Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20150714


Dossier : A-236-14

Référence : 2015 CAF 163

CORAM :

LE JUGE RYER

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

E. MISHAN & SONS, INC. et BLUE

GENTIAN, LLC

appelantes

et

SUPERTEK CANADA INC.,

INTERNATIONAL EDGE, INC. Et

TELEBRANDS CORP.

intimées

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 17 février 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 juillet 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RYER

LE JUGE NEAR

 


Date : 20150714


Dossier : A-236-14

Référence : 2015 CAF 163

CORAM :

LE JUGE RYER

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

E. MISHAN & SONS, INC. et BLUE

GENTIAN, LLC

appelantes

et

SUPERTEK CANADA INC.,

INTERNATIONAL EDGE, INC. Et

TELEBRANDS CORP.

intimées

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1]               La Cour est saisie de l'appel de la décision rendue le 7 avril 2014 par le juge Hughes (2014 CF 326, [2014] A.C.F. no 345). Le juge de la Cour fédérale a conclu que les revendications nos 1, 15, 28 et 42 du brevet canadien portant le no 2 779 882 (le brevet 882) étaient invalides pour cause d'évidence. Le brevet 882 se rapporte à un boyau d'arrosage pouvant subir une expansion ou une contraction. Les appelantes contestent la conclusion selon laquelle la revendication no 15 est évidente. Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l'appel.

Le contexte

[2]               Michael Berardi est l'inventeur nommé dans le brevet 882. Monsieur Berardi produit pour des chaînes de télévision des publireportages consacrés à la promotion et à la vente de produits. En 2011, les propriétaires d'un brevet portant sur un boyau pouvant subir une expansion ou une contraction (appelé « Micro Hose ») sont entrés en contact avec M. Berardi pour voir si le produit l'intéressait à titre de promoteur ou d'éventuel bailleur de fonds. Le Micro Hose était en fait un boyau autour duquel était enroulé un ressort qui servait à le contracter lorsqu'il n'était pas soumis à la pression de l'eau tout en lui permettant de s'étirer sous l'effet d'une telle pression. Monsieur Berardi a jugé que le produit coûterait trop cher à fabriquer pour le marché du publireportage.

[3]               Monsieur Berardi a alors commencé à travailler sur d'autres moyens de construire un boyau d'arrosage léger et extensible pour le jardin. Il a fini par arrêter son choix sur un boyau formé de deux tuyaux distincts : un tuyau interne élastique, qui prenait de l'expansion lorsqu'il y a de l'eau dans ce tuyau, et un deuxième tuyau, externe et non élastique, qui permettait au tuyau interne de s'allonger tout en limitant son expansion latérale. Un pistolet d'arrosage à l'extrémité du boyau augmente la pression interne de l'eau. Lorsque l'eau pénètre dans le boyau par l'une de ses extrémités et qu'on en limite la sortie à l'autre extrémité, le boyau s'allonge. Lorsque la pression à l'intérieur du boyau est coupée, ce dernier se rétracte à sa longueur initiale.

[4]               Vendu sous le nom de « XHose », le boyau conçu par M. Berardi a été un succès commercial. Les intimées ont elles aussi commercialisé avec succès et vendu un boyau semblable sous le nom de « Pocket Hose ». Le juge de la Cour fédérale a conclu que si les revendications contestées du brevet 882 étaient valides, le Pocket Hose contreferait ces revendications. Il n'a pas été fait appel de cette conclusion.

[5]               Les parties au présent appel sont aussi engagées dans des litiges dans plusieurs pays, dont l'Australie, la France, le Royaume‑Uni et les États‑Unis. Si elles ont invoqué les décisions rendues en Australie et au Royaume‑Uni, les parties n'ont renvoyé à aucune décision rendue par un tribunal français ou américain.

[6]               S'agissant des décisions rendues par les tribunaux de l'Australie et du Royaume‑Uni, la déclaration suivante du juge Middleton de la Cour fédérale d'Australie dans la décision Blue Gentian LLC c. Product Management Group Pty Ltd., [2014] FCA 1331, qui se rapportait aux décisions des pays étrangers citées dans cette affaire, est pertinente :

[TRADUCTION]

241      Je dois décider si les brevets sont valides et s'ils ont été contrefaits en me fondant sur la preuve et le cadre légal dont dispose la Cour. Les questions en litige, la preuve et le cadre légal n'étaient pas les mêmes dans les instances qui se sont déroulées au Canada et au Royaume‑Uni.

[7]               Tout comme l'affaire dont le tribunal australien était saisi devait être tranchée sur le fondement de la preuve présentée à ce tribunal et du droit australien applicable, le juge de la Cour fédérale a dû rendre sa décision à partir de la preuve qui lui a été présentée et du droit applicable au Canada. Il s'ensuit que les décisions australienne et britannique présentent peu d'utilité en l'espèce.

La décision de la Cour fédérale

[8]               Le juge de la Cour fédérale a identifié la personne théorique versée dans l'art au paragraphe 80 de ses motifs :

80        La personne versée dans l'art que je définis est la suivante :

[TRADUCTION]

Une personne telle qu'un ingénieur ou un technicien ayant une expérience de la fabrication, de la fourniture ou de l'utilisation de boyaux destinés à divers types de fluides. Cette personne possède au moins une connaissance rudimentaire de la mécanique des fluides et de la science des matériaux, relativement aux boyaux et à la façon dont ces derniers fonctionnent de manière générale pour transporter des fluides d'un point à un autre.

[9]               Aucune des parties n'a contesté cette définition de la personne versée dans l'art. Au paragraphe 81 de ses motifs, le juge de la Cour fédérale a précisé qu'il devait traiter la question de l'évidence du point de vue d'une telle personne versée dans l'art.

[10]           Au nombre des réalisations antérieures pertinentes, le juge de la Cour fédérale a estimé qu'il fallait inclure le brevet des États‑Unis no 6 523 539, intitulé « Self‑Elongating Oxygen Hose for Stowable Aviation Crew Oxygen Mask » (tuyau à oxygène auto‑extensible pour masque à oxygène pour équipage d'avion pouvant se ranger) (le brevet de M. McDonald). Le brevet porte sur un tuyau à oxygène qui s'allonge sous la pression. Il y est précisé qu'il s'agit d'un ensemble formé d'un [TRADUCTION] « tuyau interne en élastomère » et d'une « gaine extérieure faite d'un matériau tissé ou tressé qui, lors d'une utilisation, limite l'expansion radiale du tuyau interne lorsqu'il est sous pression ».

[11]           De l'avis du juge de la Cour fédérale, la preuve établissait que la personne versée dans l'art aurait découvert le brevet de M. McDonald. Les paragraphes suivants font la synthèse de ses conclusions sur la question de l'évidence :

143      Je suis convaincu que la personne versée dans l'art trouverait facilement le boyau visé par le brevet McDonald et l'adapterait en vue de s'en servir comme boyau à eau, tel qu'un boyau d'arrosage. Ce boyau à eau serait doté d'un tube interne flexible et d'un tube externe limitateur. Les deux tubes ne seraient fixés l'un à l'autre qu'à leurs extrémités. Une extrémité serait munie d'un raccord destiné à une source de pression, comme de l'eau; l'autre serait muni d'un dispositif de restriction. Cette adaptation, selon moi, serait aisément accomplie par la personne versée dans l'art.

144      Un certain nombre de facteurs secondaires ont été évoqués. Il y avait la motivation de créer un boyau d'arrosage simple et peu coûteux dont il était possible de faire la promotion au sein du marché de la vente au détail directe, dans le cadre d'annonces télévisées et d'autres moyens semblables. Le boyau a été un succès sur le plan commercial. Mais la motivation et le succès à eux seuls ne signifient pas qu'il existait, dans le sens objectif du terme, une invention. Khubani a témoigné en ce sens lorsqu'il a fait référence à des articles tels que des lunettes de soleil ambrées et des vadrouilles sèches qui existaient depuis plusieurs années, mais qui ont obtenu un succès considérable dans le milieu de la vente au détail directe.

145      Je conclus que les revendications en cause, soit les nos 1, 15, 28 et 42, étaient évidentes, eu égard à l'état de la technique et, en particulier, du brevet McDonald.

Le critère de l'évidence

[12]           Dans l'arrêt Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265 [Sanofi], la Cour suprême du Canada a affirmé ce qui suit :

67        Lors de l'examen relatif à l'évidence, il y a lieu de suivre la démarche à quatre volets d'abord énoncée par le lord juge Oliver dans l'arrêt Windsurfing International Inc. c. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.). La démarche devrait assurer davantage de rationalité, d'objectivité et de clarté. Le lord juge Jacob l'a récemment reformulée dans l'arrêt Pozzoli SPA c. BDMO SA, [2007] F.S.R. 37 (p. 872), [2007] EWCA Civ 588, [Pozzoli] par. 23 :

[TRADUCTION]

Par conséquent, je reformulerais comme suit la démarche préconisée dans l'arrêt Windsurfing :

(1)a) Identifier la « personne versée dans l'art »;

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

(2) Définir l'idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d'interprétation;

(3) Recenser les différences, s'il en est, entre ce qui ferait partie de « l'état de la technique » et l'idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

(4) Abstraction faite de toute connaissance de l'invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l'art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

[Souligné dans l'original.]

[13]           Au paragraphe 129 de ses motifs, le juge de la Cour fédérale a écrit ce qui suit :

129      Pour déterminer l'évidence, la Cour doit :

a) identifier la personne fictive qui est versée dans l'art;

b) déterminer les connaissances générales courantes pertinentes et les antériorités qui représentent l'état de la technique;

c) déterminer l'idée originale des revendications en cause;

d) recenser les différences, s'il y en a, qui existent entre l'état de la technique et l'idée originale;

e) en ce qui concerne ces différences, a‑t‑il fallu recourir à un degré d'inventivité pour arriver à l'invention revendiquée et, plus précisément, des questions telles que les suivantes peuvent être posées :

•           était-ce plus ou moins évident?

•           quel effort, ordinaire ou non, a-t-il fallu déployer?

•           quelle était la raison pour trouver une solution?

[14]           Selon les appelantes, la seule erreur que le juge de la Cour fédérale aurait commise dans son énoncé de la démarche à suivre pour déterminer l'évidence se trouve à l'étape d), laquelle aurait dû être formulée comme suit :

d) recenser les différences, s'il y en a, qui existent entre l'état de la technique et l'idée originale des revendications en cause;

[15]           Puisque la seule autre référence à « l'idée originale » se trouve dans l'alinéa qui précède et que cette référence est suivie des mots « des revendications en cause », l'idée originale dont il est question à l'étape d) serait la même que celle à laquelle on renvoie à l'étape c) — l'idée originale des revendications en cause. Par conséquent, je ne suis pas d'avis que le juge de la Cour fédérale a commis une erreur en ne répétant pas les mots « des revendications en cause » à l'étape d).

Les questions en litige

[16]           Les appelantes soutiennent que le juge de la Cour fédérale a commis les erreurs suivantes :

                     il a inclus le brevet de M. McDonald parmi l'art antérieur pertinent;

                     il a conclu que la revendication no 15 était évidente.

Les normes de contrôle

[17]           Les normes de contrôle qu'il convient d'appliquer en l'espèce sont énoncées dans l'arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33. Pour les questions de droit, cette norme est celle de la décision correcte. Quant aux conclusions de fait (y compris les inférences de fait), elles seront confirmées, à moins qu'il ne soit établi que le juge de la Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante. Quant aux questions mixtes de fait et de droit, la norme de la décision correcte s'appliquera à toute question de droit isolable et, dans les autres cas, la norme de l'erreur manifeste et dominante s'appliquera. Par ailleurs, une erreur est manifeste si elle est facilement décelable et elle est dominante si elle modifiera l'issue de la décision.

Le brevet de M. McDonald fait‑il partie de l'art antérieur pertinent?

[18]           Les appelantes soutiennent que le brevet de M. McDonald ne faisait pas partie de l'art antérieur représentant l'état de la technique. Dans leur mémoire, elles indiquent que le juge de la Cour fédérale a affirmé ce qui suit au paragraphe 91 de ses motifs :

91        En bref, le brevet McDonald était non seulement trouvable, mais il a également été trouvé par des personnes qui s'intéressaient aux boyaux extensibles. Aucune preuve contraire n'a été présentée.

[19]           Les appelantes affirment que le critère à appliquer pour déterminer quels documents sont à inclure parmi les antériorités ne repose pas sur le caractère « trouvable » d'un document donné et, en particulier, le fait que le document ait été trouvé par l'avocat des intimées ne devrait pas permettre de conclure qu'il aurait été trouvé par la personne versée dans l'art.

[20]           Dans la décision Apotex Inc. c. Sanofi‑Aventis, 2011 CF 1486, [2011] A.C.F. no 1813, le juge Boivin (maintenant juge de notre Cour) a fait les observations suivantes :

603      [...] l'état antérieur de la science doit avoir été publiquement disponible à la date [pertinente] [...] - et il doit aussi pouvoir être localisé au moyen de recherches raisonnablement diligentes. C'est à la partie qui invoque l'état antérieur de la science, en l'occurrence à Apotex, qu'il appartient d'établir que l'état antérieur de la science pouvait être trouvé au moyen de recherches raisonnablement diligentes (Janssen‑Ortho Inc. c. Novopharm Ltd., 2006 CF 1234, 57 C.P.R. (4th) 6).

[Non souligné dans l’original]

[21]           Bien que notre Cour n'ait pas adhéré à la conclusion tirée par le juge Boivin sur la question de l'évidence, elle n'était pas en désaccord avec la formulation du critère servant à déterminer les documents à inclure parmi les antériorités (2013 CAF 186, [2015] 2 R.C.F. 644, au paragraphe 77). En l'espèce, les parties n'ont pas présenté d'observations sur la question de savoir si l'article 28.3 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4, avait modifié ce critère. Tout argument fondé sur cet article consisterait vraisemblablement à dire que l'éventail des documents à inclure a été élargi, qu'il ne se limite plus aux documents qui auraient pu être trouvés au moyen de recherches raisonnablement diligentes, mais qu'il comprend désormais tout renseignement qui est devenu accessible au public. En l'espèce, puisque j'ai conclu qu'au regard du critère énoncé plus haut, le juge de la Cour fédérale n'a pas commis une erreur en incluant le brevet de M. McDonald au nombre des réalisations représentant l'état de la technique, je n'ai pas à me pencher sur la question de savoir si l'article 28.3 de la Loi sur les brevets a modifié ce critère.

[22]           Par conséquent, suivant le critère énoncé précédemment, les réalisations antérieures pertinentes comprendront tout document que la personne versée dans l'art serait à même de trouver en procédant à des recherches raisonnablement diligentes. Dans le cas qui nous occupe, la personne versée dans l'art est « [u]ne personne telle qu'un ingénieur ou un technicien ayant une expérience de la fabrication, de la fourniture ou de l'utilisation de boyaux destinés à divers types de fluides ». La personne versée dans l'art ne correspond pas uniquement à la personne qui ne connaît que des boyaux d'arrosage pour le jardin ni à la personne qui ne connaît que des boyaux servant au transport de l'eau.

[23]           La conclusion du juge de la Cour fédérale selon laquelle la personne versée dans l'art aurait trouvé le brevet de M. McDonald si elle avait fait des recherches raisonnablement diligentes est une conclusion de fait ou une conclusion mixte de fait et de droit qui sera confirmée en l'absence d'une erreur manifeste et dominante. Les appelantes soutiennent qu'il était possible d'arriver à la conclusion inverse en se fondant sur certains faits liés à l'incapacité de M. Berardi et des autres à trouver le brevet de M. McDonald, mais cette conclusion obligerait la Cour à soupeser la preuve à nouveau, car certains éléments de cette preuve démontraient que le brevet de M. McDonald aurait pu être trouvé par la personne versée dans l'art, laquelle, comme on l'a vu, a une expérience en matière de boyaux et de fluides, et non uniquement en matière de boyaux d'arrosage pour le jardin. La question pertinente dont était saisi le juge de la Cour fédérale était de savoir si, compte tenu de la preuve présentée, la personne versée dans l'art aurait trouvé le brevet de M. McDonald à l'issue de recherches raisonnablement diligentes.

[24]           Dans l'arrêt Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc., 2010 CAF 240, [2010] A.C.F. no 1199, le juge Evans a déclaré ce qui suit :

8          Lilly nous a effectivement invités à soupeser la preuve à nouveau et à tirer nos propres conclusions, surtout le fait que la fiche maîtresse de médicament (FMM) déposée auprès de Santé Canada, ainsi que les dépôts réglementaires auprès de la Food and Drug Administration des États-Unis, démontraient que Lupin utilisait un procédé contrefait dans la fabrication du produit intermédiaire. Un tribunal d'appel ne devrait pas accepter une telle invitation. Faire autrement équivaudrait à empiéter sur le domaine du juge de première instance et gaspiller inutilement les ressources publiques et privées.

[25]           Il n'appartient pas à notre Cour de soupeser à nouveau la preuve. Par conséquent, je ne modifierais pas la conclusion du juge de la Cour fédérale voulant que le brevet de M. McDonald faisait partie des réalisations antérieures pertinentes.

La conclusion d'évidence

[26]           Les appelantes affirment que le juge de la Cour fédérale n'a pas suivi les étapes pour juger de l'évidence énoncées par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Sanofi. Elles soutiennent que le juge n'a pas défini l'idée originale de la revendication no 15 du brevet 882 et qu'en comparant cette revendication au brevet de M. McDonald, il n'a pas appliqué correctement la quatrième étape du critère de l'arrêt Sanofi. De l'avis des appelantes, puisque le juge de la Cour fédérale a renvoyé au brevet 882, il n'a pas effectué cette étape de l'analyse de la question de l'évidence en faisant « abstraction [...] de toute connaissance de l'invention revendiquée ».

[27]           Le juge de la Cour fédérale a reconnu, dans son énoncé de l'analyse du critère de l'évidence (au paragraphe 129 de ses motifs), que l'une de ces étapes consiste à déterminer l'idée originale des revendications en cause. Bien que le juge de la Cour fédérale ne définisse pas explicitement l'idée originale dans ses motifs, je suis d'avis qu'il ressort d'une lecture objective de ses motifs qu'il avait à l'esprit cette idée originale lorsqu'il s'est penché sur le caractère évident des revendications en cause.

[28]           Au paragraphe 137 de ses motifs, le juge de la Cour fédérale a relevé certaines différences entre le brevet de M. McDonald et les revendications contestées du brevet 882 :

137      Les différences entre la description faite dans le brevet McDonald et la description faite dans le brevet 882 comprennent les suivantes :

Dans le brevet McDonald, le boyau est destiné à être utilisé de pair avec un appareil d'alimentation en oxygène d'appoint dans un aéronef; le boyau visé par le brevet 882 sert à transporter de l'eau, comme dans un boyau d'arrosage;

Le boyau du brevet McDonald transporte de l'oxygène ou de l'air, le brevet 882 décrit le transport d'un fluide, y compris des gaz, tels que l'air, mais ne revendique que de l'eau;

Le boyau dont il est question dans le brevet McDonald comporte un régulateur et un masque fixés à l'extrémité libre, le brevet 882 revendique la présence d'un restricteur.

[29]           Ce paragraphe ne fait aucun renvoi au concept du double tuyau, grâce auquel un tuyau interne peut s'allonger tandis que son élargissement est restreint par un tuyau externe non élastique, car le juge de la Cour fédérale y décrit les différences entre le brevet de M. McDonald et les revendications du brevet 882. Comme la caractéristique susmentionnée est partagée par le brevet de M. McDonald et la revendication no 1 du brevet 882, elle ne compte pas parmi les différences.

[30]           Les appelantes font remarquer que le présent appel vise expressément la revendication no 15. Cette revendication est ainsi formulée :

[TRADUCTION]

Revendication no 15. Le boyau dont il est question dans les revendications nos 1 à 14, où ledit boyau est un boyau d'arrosage.

[31]           La revendication no 15 dépend de la revendication no 1. Par conséquent, pour déterminer l'objet de la revendication no 15, il faut prendre connaissance de la revendication no 1. La revendication no 1 présente le modèle de boyau à deux tuyaux, quoique le tuyau externe y soit décrit comme étant fait de [TRADUCTION] « tissu ».

[32]           Au paragraphe 137 (où il énonce les principales différences) et au paragraphe 143 (où il expose ses conclusions quant à l'évidence), le juge de la Cour fédérale fait explicitement référence à un boyau d'arrosage. Par conséquent, je suis d'avis que le juge de la Cour fédérale s'est bel et bien demandé si l'idée originale de la revendication no 15 (le boyau à eau décrit à la revendication no 1 et utilisé comme boyau d'arrosage) était évidente.

[33]           Dans leur mémoire, les appelantes affirment aussi qu'il existait d'autres différences entre le brevet de M. McDonald et le brevet 882 :

[TRADUCTION]

77        Entre autres choses, dans le brevet de M. McDonald, un régulateur du débit d'air est intégré au masque de l'appareil. Ce régulateur n'est pas fixé à l'extrémité libre du boyau, comme l'a indiqué le juge de première instance, et il diffère de l'appareil de restriction de débit d'eau raccordé à un boyau d'arrosage qui est revendiqué dans le brevet de M. Berardi. L'expert des intimées, M. Haubert, l'a d'ailleurs reconnu : « nulle part dans le brevet de M. McDonald ne laisse‑t‑on entendre que cette invention peut être utilisée ailleurs que [...] dans la cabine d'un aéronef ». De plus, M. Haubert a admis que le brevet de M. McDonald ne nous apprend pas lorsqu'une pression est appliquée sur le boyau, ce qui cause l'écoulement d'oxygène, et le diamètre du boyau est « nettement inférieur ». Il s'agit de lacunes reconnues de l'exposé de l'invention et des enseignements contenus dans le brevet de M. McDonald.

[34]           La question de savoir si ces différences sont importantes est une question de fait ou une question mixte de fait et de droit. Étant donné que le juge de la Cour fédérale n'a pas traité expressément de ces différences, j'en déduis qu'il a estimé que ces différences n'étaient pas des variantes susceptibles de modifier sa conclusion selon laquelle les revendications en cause dans le brevet 882 étaient évidentes. Je ne suis pas convaincu qu'il a ainsi commis une erreur manifeste et dominante.

[35]           Les appelantes soutiennent que le juge de la Cour fédérale a commis une erreur au paragraphe 137 de ses motifs parce que, contrairement à ce qui est prescrit à la quatrième étape du critère de l'arrêt Sanofi, il a utilisé ce qu'il savait au sujet du brevet 882 pour recenser les différences entre les revendications de ce brevet et le brevet de M. McDonald, de même que pour déterminer que les différences étaient évidentes.

[36]           Cette nécessité de procéder à la quatrième étape du critère de l'arrêt Sanofi « abstraction faite de toute connaissance de l'invention revendiquée » ne signifie pas, à mon sens, qu'il faille oublier à l'étape 4 les différences recensées à l'étape 3. Ces différences sont une composante essentielle de l'étape 4. Si on ne connaît pas les différences entre les réalisations antérieures pertinentes et l'idée originale, il est impossible d'effectuer l'étape 4. Les différences dépendent de l'idée originale qui sous‑tend les revendications en cause et des réalisations antérieures pertinentes et sont donc déterminées en fonction d'une certaine connaissance de ce qui est revendiqué dans le brevet en cause. Il s'ensuit que l'analyse des différences effectuée à l'étape 4 du critère de l'arrêt Sanofi traduit forcément une certaine connaissance de l'invention revendiquée. Pour cette raison, je ne suis pas convaincu que le juge de la Cour fédérale a mal appliqué cette quatrième étape du critère de l'arrêt Sanofi.

[37]           Les appelantes soutiennent également que le juge de la Cour fédérale a commis une erreur dans son analyse de l'évidence en se référant à la description du brevet 882 plutôt qu'aux seules revendications en cause. Cet argument repose sur les commentaires qu'il fait au paragraphe 138 de ses motifs :

138      Ces différences perdent presque toute leur pertinence quand on lit la description du brevet 882, que j'ai déjà examinée en détail plus tôt. La description de ce brevet indique au lecteur que le boyau peut transporter un [TRADUCTION] « fluide », ce qui inclut de l'eau, des gaz et même des solides fluidifiables. Le brevet 882 dit aussi que [TRADUCTION] « tout ce qui restreint le débit d'un fluide dans le boyau peut être employé » comme restricteur.

[Souligné dans l’original]

[38]           Selon moi, ce paragraphe ne permet pas de conclure que le juge de la Cour fédérale s'est fondé sur la description du brevet 882 pour relever les différences significatives entre les revendications du brevet 882 et le brevet de M. McDonald aux fins de son analyse de la question de l'évidence. Le juge de la Cour fédérale a décrit les différences qu'il a prises en compte au paragraphe 137 de ses motifs et il a reconnu que les revendications du brevet 882 se limitaient à l'eau.

[39]           Les appelantes soutiennent que le juge de la Cour fédérale a tenu compte de ce qu'il savait déjà lorsqu'il a déterminé que les adaptations qui devaient être accomplies pour pouvoir utiliser le boyau décrit dans le brevet de M. McDonald comme boyau d'arrosage étaient évidentes. Elles font valoir que l'expert des intimées, M. Haubert, à qui le juge de la Cour fédérale s'en est remis, connaissait le brevet 882. Elles allèguent également que puisque M. Haubert a reconnu certains faits en contre‑interrogatoire concernant ses propres capacités mentales, le juge de la Cour fédérale n'aurait pas dû accepter son opinion quant à savoir si les adaptations requises afin d'utiliser le boyau décrit dans le brevet de M. McDonald comme un boyau à eau sembleraient évidentes à la personne versée dans l'art, car la personne versée dans l'art doit être un « technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d'intuition » (Beloit Canada Ltée c. Valmet OY, [1986] A.C.F. no 87 (C.A.F.), au paragraphe 18).

[40]           Au paragraphe 139 de ses motifs, le juge de la Cour fédérale a expliqué pourquoi il n'a pas retenu le témoignage de l'expert des appelantes (M. Kuutti); au paragraphe 140, il dit privilégier le témoignage de M. Haubert en ce qui a trait à l'évidence, puis il en cite certains extraits. En l'espèce, les appelantes demandent essentiellement à la Cour de soupeser la preuve de nouveau et de tirer une conclusion de fait différente en matière d'évidence.

[41]           Dans l'arrêt H.L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 R.C.S. 401, le juge Fish, s'exprimant au nom des juges majoritaires de la Cour suprême, a fait la précision suivante :

74        Je m'explique. Il n'est pas rare que des inférences différentes puissent raisonnablement être tirées des faits que le juge de première instance a tenus pour directement établis. L'examen en appel consiste à déterminer si les inférences du juge sont « raisonnablement étayées par la preuve ». Si elles le sont, le tribunal de révision ne peut soupeser la preuve à nouveau en substituant à l'inférence raisonnable retenue par le juge sa propre inférence tout aussi convaincante, sinon plus. Là encore, cette règle fondamentale est parfaitement compatible avec les motifs majoritaires et ceux de la minorité dans Housen.

[Souligné dans l’original]

[42]           Des éléments de preuve venaient étayer l'inférence tirée par le juge de la Cour fédérale, à savoir que les différences entre le brevet de M. McDonald et les revendications du brevet 882 étaient évidentes aux yeux de la personne versée dans l'art. Il n'appartient pas à la Cour de réévaluer la preuve et de substituer sa propre inférence. Puisque le juge de la Cour fédérale a tiré une inférence qui était raisonnablement étayée par la preuve, je ne modifierais pas cette conclusion.

Autres arguments

[43]           Les intimées ont également fait valoir que la revendication no 1 (et, par extension, la revendication no 15) avait une portée excessive et que le juge de la Cour fédérale a commis une erreur en ne tirant pas une conclusion en ce sens. Puisque je rejetterais l'appel, je n'ai pas à analyser cet argument. Je n'ai pas non plus à examiner l'appel de la conclusion du juge de la Cour fédérale selon laquelle l'action à l'encontre d'International Edge, Inc. devait de toute façon être rejetée, puisqu'il a conclu que la preuve des éléments constitutifs de l'incitation à la contrefaçon n'avait pas été faite relativement à cette partie.

Conclusion / Dispositif proposé

[44]           Je rejetterais l'appel avec dépens.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

C. Michael Ryer, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

D. G. Near, j.c.a. »

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-236-14

 

 

INTITULÉ :

E. MISHAN & SONS, INC. ET BLUE GENTIAN, LLC c.

SUPERTEK CANADA INC., INTERNATIONAL EDGE, INC. ET TELEBRANDS CORP.

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

LE 17 FÉVRIER 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RYER

LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 JUILLET 2015

 

COMPARUTIONS :

Ronald E. Dimock

Alan Macek

 

POUR Les appelantes

 

Andrew I. McIntosh

Adam Bobker

 

POUR Les intimées

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dimock Stratton LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR Les appelantes

 

Bereskin & Parr LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR Les intimées

 

 

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