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Date : 20150603


Dossier : A-299-14

Référence : 2015 CAF 137

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE WEBB

LE JUGE BOIVIN

 

ENTRE :

APOTEX INC.

appelante

et

ALLERGAN INC. ET ALLERGAN, INC.

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 26 mai 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 3 juin 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE BOIVIN


Date : 20150603


Dossier : A-299-14

Référence : 2015 CAF 137

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE WEBB

LE JUGE BOIVIN

 

 

ENTRE :

APOTEX INC.

appelante

et

ALLERGAN INC. ET ALLERGAN, INC.

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]               Pour les motifs publiés sous la référence 2014 CF 567, un juge de la Cour fédérale a rendu un jugement interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Apotex Inc. à l’égard de la version générique du médicament LUMIGAN RC avant l’expiration du brevet canadien no 2,585,691 (le brevet 691). L’ordonnance d’interdiction a été rendue à la demande d’Allergan Inc. et Allergan, Inc. (Allergan) en application du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133. Le juge était d’avis que les allégations d’évidence, de manque d’utilité et d’antériorité formulées par Apotex n’étaient pas justifiées (motifs de la Cour fédérale, aux paragraphes 2, 36, 45 et 51).

[2]               Dans le cadre du présent appel du jugement de la Cour fédérale, Apotex réitère dans une large mesure les mêmes arguments qu’elle a présentés devant la Cour fédérale. Elle fait également valoir que les motifs de la Cour fédérale expliquant pourquoi le brevet 691 n’était pas évident sont inadéquats.

[3]               Je suis d’avis que l’appel ne peut être accueilli pour les motifs suivants.

[4]               En ce qui concerne le caractère adéquat des motifs de la Cour fédérale, Apotex soutient que les motifs ne tiennent pas compte de parties importantes de la preuve et des arguments qu’elle a présentés ainsi que des précédents qu’elle a invoqués, et qu’ils n’expliquent pas pourquoi le juge a donné préséance à la preuve présentée par les témoins d’Allergan plutôt qu’à celle de ses témoins.

[5]               Dans sa plaidoirie, Apotex a reconnu qu’elle n’affirmait pas que le juge avait tiré des conclusions qui n’étaient pas étayées par la preuve. Elle a plutôt soutenu qu’il y avait des éléments de preuve contradictoires et que le juge n’avait pas expliqué pourquoi il avait préféré une version à une autre. Toutefois, une cour de révision est en droit de présumer qu’un juge a examiné tous les éléments de preuve; le fait de retenir la déposition de certains témoins de préférence à celle d’autres témoins ne peut en soi démontrer que le juge a oublié, négligé d’examiner ou mal interprété la preuve d’une manière qui a influé sur sa conclusion (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 46). Compte tenu du volumineux dossier dont disposait la Cour fédérale et du fait que le juge a bien saisi toutes les questions en litige et que toutes ses conclusions étaient étayées par des éléments de preuve, les motifs étaient adéquats lorsqu’on les lit en toute impartialité.

[6]               Apotex soutient ensuite que, bien que la Cour fédérale ait énoncé correctement le critère à quatre étapes de l’examen relatif à l’évidence formulé dans l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265, elle a commis des erreurs de droit et de fait dans l’application de chacune des étapes de l’analyse.

[7]               Après avoir examiné chacune des erreurs alléguées, je suis convaincue de ce qui suit :

  1. La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur dans son interprétation de l’idée originale qui sous-tend le brevet 691. Apotex soutient essentiellement que la Cour fédérale a inféré l’idée originale de données contenues dans le brevet 691. Dans l’arrêt Sanofi, au paragraphe 77, la Cour suprême a jugé qu’il n’était pas facile de saisir l’idée originale sous-tendant les revendications en litige dans cette affaire à partir des seules revendications. Il était donc acceptable de se fonder sur le mémoire descriptif du brevet pour interpréter l’idée originale. En l’espèce, les revendications pertinentes concernaient une composition chimique et l’utilisation de cette composition pour traiter le glaucome ou l’hypertension intraoculaire chez un mammifère. La Cour fédérale a conclu que la composition revendiquée ne permettait pas de définir l’idée originale qui sous-tendait les revendications, et elle a donc interprété l’idée originale en lisant le brevet comme un tout. Ce faisant, la Cour fédérale a interprété l’idée originale à la lumière de la divulgation du brevet du point de vue du lecteur versé dans l’art. Il ne s’agissait pas d’une erreur de droit, et il n’a pas été démontré que la conclusion de la Cour fédérale concernant l’idée originale comportait une erreur manifeste et dominante.
  2. La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a déterminé quel était l’état de la technique à la date de revendication. Comme je l’ai déjà indiqué, Apotex soutient que la Cour a négligé d’examiner ou mal interprété des éléments de preuve, qu’elle a tiré des inférences déraisonnables et qu’elle est arrivée à une conclusion qui n’était pas étayée par la preuve. L’analyse de la Cour fédérale concernant l’état de la technique est susceptible de contrôle selon la norme déférente de l’erreur manifeste et dominante, et Apotex a reconnu que les conclusions de la Cour fédérale étaient toutes étayées par la preuve.
  3. La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu qu’il y avait des différences entre l’état de la technique et l’idée originale. La retenue s’impose à l’égard de cette conclusion aussi. Compte tenu des conclusions de la Cour fédérale au sujet de l’état de la technique et de l’idée originale, Apotex n’a pas démontré que la conclusion selon laquelle il y avait des différences entre les deux était entachée d’une erreur manifeste ou dominante.
  4. La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que les différences entre l’état de la technique et l’idée originale n’allaient pas de soi. Elle a tiré les conclusions suivantes : les différences importantes entre les revendications en litige et l’état de la technique n’auraient pas été évidentes pour la personne versée dans l’art; la formulation du LUMIGAN RC a nécessité des étapes expérimentales et inventives; de longs essais dispendieux ont dû être menés avant d’arriver à l’invention revendiquée; enfin, ces efforts ont permis d’obtenir un produit qui s’est avéré être un succès commercial. Ces conclusions de fait étaient fondées sur des éléments de preuve admissibles, et elles étayaient la conclusion selon laquelle la composition en litige n’était pas évidente. Il n’a pas été démontré que ces conclusions constituaient des erreurs manifestes et dominantes.

[8]               Apotex soutient ensuite que l’utilité de l’invention n’a pas été valablement prédite parce que le raisonnement à partir duquel le résultat escompté peut être inféré n’a pas été divulgué expressément dans le brevet. Comme la Cour fédérale l’a noté à juste titre, citant à l’appui l’arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, [2002] 4 R.C.S. 153, au paragraphe 70, un brevet sera valide sur le fondement d’une prédiction valable d’utilité si l’inventeur a, à la date de la demande de brevet, un raisonnement clair et valable dont on peut inférer, à partir du fondement factuel, l’utilité prédite et si ce raisonnement est convenablement divulgué au public.

[9]               La Cour fédérale a cerné le fondement factuel de la prédiction (les concentrations inhibitrices minimales de plusieurs composés testées sur différentes bactéries et des données comparatives) et le raisonnement qui découlerait de ces données pour le lecteur versé dans l’art. Comme notre Cour l’a fait remarquer dans l’arrêt Eurocopter c. Bell Helicopter Textron Canada Ltée, 2013 CAF 219, 449 NR 111, aux paragraphes 152 et  153, le fondement factuel, le raisonnement et le niveau de divulgation requis en vertu de la règle de la prédiction valable doivent être appréciés en fonction des connaissances qu’aurait une personne versée dans l’art pour fonder cette prédiction ainsi que de la compréhension que cette personne aurait du raisonnement logique conduisant à établir l’utilité de l’invention. Les éléments visés par la règle de la prédiction valable qui seraient évidents pour la personne versée dans l’art n’ont pas besoin d’être divulgués explicitement dans le brevet.

[10]           Enfin, en Cour fédérale, Apotex a soutenu que les revendications en litige se heurtaient à l’antériorité du brevet canadien no 2,144,967 (le brevet 967). La Cour fédérale a présumé – mais sans trancher la question – que le brevet 691 était un brevet de sélection, et elle a conclu que le brevet 967 n’antériorisait pas le brevet 691 s’il ne décrivait pas, en tant que brevet de genre, les avantages particuliers de l’invention visée par le brevet 691. Il s’agit d’un énoncé correct du droit formulé par la Cour suprême dans l’arrêt Sanofi, au paragraphe 32. La Cour fédérale a ensuite tiré deux conclusions : premièrement, le brevet antérieur ne divulguait pas l’avantage particulier du brevet 691; deuxièmement, le brevet antérieur n’aurait pas permis à la personne versée dans l’art de réaliser l’invention visée par le brevet 691 parce qu’une étape inventive était requise. Ce sont des conclusions de fait.

[11]           Dans le présent appel, Apotex n’a pas démontré que ces conclusions constituaient des erreurs manifestes et dominantes, ce qui porte un coup fatal à son argument selon lequel le brevet 691 était antériorisé par le brevet 967.

[12]           La façon dont la Cour fédérale a interprété l’idée originale et la conclusion à laquelle elle est parvenue en ce qui concerne la prédiction valable de l’utilité du brevet 691 constituaient des éléments essentiels de ses motifs. Ces conclusions reposaient sur la conclusion de la Cour selon laquelle l’avis de M. Stella était convaincant (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 42) et sur son rejet des préoccupations d’Apotex (motifs de la Cour fédérale, aux paragraphes 43 et 44). Il n’a pas été démontré que ces conclusions constituaient des erreurs justifiant l’intervention de notre Cour.

[13]           En conséquence, je rejetterais l’appel avec dépens.

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Wyman W. Webb j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Richard Boivin j.c.a. »

Traduction


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-299-14

 

 

INTITULÉ :

APOTEX INC. c ALLERGAN INC. ET ALLERGAN, INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 26 mai 2015

 

motifs du jugement :

la juge DAWSOn

 

y ont souscrit :

LE JUGE WEBB

LE JUGE BOIVIN

 

DATE des motifs :

LE 3 juin 2015

 

COMPARUTIONS :

Andrew Brodkin

Dino Clarizio

Michel Shneer

 

POUR L’APPELANTE

 

Andrew Reddon

Steven Mason

Steven Tanner

Sanjaya Mendis

 

POUR LES INTIMÉES ALLERGAN INC. et ALLERGAN, INC.

Aucune comparution

POUR L’INTIMÉ LE MINISTRE DE LA SANTÉ

AVOCATS INSCRITS :

Goodmans LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR LES INTIMÉES ALLERGAN INC. ET ALLERGAN, INC.

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

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