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Date : 20150212


Dossier : A-268-14

Référence : 2015 CAF 43

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE NEAR

LE JUGE SCOTT

 

ENTRE :

 

NUNO CAMARA

 

appelant

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

intimée

 

Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 3 février 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 12 février 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE SCOTT

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE NEAR

 


Date : 20150212


Dossier : A-268-14

Référence : 2015 CAF 43

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE NEAR

LE JUGE SCOTT

 

ENTRE :

 

NUNO CAMARA

 

appelant

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SCOTT

[1]               M. Nuno Camara (l’appelant) interjette appel de la décision de la juge Mactavish (la juge), de la Cour fédérale, qui a rejeté sa demande de révision judiciaire d’une décision rendue par le commissaire par intérim de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC). Par cette décision, ce dernier avait rejeté le grief de niveau II de M. Camara concernant sa suspension sans solde ni indemnités dans l’attente de l’issue du processus disciplinaire engagé contre lui par son employeur.

[2]               Par les motifs qui suivent, je crois que le présent appel doit être rejeté.

[3]               Dans sa décision de 42 pages, le commissaire par intérim a examiné une série d’arguments présentés par l’appelant pour contester l’ordonnance de cessation de la solde et des indemnités (l’OCSI) émise contre lui, dont plusieurs n’étaient pas pertinents pour le présent appel. Il est particulièrement important de souligner la conclusion du commissaire par intérim voulant que l’appelant n’ait pas subi de retard indu en ce qui concerne la délivrance de l’OCSI et le traitement de son grief. Selon le commissaire par intérim, la durée de l’OCSI n’était pas déraisonnable puisque les OCSI constituent des mesures préventives visant à protéger l’intégrité de la GRC. Les OCSI demeurent normalement en vigueur pendant toute la durée du processus disciplinaire (processus distinct du processus de grief). En ce qui concerne les retards subis dans le cadre du processus de grief en tant que tel, le commissaire par intérim a conclu qu’ils n’étaient pas inacceptables au point de donner droit au grief.

[4]               Le commissaire par intérim a aussi conclu que l’OCSI était justifiée vu les circonstances particulières de l’affaire. Il a jugé que la conduite de l’appelant violait le Code de déontologie de la GRC et qu’elle était à ce point scandaleuse qu’elle était susceptible de porter sérieusement atteinte à la bonne exécution des fonctions par l’appelant aux termes de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R-10 (la Loi sur la GRC).

[5]               En matière d’appel d’une décision de la Cour fédérale portant sur une demande de révision judiciaire, la Cour doit rechercher si la cour d’instance inférieure a choisi la bonne norme de contrôle et l’a correctement appliquée (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 au paragraphe 45).

[6]               Dans la présente affaire, la juge a appliqué la norme de la décision correcte à la question du retard, puisqu’elle a accepté que cette dernière puisse soulever un problème d’équité procédurale (motifs de la juge au paragraphe 18). Elle a apprécié la décision de fond du commissaire par intérim selon la norme de la décision raisonnable (motifs de la juge au paragraphe 24). Bien que l’appelant ait soutenu dans son mémoire que la juge aurait pu énoncer plus clairement la norme appliquée quant à la question du retard, lors de l’audience, il n’a pas contesté que la juge a retenu les normes appropriées pour réviser les deux questions dont elle était saisie.

[7]               Appliquant la norme de la décision correcte, la juge a conclu que l’appelant ne s’était pas acquitté de son fardeau d’établir que le retard en cause satisfaisait aux conditions minimales, à savoir qu’il était oppressif au point de vicier la procédure en cause et qu’il avait provoqué un préjudice grave (motifs de la juge au paragraphe 37). Elle a fait observer que l’appelant était en partie responsable du retard vu qu’il a demandé plusieurs prorogations de délai pour le dépôt de ses réponses à diverses étapes du processus de grief (motifs de la juge au paragraphe 36). La juge a aussi souligné que l’appelant s’est fondé sur de sérieuses allégations d’iniquité et de préjudice, lesquelles étaient non-fondées.

[8]               Selon la juge, la conclusion du commissaire par intérim portant sur le caractère scandaleux du manquement au Code de déontologie et son interprétation de la Politique de suspension était clairement expliquée et suffisamment motivée, et la décision appartenait aux issues possibles au sens des enseignements de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 au paragraphe 47 [Dunsmuir].

[9]               L’appelant invoque deux moyens pour contester les décisions de la juge et du commissaire par intérim. Il affirme d’abord que la juge n’a pas tenu compte du fait qu’il incombait à l’intimée d’expliquer de façon satisfaisante les délais excessifs - il a fallu en effet sept années pour que la décision définitive soit rendue, alors que les Consignes du commissaire, figurant au chapitre II.38 du Manuel d’administration de la GRC, imposent un règlement rapide de ce type de grief. L’appelant soutient également que la décision du commissaire par intérim ne peut pas être raisonnable vu qu’elle n’est pas suffisamment motivée.

[10]           J’examinerai maintenant si la juge a correctement appliqué les normes de contrôle en portant d’abord mon attention sur l’argument de l’appelant voulant que le retard constituait un manquement à l’équité procédurale et un abus de procédure. Pour ce faire, j’appliquerai les enseignements de l’arrêt Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 R.C.S. 307 [Blencoe], où la Cour suprême du Canada a clairement observé qu’il doit y avoir préjudice :

[101] Selon moi, le droit administratif offre des réparations appropriées en ce qui concerne le délai imputable à l’État dans des procédures en matière de droits de la personne. Cependant, le délai ne justifie pas, à lui seul, un arrêt des procédures comme l’abus de procédure en common law. […] En droit administratif, il faut prouver qu’un délai inacceptable a causé un préjudice important.

[…]

[115] Je serais disposé à reconnaître qu’un délai inacceptable peut constituer un abus de procédure dans certaines circonstances, même lorsque l’équité de l’audience n’a pas été compromise. […] Il faut toutefois souligner que rares sont les longs délais qui satisfont à ce critère préliminaire. Ainsi, pour constituer un abus de procédure dans les cas où il y a une atteinte à l’équité de l’audience, le délai doit être manifestement inacceptable et avoir directement causé un préjudice important. Il doit s’agir d’un délai qui, dans les circonstances de l’affaire, déconsidérerait le régime de protection des droits de la personne.

[Non souligné dans l’original.]

[11]           Il n’est pas controversé par les parties que le délai n’a pas eu d’incidence sur l’équité de l’audience. Je ne puis par ailleurs conclure que les délais en cause dans la présente affaire ont causé un préjudice direct à l’appelant.

[12]           Si j’examine les étapes suivies avant que la décision définitive ne soit rendue, je note que quatre mois et demi se sont écoulés entre la date de la violation du Code de déontologie (le 23 novembre 2005) et l’application de l’OCSI. Pendant ce temps, l’appelant s’est vu signifier un avis de suspension, le 24 novembre 2005, suivi par un avis d’intention de recommander la cessation du paiement de sa solde et de ses indemnités, le 30 décembre 2005. Il a remis sa première réponse le 23 janvier 2006, a reçu une réponse à celle-ci le 25 janvier 2006 et a déposé une deuxième réponse le 16 février 2006. Il a obtenu copie de l’avis recommandant la cessation de sa solde et de ses indemnités, le 22 février 2006, suivi de l’OCSI le 13 avril 2006. Non seulement ces délais ne m’apparaissent-ils raisonnables, mais encore ils ne pouvaient être qu’à l’avantage de l’appelant, qui a reçu sa solde et ses indemnités jusqu’à la délivrance de l’OCSI (motifs de la juge au paragraphe 23).

[13]           L’appelant a déposé son grief de niveau I, par lequel il contestait l’imposition de l’OCSI, le 18 mai 2006. La documentation à l’appui de l’OCSI a été envoyée le 11 juillet 2006 et a été livrée le 13 juillet suivant, selon Postes Canada. Le 22 août 2006, l’appelant a toutefois demandé que cette documentation soit acheminée à une autre adresse, déclarant ne pas l’avoir reçue. Elle lui a été signifiée par télécopieur le 30 août 2006. L’appelant et ses représentants ont ensuite demandé cinq prorogations de délai, qui ont toutes été accordées, entre le 12 septembre et le 11 novembre, date à laquelle il a finalement déposé ses arguments écrits. L’intimée a reçu l’argumentation écrite de l’appelant le 11 novembre 2006 et a déposé sa réponse le 8 décembre 2006. Le 18 décembre 2006, l’appelant a reçu la réponse de l’intimée et a demandé une prorogation de délai jusqu’au 16 janvier 2007, qui lui fut accordée. Il n’a toutefois pas déposé de nouveaux documents. La décision de niveau I a été rendue le 22 mai 2008.

[14]           Il est difficile de conclure que le temps écoulé au cours des étapes susmentionnées était excessif vu que l’appelant n’a produit aucun élément de preuve quant aux délais normalement encourus au cours d’un tel processus et compte tenu, particulièrement, de ses nombreuses demandes de prorogation de délais.

[15]           L’appelant a fait connaître son intention d’interjeter appel de la décision de niveau I le 5 juin 2008, mais a demandé une prorogation de délai jusqu’au 15 octobre 2008 – qui lui a été accordée – pour déposer ses arguments écrits relatifs à la procédure d’appel parce que son audience sur la détermination de la peine devait avoir lieu le 29 août 2008. Or, l’appelant a été déclaré coupable d’un chef de vol de moins de 5000 $, après avoir plaidé coupable à des accusations devant la Cour Provinciale du Manitoba, et a démissionné de la GRC le 23 septembre 2008, soit avant la conclusion du processus disciplinaire.

[16]           S’il est vrai que le délai d’obtention d’une décision de niveau II peut être long, force est de constater que la seule question en litige qui subsistait après la démission de l’appelant portait sur le remboursement du salaire qu’il aurait reçu jusqu’à la date de sa démission.

[17]           Le Comité externe d’examen de la GRC (le CEE), organisme indépendant créé pour examiner les questions de relations de travail au sein de la GRC conformément au paragraphe 33(1) de la Loi sur la GRC, a effectivement pris beaucoup de temps pour formuler ses recommandations (environ trois ans et demi), sans expliquer les raisons de ce délai. Le CEE échappe toutefois au contrôle des deux parties et rien n’indique que l’appelant ait tenté d’accélérer le processus.

[18]           Après que le CEE eut formulé ses recommandations, le commissaire par intérim a pris environ six mois pour rendre sa décision définitive. Comme l’appelant n’était plus membre de la GRC à cette époque, rien ne permet de penser ni ne prouve que ce délai était excessif. Par conséquent, je rejette le premier argument de l’appelant.

[19]        J’aborde maintenant le deuxième argument de l’appelant, je conclus à l’instar de la juge que la décision du commissaire par intérim était raisonnable. Elle découlait de son interprétation de la Politique de suspension de la GRC, sur laquelle il jouit d’une grande expertise. Le commissaire par intérim s’est penché sur l’ensemble des arguments qui ont été présentés et a conclu que la conduite de l’appelant satisfaisait aux critères énoncés aux articles d.9 et d.10 de la Politique de suspension de la GRC, étant donné qu’il a volé des éléments de preuve qui avaient été obtenus dans le cadre de ce qu’il croyait être une enquête valide. Comme nous l’avons déjà mentionné, le commissaire par intérim a conclu qu’une telle conduite était scandaleuse. Il est vrai que l’interprétation de la Politique de suspension proposée par l’appelant aurait aussi pu être retenue, mais l’interprétation et la conclusion du commissaire par intérim étaient néanmoins possibles et acceptables. Il convient de faire preuve de retenue à l’égard de la décision du commissaire par intérim, et je conclus que sa décision était raisonnable.

[20]        L’appelant aurait manifestement préféré que le commissaire par intérim fasse état de motifs plus détaillés et a soutenu que les motifs donnés étaient insuffisants. Je ne vois aucune raison valable d’annuler la décision du commissaire par intérim pour cette raison. Les motifs étaient suffisamment détaillés pour expliquer comment le commissaire par intérim a tiré sa conclusion et permettre à la Cour fédérale d’instruire la procédure en révision judiciaire de la décision (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708 au paragraphe 16).

[21]           En résumé, je conclus que la juge a correctement appliqué les normes de contrôle.

[22]           L’appel doit être rejeté avec dépens. À l’audience, les parties ont convenu qu’une somme forfaitaire de 1 400 $ permettrait de couvrir les dépens de l’une ou l’autre partie.

« A.F. Scott »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Johanne Gauthier j.c.a. »

« Je suis d’accord.

D.G. Near j.c.a. »

Traduction


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIER :

A-268-14

(APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR MADAME LA JUGE MACTAVISH DE LA COUR FÉDÉRALE DU CANADA, DATÉ DU 9 MAI 2014 (2014 CF 446)

INTITULÉ :

NUNO CAMARA c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE  DE L’AUDIENCE :

LE 3 FÉVRIER 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE SCOTT

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 FÉVRIER 2015

 

COMPARUTIONS :

Richard M. Beamish

 

POUR L’APPELANT

NUNO CAMARA

 

Meghan Riley

 

POUR L’INTIMÉE

SA MAJESTÉ LA REINE

 

SOLICITORS OF RECORD:

TAPPER CUDDY LLP

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR L’APPELANT

NUNO CAMARA

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉE

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

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