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Date : 20150204


Dossier : A‑561‑14

Référence : 2015 CAF 36

CORAM :      LE JUGE STRATAS

LE JUGE RYER

LE JUGE BOIVIN

ENTRE :

JANSSEN INC. et MILLENNIUM PHARMACEUTICALS INC.

appelantes

et

TEVA CANADA LIMITÉE et MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 4 février 2015.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20150204


Dossier : A‑561‑14

Référence : 2015 CAF 36

CORAM :      LE JUGE STRATAS

LE JUGE RYER

LE JUGE BOIVIN

ENTRE :

JANSSEN INC. et MILLENNIUM PHARMACEUTICALS INC.

appelantes

et

TEVA CANADA LIMITÉE et MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE STRATAS

[1]               La Cour est saisie de l'appel formé contre le jugement rendu le 10 décembre 2014 par la Cour fédérale (le juge Barnes), 2014 CF 1192 [motifs publics rendus le 26 février 2015, 2015 CF 247].

[2]               L'intimée Teva Canada Limitée (Teva) sollicite une ordonnance rejetant le présent appel en raison de sa nature théorique. Les appelantes s'opposent à la requête. Elles demandent en outre à la Cour de tenir une audience sur la requête.

[3]               À mon avis, il n'y a pas lieu de tenir une audience. En général, les requêtes comme la présente peuvent être jugées sur dossier et l'espèce ne fait pas exception. Les observations écrites sont détaillées et complètes. Il n'est pas nécessaire de poser des questions aux parties. La tenue d'une audience ne serait d'aucune utilité.

[4]               Pour les motifs qui suivent, j'accueillerais la requête et je rejetterais l'appel. L'appel est théorique et il n'y a pas lieu que j'exerce mon pouvoir discrétionnaire d'entendre l'appel.

[5]               Devant la Cour fédérale, les appelantes ont sollicité, en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement), une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à l'intimée, Teva Canada Limitée, pour un composé donné. Le litige découle de l'avis d'allégation de Teva portant sur l'invalidité d'un brevet pour plusieurs raisons. La Cour fédérale a refusé de prononcer l'ordonnance d'interdiction.

[6]               Huit jours suivant le jugement de la Cour fédérale, soit le 18 décembre 2014, le ministre de la Santé a délivré à Teva l'avis de conformité demandé. Quatre jours après cette date, soit le 22 décembre 2014, les appelantes ont déposé leur avis d'appel devant notre Cour. Les appelantes demandaient que le jugement de la Cour fédérale soit annulé et qu'il soit interdit au ministre de délivrer un avis de conformité avant l'expiration du brevet.

[7]               Demander au tribunal d'interdire un avis de conformité qui a été délivré équivaut à chercher à corriger une situation alors qu'il est trop tard pour le faire. Une jurisprudence volumineuse et constante de notre Cour « a établi que l'appel d'une ordonnance rejetant une demande en vue d'obtenir une ordonnance d'interdiction aux termes du Règlement AC devient théorique à compter du moment où l'avis de conformité est délivré » : Biovail Corporation c. Canada, 2006 CAF 92, au paragraphe 5. En effet, « lorsque l'avis de conformité a été délivré [...] la Cour ne peut plus empêcher le ministre de délivrer l'avis de conformité » : Janssen Inc. c. Mylan Pharmaceuticals ULC, 2011 CAF 16, au paragraphe 1.

[8]               Malgré le caractère théorique du présent appel, la Cour peut toujours exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l'affaire : Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, aux pages 358 à 362; Abbott Laboratories c. Apotex Inc., 2007 CAF 368, au paragraphe 3.

[9]               Dans la plupart des cas relevant du Règlement, la Cour n'instruit pas un appel théorique. L'économie judiciaire se trouve ainsi favorisée :

[...] Peu importe son issue, une demande d'interdiction ne met pas fin à un litige entre les parties à propos de la validité ou de la contrefaçon du ou des brevets en litige. Dans la pratique, le rejet d'une demande d'interdiction a le même effet que le rejet d'une demande d'injonction interlocutoire, en ce sens que le demandeur conserve le droit d'intenter une poursuite pour contrefaçon.

(Abbott Laboratories, précité, au paragraphe 4; voir aussi Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., [2001] A.C.F. no 17 (QL) (C.A.F.), au paragraphe 25.)

[10]           Si notre Cour décide de ne pas instruire le présent appel théorique, les appelantes disposent d'un recours. Elles peuvent engager une action en contrefaçon : Pfizer Canada, précité, au paragraphe 25. Comme l'a affirmé notre Cour, « il n'est guère logique d'entendre des appels théoriques relatifs à ces instances [concernant un AC] », notamment lorsqu'il est possible d'intenter une action en contrefaçon : Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2007 CAF 359, [2008] 3 R.C.F. 449, au paragraphe 35.

[11]           Il semble que la Cour n'ait entendu un appel théorique du rejet d'une demande d'interdiction en vertu du Règlement qu'à une seule occasion, dans une situation inhabituelle : Abbott Laboratories c. Ministre de la Santé, 2007 CAF 153. Dans cette affaire, tout comme en l'espèce, l'avis de conformité avait déjà été délivré, de sorte que la demande d'interdiction était théorique. Cependant, dans cette affaire, il s'agissait de savoir si l'arrêt Hoffmann-La Roche & Co. Ltd. c. Commissioner of Patents, [1955] R.C.S. 414, faisait toujours autorité, question soulevée dans de nombreuses causes qui étaient pendantes devant notre Cour et qui avaient des « ressemblances frappantes » avec les faits de l'appel théorique : Abbott, précité, au paragraphe 4. Dans cette situation inhabituelle, la Cour a exercé son pouvoir discrétionnaire d'entendre l'appel. Il n'y a rien de cela en l'espèce.

[12]           Les appelantes font valoir que la présente affaire comporte des circonstances inhabituelles. L'article 9 bis de l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne s'appliquera de façon à leur permettre de bénéficier de « droits d'appel équivalents et efficaces », ce qui devrait inciter la Cour à exercer son pouvoir discrétionnaire d'entendre l'appel.

[13]           Je rejette cet argument. Tout d'abord, il ne traite pas de l'objection fondée sur l'économie judiciaire mentionnée précédemment.

[14]           De plus, l'Accord économique et commercial global ne fait pas encore partie du droit canadien parce qu'il n'a pas été mis en vigueur par une loi : Francis c. The Queen, [1956] R.C.S. 618, à la page 621; Capital Cities Communications Inc. c. Conseil de la Radio‑Télévision canadienne, [1978] 2 R.C.S. 141, aux pages 172 et 173.

[15]           Un décideur, en l'occurrence notre Cour, ne saurait exercer son pouvoir discrétionnaire aux termes d'une loi qui n'est pas entrée en vigueur. Il en est ainsi même lorsque le Parlement a adopté une loi qui n'a pas encore reçu la sanction royale : Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.F.), conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100.

[16]           Enfin, les appelantes soulignent le fait que Teva a récemment déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle concernant une nouvelle voie d'administration du même composé, ainsi que l'avis d'allégation correspondant, conformément au Règlement. Les appelantes font ainsi valoir l'existence d'un débat contradictoire qui devrait inciter notre Cour à entendre le présent appel théorique.

[17]           Je ne suis pas d'accord. L'avis d'allégation de Teva vise un avis de conformité différent qui porte sur une nouvelle voie d'administration pour le composé en question. Les appelantes n'ont pas encore présenté une demande d'interdiction concernant l'avis de conformité recherché par Teva. Par conséquent, il n'existe pas de débat contradictoire dans cette affaire. S'il y a une demande d'interdiction dans cette affaire, il y aura un débat contradictoire, mais dans cette affaire‑là, et non dans la présente instance.

[18]           Pour les motifs qui précèdent, l'appel est théorique et il n'y a pas lieu que j'exerce mon pouvoir discrétionnaire d'entendre l'appel. Je rejetterais l'appel avec dépens.

« David Stratas »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

C. Michael Ryer, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

Richard Boivin, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Yves Bellefeuille, réviseur


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A‑561‑14

 

INTITULÉ :

JANSSEN INC. et MILLENNIUM PHARMACEUTICALS INC. c. TEVA CANADA LIMITÉE et MINISTRE DE LA SANTÉ

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 FÉVRIER 2015

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Jamie Mills

Beverley Moore

 

POUR LES AppelantEs

 

David W. Aitken

Bryan Norrie

Jeffrey Warnock

 

POUR L'INTIMÉE teva canada limitéE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais, S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES AppelantEs

 

Aitken Klee LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR L'INTIMÉE teva canada limitÉE

 

 

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