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Date : 20150724


Dossier : A-68-14

Référence : 2015 CAF 168

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE STRATAS

LE JUGE SCOTT

 

ENTRE :

FÉDÉRATION CANADO-ARABE (FCA)

appelante

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

intimé

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 3 mars 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 24 juillet 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE SCOTT


Date : 20150724


Dossier : A-68-14

Référence : 2015 CAF 168

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE STRATAS

LE JUGE SCOTT

 

ENTRE :

FÉDÉRATION CANADO-ARABE (FCA)

appelante

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]               Pendant un certain nombre d’années, la Fédération canado-arabe (Fédération) offrait des cours de langue pour les immigrants au Canada dans le cadre du programme Cours de langue pour les immigrants au Canada (CLIC). L’entente de contribution qui régissait la relation entre la Fédération et le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration Canada (CIC) durant la période de 2007 à 2009 a expiré le 31 mars 2009. La Fédération et CIC ont entamé des négociations au sujet du prochain cycle de financement, mais le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration de l’époque, l’honorable Jason Kenney, a décidé que CIC ne conclurait pas une autre entente de contribution avec la Fédération. Voici un extrait de la lettre qui avisait la Fédération de la décision du ministre :  

[traduction]

[…] Certaines déclarations que vous et d’autres dirigeants de la FCA avez faites publiquement ont soulevé de graves préoccupations. Ces déclarations comprenaient la fomentation de la haine et de l’antisémitisme ainsi que le soutien au Hamas et au Hezbollah, des organisations terroristes interdites.

La nature désobligeante de ces déclarations publiques — en ce qu’elles semblent refléter le soutien évident accordé par la FCA à des organisations terroristes et des positions qu’elle a prises qui sont probablement antisémites — soulève de sérieuses questions quant à l’intégrité de votre organisme et a ébranlé la confiance du gouvernement en la FCA en tant que partenaire convenable pour la prestation de services d’établissement aux immigrants. Par conséquent, CIC ne conclura pas une autre entente de contribution avec la FCA une fois que l’entente susmentionnée sera expirée.

[2]               Pour les motifs dont la référence est 2013 CF 1283, la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire visant la décision du ministre. La Cour est maintenant saisie de l’appel du jugement de la Cour fédérale.

[3]               Dans le présent appel, la Fédération soutient que la Cour fédérale a commis une erreur de droit en concluant que :

i)        Le ministre n’avait aucune obligation d’équité procédurale envers la Fédération quand il a décidé que son ministère ne conclurait pas une autre entente de contribution avec elle;

ii)      Le droit de la Fédération à la liberté d’expression n’a pas été violé par la décision de ne pas conclure une autre entente de contribution;

iii)    La décision du ministre était raisonnable.

[4]               Pour les motifs qui suivent, j’estime que le ministre n’avait aucune obligation d’équité procédurale envers la Fédération, que le droit de la Fédération à la liberté d’expression n’a pas été violé et que la décision du ministre était raisonnable. Je rejetterais donc le présent appel avec dépens.

I.                   Le ministre avait-il une obligation d’équité procédurale envers la Fédération?

[5]               La question préliminaire de savoir si le ministre avait une obligation d’équité procédurale envers la Fédération quand il a décidé que son ministère ne conclurait pas une nouvelle entente de contribution avec elle est une question de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[6]               La conclusion de la Cour fédérale selon laquelle le ministère n’était assujetti à aucune obligation d’équité reposait essentiellement sur le fait que la nature de la relation entre la Fédération et CIC était purement commerciale. Aucune disposition, ni législative ni contractuelle, ne prévoyait l’imposition d’obligations au ministre  relatives à l’équité procédurale; par conséquent, il n’y avait aucune obligation d’équité (motifs, au paragraphe 38). Subsidiairement, la Cour fédérale a conclu que la Fédération n’avait pas de droit, de privilège ou de bien touché par la décision qui serait suffisant pour imposer au ministre une obligation d’équité (motifs, au paragraphe 54).

[7]               Dans son argumentation orale, l’avocat du ministre a candidement reconnu que la principale raison pour laquelle la Cour fédérale a conclu qu’il n’existait aucune obligation d’équité pose problème, car, selon l’analyse de la Cour, la relation entre la Fédération et CIC appartenait au droit privé alors que, juridiquement, la relation présentait des éléments de droit public et de droit privé.

[8]               Comme l’avocat du ministre l’a aussi reconnu, l’analyse requise en l’espèce est l’analyse exposée dans des arrêts comme Cardinal c. Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, et Martineau c. Comité de discipline de l’Institution Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602. Dans l’arrêt Cardinal, à la page 653 de ses motifs, la Cour suprême a confirmé que, à titre de principe général de common law, une obligation de respecter l’équité dans la procédure incombe à tout organisme public qui rend des décisions administratives qui touchent les droits, privilèges ou biens d’une personne.

[9]               La Cour fédérale s’est fondée sur les facteurs suivants pour conclure que la Fédération n’avait pas de droits, de privilèges ou de biens suffisants pour faire naître une obligation d’équité :

i)        La Fédération n’avait pas droit au financement relatif au CLIC (motifs, au paragraphe 56);

ii)      La légitimité ajoutée qui résultait du fait que la Fédération a passé un contrat avec CIC ne constituait pas un intérêt suffisant pour imposer des obligations relatives à l’équité procédurale. Autrement, toute partie qui a un contrat avec le gouvernement acquerrait tout à coup des droits procéduraux (motifs, au paragraphe 57);

iii)    Le partage des coûts d’infrastructure avec les autres activités de la Fédération n’est pas un intérêt suffisant pour imposer une obligation d’équité. Le financement pour le programme CLIC était offert selon le principe du recouvrement des coûts pour les dépenses liées au programme CLIC (motifs, au paragraphe 58).

[10]           Dans le présent appel, la Fédération ne conteste pas sérieusement ces conclusions. D’ailleurs, elle admet que l’entente de contribution ne lui accordait aucun avantage commercial. La Fédération soutient plutôt que la décision était une condamnation — la Fédération était effectivement considérée comme une partisane du terrorisme et de l’antisémitisme. L’atteinte à la réputation revêt une importance particulière pour un organisme communautaire à but non lucratif; par conséquent, la Fédération soutient qu’il s’agit d’un intérêt suffisant pour faire naître l’obligation d’équité procédurale.

[11]           Pour les motifs qui suivent, je ne partage pas ce point de vue.

[12]           Tout d’abord, la Fédération a été incapable de citer la moindre décision selon laquelle le droit relatif à la réputation constitue un intérêt suffisant pour faire naître des obligations relatives à l’équité procédurale. L’avocat a parlé du fait que, dans le cadre d’une enquête publique, la personne incriminée doit être informée par un préavis et avoir la possibilité de se faire entendre avant qu’un rapport défavorable ne soit rédigé. Cette obligation est d’origine législative : article 13 de la Loi sur les enquêtes, L.R.C. 1985, ch. I-11. Comme cette obligation ne découle pas de la common law, cet exemple n’est d’aucune utilité pour la Fédération.

[13]           Ensuite, quand les tribunaux ont conclu qu’il existait une obligation d’équité procédurale en common law, les droits, privilèges ou biens qui étaient en jeu étaient qualitativement plus importants que le droit à la réputation invoqué en l’espèce (voir, par exemple, l’article de Donald J.M. Brown et de John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, feuilles mobiles (Toronto : Carswell, 2014) p. 7-53 à 7-55).

[14]           Enfin, je conviens avec la Cour fédérale que si la Fédération se voyait accorder des droits procéduraux en l’espèce, tous les demandeurs qui se verraient refuser une entente de contribution auraient alors le droit d’être informés du fait que leur proposition ne sera pas acceptée et d’avoir la possibilité de répondre aux préoccupations du ministre. Cela limiterait sensiblement la capacité du ministre de prendre, de manière expéditive, des décisions d’ordre général fondées sur des politiques. Comme l’a écrit la Cour fédérale au paragraphe 58 de ses motifs, « [l’]intérêt du public l’emportait largement sur tout intérêt accessoire que la [Fédération] peut avoir eu pour un ministre ayant le pouvoir discrétionnaire de rendre des décisions rapidement, par opposition à un autre qui est paralysé par la procédure ».

II.                Le droit de la Fédération à la liberté d’expression a-t-il été violé par la décision?

[15]           Devant la Cour fédérale, le ministre a reconnu, et la Cour a conclu, que les activités de défense des droits de la Fédération constituent une forme d’expression protégée. Selon la Cour fédérale, la décision qui fait autorité est l’arrêt de la Cour suprême Baier c. Alberta, 2007 CSC 31, [2007] 2 R.C.S. 673. En appliquant l’arrêt Baier, la Cour fédérale a qualifié le droit invoqué par la Fédération de droit positif parce que la Fédération cherchait à obtenir un droit positif à des fonds pour son programme CLIC et, par extension, son activité d’expression (motifs, au paragraphe 84). La Cour fédérale a ensuite conclu qu’il n’existait pas de droit positif au financement parce que le droit d’administrer le programme CLIC n’est pas fondé sur une liberté fondamentale. De même, les efforts déployés par la Fédération pour la défense des droits collectifs n’ont pas été affectés de manière importante parce que la Fédération a continué d’exprimer ses idées sur le conflit israélo-palestinien (motifs, au paragraphe 93). Il n’y avait donc pas de manquement à l’alinéa 2b) de la Charte.

[16]           Dans le présent appel, la Fédération soutient qu’une fois que la Cour fédérale a conclu que ses activités de défense des droits constituaient une forme d’expression protégée, il fallait se demander si la décision du gouvernement, par son objet ou son intention, a indûment entravé l’activité expressive de la Fédération. La Fédération s’appuie sur le principe américain des [traduction] « conditions inconstitutionnelles » pour faire valoir que, même quand une personne n’a pas « droit » à un avantage gouvernemental précieux, il existe certains motifs que le gouvernement ne peut pas invoquer quand il refuse d’accorder l’avantage. Un gouvernement ne peut pas refuser d’accorder un avantage à une personne pour un motif qui viole ses droits protégés par la Constitution, surtout la liberté d’expression (voir, par exemple, Perry v. Sinderman, 408 U.S. 593 (1972)).

[17]           À mon avis, il n’est pas nécessaire de citer de la jurisprudence américaine.

[18]           Aux fins de mon analyse, je suis prêt à présumer, sans me prononcer sur la question, que les activités de défense des droits de la Fédération sont des activités expressives et que, par conséquent, l’alinéa 2b) de la Charte s’applique.

[19]           La Cour suprême a conclu que les décideurs administratifs doivent agir conformément aux valeurs sous-jacentes à l’octroi de leur pouvoir discrétionnaire. Ces valeurs comprennent les valeurs consacrées par la Charte (Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 R.C.S. 395). Pour savoir si une décision viole la Charte, la cour se demande si le décideur a limité, de manière disproportionnée et, par conséquent, déraisonnable, un droit protégé par la Charte.

[20]           Pour appliquer les valeurs consacrées par la Charte à l’exercice du pouvoir discrétionnaire, le décideur doit d’abord examiner les objectifs législatifs qui sont en jeu et la nature de la décision. Ensuite, il doit se demander quelle est la meilleure façon de protéger les valeurs consacrées par la Charte compte tenu des objectifs énoncés dans la loi. Le décideur doit établir un équilibre entre la gravité de l’atteinte au droit protégé et les objectifs législatifs. Le critère de proportionnalité est respecté si la mesure choisie se situe à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables.

[21]           Dans le contexte d’un contrôle judiciaire, il s’agit donc de déterminer si — « en évaluant l’incidence de la protection pertinente offerte par la Charte et compte tenu de la nature de la décision et des contextes légal et factuel — la décision est le fruit d’une mise en balance proportionnée des droits en cause protégés par la Charte » (Doré, au paragraphe 57). La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Doré, au paragraphe 45).

[22]           Après avoir appliqué ces principes en l’espèce, je conclus que la valeur consacrée par la Charte est la liberté d’expression.

[23]           En ce qui concerne les objectifs législatifs et la nature de la décision, on retrouve parmi les objectifs de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, en matière d’immigration, la promotion de l’intégration des résidents permanents au Canada (alinéa 3(1)e)). Le ministre est chargé de l’application de la Loi (paragraphe 4(1)). Il est également chargé de la mise en œuvre de la Loi sur le multiculturalisme canadien, L.R.C. 1985, ch. 24 (4e suppl.). Aux termes de l’alinéa 3(1)c) de cette loi, la politique du gouvernement fédéral consiste à promouvoir la participation entière et équitable des individus et des collectivités de toutes origines à l’évolution de la nation et au façonnement de tous les secteurs de la société, et à les aider à éliminer tout obstacle à une telle participation.

[24]           Les articles 3 et 4 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et la politique du Conseil du Trésor sur les paiements de transfert confèrent au ministre un large pouvoir discrétionnaire sans lui imposer des critères servant à orienter sa décision de conclure ou non des ententes de contribution. Ces dispositions n’obligent pas non plus le ministre à conclure une nouvelle entente de contribution avec une entité après l’expiration de celle en vigueur. De plus, le programme CLIC a deux objectifs : il offre des cours de langue, mais il facilite aussi l’intégration sociale, économique et civique des immigrants à la société canadienne. Pour atteindre ce dernier objectif, les cours doivent être donnés dans un environnement qui démontre que la tolérance et le respect mutuel sont des valeurs fondamentales de la société canadienne.

[25]           Dans le cadre de l’examen de la gravité de l’atteinte à l’activité expressive de la Fédération, il convient de souligner que le financement prévu dans l’entente de contribution devait couvrir les dépenses admissibles engagées pour appliquer le programme CLIC. Comme la Fédération le reconnaît, l’entente de contribution ne lui donnait aucun avantage commercial. D’ailleurs, la Cour fédérale a conclu que les efforts déployés par la Fédération pour la défense des droits collectifs n’avaient pas été affectés de manière importante puisque la Fédération a continué d’exprimer ses idées sur le conflit israélo-palestinien, malgré qu’elle ne concluait pas une nouvelle entente de contribution.

[26]           À mon avis, il importe peu de savoir si les allégations faites contre la Fédération selon lesquelles elle semblait promouvoir la haine et l’antisémitisme et soutenir le Hamas et le Hezbollah, des organisations terroristes interdites, sont vraies ou non. Le ministre pouvait raisonnablement penser que le lien entre la Fédération et le programme CLIC pourrait avoir pour effet de miner l’intégrité du programme CLIC et la confiance du public dans ce programme.

[27]           Dans ce contexte, j’estime que la décision de ne pas conclure une nouvelle entente de contribution avec la Fédération constituait une réponse proportionnée qui traitait de la préoccupation du ministre en tenant compte de la valeur de l’expression consacrée par la Charte.

III.             La décision du ministre était-elle raisonnable?

[28]           La Cour fédérale a conclu que la norme de contrôle applicable à la décision du ministre était celle de la décision raisonnable et a affirmé que la décision du ministre appartenait aux issues raisonnables.

[29]           En appel de cette partie de la décision, notre Cour doit déterminer si la Cour fédérale a choisi la bonne norme de contrôle et si elle l’a bien appliquée (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, au paragraphe 45).

[30]           Dans le présent appel, les parties conviennent que la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée. Je suis d’accord. La Fédération soutient toutefois que la décision n’était pas raisonnable pour les raisons suivantes :

         La décision était arbitraire et constituait un abus de pouvoir.

         La décision devait être limitée par le but et l’objet de la loi.

         Les pas « coupures dans le financement » d’un programme de formation linguistique géré par la Fédération n’ont rien à avoir avec le fait que le gouvernement veut légitimement empêcher la violence et protéger la sécurité du Canada.

         Les « coupures constituaient » un effort manifeste de supprimer toute critique de l’État d’Israël.

         La Fédération n’est pas antisémite.

[31]           Avant de se pencher sur les arguments de la Fédération, il est important d’examiner le contexte dans lequel le ministre a pris sa décision. En effet, la Cour suprême a souligné que, bien la raisonnabilité constitue une norme unique, elle « s’adapte au contexte » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 59).

[32]           Comme les juges Rothstein et Moldaver l’ont expliqué dans l’arrêt Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 R.C.S. 458, au paragraphe 74 (dissidents, mais pas sur ce point), le « contexte factuel et juridique dans lequel une décision est rendue est crucial pour évaluer sa raisonnabilité, pour la simple raison que “[l]e caractère raisonnable n’existe pas dans l’absolu [renvoi omis]” ». Par conséquent, le contexte « définit » les issues raisonnables.

[33]           En l’espèce, le contexte dépend de la nature de la décision : le ministre a décidé si son ministère allait faire appel à la Fédération ou à un autre fournisseur de services pour fournir, à l’avenir, le programme CLIC. La décision était discrétionnaire; le ministre n’avait à tenir compte d’aucun facteur. La décision était fondée sur l’opinion de principe du ministre selon laquelle le gouvernement fédéral ne devrait pas financer certaines organisations. Comme le directeur des Communications du ministre l’a déclaré dans son affidavit :

[traduction] [L]es citoyens et les organisations privées sont libres d’exprimer leurs opinions, mais ils n’ont pas droit à une subvention financière des contribuables. À cette fin, les groupes qui promeuvent la haine, y compris l’antisémitisme, ou qui excusent le terrorisme et la violence, ne devraient pas bénéficier de quelque reconnaissance officielle ou subvention que ce soit de la part de l’État.

[34]           Les tribunaux accordent au décideur une grande latitude pour ce type de décision. Comme lord Neuberger (souscrivant au résultant) a écrit dans le jugement R (on the application of Rotherham Metropolitan Borough Council and others) v. Secretary of State for Business, Innovation and Skills, [2015] UKSC 6, au paragraphe 78 — l’appel d’une demande de contrôle judiciaire des décisions du gouvernement en matière de financement —  il est [traduction] « particulièrement difficile pour un tribunal d’évaluer et, par conséquent, de critiquer et de désapprouver » les décisions fondées sur des politiques.

[35]           Par ailleurs, comme la majorité l’a fait remarquer dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 27, le contrôle judiciaire est « intimement lié au maintien de la primauté du droit ». Le contrôle judiciaire s’intéresse à la tension sous-jacente à la relation entre la primauté du droit et, en l’espèce, l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire conféré par une loi fédérale. Les tribunaux doivent maintenir la primauté du droit, tout en évitant toute immixtion injustifiée dans l’exercice de fonctions déterminées par le législateur. Par conséquent, même si les décisions de ce type bénéficient d’une marge d’appréciation étendue, elles ne sont pas à l’abri d’un contrôle.

[36]           Après avoir examiné le contexte, je me penche maintenant sur le caractère raisonnable de la décision du ministre. L’analyse de la Cour fédérale se trouve aux paragraphes 101 à 108 de ses motifs. Je ne vois aucune erreur dans l’analyse de la Cour.

[37]           Voici ce que je pense des arguments soulevés en appel par la Fédération.

[38]           Tout d’abord, une décision autorisée par la loi est déraisonnable si elle est rendue pour des raisons arbitraires ou pour des raisons qui n’ont aucun rapport avec les objets de la loi (Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, aux pages 140 à 143 et 156). La Fédération soutient que la décision était contraire à l’objet de la loi, mais elle ne démontre pas pourquoi il en est ainsi.

[39]           La politique du Conseil du Trésor sur les paiements de transfert souligne que les paiements de ce type qui sont faits en vertu d’une entente de contribution constituent un « instrument essentiel du gouvernement afin de mettre de l’avant ses vastes objectifs et priorités ».

[40]           Fait plus important, le caractère approprié d’un fournisseur de services constitue une composante inhérente au processus de sélection engagé dans le cadre du programme CLIC. Cela est particulièrement vrai quand, comme le reconnaît la Fédération, le programme vise à aider les immigrants à comprendre le mode de vie canadien. Cela ressort des lignes directrices pour l’établissement des programmes d’études du CLIC. Parmi les [traduction] « sujets d’enseignement », on retrouve :

         les avantages de la diversité;

         le lien entre le multiculturalisme et l’identité canadienne;

         le respect du caractère culturel distinct; et

  • des façons de combattre le racisme et l’intolérance.

[41]           La décision de ne pas choisir la Fédération comme fournisseur de services — du fait que des représentants ont fait certaines déclarations publiques qui semblent appuyer le terrorisme et des positions qui sont probablement antisémites — ne peut pas être considérée comme contraire à l’objet de la loi pertinente.

[42]           Ensuite, la Fédération a eu tort de se fonder sur l’arrêt Roncarelli. Dans cet arrêt, le décideur a révoqué un privilège généralement accessible pour une raison qui n’avait rien à avoir avec la loi. En l’espèce, comme l’a conclu la Cour fédérale, le ministre a agi dans le cadre du mandat dont il dispose pour la poursuite de l’éducation des immigrants au Canada et l’inculcation des valeurs canadiennes.

[43]           Puis, la Fédération soutient que son financement a été « coupé » à des fins illégitimes. Cependant, aucune erreur n’a été démontrée dans la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle le ministre a décidé de ne pas distribuer des ressources limitées pour financer la Fédération parce qu’elle n’était pas un organisme fournisseur de services convenable.

[44]           Enfin, comme l’affirme le ministre, les avis sont partagés quant à la question de savoir ce qui constitue de l’antisémitisme et la question de savoir si la conduite de la Fédération pouvait être perçue comme antisémite. La Cour fédérale a conclu que le dossier était « rempli » d’articles de presse et de déclarations qui appuyaient la façon dont le ministre avait qualifié la Fédération (motifs, au paragraphe 107). Ces différents points de vue démontrent que la décision du ministre appartenait aux issues raisonnables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

IV.             Conclusion

[45]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

David Stratas, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

A.F. Scott, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

A-68-14

 

 

INTITULÉ :

FÉDÉRATION CANADO-ARABE (FCA) c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 MARS 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 JUILLET 2015

 

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman

Paul Champ

Hadayt Nazami

 

POUR L’APPELANTE

 

Mary Matthews

Nur Muhammad-Ally

 

POUR L’INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman Nazami & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

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