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Date : 21050717


Dossier : A-319-14

Référence : 2015 CAF 167

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE SCOTT

LE JUGE BOIVIN

 

 

ENTRE :

ANDRÉ THIBODEAU

demandeur

Et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Audience tenue à Montréal (Québec), le 18 juin 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 juillet 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE SCOTT

LE JUGE BOIVIN

 


Date : 20150717


Dossier : A-319-14

Référence : 2015 CAF 167

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE SCOTT

LE JUGE BOIVIN

 

 

ENTRE :

ANDRÉ THIBODEAU

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EN CHEF NOËL

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (la Division d’appel) qui a annulé une décision d’un conseil arbitral rendue suite à une demande de ré-audition. Après avoir conclu dans un premier temps que le demandeur était exclu du bénéfice des prestations pour avoir perdu son emploi en raison de son inconduite, le conseil arbitral en est venu à la conclusion contraire en raison d’un « fait nouveau ».

[2]               Plus précisément, le litige porte sur l’impact d’une entente intervenue après que la première décision fut rendue, entente selon laquelle le conseil arbitral s’est autorisé à modifier sa décision initiale. Les articles 30, 31 et 120 de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la Loi) sont en cause. Ces dispositions sont reproduites en annexe aux présents motifs.

LES FAITS

[3]               Le demandeur travaillait pour l’Office municipal d’habitation de Trois-Rivières (l’employeur) comme concierge lorsqu’il fut congédié. L’employeur a expliqué que la compagnie Cogeco Câble avait déposé une plainte pour utilisation illégale du service de câble. Le visionnement de la bande de caméra de surveillance a permis d’établir que c’était le demandeur qui avait effectué le branchement non autorisé. Il a admis avoir posé ce geste une fois auparavant (décision du conseil arbitral, dossier du demandeur aux pages 61 et 62).

[4]               Le demandeur fut congédié le 25 novembre 2011.

[5]               Suite à son congédiement, le demandeur fit une demande de prestation, laquelle fut refusée par la Commission de l’assurance-emploi (la Commission) au motif qu’il avait perdu son emploi en raison de son inconduite. Ce faisant, la Commission invoquait l’exclusion du bénéfice des prestations prévue au paragraphe 30(1) de la Loi.

[6]               Le demandeur a porté cette décision en appel devant un conseil arbitral. Il a fait valoir qu’il avait agi par compassion pour une personne malade en situation de pauvreté, qu’il était un bon employé et que la sanction était trop sévère. Il a également invoqué l’absence d’une politique claire établissant que le congédiement était une mesure appropriée pour le geste qu’il a commis (décision du conseil arbitral, dossier du demandeur aux pages 63 et 64).

[7]               L’appel du demandeur fut rejeté par décision rendue le 29 mars 2012. Au cours de ses motifs, le conseil arbitral a retenu que le demandeur avait commis le geste une deuxième fois après que Cogeco Câble ait débranché son premier branchement. Bien qu’il plaide la compassion, il a choisi de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes pouvaient avoir sur la relation de confiance qu’il devait avoir avec son employeur (décision du conseil arbitral, dossier du demandeur à la page 66).

[8]               Peu de temps après que cette première décision fut rendue, le demandeur déposa une plainte auprès de son syndicat alléguant qu’il n’avait pas été adéquatement représenté lors de son congédiement. Cette démarche a abouti à une entente tripartite signée le 26 juillet 2012, par le demandeur, son syndicat et son ex-employeur.

[9]               L’entente en question, intitulée « Règlement et Quittance » (l’entente) (dossier du demandeur, pièce 16-3 aux pages 69 et 70) reconnaissait dans son préambule que « les parties veulent régler ce litige hors cour, et ce, sans admission de quelconque responsabilité de part et d’autre ». On y prévoyait entre autres que « [l]’employeur accepte de substituer le congédiement du 25 novembre 2011 en une suspension sans solde d’une durée de trois (3) semaines, » laquelle « suspension […] a pris fin le 9 décembre 2011; » et que « [l]e Salarié renonce à sa réintégration au travail qui devait avoir lieu le 12 décembre 2011 […]; » compte tenu de quoi « [l]’employeur s’engage à [lui] verser une somme de 2 000 $ (brut) […]; ».

[10]           Le 8 août 2012, le demandeur présentait une demande de ré-audition auprès du conseil arbitral aux termes de l’article 120 de la Loi, tel qu’il se lisait au moment pertinent, invoquant l’entente signée le mois précédent comme « fait nouveau ». Selon le demandeur, l’alinéa 30(1)b) et l’article 31 faisaient en sorte que sa suspension le rendait inadmissible aux prestations pendant sa durée faisant ainsi échec à l’exclusion prononcée par la Commission (lettre de l’avocat du demandeur adressée au conseil arbitral en date du 8 août 2012, dossier du demandeur aux pages 67 et 68).

[11]           La demande de ré-audition fut accordée et en date du 26 novembre 2012, le conseil arbitral accordait l’appel qu’il avait initialement rejeté au motif que l’entente changeait « la nature de la sanction ». Plus précisément, l’entente confirmait que le congédiement n’était pas la mesure appropriée dans les circonstances et qu’une suspension de trois semaines « aurait dû » être imposée (décision du conseil arbitral, dossier du demandeur à la page 95).

[12]           La décision du conseil arbitral a pour effet d’annuler l’exclusion imposée au regard des articles 30 et 31 de la Loi et confirme que l’inadmissibilité du demandeur devait se limiter à la durée de la suspension pour inconduite prévue à l’entente, soit aux trois semaines se terminant le 9 décembre 2011.

[13]           Cette décision fut immédiatement portée en appel devant le juge-arbitre. Le dossier étant toujours pendant en date du 1er avril 2013, il fut transféré à la Division d’appel conformément aux dispositions transitoires prévues aux articles 266 et 267 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, L.C. 2012, ch. 19.

[14]           La Division d’appel accueillit l’appel en date du 5 juin 2014. C’est cette décision qui fait l’objet du présent recours.

LA DÉCISION ATTAQUÉE

[15]           La Division d’appel a reconnu que l’entente était un fait nouveau qui donnait ouverture à un réexamen par le conseil arbitral (motifs de la Division d’appel au paragraphe 23). Elle a cependant conclu que ce fait nouveau ne permettait pas au conseil arbitral d’annuler sa décision antérieure.

[16]           Selon la Division d’appel, le défaut du conseil arbitral d’appliquer correctement la Loi constitue une erreur de droit qui justifie son intervention (motifs de la Division d’appel au paragraphe 22).

[17]           La Division d’appel précise que « [r]ien dans [l’entente] ne permet de conclure que l’employeur a retiré l’allégation d’inconduite faite contre [le demandeur]. » (motifs de la Division d’appel au paragraphe 28). Le fait que l’employeur ait accepté de substituer le congédiement en une suspension ne lie pas la Division d’appel (motifs de la Division d’appel au paragraphe 29).

[18]           La Division d’appel en vient à la conclusion que somme toute, « rien dans l’entente […], ne neutralise la position prise par l’employeur […] devant le conseil arbitral. […] » (motifs de la Division d’appel au paragraphe 32).

[19]           La Division d’appel a aussi pris acte de l’argument du demandeur selon lequel « […] les articles 29, 30 et 31 de la Loi excluent explicitement l’application de l’exclusion prévue aux articles 29 et 30 dans le cas où l’article 31 trouve application, soit dans le cas d’une suspension. » (motifs de la Division d’appel au paragraphe 33).

[20]           Selon la Division d’appel cet argument doit être rejeté parce que le demandeur a été congédié en raison de son inconduite. Le fait que suite à une entente subséquente, il a été suspendu plutôt que congédié ne modifie en rien l’inconduite ayant mené à son congédiement initial (motifs de la Division d’appel au paragraphe 34).

[21]           Conséquemment, la Division d’appel a infirmé la décision rendue par le conseil arbitral le 26 novembre 2012 et confirmé celle rendue le 29 mars 2012.

POSITION DES PARTIES

[22]           Le demandeur reproche à la Division d’appel d’avoir justifié son intervention en invoquant que le conseil arbitral aurait commis une erreur de droit. Selon lui, le conseil arbitral n’a commis aucune telle erreur. Il a simplement situé son analyse dans le contexte juridique approprié avant de se rallier à la thèse selon laquelle l’entente a eu pour effet de changer la nature de la sanction (mémoire du demandeur aux paragraphes 23 à 28).

[23]           Plus précisément, l’entente change la nature de la sanction qui « aurait dû être imposée » (mémoire du demandeur au paragraphe 30). Ayant accepté que l’entente remplaçait le congédiement par une suspension, l’effet de la suspension pour inconduite était de rendre le demandeur inadmissible aux prestations pour la durée de la suspension et d’écarter l’application de l’exclusion pour inconduite pour toute la durée de la période de prestations, tel que le prévoient les articles 30 et 31 de la Loi (mémoire du demandeur au paragraphe 32).

[24]           En ce qui a trait à la perte d’emploi reliée à sa non-réintégration, le demandeur prétend qu’en l’absence de preuve, l’on ne peut la rattacher à l’inconduite. Plusieurs autres explications sont possibles, par exemple, que l’emploi n’était tout simplement plus disponible. Selon le demandeur, le fardeau de la preuve à cet égard appartenait à la Commission (Meunier c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), [1996] A.C.F. no 1347 (CAF) (QL), 1996 CanLII 3983 (CAF), au paragraphe 2 (mémoire du demandeur aux paragraphes 33 à 35).

[25]           Au-delà de ce qui précède, le demandeur soutient que la Division d’appel a commis une erreur de droit en substituant son appréciation des faits à celle du conseil arbitral. En l’occurrence, la conclusion du conseil arbitral s’avère une issue acceptable compte tenu de la preuve et de la jurisprudence en la matière (mémoire du demandeur aux paragraphes 37 à 43).

[26]           Finalement, la Division d’appel a erré en droit en adoptant une approche indûment restrictive dans son interprétation du droit applicable. En l’occurrence, la Division d’appel a mal appliqué les critères de l’arrêt Canada (Procureur général) c. Boulton, [1996] A.C.F. no 1682 (CAF) (QL), (1996) 208 N.R. 63 (CAF), vol. I à la page 289 (mémoire du demandeur aux paragraphes 48 à 65).

[27]           Pour sa part, le défendeur maintient que même si la Division d’appel indique avoir décelé l’existence d’une « erreur de droit », une lecture attentive des motifs « révèle plutôt une erreur mixte de fait et de droit puisqu’[elle] considérait déraisonnable la décision du conseil arbitral à l’égard du “fait nouveau”  » (mémoire du défendeur au paragraphe 30).

[28]           Selon le défendeur, la Division d’appel a eu raison d’intervenir parce que le conseil arbitral n’a pas expliqué l’impact de l’entente sur sa décision initiale ni comment cela l’amène à conclure qu’elle doit être annulée (mémoire du défendeur au paragraphe 14). À cet égard, l’entente ne modifie en rien la nature de l’inconduite que le conseil arbitral avait constatée dans sa première décision (mémoire du défendeur au paragraphe 22).

[29]           Quoi qu’il en soit, le demandeur a soit perdu son emploi suite à son inconduite ou quitté son emploi volontairement sans justification. Dans les deux cas, le demandeur devait être exclu du bénéfice des prestations (mémoire du défendeur au paragraphe 29).

[30]           À cet égard, le défendeur remet en cause l’interprétation que fait le demandeur des articles 29, 30 et 31 de la Loi, selon laquelle l’exclusion prévue aux articles 29 et 30 ne peut s’appliquer lorsque l’article 31 est engagé, notamment dans le cas d’une suspension.

[31]           En l’espèce, le demandeur a perdu son emploi en raison de gestes qu’il a volontairement posés. Il a tenté par la suite de se soustraire à l’exclusion en négociant un règlement et en substituant rétroactivement à son congédiement une période de suspension assortie d’une renonciation à la réintégration. Qu’il ait perdu son emploi en raison de son inconduite ou de son départ volontaire, il doit être exclu du bénéfice des prestations suivant l’article 30 de la Loi (mémoire du demandeur au paragraphe 40).

QUESTION EN LITIGE

[32]           La demande de contrôle judiciaire soulève la question à savoir si, eu égard à la norme de contrôle applicable, la Division d’appel pouvait annuler la deuxième décision du conseil arbitral et retenir la première.

[33]           La Division d’appel a justifié son intervention au motif que la substitution du congédiement par la suspension selon les termes de l’entente, n’atténuait en rien le fait que le demandeur avait perdu son emploi suite à son inconduite.

[34]           La Division d’appel a également pris note du fait que le demandeur avait renoncé à son droit de réintégrer son poste selon les termes de l’entente (décision de la Division d’appel au paragraphe 26) ainsi que de l’argument du demandeur selon lequel cette renonciation ne faisait pas en sorte qu’il était exclu du bénéfice des prestations en vertu du paragraphe 30(1) (motif de la Division d’appel au paragraphe 33).

LA NORME DE CONTRÔLE

[35]           Afin de déterminer la norme de contrôle appropriée dans le contexte d’un contrôle judiciaire, la Cour doit entreprendre un processus à deux étapes. D’abord, elle doit vérifier si la jurisprudence établit de manière satisfaisante le degré de retenue correspondant à la catégorie de questions soulevées par la demande de contrôle judiciaire (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 57 [Dunsmuir]). Lorsque la jurisprudence antérieure fournit la réponse et lorsque cette réponse n’a pas été écartée par l’évolution du droit en la matière, la Cour peut s’en remettre à cette jurisprudence (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 au paragraphe 48). Dans le cas contraire, la Cour doit entreprendre sa propre analyse en vue de déterminer la norme applicable (ibidem).

[36]           En l’occurrence, il n’existe aucune décision où cette Cour a été appelée à identifier la norme de contrôle applicable à la révision d’une décision de la Division d’appel portant sur l’application de la Loi. Ceci s’explique par le fait que la Division d’appel a récemment assumé le rôle qui était auparavant celui du conseil arbitral et du juge-arbitre. Il y a donc lieu que l’on entreprenne notre propre analyse.

[37]           Lorsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat, la déférence est habituellement de mise (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 au paragraphe 30 [Alberta Teachers’]). En l’occurrence, la Loi est étroitement liée à son mandat, de sorte que la déférence est présumée être de mise, à moins qu’une considération particulière ne milite dans le sens contraire.

[38]           En effet, Alberta Teachers’ nous enseigne qu’une Cour pourra écarter cette présomption lorsque la nature de la question soulevée par l’affaire en cause le justifie. Parmi ces questions, on retrouve celles revêtant une importance capitale pour le système juridique et qui sont étrangères au domaine d’expertise du décideur ainsi que celles portant sur la délimitation du champ d’action de tribunaux spécialisés à vocation concurrente ou encore celles qui touchent véritablement à la compétence (Atkinson c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 187 au paragraphe 25 [Atkinson]).

[39]           En l’espèce, aucune de ces questions n’est soulevée. La Cour doit simplement se demander si la Division d’appel a erré en refusant de souscrire aux motifs du conseil arbitral quant à l’impact de l’entente sur l’application de l’article 120, du paragraphe 30(1) et l’alinéa 31b) de la Loi.

[40]           La présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable est de mise peut également être écartée lorsque l’analyse des facteurs de l’arrêt Dunsmuir milite en faveur de la norme de la décision correcte (Atkinson au paragraphe 25). Dans Atkinson, notre Cour, sous la plume de la juge Trudel, a effectué l’analyse préconisée par l’arrêt Dunsmuir et a conclu que la norme de la décision raisonnable n’était pas écartée. Même si cette analyse fut effectuée dans le cadre d’un contrôle judiciaire d’une décision de la Division d’appel qui interprétait une autre loi, i.e. le Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8, elle se fonde principalement sur la loi constitutive de la Division d’appel, i.e. Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, L.C. 2005, ch. 34. J’adopte les motifs de la juge Trudel quant à la nécessité d’appliquer une norme de contrôle caractérisée par la retenue lors de l’examen des décisions de la Division d’appel (Atkinson aux paragraphes 27 à 31).

[41]           Je propose donc de revoir les questions que soulève le présent recours telles que décidées par la Division d’appel selon la norme de la décision raisonnable.

[42]           L’analyse de la norme de contrôle applicable doit cependant être poussée plus loin. En effet, nous devons aussi nous interroger sur la norme de contrôle à laquelle la Division d’appel était astreinte en révisant la décision du conseil arbitral.

[43]           À cet égard, la Division d’appel a invoqué le fait qu’elle assume graduellement le rôle qui était auparavant celui du bureau du juge-arbitre et que l’appel de la décision du conseil arbitral s’inscrit dans le cadre de cette transition (motifs de la Division d’appel aux paragraphes 6 et 7). La Division d’appel s’en est remis aux moyens d’appel en vigueur immédiatement avant le 1er avril 2013 de même qu’à la jurisprudence portant sur la norme de contrôle applicable sous ce régime (motifs de la Division d’appel aux paragraphes 7 et 15, citant le paragraphe 115(2) de la Loi, Martens c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 240 [Martens] and Canada (Procureur général) c. Hallée, 2008 CAF 159).

[44]           La Division d’appel a utilisé cette approche puisque selon elle, le demandeur était en droit de s’attendre à être assujetti aux règles en vigueur au moment où il a logé son appel devant le juge-arbitre. Personne ne remet en question cet aspect de la décision de la Division d’appel et la solution qu’elle a adoptée en fonction des attentes légitimes du demandeur, m’apparaît à tout le moins raisonnable. Ce disant, je n’exprime aucun point de vue quant à la norme qui s’appliquera à la révision par la Division d’appel des décisions rendues par la Division générale sous le nouveau régime.

[45]           Selon la jurisprudence sur laquelle s’est fondée la Division d’appel, les décisions du conseil arbitral portant sur des questions de droit doivent être revues par le juge-arbitre selon la norme de la décision correcte (Martens aux paragraphes 30 et 31). De façon plus précise, lorsqu’un conseil arbitral décide si un fait constitue un « fait nouveau » au sens de l’article 120 de la Loi, c’est-à-dire un fait susceptible de lui permettre d’infirmer une décision antérieure, il doit utiliser la bonne approche juridique, et le défaut de ce faire engendrera une erreur de droit (Canada (Procureur général) c. Hines, 2011 CAF 252 aux paragraphes 16 et 17). Par contre, la question de savoir si un « fait nouveau », une fois identifié correctement, fait en sorte qu’une décision antérieure peut être modifiée ou amendée, donne lieu à une question mixte de fait et de droit, qui doit être révisée selon la norme de la décision raisonnable.

DÉCISION

[46]           En l’occurrence, le défendeur reconnaît que l’entente constitue un « fait nouveau » en ce qu’elle est intervenue après que la première décision du conseil arbitral eût été rendue (mémoire du défendeur au paragraphe 33). Il maintient cependant que ce « fait nouveau » ne permettait pas au conseil arbitral de modifier sa première décision et que la Division d’appel a agi de façon raisonnable en annulant sa deuxième décision.

[47]           À cet égard, il existe selon moi deux motifs indépendants qui justifient la décision de la Division d’appel, compte tenu de la norme applicable. Le premier tient du fait que le conseil arbitral, après avoir conclu que l’entente modifiait la sanction en imposant une suspension au lieu d’un congédiement, devait poursuivre son analyse. En effet, le demandeur ayant abandonné le droit de réintégrer son poste selon les termes de l’entente, le conseil arbitral devait se demander s’il n’était pas de toute façon exclu du bénéfice des prestations. Le deuxième soulève la question à savoir si indépendamment de la réponse à cette première question, l’entente permettait au conseil arbitral de modifier sa première décision.

[48]           Quant au premier motif, le demandeur s’en est remis à l’alinéa 30(1)b) de la Loi lequel précise que le paragraphe 30(1) ne s’applique pas si une personne est inadmissible pour l’une des raisons prévues à l’article 31, notamment lorsqu’il y a suspension. Il fait valoir que le conseil arbitral devait mettre fin à l’analyse après avoir constaté que le congédiement avait été remplacé par la suspension puisque le cas échéant, seule son inadmissibilité pendant la durée de la suspension pouvait être envisagée.

[49]           Il suffit de dire à cet égard que l’imposition d’une inadmissibilité en vertu de l’article 31 n’empêche pas d’exclure le prestataire du bénéfice des prestations aux termes de l’article 30 à l’expiration de la période d’inadmissibilité.

[50]           Par exemple, un prestataire suspendu de son emploi pendant trois semaines est inadmissible au bénéfice des prestations pendant cette période suivant l’alinéa 31b). Par ailleurs, s’il choisit à la fin de la période de suspension de ne pas réintégrer son emploi sans justification, l’inadmissibilité prendra fin et le prestataire sera dès lors exclu du bénéfice des prestations selon le paragraphe 30(1).

[51]           Cette lecture donne effet au sens grammatical des mots, lus dans leur contexte et s’harmonise avec le but recherché par le législateur soit, assister ceux et celles qui subissent des pertes d’emploi involontaires.

[52]           Dans un autre ordre d’idée, l’avocat du demandeur a fait valoir que la perte d’emploi reliée à la non-réintégration de son client ne comportait aucune preuve quant à ses causes, de sorte que l’on ne pourrait conclure qu’il a abandonné le droit d’occuper son poste volontairement et sans justification. Il suggère « par exemple » que le demandeur a pu accepter de ne pas réintégrer son emploi parce que le poste qu’il occupait « n’était tout simplement plus disponible » (mémoire du demandeur au paragraphe 33).

[53]           Il suffit de dire à cet égard qu’il s’agit là d’un fait qui aurait été facile à démontrer et qu’en outre l’absence de preuve ne milite pas en faveur du demandeur. C’est lui en effet qui a invoqué l’existence d’un fait nouveau pour contrer la première décision du conseil arbitral et qui avait le fardeau de démontrer qu’il était admissible aux prestations eu égard à l’entente qu’il a signée. Pour ce faire, il devait saisir les tribunaux inférieurs de cette question et démontrer que l’abandon de son droit de réintégration était attribuable à autre chose qu’à la somme de 2 000 $ qu’il a, selon les termes de l’entente, reçue « pour la renonciation à son droit de réintégration ».

[54]           Faute de preuve à l’effet contraire, l’entente doit être acceptée pour ce qu’elle dit.

[55]           L’avocat du demandeur a aussi fait valoir en cours d’instance que l’entente fournissait une vision reconstituée des faits, et qu’en termes réalistes, son client ne peut avoir renoncé à réintégrer son poste au moment où la suspension a pris fin, le 12 décembre 2011 (entente au paragraphe 4). Si j’ai bien compris ses propos, cet aspect de l’entente ne serait pas un reflet véridique des faits et ne devrait pas être pris en compte.

[56]           Il va de soi que tous les aspects de l’entente sont issus d’une reconstitution d’événements passés et je ne vois pas comment nous pourrions écarter de l’entente les aspects qui sont défavorables à la thèse du demandeur, pour ne préserver  que ceux qui la soutiennent.

[57]           J’en viens donc à la conclusion que le conseil arbitral après avoir conclu que l’entente avait eu pour effet de modifier la sanction, se devait de poursuivre l’analyse, et que le cas échéant, le conseil arbitral n’aurait pu faire autrement que de conclure que le demandeur était exclu du bénéfice des prestations pour avoir quitté volontairement son emploi sans justification au sens du paragraphe 30(1) de la Loi.

[58]           Je crois utile d’ajouter que de toute façon, la Division d’appel a agi de façon raisonnable en concluant que l’entente n’avait pas pour effet de modifier la sanction et donc ne permettait pas au conseil arbitral de modifier sa première décision.

[59]           Au-delà des motifs que fait valoir la Division d’appel à ce sujet, l’erreur du conseil arbitral est apparente à la lecture de la phrase suivante que l’on retrouve dans le dispositif de sa décision (décision du conseil arbitral, dossier du défendeur à la page 95) :

Le fait que l’entente stipule qu’une suspension de trois semaines aurait dû et sera imposée [au demandeur] au lieu d’un congédiement constitue véritablement un fait nouveau au sens de l’article 120 de la Loi.

[Mon soulignement]

Ce disant, le conseil arbitral entérinait la lecture proposée par l’avocat du demandeur dans sa lettre du 8 août 2012 selon laquelle « […] les parties ont conclu que les faits à l’origine du présent litige ne devaient donner lieu qu’à une suspension de trois semaines » (dossier du demandeur aux pages 67 et 68).

[60]           Or, les parties à l’entente ont précisé qu’aucune admission de responsabilité n’en découlait. C’est donc que l’employeur n’a pas reconnu qu’il « aurait dû » imposer un licenciement temporaire plutôt qu’un congédiement. Faire dire à l’employeur qu’il a convenu avoir posé le mauvais geste alors que les parties ont précisé que l’entente ne comportait aucune admission de responsabilité donne à l’entente un effet pervers puisque les parties ont accepté de modifier la sanction en refusant expressément de reconnaître que le congédiement n’était pas approprié. Il s’ensuit que la Division d’appel pouvait conclure que l’interprétation donnée à l’entente par le conseil arbitral n’était pas parmi celles qui sont acceptables.

[61]           J’en viens donc à la conclusion que la Division d’appel était en droit d’annuler la deuxième décision rendue par le conseil arbitral et de confirmer la première.

[62]           Je rejetterais la demande de contrôle judiciaire, avec dépens.

« Marc Noël »

Juge en Chef

« Je suis d’accord.

A.F. Scott j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Richard Boivin j.c.a. »

 


ANNEXE

Loi sur l’assurance emploi, L.C. 1996, ch. 23

Exclusion : inconduite ou départ sans justification

Disqualification — misconduct or leaving without just cause

30. (1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas :

30. (1) A claimant is disqualified from receiving any benefits if the claimant lost any employment because of their misconduct or voluntarily left any employment without just cause, unless

a) que, depuis qu’il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures requis, au titre de l’article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage;

(a) the claimant has, since losing or leaving the employment, been employed in insurable employment for the number of hours required by section 7 or 7.1 to qualify to receive benefits; or

b) qu’il ne soit inadmissible, à l’égard de cet emploi, pour l’une des raisons prévues aux articles 31 à 33.

(b) the claimant is disentitled under sections 31 to 33 in relation to the employment.

Exclusion non touchée par une perte d’emploi subséquente

Length of disqualification

(2) L’exclusion vaut pour toutes les semaines de la période de prestations du prestataire qui suivent son délai de carence. Il demeure par ailleurs entendu que la durée de cette exclusion n’est pas affectée par la perte subséquente d’un emploi au cours de la période de prestations.

(2) The disqualification is for each week of the claimant’s benefit period following the waiting period and, for greater certainty, the length of the disqualification is not affected by any subsequent loss of employment by the claimant during the benefit period.

Rétroactivité

Not retroactive

(3) Dans les cas où l’événement à l’origine de l’exclusion survient au cours de sa période de prestations, l’exclusion du prestataire ne comprend pas les semaines de la période de prestations qui précèdent celle où survient l’événement.

(3) If the event giving rise to the disqualification occurs during a benefit period of the claimant, the disqualification does not include any week in that benefit period before the week in which the event occurs.

Suspension de l’exclusion

Suspension

(4) Malgré le paragraphe (6), l’exclusion est suspendue pendant les semaines pour lesquelles le prestataire a autrement droit à des prestations spéciales.

(4) Notwithstanding subsection (6), the disqualification is suspended during any week for which the claimant is otherwise entitled to special benefits.

Restriction : application des articles 7 et 7.1

Restriction on qualifying for benefits

(5) Dans les cas où le prestataire qui a perdu ou quitté un emploi dans les circonstances visées au paragraphe (1) formule une demande initiale de prestations, les heures d’emploi assurable provenant de cet emploi ou de tout autre emploi qui précèdent la perte de cet emploi ou le départ volontaire et les heures d’emploi assurable dans tout emploi que le prestataire perd ou quitte par la suite, dans les mêmes circonstances, n’entrent pas en ligne de compte pour l’application de l’article 7 ou 7.1.

(5) If a claimant who has lost or left an employment as described in subsection (1) makes an initial claim for benefits, the following hours may not be used to qualify under section 7 or 7.1 to receive benefits:

(a) hours of insurable employment from that or any other employment before the employment was lost or left; and

(b) hours of insurable employment in any employment that the claimant subsequently loses or leaves, as described in subsection (1).

Restriction : nombre de semaines et taux de prestations

Restriction on number of weeks and rate of benefits

(6) Les heures d’emploi assurable dans un emploi que le prestataire perd ou quitte dans les circonstances visées au paragraphe (1) n’entrent pas en ligne de compte pour déterminer le nombre maximal de semaines pendant lesquelles des prestations peuvent être versées, au titre du paragraphe 12(2), ou le taux de prestations, au titre de l’article 14.

(6) No hours of insurable employment in any employment that a claimant loses or leaves, as described in subsection (1), may be used for the purpose of determining the maximum number of weeks of benefits under subsection 12(2) or the claimant’s rate of weekly benefits under section 14.

Précision

Interpretation

(7) Sous réserve de l’alinéa (1)a), il demeure entendu qu’une exclusion peut être imposée pour une raison visée au paragraphe (1) même si l’emploi qui précède immédiatement la demande de prestations — qu’elle soit initiale ou non — n’est pas l’emploi perdu ou quitté au titre de ce paragraphe.

(7) For greater certainty, but subject to paragraph (1)(a), a claimant may be disqualified under subsection (1) even if the claimant’s last employment before their claim for benefits was not lost or left as described in that subsection and regardless of whether their claim is an initial claim for benefits.

Inadmissibilité : suspension pour inconduite

Disentitlement — suspension for misconduct

31. Le prestataire suspendu de son emploi en raison de son inconduite n’est pas admissible au bénéfice des prestations jusqu’à, selon le cas :

31. A claimant who is suspended from their employment because of their misconduct is not entitled to receive benefits until

a) la fin de la période de suspension;

(a) the period of suspension expires;

b) la perte de cet emploi ou son départ volontaire;

(b) the claimant loses or voluntarily leaves the employment; or

c) le cumul chez un autre employeur, depuis le début de cette période, du nombre d’heures d’emploi assurable exigé à l’article 7 ou 7.1.

(c) the claimant, after the beginning of the period of suspension, accumulates with another employer the number of hours of insurable employment required by section 7 or 7.1 to qualify to receive benefits.

Modification de la décision

Amendment of decision

120. La Commission, un conseil arbitral ou le juge-arbitre peut annuler ou modifier toute décision relative à une demande particulière de prestations si on lui présente des faits nouveaux ou si, selon sa conviction, la décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel ou a été fondée sur une erreur relative à un tel fait.

120. The Commission, a board of referees or the umpire may rescind or amend a decision given in any particular claim for benefit if new facts are presented or if it is satisfied that the decision was given without knowledge of, or was based on a mistake as to, some material fact.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-319-14

 

INTITULÉ :

ANDRÉ THIBODEAU c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 juin 2015

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

 

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE SCOTT

LE JUGE BOIVIN

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 juiLLET 2015

 

 

COMPARUTIONS :

Jean-Guy Ouellet

Pour le demandeur

 

Dominique Guimond

Laurent Brisebois

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ouellet Nadon et Associées

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

 

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