscrire à la conclusion du juge — quoique pour des motifs différents — voulant qu'il ne convienne pas d'accorder beaucoup de poids à l'affidavit de Mme Chen. Par conséquent, il n'est pas nécessaire, en l'espèce, d'effectuer une analyse de novo et le juge a eu raison de s'en abstenir.

[32]           J'aborderai maintenant la seconde question en litige.

2.         Le juge a‑t‑il commis une erreur lorsqu'il a conclu que les conclusions tirées par la Commission concernant la confusion, le droit à l'enregistrement et le caractère distinctif étaient correctes?

[33]           Selon l'alinéa 12(1)d) de la Loi, une marque de commerce n'est pas enregistrable si elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée. Pour décider si une marque de commerce crée de la confusion, la Cour ou le registraire, selon le cas, doit tenir compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce, ainsi que le prévoit le paragraphe 6(5) de la Loi :

6(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris :

6(5) In determining whether trade‑marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

(a) the inherent distinctiveness of the trade‑marks or trade‑names and the extent to which they have become known;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

(b) the length of time the trade‑marks or trade-names have been in use;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

(c) the nature of the wares, services or business;

d) la nature du commerce;

(d) the nature of the trade; and

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

(e) the degree of resemblance between the trade‑marks or trade‑names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

[34]           Dans ses motifs, le juge renvoie au critère juridique énoncé par la Cour suprême du Canada pour décider s'il y a confusion au paragraphe 20 de l'arrêt Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, [2006] 1 R.C.S. 824, ce critère étant celui « de la première impression que laisse dans l'esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé ». Il se résume essentiellement à une question de fait.

[35]           Dans l'analyse qu'il fait de la question de la confusion, le juge fait les observations qui suivent par rapport à la preuve et aux conclusions de la Commission :

                La Commission a souligné que l'intimée cible la communauté chinoise du grand Vancouver;

                L'intimée emploie systématiquement les caractères chinois dans sa documentation, ce qui permet de croire que ses clients sont en mesure de les lire et de les comprendre;

                Quatre‑vingt‑quatre pour cent des questionnaires transmis à l'intimée lors d'un sondage effectué en juin et juillet 2010 ont été remplis en chinois;

                La Commission a conclu que les deux premiers caractères chinois des marques de commerce de l'intimée se prononçaient « an na » en mandarin et « on no » en cantonais, ce qui se traduit par « Anna »;

                L'intimée a recours à ses marques de commerce depuis de nombreuses années;

                Il y avait chevauchement direct des produits alimentaires, ce qui favorisait l'intimée;

                La preuve présentée à la Commission révèle l'existence de ressemblances entre les sons : les caractères chinois qui composent les marques de commerce de l'intimée se prononcent « an na bing wu » en mandarin et « on no bing uk » en cantonais. Ceux des marques de l'appelante se prononcent « sheng an na bing wu » en mandarin et « sing on no bing uk » en cantonais. L'unique différence de prononciation dans les caractères chinois concerne le mot « sheng » en chinois et « sing » en cantonais;

                La preuve, qui n'est pas contredite, indique que la différence entre les styles des caractères chinois en cause est assimilable à celle qui existe entre un texte écrit avec la police Arial et un autre utilisant la police Times New Roman;

[36]           Comme je l'ai mentionné précédemment, la Commission a jugé que l'appelante ne s'était pas acquittée du fardeau d'établir qu'il n'y avait aucune probabilité de confusion avec les marques de commerce de l'intimée et le juge a souscrit à la conclusion de la Commission. L'appelante a tenté de contester cette conclusion en invoquant essentiellement l'affidavit de Mme Chen.

[37]           Or, comme j'ai déjà décidé que l'affidavit de Mme Chen n'aurait aucune incidence réelle sur les décisions de la Commission, je ne peux que conclure que les arguments de l'appelante ne sont toujours pas étayés par la preuve et qu'ils doivent par conséquent être rejetés.

[38]           L'appelante n'a pu préciser sur quelle base il conviendrait de modifier la conclusion du juge. En conséquence, j'estime que le juge n'a commis aucune erreur lorsqu'il a conclu que la Commission pouvait raisonnablement conclure qu'il y avait probabilité de confusion au vu des circonstances de l'espèce. Il s'ensuit que l'appelante n'a pas droit à l'enregistrement de ses marques de commerce et que, conformément à la conclusion tirée sur la question de la confusion, ces marques de commerce n'avaient pas de caractère distinctif.

[39]           Enfin, l'appelante soutient devant notre Cour que le juge n'a pas [TRADUCTION] « tenu compte de la décision rendue par le registraire à l'étape de l'examen » en lui permettant de publier ses marques de commerce aux fins d'opposition. Cette omission, selon elle, est contraire à ce qu'a conclu la Cour suprême du Canada au paragraphe 112 de l'arrêt Masterpiece, à savoir que la décision rendue à l'issue de l'examen aurait dû être prise en compte par le juge lors de son analyse relative à la confusion puisqu'il s'agissait d'une circonstance de l'espèce pertinente.

[40]           L'argument de l'appelante ne tient pas et une distinction peut être établie étant donné que l'affaire Masterpiece concernait la radiation d'une marque et que la seule décision du registraire était celle de l'examinateur. En l'espèce, l'affaire a donné lieu à une instance complète devant la Commission des oppositions. Dans Masterpiece, l'examinateur avait conclu à l'existence de confusion et avait donc refusé d'enregistrer les marques de Masterpiece Inc., alors qu'en l'espèce, l'examinatrice n'a pas abordé la question de la confusion et sa décision n'était aucunement déterminante (dossier d'appel, volume 3A, à la page 1482).

[41]           Pour tous ces motifs, l'appel devrait être rejeté avec dépens.

« Richard Boivin »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

M. Nadon, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

Traduction


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-344-13

 

 

INTITULÉ :

SAINT HONORE CAKE SHOP LIMITED c. CHEUNG'S BAKERY PRODUCTS LTD.

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

LE 26 NOVEMBRE 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE WEBB

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 JANVIER 2015

 

COMPARUTIONS :

Kenneth D. McKay

 

POUR L'APPELANTE

SAINT HONORE CAKE SHOP LIMITED

 

Christopher S. Wilson

Kwan T. Loh

 

POUR L'INTIMÉE

CHEUNG'S BAKERY PRODUCTS LTD.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SIM LOWMAN ASHTON & McKAY LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR L'APPELANTE

SAINT HONORE CAKE SHOP LIMITED

 

BULL, HOUSSER & TUPPER LLP

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR L'INTIMÉE

CHEUNG'S BAKERY PRODUCTS LTD.

 

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