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Date : 20150407


Dossier : A‑265‑14

Référence : 2015 CAF 86

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE STRATAS

LE JUGE BOIVIN

 

 

ENTRE :

MANICKAVASAGAR KANAGENDREN

appelant

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 13 janvier 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 avril 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE BOIVIN

 


Date : 20150407


Dossier : A‑265‑14

Référence : 2015 CAF 86

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE STRATAS

LE JUGE BOIVIN

 

ENTRE :

 

MANICKAVASAGAR KANAGENDREN

 

appelant

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]           La Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que l’appelant était interdit de territoire aux termes de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (Loi), parce qu’il était membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre, s’est livrée ou se livrera au terrorisme. Plus précisément, la Section de l’immigration a fait état du raisonnement suivant :

  1. L’appelant a admis qu’il faisait partie de l’Alliance nationale tamoule (TNA);
  2. En étant membre de la TNA l’appelant était également membre des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET);
  3. L’appelant n’a pas nié que les TLET se sont livrés au terrorisme.

[2]           Un juge de la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire dirigée contre la décision de la Section de l’Immigration (2014 CF 384) portant que l’appelant était interdit de territoire aux termes de l’alinéa 34(1)f) de la Loi. Le juge a certifié la question suivante :

La jurisprudence Ezokola c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CSC 40, [2013] 2 RCS 678, modifie‑t‑elle le critère juridique actuel servant à évaluer l’appartenance à une organisation terroriste donnant lieu à l’interdiction de territoire visée à l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27?

[3]           Notre Cour est saisie de l’appel de la décision de la Cour fédérale.

I.                   Les questions en litige

[4]           Voici les questions qu’il faut selon moi trancher dans le cadre du présent appel :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de la Section de l’Immigration?
  2. Est‑ce que la jurisprudence Ezokola a modifié le critère juridique servant à évaluer l’appartenance à une organisation terroriste?
  3. La décision de la Section de l’Immigration était‑elle raisonnable?

II.                La norme de contrôle

[5]           Notre Cour est appelée à répondre aux questions suivantes : la Cour fédérale a‑t‑elle choisi la norme de contrôle appropriée et l’a‑t‑elle appliquée correctement? Pour répondre à ces questions notre Cour doit se « met[tre] à la place » de la Cour fédérale et se concentrer sur la décision administrative en cause (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 SCC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 45 et 46).

[6]           La Cour fédérale n’a pas explicitement discuté la norme de contrôle. Elle a précisé que la question qui se posait était celle de savoir si la décision de la Section de l’Immigration était raisonnable pour ce qui est de savoir si le demandeur était membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livrait à des activités terroristes. La Cour fédérale a fait observer qu’il s’agissait de rechercher s’il était raisonnable ou non de la part de la Section de l’Immigration de conclure que l’appartenance au parti politique de la TNA équivalait au statut de membre des TLET (motifs, au paragraphe 3).

[7]           Il y a controverse entre les parties sur la norme de contrôle à laquelle est assujettie l’interprétation qu’a faite la Section de l’Immigration du mot « membre ».

[8]           L’appelant soutient que la définition de « membre » est une question de droit d’importance générale qui ne relève pas de l’expertise de la Section de l’Immigration. Le mot « membre » doit donc être correctement interprété. L’appelant s’appuie également sur notre jurisprudence Kanthasamy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CAF 113, 459 N.R. 367.

[9]           Pour sa part, le défendeur fait valoir que notre Cour a par le passé eu recours à la norme de la décision raisonnable en ce qui concerne l’interprétation qu’a faite la Section de l’Immigration du mot membre : Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85, [2005] 3 R.C.F. 487.

[10]       À mon avis, la norme de contrôle n’a aucune incidence en l’espèce. Selon l’analyse textuelle, contextuelle et téléologique effectuée ci‑dessous, le mot « membre » ne se prête qu’à une seule interprétation raisonnable (McLean c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895, au paragraphe 38; Canada ((Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c. Huang, 2014 CAF 228, 464 N.R. 112, au paragraphe 39).

[11]       Cela dit, sur le fond, la décision de la Section de l’Immigration est susceptible d’examen selon la norme de la décision raisonnable.

III.             La jurisprudence Ezokola a‑t‑elle modifié le critère juridique servant à évaluer l’appartenance à une organisation terroriste?

[12]       L’appelant soutient que l’approche retenue par la Cour suprême en matière de complicité à l’occasion de l’affaire Ezokola reflète des préoccupations plus générales et fait appel à des principes d’interprétation de portée plus large. L’appelant affirme que le souci de la Cour suprême à l’occasion Ezokola d’exclure les personnes qui n’ont pas commis de faute doit aussi être pris en compte pour déterminer ce que signifie l’« appartenance » à une organisation dans le contexte de l’alinéa 34(1)(f) de la Loi. Il s’ensuit, selon l’appelant, que les personnes qui ne participent pas à des activités terroristes, ou qui ne sont que peu liées à une organisation terroriste ou qui sont contraints d’y adhérer, ne doivent pas être considérées comme appartenant à une organisation. L’appelant soutient en outre que, conformément aux conditions d’existence d’une conduite répréhensible consacrées par la Cour suprême à l’occasion de l’affaire Ezokola, le lien rationnel doit prendre la forme d’une contribution significative à la commission des actes fautifs du groupe en question par un de ses véritables membres, qui n’y a pas adhéré par suite d’une forme de coercition ou de contrainte.

[13]       Je rejette la thèse de l’appelant voulant que l’arrêt rendu par la Cour suprême à l’occasion de l’affaire Ezokola modifie le critère juridique servant à déterminer l’appartenance à une organisation terroriste. Je conclus ainsi pour les motifs suivants.

[14]       J’examine d’abord le cadre établi par la Loi et la nature de la question dont était saisie la Cour suprême à l’occasion de l’affaire Ezokola.

[15]       L’article 1Fa) de la Convention relative au Statut des Réfugiés des Nations Unies, R.T. Can. 1969 no 6 (Convention relative aux réfugiés), exclut de la définition de « réfugié » les personnes dont on a « des raisons sérieuses de penser qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité ». L’article 1Fa), de même que tous les articles de la Loi dont il est fait mention dans les présents motifs, sont reproduits à l’annexe jointe à ceux‑ci.

[16]       L’article 1Fa) est incorporé au droit canadien par l’article 98 de la Loi.

[17]       En droit, la responsabilité pénale ne résulte pas seulement de la perpétration directe d’un crime. Comme la Cour suprême l’a fait remarquer à l’occasion de l’Affaire Ezokola, non seulement la personne qui appuie sur la détente mais aussi celle qui fournit l’arme peuvent être déclarées coupables de meurtre (Ezokola, au paragraphe 1).

[18]       L’affaire Ezokola portait sur la distinction entre la simple association et la complicité coupable (Ezokola, au paragraphe 4). La Cour a conclu que la complicité découle de la contribution; l’article 1Fa) exige qu’il existe des raisons sérieuses de penser que l’intéressé a volontairement et consciemment contribué de manière significative à la perpétration d’un crime par un groupe ou à la réalisation du dessein criminel de ce groupe (Ezokola, au paragraphe 8).

[19]       L’alinéa 35(1)a) de la Loi est la disposition de droit interne relative à l’interdiction de territoire qui correspond à l’article 1Fa). L’essentiel de l’alinéa 35(1)a) de la Loi est reproduit ci‑dessous :

35. (1) Emportent interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux les faits suivants :

35. (1) Human or international rights violation – A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of violating human or international rights for

 

a) commettre, hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre; [Le souligné est de moi.]

(a) committing an act outside Canada that constitutes an offence referred to in sections 4 to 7 of the Crimes Against Humanity and War Crimes Act; [Emphasis added.]

[20]       Le présent appel met en jeu le paragraphe 34(1) de la Loi :

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

[. . .]

[…]

 

c) se livrer au terrorisme;

(c) engaging in terrorism;

 

[. . .]

[…]

 

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b), b.1) ou c). [Le souligné est de moi.]

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraphs (a), (b), (b.1) or (c). [Emphasis added.]

[21]       Lus de concert, force est de constater de nettes différences entre les paragraphes 34(1) et 35(1). Selon le paragraphe 34(1), le fait de se livrer au terrorisme ou d’être membre d’une organisation qui se livre au terrorisme donne lieu à interdiction de territoire; selon le paragraphe 35(1), la commission d’une infraction emporte interdiction de territoire. Étant donné que la responsabilité pénale est imputée tant à ceux qui participent directement à un crime qu’à leurs complices, la notion de complicité est pertinente dans le cadre de l’analyse relative au paragraphe 35(1).

[22]       Par contraste, rien dans l’alinéa 34(1)f) n’exige ou n’envisage une analyse relative à la complicité lorsqu’il est question d’appartenance à une organisation. De plus, rien dans le texte de la disposition ne suppose que le « membre » est un « véritable » membre de l’organisation, qui a contribué de façon significative aux actions répréhensibles du groupe. Le texte utilisé par le législateur ne fait pas entrer en jeu ces notions.

[23]       L’analyse contextuelle de l’alinéa 34(1)f) tient compte de considérations contextuelles et téléologiques.

[24]       Le premier facteur contextuel est l’alinéa 34(1)c) de la Loi qui rend une personne qui « se livr[e] au terrorisme » interdite de territoire. L’alinéa 34(1)c) de la Loi vise la participation concrète à des actes de terrorisme, alors que l’alinéa 34(1)f) ne concerne que l’appartenance à une organisation terroriste. Suivant l’interprétation que fait l’appelant de l’« appartenance » à une organisation, l’alinéa 34(1)c) serait redondant.

[25]       De plus, comme il a été relevé par la Cour fédérale à l’occasion de l’affaire Nassereddine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 85, 22 Imm. L.R. (4th) 297, au paragraphe 74, bien que l’alinéa 34(1)c) donne peut‑être ouverture à l’analyse de la question de la complicité, cette disposition n’est pas pertinente en ce qui concerne la conclusion faisant l’objet du contrôle selon laquelle l’appelant est interdit de territoire en raison du fait qu’il est membre de la TNA.

[26]       Le deuxième facteur contextuel est l’article 42.1 de la Loi qui permet au ministre de déclarer qu’une personne n’est pas interdite de territoire en application de l’article 34 s’il est convaincu que cette déclaration ne serait pas contraire à l’intérêt national. En raison de la gamme très étendue des comportements emportant interdiction de territoire aux termes de l’alinéa 34(1)f), le ministre a le pouvoir discrétionnaire de lever cette mesure. Il n’existe pas de disposition de dispense similaire en ce qui concerne l’interdiction de territoire visée à l’alinéa 35(1)a). Une disposition de dispense n’est pas nécessaire lorsque l’interdiction de territoire découle de la commission d’une infraction comme auteur ou complice.

[27]       Enfin, je relève que le paragraphe 34(1) et l’alinéa 35(1)a) ont des objets très différents. L’alinéa 34(1)f) est animé par des considérations de sécurité. Pour réaliser cet objet, l’appartenance à une organisation est définie de façon large. Par contraste, l’alinéa 35(1)a) vise à empêcher que les personnes qui sont à l’origine de l’existence de réfugiés soient elles‑mêmes considérée comme réfugiés en vertu de la Convention relative aux réfugiés (Ezokola, au paragraphe 34).

[28]       Ayant conclu que la jurisprudence Ezokola ne modifie pas le critère juridique servant à évaluer l’appartenance à une organisation terroriste, je rechercherai maintenant si était raisonnable la décision de la Section de l’Immigration.

IV.             La décision de la Section de l’Immigration était‑elle raisonnable?

[29]       Comme il a été expliqué précédemment, la Section de l’Immigration a conclu qu’en étant membre de la TNA l’appelant était également membre des TLET. Je conclus, compte tenu des éléments de preuve dont disposait la Section de l’Immigration, que sa décision était raisonnable.

[30]       Cela dit, il faut faire preuve d’une grande prudence avant de conclure que l’appartenance à une organisation donnée va de pair avec l’appartenance à une autre organisation. Plus particulièrement, lorsqu’il s’agit de mouvements nationalistes ou de libération, le simple fait qu’ils aient des objectifs communs et qu’ils coordonnent de concert des activités politiques peut fort bien ne pas justifier ce type d’analyse.

[31]        Il convient de relever, aux fins de l’examen du caractère raisonnable de la décision de la Section de l’Immigration en l’espèce que cette dernière disposait de trois catégories distinctes d’éléments de preuve : des rapports sur la situation du pays émanant de tiers, les déclarations de l’appelant, et des communications entre l’appelant et des hauts dirigeants des TLET.

[32]       Comme l’a fait observer la Section de l’Immigration aux paragraphes 28 à 42 de ses motifs, les renseignements suivants figuraient dans les rapports sur la situation du pays émanant de tiers en ce qui concerne l’influence qu’exercent les TLET sur la TNA:

  • Le rapport de l’International Crisis Group, intitulé Sri Lanka: The Failure of the Peace Process [Sri Lanka : l’échec du processus de paix] décrit la création de la TNA par les TLET, signale que la TNA faisait campagne en disant que les TLET étaient les seuls représentants des Tamouls, et que [traduction] « sa plateforme était à tous égards pro‑TLET » (dossier d’appel, volume 4, onglet 13, à la page 1131).

         Un rapport de Jane’s, World Insurgency and Terrorism [Insurgence et terrorisme dans le monde], fait état de la directive donnée par les TLET aux dirigeants tamouls de grossir les rangs de la TNA et du fait que l’administration centrale des TLET avait choisi les candidats de la TNA à l’élection de 2004. Il y est précisé que les TLET avaient par la suite lancé une vaste campagne en faveur des candidats de la TNA dans le cadre de laquelle plusieurs candidats anti‑TNA ainsi que leurs sympathisants avaient été assassinés (dossier d’appel, volume 2, onglet 8, aux pages 514‑515).

         Le document du HautCommissariat des Nations Unies pour les réfugiés Background Paper on Refugees and AsylumSeekers from Sri Lanka [document d’information sur les réfugiés et les demandeurs d’asile venant du Sri Lanka] indique que les TLET ont annoncé qu’ils appuieraient la TNA et que des candidats des partis rivaux auraient été assassinés par les TLET (dossier d’appel, volume 4, onglet 13, à la page 1017).

         On lit dans un chapitre du Political Handbook of the World : 2005‑2006 [manuel politique du monde : 2005‑2006] que lors des élections de 2004 [traduction] « la TNA s’est affichée pour la première fois comme la représentante des TLET et a gagné 22 sièges dans le Nord et l’Est » (dossier d’appel, volume 2, onglet 7, à la page 439).

         Un rapport d’Amnistie Internationale concernant la situation au Sri Lanka en 2005 indique que « [l]a Tamil National Alliance (TNA, Alliance nationale tamoule), proche des LTTE, s’est adjugé la majorité des sièges dans le nord‑est du pays, où la consultation a été marquée par des fraudes, des manœuvres d’intimidation et des violences » et que plusieurs candidats rivaux ont notamment été tués (dossier d’appel, volume 4, onglet 13, à la page 1077).

         Dans un reportage de la BBC on rapporte les propos suivants tenus par l’appelant : [traduction] « Pour nous, le seul mouvement qui importe est celui des TLET, et [le chef des Tigres Velupillai] Prabhakaran est le seul chef qui compte », l’élection était davantage un référendum sur le conflit armé; [traduction] et « [l]e monde dit “D’accord, vous vous êtes battus et avez fait des miracles, mais qu’est‑ce qui garantit que le peuple vous appuie, […] les élections prouveront que 70 à 80 % des Tamouls appuient les rebelles » (dossier d’appel, volume 2, onglet 7, aux pages 380‑381).

         Il est signalé dans le manifeste électoral de la TNA de 2001 que sur une période de 50 ans il a été impossible de régler la question nationale des Tamouls de façon équitable :

[traduction] Par conséquent, il était inévitable que le conflit armé prit de l’ampleur et que les Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul occupent une position si importante et jouent un rôle central dans la lutte pour la nationalité tamoule afin que leurs droits soient reconnus. Il est important de reconnaître cette réalité.

(Dossier d’appel, volume 2, onglet 7, à la page 294.)

         Dans le manifeste électoral de la TNA de 2004, on lit ce qui suit :

[traduction] En acceptant le leadership des TLET en tant que dirigeants nationaux des Tamouls de l’Eelam tamoul et les Tigres libérateurs en tant que seuls véritables représentants du peuple tamoul, consacrons‑nous pleinement à la cause des Tigres libérateurs avec honnêteté et rigueur. Ensemble, avançons comme un groupe, une nation, un pays, et mettons de côté notre race et notre religion pour nous ranger sous la bannière des TLET afin d’offrir une vie de liberté, d’honneur et de justice au peuple tamoul. Travaillons ensemble avec les TLET, qui se battent pour la protection et l’indépendance des Tamouls et pour leurs propres initiatives politiques. [Non souligné dans l’original]

(Dossier d’appel, volume 2, onglet 7, à la page 292.)

         L’International Crisis Group a signalé en 2008 que selon son programme électoral la TNA était « pro‑TLET » et que les députés de la TNA avaient choisi de [traduction] « ne pas prendre le risque d’adopter des positions politiques indépendantes de celles des TLET » (dossier d’appel, volume 4, onglet 13, à la page 1233).

         Dans un discours prononcé en Afrique du Sud, l’appelant a déclaré : [traduction] « Et nous, les Tamouls de l’Eelam, avons décidé de nous battre. Nous nous battrons, mais nous voulons votre aide. Nous lutterons dans les airs et en mer : nous lutterons sur terre, jusqu’au bout, jusqu’à ce que nous n’ayons que notre sang, nos larmes et notre sueur à offrir à notre pays. » (dossier d’appel, volume 6, onglet 17, aux pages 1644‑1645).

[33]       Lors d’une entrevue menée par un agent des forces de l’ordre nationales, l’appelant a signalé que le chef des TLET, Prabhakaran, n’a pas mis sur pied la TNA, mais qu’il [traduction] « aurait approuvé » sa formation étant donné que ces organisations « se battent toutes les deux pour la même cause » et qu’il « savait que la TNA a été constituée pour défendre la cause des Tamouls » (dossier d’appel, volume 1, onglet 6, aux pages 172‑173). L’appelant convient [traduction] « que les membres de la TNA comme les TLET défendaient la cause des Tamouls » (dossier d’appel, volume 1, onglet 6, à la page 182). Devant la Section de l’Immigration, l’appelant a déclaré que les actes de violence des TLET n’étaient pas idéaux, et que [traduction] « des affrontements de masse avec le gouvernement étaient, bien que pénibles, inévitables ». (dossier d’appel, volume 6, onglet 18, à la page 1678).

[34]       L’appelant a admis avoir participé à de nombreuses réunions avec des hauts dirigeants des TLET et poursuivre les mêmes objectifs que les TLET. Il a déclaré que selon lui la lutte armée menée par les TLET était inévitable. Plus précisément :

  • L’appelant a rencontré personnellement [traduction] « tous les » hauts dirigeants des TLET, y compris Prabhakaran et Tamilselvan – il a rencontré Prabhakaran à deux reprises, et Tamilselvan tous les quelques mois au moment où il est devenu un membre de la TNA en 2002 (dossier d’appel, volume 1, onglet 6, aux pages 169, 170 et 209).

         L’appelant a repris les observations suivantes de Prabhakaran : [traduction] « [N]ous devions nous répartir le travail en tant qu’équipe : [les TLET] devaient fomenter la lutte armée, et [la TNA] la lutte sur le plan politique uniquement; nous appelons cela le travail de terrain global » (dossier d’appel, volume 1, onglet 6, à la page 177).

         Bien qu’il ait nié avoir reçu des « directives » de Prabhakaran, l’appelant estimait que la TNA « exploitait en parallèle » l’arme de l’agitation parlementaire dans le même « but » que celui que poursuivaient les TLET (dossier d’appel, volume 1, onglet 6, à la page 184).

         Même si son rôle se limitait à l’activisme parlementaire, l’appelant estimait que la lutte armée faisait [traduction] « partie de toute lutte pour la liberté » et que la lutte armée menée par les TLET était inévitable (dossier d’appel, volume 1, onglet 6, à la page 199).

[35]       L’appelant soutient que la Section de l’Immigration n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve favorables à l’appelant.

[36]       Toutefois, le droit est bien fixé : il n’est pas nécessaire que le décideur fasse référence à chaque élément de preuve. Plus important encore, la Section de l’Immigration disposait d’éléments de preuve contradictoires. Il ressort des motifs de la Section de l’Immigration que la commissaire a passé au crible le dossier, et qu’elle a bien compris que l’appelant contestait la fiabilité de certains documents. Les conclusions de la Section de l’Immigration étaient amplement confirmées par le dossier mis à la disposition de la Section de l’Immigration.

[37]       L’article 33 de la Loi exige seulement qu’il y ait des « motifs raisonnables de croire » qu’il existe des faits donnant lieu à interdiction de territoire. Selon moi, la conclusion de la Section de l’Immigration qu’il existait des « motifs raisonnables de croire » en l’espèce appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La décision était donc raisonnable.

V.                Conclusions

[38]       Par ces motifs, je rejetterais l’appel. Je réponds à la question certifiée de la façon suivante :

La jurisprudence Ezokola c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CSC 40, [2013] 2 R.C.S. 678, ne modifie pas le critère juridique actuel servant à évaluer l’appartenance à une organisation terroriste sous le régime de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

David Stratas, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Richard Boivin, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur


Annexe

L’article 33, les alinéas 34(1)a) à f), l’alinéa 35(1)a), et l’article 42.1 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, sont reproduits ci‑dessous :

33. Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

 

33. The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

 

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

 

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

 

a) être l’auteur de tout acte d’espionnage dirigé contre le Canada ou contraire aux intérêts du Canada;

(a) engaging in an act of espionage that is against Canada or that is contrary to Canada’s interests;

 

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

 

b.1) se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

(b.1) engaging in an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

 

c) se livrer au terrorisme;

(c) engaging in terrorism;

 

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

(d) being a danger to the security of Canada;

 

e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada;

(e) engaging in acts of violence that would or might endanger the lives or safety of persons in Canada; or

 

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b), b.1) ou c).

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b), (b.1) or (c).

[. . .]

[…]

 

35. (1) Emportent interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux les faits suivants :

 

35. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of violating human or international rights for

a) commettre, hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;

 

(a) committing an act outside Canada that constitutes an offence referred to in sections 4 to 7 of the Crimes Against Humanity and War Crimes Act;

 

[. . .]

[…]

 

42.1 (1) Le ministre peut, sur demande d’un étranger, déclarer que les faits visés à l’article 34, aux alinéas 35(1)b) ou c) ou au paragraphe 37(1) n’emportent pas interdiction de territoire à l’égard de l’étranger si celui‑ci le convainc que cela ne serait pas contraire à l’intérêt national.

42.1 (1) The Minister may, on application by a foreign national, declare that the matters referred to in section 34, paragraphs 35(1)(b) and (c) and subsection 37(1) do not constitute inadmissibility in respect of the foreign national if they satisfy the Minister that it is not contrary to the national interest.

L’article 1Fa) de la Convention relative au Statut des Réfugiés des Nations Unies, R.T. Can. 1969 no 6, est reproduit ci‑dessous :

1F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 

1F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

 

a) qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

(a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A‑265‑14

 

 

INTITULÉ :

MANICKAVASAGAR KANAGENDREN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 janvier 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 7 avril 2015

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman

Sarah L. Boyd

 

Pour l’appelant

 

David B. Cranton

Nicholas Dodokin

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Nazami & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANT

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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