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Date : 20150818


Dossiers : A-346-13

A-379-13

Référence : 2015 CAF 181

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 

ENTRE :

ABB TECHNOLOGY AG, ABB INC.

et ABB AG

appelantes

et

HYUNDAI HEAVY INDUSTRIES CO., LTD.

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 14 mai 2014.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 18 août 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 


Date : 20150818


Dossiers : A-346-13

A-379-13

Référence : 2015 CAF 181

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 

ENTRE :

ABB TECHNOLOGY AG, ABB INC.

et ABB AG

appelantes

et

HYUNDAI HEAVY INDUSTRIES CO., LTD.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STRATAS

[1]               ABB Technology AG, ABB Inc. et ABB AG (ensemble, « ABB ») interjettent appel devant notre Cour de deux jugements rendus par la Cour fédérale.

[2]               Dans la première affaire (A-346-13), ABB appelle du jugement de la Cour fédérale rendu le 11 septembre 2013 (par le juge Barnes), répertorié à 2013 CF 947. Par ce jugement, la Cour fédérale a rejeté l’allégation d’ABB selon laquelle l’intimée, Hyundai Heavy Industries Co., Ltd. (Hyundai), a contrefait les brevets canadiens no 2,567,781 (le brevet 781) et no 2,570,772 (le brevet 772). Elle a aussi accueilli la demande reconventionnelle de Hyundai et déclaré les brevets 772 et 781 invalides.

[3]               Dans la deuxième affaire (A-379-13), ABB fait appel du jugement de la Cour fédérale rendu le 17 octobre 2013 (par le juge Barnes), répertorié à 2013 CF 1050. Par ce jugement, la Cour fédérale a fixé à 350 000 $ les dépens adjugés à Hyundai.

[4]               Dans les présents motifs, je tranche les deux appels. La copie des présents motifs sera versée dans chacun des dossiers d’appel.

[5]               Par les motifs qui suivent, je suis d’avis de rejeter les deux appels.

A.                Exposé des principaux faits

[6]               ABB et Hyundai fabriquent et vendent des ensembles d’appareillage de connexion à isolation gazeuse. Elles sont concurrentes.

[7]               Les brevets en cause en l’espèce visent des ensembles d’appareillage de connexion à isolation gazeuse utilisés dans une transmission électrique. Un ensemble d’appareillage de connexion consiste en une combinaison de composants qui sont conçus pour contrôler en toute sécurité l’alimentation électrique circulant du côté entrant (source) vers le côté sortant (charge électrique). Ces composants comprennent des disjoncteurs, des barres omnibus, des sectionneurs à déconnexion, des transformateurs de mesure, des raccords de câble et des dispositifs de contrôle.

[8]               Les ensembles à haute tension (HT), dont ceux présentés en l’espèce, peuvent poser un risque, comme des arcs électriques (circulation de l’électricité dans l’air). Ces arcs peuvent exploser et mettre la vie en danger.

[9]               Pour éviter la génération d’arcs, la connexion des composants connectés doit être solide et les composants séparés doivent le demeurer. Au cours des années 1930, une technologie d’isolation gazeuse a commencé à être appliquée aux appareillages de connexion à HT. Les ensembles étaient logés dans des compartiments étanches au gaz, généralement de l’hexafluorure de soufre, un gaz présentant d’excellentes propriétés d’isolation et d’extinction des arcs.

[10]           Les ensembles comportent également un autre composant de sécurité principal, soit le disjoncteur. Celui-ci sert à déconnecter la source d’alimentation en cas d’anomalie. Le disjoncteur doit parfois faire l’objet d’un entretien, situation dans laquelle il doit être déconnecté du circuit par une mise à la terre. En Amérique du Nord, on utilise généralement à cette fin un interrupteur de mise à la terre distinct placé sous le disjoncteur.

[11]           Cette méthode complique le dimensionnement du compartiment dans lequel est logé l’appareillage de connexion à isolation gazeuse. Le brevet 772 définit ce problème comme suit :

[traduction]

Le sectionneur de la section sortante, de pair avec celui du compartiment de la barre omnibus, assure l’isolation entre le potentiel à la terre de la section sortante et le potentiel à HT de la barre omnibus.

Toutefois, il est souvent impossible de mettre en oeuvre cette méthode en raison des dimensions prédéterminées du boîtier et de la disposition des compartiments fonctionnels individuels.

[12]           Dans le brevet 772, les inventeurs revendiquent la solution à ce problème par le grossissement du compartiment vers les connexions de câble. Le brevet 772 définit, plus particulièrement, la solution comme suit :

[traduction]

D’après l’invention, le compartiment des disjoncteurs est dimensionné de manière à y loger les disjoncteurs, les sectionneurs et les conducteurs de mise à la terre du côté sortant.

En d’autres termes, pour une conception aussi compacte que possible qui présente des dimensions externes pratiquement identiques (largeur, hauteur et profondeur de l’ensemble d’appareillage de connexion), on ne modifie que le compartiment de disjoncteurs; il est élargi vers les connexions de câble (hauteur) et peut loger les trois dispositifs requis (le disjoncteur, le sectionneur et le conducteur de mise à la terre du côté de la section sortante).

[13]           Le brevet 781, quant à lui, vise un problème différent. Pour s’assurer que le disjoncteur est bien mis à la masse, il faut vérifier la position de l’interrupteur de mise à la terre; tâche qui peut être difficile, puisque l’interrupteur est logé dans l’ensemble d’appareillage de connexion.

[14]           Le brevet 781 a permis de résoudre ce problème par une fenêtre placée sur l’ensemble d’appareillage de connexion qui assure une visibilité directe sur l’interrupteur; il suffit de regarder par la fenêtre pour vérifier la position de l’interrupteur de mise à la terre. Des marques colorées ou topographiques sur l’élément mobile de l’interrupteur facilitent davantage cette vérification.

[15]           Hyundai a vendu à B.C. Hydro un grand nombre d’ensembles d’appareillage de connexion à isolation gazeuse.

[16]           Par la suite, ABB a intenté une action en contrefaçon de brevet contre Hyundai devant la Cour fédérale. ABB alléguait que les ensembles d’appareillage de connexion contrefaisaient de nombreuses revendications du brevet 772 et du brevet 781. Hyundai a demandé, tant dans sa défense que dans sa demande reconventionnelle, que les deux brevets soient déclarés invalides.

[17]           L’action d’ABB a été bifurquée vers un procès sur la responsabilité et les procédures ultérieures, le cas échéant, sur la question des dommages‑intérêts.

[18]           À l’issue du procès sur la question de la responsabilité, la Cour fédérale a rejeté l’action en contrefaçon d’ABB et accueilli la demande reconventionnelle en déclarant les brevets 772 et 781 invalides. Certaines conclusions de la Cour fédérale seront examinées en détail ci‑après. Des dépens de 350 000 $ ont été adjugés à Hyundai.

[19]           ABB attaque les conclusions de la Cour fédérale sur les questions de la responsabilité et des dépens.

[20]           En ce qui a trait à la question de la responsabilité, j’examinerai les brevets suivant l’ordre dans lequel la Cour fédérale les a examinés : d’abord le brevet 781, puis le brevet 772.

B.        Analyse

(1)        La norme de contrôle applicable

[21]           La question fondamentale que devait trancher la Cour fédérale portait sur l’interprétation des revendications contenues dans les brevets en question.

[22]           Dans le présent appel, on peut dire qu’il n’y a pas controverse entre les parties sur la norme de contrôle applicable à l’interprétation des brevets par la Cour fédérale. Nous examinerons cette interprétation selon la norme de la décision correcte : Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067, aux paragraphes 61 et 76.

[23]           Toutefois, la déférence s’impose à l’égard de la Cour fédérale en ce qui a trait à son appréciation des preuves, particulièrement au témoignage des experts, qui a eu une incidence sur cette interprétation : Mylan Pharmaceuticals ULC c. AstraZeneca Canada Inc., 2012 CAF 109, 432 N.R. 292, au paragraphe 20; Wenzel Downhole Tools Ltd. c. National-Oilwell Canada Ltd., 2012 CAF 333, [2014] 2 CF 459, au paragraphe 44; Bell Helicopter Textron Canada Limitée c. Eurocopter, société par actions simplifiée, 2013 CAF 19, 449 N.R. 111, aux paragraphes 73 et 74; Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, à la page 537, 122 D.L.R. (3d) 203; Corlac Inc. c. Weatherford Canada Inc., 2011 CAF 228, 95 C.P.R. (4th) 101, au paragraphe 24.

[24]           Lorsque le témoignage d’expert influe sur l’interprétation et particulièrement lorsque la Cour fédérale accorde la préférence au témoignage d’un expert en particulier plutôt qu’à celui d’autres experts, l’appelant doit démontrer pour obtenir gain de cause que la Cour fédérale a commis une « erreur manifeste et dominante » : voir notamment l’arrêt Cobalt Pharmaceuticals Company c. Bayer Inc., 2015 CAF 116, au paragraphe 15. Il s’agit d’une norme rigoureuse :

[46]      L’erreur manifeste et dominante constitue une norme de contrôle appelant un degré élevé de retenue : H.L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 R.C.S. 401; Peart c. Peel Regional Police Services (2006), 217 O.A.C. 269 (C.A.), aux paragraphes 158 et 159; arrêt Waxman, précité. Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, et par erreur « dominante », une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier.

[47]           Lorsqu’on applique le concept de l’erreur manifeste et dominante, il est utile de bien garder à l’esprit les raisons pour lesquelles ce concept constitue une norme appropriée dans une cause aussi complexe que la présente affaire.

[…]

[49]           Les juges de première instance qui, jour après jour et semaine après semaine, sont plongés dans des procès longs et complexes comme c’est le cas en l’espèce, occupent une position unique et privilégiée. Armés des outils de la logique et de la raison, ils étudient et examinent tous les témoignages et toutes les pièces. Au fil du temps, une appréciation des faits se dégage, évolue et finalement prend la forme d’un récit factuel, plein d’interconnexions, de détails et de nuances complexes.

(R. c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, 431 N.R. 286.)

[25]           La témoignage d’expert a cette incidence parce que les brevets s’interprètent toujours du point de vue du lecteur versé dans l’art : arrêt Whirlpool, précité, au paragraphe 45. Ce lecteur aborde le brevet avec une appréciation des connaissances générales usuelles qui s’appliquent à l’art auquel se rapporte le brevet en question. Comme cela n’est pas du ressort des juges, les parties présentent presque toujours un témoignage d’expert pour expliquer de quelle façon le lecteur versé dans l’art lira et comprendra le brevet : Whirlpool, précité, aux paragraphes 57 à 62; Free World Trust c. Electro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024, au paragraphe 51.

[26]           Par conséquent, comme je l’ai récemment expliqué à l’occasion de l’affaire Cobalt, précitée, au paragraphe 17, il demeure concrètement que le juge lit presque toujours un brevet par le prisme que lui fournissent les experts qu’il considère comme crédibles et exacts : Unilever PLC c. Procter & Gamble Inc. (1995), 61 C.P.R. (3d) 499, aux pages 506 et 507, 184 N.R. 378 (CAF). Et, souvent ces experts, des personnes versées dans l’art, s’appuient sur ce qu’ils ont appris, parfois en traitant de questions de nature factuelle faisant partie de leurs connaissances qui sont pertinentes dans le cadre de l’exercice d’interprétation : Cobalt, précité, au paragraphe 18; Novartis AG v. Dexcel-Pharma Limited, [2008] EWHC 1266 (Pat), [2008] All E.R. (D) 97, au paragraphe 21. Pour cette raison, en pratique, la norme de contrôle de l’erreur manifeste et dominante joue souvent en matière d’interprétation de brevet qui sont largement tributaires de l’appréciation et de l’évaluation des experts par la Cour fédérale.

[27]           A l’occasion de l’affaire Cobalt, précitée, aux paragraphes 20 à 24, j’ai discuté la question de savoir si, compte tenu de ces éléments et d’autres aspects à considérer, le temps était venu de réexaminer la thèse selon laquelle les juridictions d’appel doivent appliquer la norme de la décision correcte en matière d’interprétation de brevet.

[28]           Toutefois, en l’espèce, comme je l’ai fait à l’occasion de l’affaire Cobalt, j’appliquerai aux questions d’interprétation de brevets, la norme de contrôle telle qu’en vigueur à l’heure actuelle tant que la Cour suprême du Canada ne sera pas penchée à nouveau sur ce sujet.

[29]           Comme nous le verrons, la Cour fédérale a tiré des conclusions sur la question de l’évidence. Il s’agit d’une question mélangée de fait et de droit. À moins que le juge saisi de la demande n’ait commis une erreur de droit isolable, son analyse relative à l’évidence est susceptible de contrôle selon la norme de l’erreur manifeste et dominante : Cobalt, au paragraphe 48; Wenzel Downhole Tools, au paragraphe 44.

[30]           Enfin, la Cour fédérale a aussi tiré des conclusions sur la question de la contrefaçon. Il s’agit d’une question mélangée de fait et de droit : il faut interpréter les revendications du brevet (question de droit) et ensuite rechercher si, selon les faits, il y a eu contrefaçon de ces revendications. Si la Cour fédérale a bien interprété les revendications, la question de la contrefaçon n’est alors en réalité qu’une question de fait susceptible de contrôle selon la norme de l’erreur manifeste et dominante : Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004 CSC 34, [2004] 1 R.C.S. 902, au paragraphe 30; Halford c. Seed Hawk Inc., 2006 CAF 275, 275 D.L.R. (4th) 556, au paragraphe 11; AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien‑être social), 2002 CAF 421, 22 C.P.R. (4th) 1, aux paragraphes 29 et 30.

(2)        Le brevet 781

[31]           Le brevet 781 compte huit revendications. La revendication 1 est une revendication indépendante, tandis que les revendications 2 à 8 sont dépendantes. Elles sont rédigées en ces termes :

[traduction]

Les réalisations de l’invention, au sujet desquelles un droit exclusif de propriété ou de privilège est revendiqué, sont définies comme suit :

1. Un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse qui comporte au moins un sectionneur dans le boîtier de la partie remplie de gaz isolant de l’ensemble et qui est muni d’une fenêtre d’inspection installée dans le boîtier de sorte qu’un élément de contact mobile d’un sectionneur : puisse être vu à l’œil nu depuis l’extérieur du boîtier selon une ligne d’observation directe à travers la fenêtre d’inspection ou puisse être vu depuis l’extérieur du boîtier selon une ligne d’observation indirecte à travers la fenêtre d’inspection, par l’entremise d’au moins un miroir, à l’œil nu, sauf pour ledit miroir.

2. Un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse tel que défini dans la revendication 1 dont la fenêtre d’inspection est installée dans le boîtier de façon à ce que le joint avec le boîtier soit étanche.

3. Un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse tel que défini dans la revendication 2 muni d’un dispositif déclenché par surpression installé dans le boîtier qui se déclenche avant la pression de rupture du joint d’étanchéité de la fenêtre d’inspection.

4. Un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse tel que défini dans les revendications 1, 2 et 3 dans lequel l’élément de contact mobile du sectionneur est muni d’un repère coloré ou topographique qui change de position par rapport à un repère ou une structure de référence fixe en fonction de la position de l’élément de contact du sectionneur.

5. Un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse tel que défini dans la revendication 4 dans lequel, pour inspecter les positions de sectionneur dans une disposition polyphasée, les positions de la fenêtre d’inspection et du repère et de la structure de référence sont choisies en relation les unes avec les autres de façon à ce que cette dernière puisse être inspectée de façon sécuritaire.

6. Un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse tel que défini dans la revendication 4 ou 5 dans lequel des moyens d’éclairage sont disposés à l’extérieur du boîtier de façon à pouvoir éclairer le repère ou la structure de référence en vue de son inspection.

7. Un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse tel que défini dans l’une ou l’autre des revendications 1 à 6 dans lequel, en vue de permettre l’inspection de la position des sectionneurs dans une installation polyphasée, une ou plusieurs fenêtres d’inspection sont disposées.

8. Un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse tel que défini dans l’une ou l’autre des revendications 1 à 7, qui est un ensemble d’appareillage moyenne tension à isolation gazeuse.

[32]           La Cour fédérale considère la Revendication 1 comme la principale du brevet 781. Par elle, est  revendiquée l’utilisation d’une fenêtre d’inspection pour déterminer la position de sectionneurs. Elle qualifie les sectionneurs en d’ « élément de contact mobile ».

[33]           Le sens de ces mots clés « élément de contact mobile » fut une question fondamentale devant la Cour fédérale. Dans l’abstrait, un « élément de contact mobile » peut viser deux types possibles d’éléments de contact mobile, c’est-à-dire les « sectionneurs à couteau » et les « sectionneurs à contact glissant ». ABB a reconnu que l’antériorité mentionnait l’utilisation de fenêtres pour observer la position de sectionneurs à couteau. Si l’on interprétait les mots « élément de contact mobile » de manière à désigner les sectionneurs à couteau et ceux à contact glissant, la revendication devenait invalide.

[34]           ABB a donc, bien évidemment, soutenu devant la Cour fédérale que les mots « élément de contact mobile » ne désignaient que des sectionneurs à contact glissant. Elle a soutenu que, selon l’« approche téléologique », la Cour fédérale devait retenir une interprétation favorable à la validité des brevets.

[35]           La Cour fédérale a rejeté cette thèse, concluant (au paragraphe 27) que « [le breveté] doit d’ailleurs rédiger le brevet en des termes assez clairs pour que les concurrents en comprennent les limites ». À son avis, « [b]ien que la Cour doive rester ouverte à l’intention présumée de l’inventeur », cela ne lui permet pas d’adopter « une interprétation qui ignore effectivement le libellé des revendications » (au paragraphe 26).

[36]           Pour étayer ce point, la Cour fédérale a cité le passage suivant du paragraphe 51 de l’arrêt Free World Trust, précité :

L’interprétation des revendications avec le concours d’un destinataire versé dans l’art donne au breveté l’assurance que certains termes et concepts seront considérés par le tribunal à la lumière du témoignage d’un expert concernant leur sens technique. Les mots choisis par l’inventeur seront interprétés selon le sens que l’inventeur est présumé avoir voulu leur donner et d’une manière qui est favorable à l’accomplissement de l’objet, exprès ou tacite, des revendications. Cependant, l’inventeur qui s’exprime mal ou qui crée par ailleurs une restriction inutile ou complexe ne peut s’en prendre qu’à lui‑même. Le public doit pouvoir s’en remettre aux termes employés à condition qu’ils soient interprétés de manière équitable et éclairée. [Non souligné dans l’original.]

[37]           En s’instruisant davantage sur la question de l’approche à privilégier pour l’interprétation des brevets, la Cour fédérale a repris les observations de la Cour suprême au paragraphe 49 de l’arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067, où elle a cité abondamment l’arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, aux pages 520 et 521, 56 C.P.R. (2d) 145. La Cour suprême a mis l’accent sur les points suivants :

                     Le brevet doit être interprété d’une manière qui soit compatible avec « la réalisation de son objet », à savoir une intention « exprimée par des mots dont le sens doit être respecté ». Mais les mots apparaissent « dans un contexte qui fournit généralement des indices quant à la façon de les interpréter ainsi qu’une protection contre leur mauvaise interprétation ». L’« objet » général « fait partie intégrante » du contexte.

                     L’accent doit être mis sur le « libellé des revendications interprété dans le contexte de l’ensemble du mémoire descriptif », comme le voit objectivement la personne fictive versée dans l’art.

[38]           Cela implique qu’il faille « considérer l’ensemble de la divulgation et des revendications pour déterminer la nature de l’invention et son mode de fonctionnement ». Il s’agit d’un exercice neutre – « sans être ni indulgent ni dur » et ni « trop rusé ou formaliste » – qui procure un résultat « raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public ». En d’autres termes, si le « texte […], interprété de façon raisonnable, peut se lire de façon à accorder à l’inventeur l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi », nous devons « chercher à mettre cette interprétation à effet ».

[39]           À mon avis, en énonçant ces principes, la Cour fédérale s’est bien instruite des principes d’interprétation des brevets.

[40]           ABB prie notre Cour d’adopter une « interprétation téléologique ». Elle soutient que la Cour fédérale a commis une erreur de droit en retenant une approche [traduction] « purement grammaticale » pour l’interprétation du brevet 781.

[41]           ABB incite ainsi notre Cour à accorder moins d’importance au libellé du brevet. En effet, elle souligne l’expression « interprétation téléologique », employée au début dans l’arrêt Catnic Components Ltd. c. Hill & Smith Ltd., [1982] R.P.C. 183, dans le résumé, et demande à la Cour d’interpréter l’élément essentiel — « élément à contact mobile » — d’une manière qui confirme la validité du brevet.

[42]           Les mots « interprétation téléologique » employés dans l’ arrêt Catnic – lesquels sont parfois répétés dans la jurisprudence concernant l’interprétation des brevets – doivent être interprétés avec circonspection.

[43]           Premièrement, notre Cour est liée par la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, c. P-4, et, en l’espèce, plus particulièrement, par les prescriptions de l’article 27, qui dispose que les mots choisis par le titulaire du brevet jouent nécessairement un rôle clé dans l’interprétation de son brevet.

[44]           Deuxièmement, comme la Cour suprême l’a signalé à l’occasion de l’affaire Whirlpool, précitée, au paragraphe 39, cette expression est « fort compatible » avec les principes tirés de la jurisprudence Consolboard, reproduits au paragraphe 37 précédemment. L’« interprétation téléologique » n’est pas un processus qui fait abstraction des mots employés dans le brevet et du contexte dans lequel ils apparaissent. Tenir compte du libellé du brevet favorise l’équité et la prévisibilité, et l’inventeur qui crée une restriction inutile dans ce libellé, si elle est interprétée comme essentielle, « ne peut s’en prendre qu’à lui‑même » : Free World Trust, précité, au paragraphe 51.

[45]           Comme la Cour suprême l’a observé à l’occasion de l’affaire Whirlpool, précitée, au paragraphe 42 :

Le contenu du mémoire descriptif d’un brevet est régi par l’art. 34 de la Loi sur les brevets. La première partie est une « divulgation » dans laquelle le breveté doit fournir une description de l’invention « comportant des détails assez complets et précis pour qu’un ouvrier, versé dans l’art auquel l’invention appartient, puisse construire ou exploiter l’invention après la fin du monopole » : Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, à la p. 517. La divulgation est ce que l’inventeur fournit en contrepartie d’un monopole de 17 ans (maintenant 20 ans) sur l’exploitation de l’invention. […] [I]l importe que le public sache ce qui est interdit et ce qu’il peut faire sans risque lorsque le brevet est encore en vigueur. Les revendications qui concluent le mémoire descriptif servent d’avis public et doivent énoncer « distinctement et en termes explicites les choses ou combinaisons que le demandeur considère comme nouvelles et dont il revendique la propriété ou le privilège exclusif » (par. 34(2) [maintenant, par. 27(4)]. L’inventeur n’est pas tenu de revendiquer un monopole sur tout élément nouveau, ingénieux et utile qui est divulgué dans le mémoire descriptif. La règle habituelle veut que ce qui n’est pas revendiqué soit considéré comme ayant fait l’objet d’une renonciation.

[46]           À mon avis, la Cour fédérale avait raison d’éviter d’interpréter le brevet d’une manière qui aurait indûment fait abstraction de son libellé. Lorsque le libellé du brevet peut avoir plusieurs significations plausibles, il faut l’interpréter de « façon raisonnable […], de façon à accorder à l’inventeur l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi » (Consolboard, précité, à la page 521). Mais, c’est à bon droit que la Cour fédérale a affirmé que ce principe ne signifie pas que, dans tous les cas, elle doive retenir « une interprétation discutable ayant pour effet de maintenir le brevet ». La Cour fédérale a ajouté (au paragraphe 29) :

Dans la plupart des cas, le libellé, interprété de façon contextuelle et objective, permettra d’établir son objet et d’assurer ainsi sa réalisation. J’ajouterai que l’approche téléologique n’invite pas la Cour à ignorer les règles courantes de la grammaire et de la syntaxe. Si la caractéristique essentielle d’un brevet est définie de manière spécifique, et qu’un autre terme plus général susceptible d’englober cette caractéristique spécifique est aussi employé, normalement on ne déduira pas que les deux termes veulent dire la même chose. L’utilisation de termes différents sert habituellement à distinguer les caractéristiques les unes des autres et non pour exprimer une synonymie.

Je souscris à ces observations de la Cour fédérale.

[47]           En appliquant ces principes, la Cour fédérale ne pouvait tout simplement pas conclure que l’élément essentiel – « élément de contact mobile » – est limité aux sectionneurs à contact glissant. Pour tirer cette conclusion, elle a relevé les points suivants, dont plusieurs découlaient de son appréciation et de son appréciation du témoignage d’expert dont elle disposait (aux paragraphes 44 à 47) :

                     D’après sa définition, les mots « s’applique entièrement aux sectionneurs à couteau », qui comportent également un « élément de contact mobile » (paragraphe 44).

                     Il ressort des  preuves qu’il peut être difficile de voir la position d’un couteau à travers une fenêtre, ce qui signifie qu’un « élément de contact mobile » visible par une fenêtre peut consister en un sectionneur à couteau (paragraphe 42).

                     Le témoignage rendu par l’expert d’ABB, M. Leone, n’allait pas de manière uniforme dans le sens de la position d’ABB (paragraphe 43).

                     « Les deux types de sectionneurs étaient clairement présents à l’esprit des inventeurs », puisqu’à la première page de la description, on peut lire que [traduction] « les sectionneurs à trois positions classiques sont appelés sectionneurs à course linéaire ou sectionneurs à couteau ». Les sectionneurs sont ensuite simplement appelés « sectionneurs » dans le reste du brevet. La Cour fédérale a conclu que les revendications n’étaient pas limitées aux « sectionneurs linéaires », puisque le mot global « sectionneurs » a été utilisé au lieu de « sectionneurs linéaires » (paragraphe 44). En d’autres termes, l’ébauche utilisait des mots qui décrivaient avec aisance les deux types de sectionneurs, plutôt que seulement les sectionneurs linéaires ou à contact glissant (paragraphe 45).

                     Le témoignage rendu par l’expert d’ABB, M. Leone, a miné son interprétation (paragraphe 45).

                     Dans l’ensemble, la Cour fédérale a retenu l’interprétation du brevet avancée par l’expert de Hyundai, M. Nilsson (paragraphe 47).

[48]           Le fait que le brevet 781 ne se limite aucunement aux sectionneurs linéaires allait également dans le sens de l’interprétation de la Cour fédérale. Le brevet n’utilise en fait le terme qu’une fois, d’une manière dont il ressort qu’un « élément de contact mobile » peut viser les deux types de sectionneurs : [traduction] «les sectionneurs à trois positions classiques sont appelés sectionneurs à course linéaire ou sectionneurs à couteau » (brevet 781, page 1, lignes 28 et 29).

[49]           Je ne vois aucune erreur dans l’interprétation de la Cour fédérale du brevet 781. Elle a correctement interprété les mots clés « élément de contact mobile » de manière à englober les deux types d’éléments de contact mobile possibles, soit les sectionneurs à couteau et ceux à contact glissant.

[50]           J’ajouterais que, dans la mesure où l’interprétation du brevet 781 dépendait – pour une large part, je dirais – de l’appréciation de la crédibilité des experts entendus, il incombait à ABB de démontrer que la Cour fédérale avait commis une erreur manifeste et dominante. ABB ne m’a pas convaincu de l’existence d’une erreur manifeste et dominante.

[51]           Devant notre Cour, ABB soutient que, lorsque deux interprétations d’un brevet sont possibles, celle qui est favorable à la validité (en l’espèce, la nouveauté) doit être préférée. Par conséquent, de l’avis d’ABB, la Cour fédérale a commis une erreur en ne retenant pas à l’égard du brevet 781 une interprétation qui aurait confirmé sa validité.

[52]           J’ai déjà discuté, dans une certaine mesure, cet argument précédemment. En l’espèce, en interprétant le libellé de la revendication 1 et son contexte à l’aide du prisme utilisé par les experts auxquels elle a accordé sa préférence, la Cour fédérale n’a trouvé rien d’ambigu dans ce libellé. La Cour fédérale a conclu que les mots « élément de contact mobile » visaient tant les sectionneurs à couteau que ceux à contact glissant. Comme je l’ai expliqué précédemment, il n’y a pas lieu d’écarter l’interprétation que la Cour fédérale a donnée à ce libellé. Au final, la revendication contenue dans ce libellé peut à tort avoir embrassé trop large. Or, la mission de la Cour fédérale et de notre Cour se limite à interpréter le libellé et ne consiste pas à le réécrire : Free World Trust, précité, aux paragraphes 58 à 50. Une réécriture enlèverait toute crédibilité au rôle d’avis public des brevets, qui procurent aux lecteurs des indications claires et précises concernant l’étendue du monopole conféré : Free World Trust, aux paragraphes 42 et 43.

[53]           Devant notre Cour, ABB invoque les arrêts Whirlpool et Eurocopter, précités, à l’appui de la doctrine selon laquelle un terme qui comprend deux variantes doit être interprété comme n’ayant qu’une seule variante. A l’occasion de l’affaire Whirlpool, la Cour suprême a interprété le mot « ailette » comme signifiant une ailette rigide, et non une ailette flexible. A l’occasion de l’affaire Eurocopter, la Cour a interprété les mots « traverse arrière » comme signifiant une traverse verticale, et non une traverse horizontale.

[54]           Je rejette l’idée que l’on peut dégager de cette jurisprudence une doctrine liant notre Cour, selon laquelle un terme qui comprend deux variantes doit être interprété comme n’ayant qu’une seule variante. Le brevet doit être interprété conformément à la méthode exposée précédemment. Il ne s’agit pas d’un ensemble de règles distinctes et non liées n’ayant rien à voir avec le concept de fond.

[55]           Dans les affaires Whirlpool et Eurocopter, les mémoires descriptifs des brevets en question n’enseignaient pas l’emploi des deux variantes, ce qui explique pourquoi les cours ont conclu que la revendication en question se limitait à l’une des deux variantes possibles. En l’espèce, toutefois, le mot « sectionneur » employé dans les revendications du brevet 781 est défini dans la divulgation comme englobant à la fois les sectionneurs linéaires et les sectionneurs à couteau. Il ne ressort nullement de la divulgation que ce terme doit être limité aux seuls sectionneurs linéaires.

[56]           En outre, en l’espèce, les experts de Hyundai, dont le témoignage a été retenu de façon générale par la Cour fédérale, interprétaient « élément de contact mobile » comme englobant les deux variantes. La Cour fédérale a retenu ce témoignage. Dans l’affaire Whirlpool, par contre, nul des experts n’était d’avis que le brevet enseignait l’emploi de l’une des variantes (ailettes flexibles).

[57]           Par conséquent, à mon avis, les faits des affaires Whirlpool et Eurocopter différaient de ceux de l’espèce.

[58]           Devant notre Cour, ABB soutient également que, comme les figures contenues dans le brevet 781 montrent seulement un sectionneur linéaire, le brevet 781 ne peut viser que ce type de sectionneur. La Cour fédérale a examiné cet argument, et l’a rejeté en faisant remarquer qu’il était signalé dans le brevet 781 que les figures n’étaient que des [traduction] « exemples », à savoir qu’elles représentaient des variantes possibles, et non les seules variantes possibles. Je ne vois aucun motif de modifier cette conclusion. D’ailleurs, les figures en l’espèce ne sont pas dissemblables de celles dont il était question dans l’affaire Whirlpool, lorsque la Cour suprême a conclu (au paragraphe 54) qu’elles étaient « d’une certaine utilité », mais qu’elles n’étaient « guère concluant[es] » parce que la divulgation du brevet les désignait comme une « variante préférée ». En l’espèce, le brevet 781 ne mentionne même pas le mot « préféré », mais il dit plutôt que les figures ne sont que des [traduction] « exemples ».

[59]           ABB soutient également que le brevet 781 avait pour objet de résoudre un problème particulier aux sectionneurs linéaires. Il était toutefois loisible à la Cour fédérale de conclure autrement. Les inventeurs du brevet 781 n’ont pas établi de distinction entre les deux types de sectionneurs lorsqu’ils ont discuté l’antériorité et exposé le problème qu’il est censé résoudre. La norme de contrôle pertinente est celle de l’erreur manifeste et dominante, et ABB n’a pas réussi à me convaincre qu’il a été satisfait à cette norme.

[60]           Enfin, ABB souligne qu’aucun élément de preuve ne contredisait expressément le témoignage de ses experts devant la Cour fédérale. Toutefois, même si tel était le cas, il n’y a pas lieu de conclure que la Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante. La Cour fédérale n’est pas obligée de retenir une preuve du simple fait qu’elle n’a pas été contredite. Elle peut rejeter cette preuve, pourvu que son raisonnement ressorte explicitement ou de manière évidente de ses motifs considérés à la lumière du dossier et qu’il soit acceptable. Voir de façon générale Barclays Bank PLC v. Devonshire Trust, 2013 ONCA 494, 365 D.L.R. (4th) 15, au paragraphe 90. Contrairement à l’argument d’ABB, je ne suis pas d’avis que l’arrêt Maldonado c. Canada, [1980] 2 C.F. 302 (C.A.) enseigne quoi que ce soit d’autre. En l’espèce, la Cour fédérale n’a pas retenu tout le témoignage rendu par les témoins d’ABB et elle a fait état d’un raisonnement acceptable à l’appui.

[61]           Après avoir interprété l’élément essentiel de la revendication 1, la Cour fédérale a conclu que le brevet 781 était totalement invalide. Je ne vois aucune raison d’annuler cette conclusion. Selon la bonne interprétation, la revendication 1 du brevet 781 porte sur l’utilisation de fenêtres d’observation pour vérifier la position de sectionneurs à couteau dans des ensembles d’appareillage de connexion moyenne tension à isolation gazeuse. ABB admet que cela était connu dans l’antériorité. ABB ne peut revendiquer un monopole sur une technologie qui était connue dans l’art antérieur : Loi sur les brevets, articles 2 et 28.2 (pour l’exigence selon laquelle une « invention » faisant l’objet d’un brevet doit présenter le caractère de la « nouveauté »); Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265, au paragraphe 51; Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533, au paragraphe 1; Free World Trust, précité, au paragraphe 13.

[62]           La Cour fédérale a également expliqué pourquoi il était possible de conclure que les autres revendications du brevet 781 étaient invalides compte tenu du critère de l’évidence (au paragraphe 52). Pour tirer cette conclusion, elle s’est appuyée sur le témoignage de l’expert d’ABB, M. Leone. Elle s’est bien instruite sur le droit relatif à l’évidence (aux paragraphes 50 et 51) et elle l’a appliqué dans le cadre de son appréciation des témoignages d’expert et des revendications dont elle avait été saisie (aux paragraphes 52 à 59) : Zero Spill Systems (Int’l) Inc. c. Heide, 2015 CAF 115, aux paragraphes 81 à 88.

[63]           En particulier, en examinant le témoignage de l’expert d’ABB, M. Leone, le juge de la Cour fédérale a conclu que « [l]e témoignage de M. Leone prête un appui peu solide au caractère inventif de l’utilisation d’une fenêtre pour observer un type de sectionneur différent dans les [ensembles d’appareillage de connexion moyenne tension à isolation gazeuse], appui que je rejette » (au paragraphe 56). Il a plutôt retenu le témoignage preuve des experts de Hyundai, M. Molony et M. Nilsson : les fenêtres d’inspection étaient bien connues dans l’art antérieur, elles étaient reconnues comme un moyen de visualiser les positions de sectionneur dans plusieurs antériorités et normes applicables aux ensembles d’appareillage de connexion à isolation gazeuse et elles étaient exigées par de nombreux utilisateurs finaux (aux paragraphes 59 et 60).

[64]           Avec l’aide de son témoin, M. Hyrenbach, ABB a tenté d’établir devant la Cour fédérale que la disposition de la fenêtre sur l’ensemble d’appareillage de connexion à isolation gazeuse présente un caractère inventif. Ce témoin a déclaré qu’il avait été « surpris » en apercevant le sectionneur quand il a tenté la première fois de faire un trou dans l’ensemble. La Cour fédérale a rejeté ce témoignage relatif au caractère inventif (au paragraphe 58). Elle a conclu que M. Hyrenbach avait percé le trou là où toute personne douée de bon sens l’aurait fait et qu’il n’aurait pas dû être surpris de voir le sectionneur. Selon la Cour fédérale, il s’agissait d’un travail « par essai et erreur » qu’un technicien compétent aurait pu faire sans aucune inventivité. Je ne vois aucune erreur manifeste et dominante dans cette conclusion.

[65]           ABB soutient que la Cour fédérale a mal interprété le témoignage de M. Hyrenbach sur ce point. Elle relève que M. Hyrenbach a été surpris de [traduction] « voir les contacts » ou de [traduction] « très bien voir la position de ces contacts mobiles ». ABB soutient que la Cour fédérale a cru à tort que M. Hyrenbach pouvait seulement voir le « sectionneur » et qu’elle avait ainsi commis une erreur manifeste et dominante.

[66]           Je rejette cette thèse. À mon avis, la Cour fédérale ne s’est peut‑être pas exprimée avec la précision souhaitable. Mais, après avoir soupesé les preuves et avoir entendu les témoignages, la Cour fédérale a exprimé le même concept que celui exprimé par M. Hyrenbach, quoique de manière maladroite. En l’espèce, les observations de notre Cour dans l’arrêt South Yukon, précité, pour décrire la norme de l’erreur manifeste et dominante sont utiles :

[50]           Lorsque vient le temps de rédiger les motifs d’une cause complexe, les juges de première instance n’essaient pas de rédiger une encyclopédie où les plus petits détails factuels seraient consignés, et ils ne le peuvent d’ailleurs pas. Ils examinent minutieusement des masses de renseignements et en font la synthèse, en séparant le bon grain de l’ivraie, et en ne formulant finalement que les conclusions de fait les plus importantes et leurs justifications.

[51]           Parfois, des appelants soutiennent, en invoquant l’erreur manifeste et dominante, que les motifs ne mentionnent pas certaines questions qu’ils estiment importantes, ou ne le font que sommairement. Pour juger de la validité d’une telle prétention, il faut veiller à bien faire la différence entre l’erreur manifeste et dominante véritable, d’une part, et le sous‑produit légitime de l’examen minutieux et de la synthèse ou les formulations inadéquates innocentes, d’autre part.

[67]           À mon avis, tout ce dont il s’agit en l’espèce est une « formulation inadéquate innocente ». Dans le cadre de la norme de l’erreur manifeste et dominante, les motifs ne sont pas censés donner lieu à une chasse à l’erreur. Nous ne passerons pas les motifs au peigne fin en quête de la moindre formulation inadéquate ou erreur sans conséquence afin, le cas échéant, de s’en emparer pour justifier l’annulation de l’issue de la procédure. En l’espèce, la divergence entre voir le sectionneur et voir les contacts du sectionneur est trop ténue. Rien dans le dossier de preuves en l’espèce ne porte à croire qu’il existe une différence significative entre les deux.

[68]           La Cour fédérale a conclu que l’emploi de repères colorés ou topographiques dans la revendication 4 du brevet 781 était évident. Elle disposait des déclarations des témoins de Hyundai, dont il ressortait que les repères colorés ou topographiques avaient été utilisés antérieurement pour faciliter la vérification visuelle de la position du sectionneur. Je ne vois encore une fois aucune erreur manifeste et dominante dans cette appréciation.

[69]           Dans l’ensemble, ABB ne m’a pas convaincu que les conclusions de la Cour fédérale quant à l’évidence, qui se fondaient sur son évaluation de la preuve dont elle disposait, sont entachées d’une erreur manifeste et dominante.

[70]           Étant donné que j’ai confirmé les conclusions de la Cour fédérale concernant la validité du brevet, je n’ai pas à examiner l’appel d’ABB sur la question de la contrefaçon.

[71]           Enfin, ABB se plaint également du fait que Hyundai a procédé à l’inspection de certains équipements à BC Hydro sans l’aviser au préalable. Pareille objection – qui est une objection relative à la preuve – doit être soulevée au procès, et non en appel. Le premier juge, en tant que juge des faits, qui est exposé directement aux éléments de preuve et a l’avantage d’observer tous les témoins, est celui qui doit trancher pareille objection; il n’appartient pas à une juridiction d’appel de le faire.

(3)        Le brevet 772

[72]           Le brevet 772 compte sept revendications. La revendication 1 est une revendication indépendante, tandis que les revendications 2 à 7 sont dépendantes :

[traduction]

Les réalisations de l’invention, au sujet desquelles un droit exclusif de propriété ou de privilège est revendiqué, sont définies comme suit :

1.         Un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse moyenne tension comportant des disjoncteurs, des sectionneurs et des conducteurs de terre, dans lequel le compartiment du disjoncteur est dimensionné de façon à y disposer à la fois (i) les disjoncteurs et (ii) les sectionneurs et les conducteurs de terre dans une cellule de départ.

2.         Un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse moyenne tension comme celui défini dans la revendication 1, comportant en outre un moyen de verrouillage faisant en sorte que le conducteur de terre dans la cellule de départ ne puisse être introduit dans l’ensemble que lorsqu’un sectionneur associé à un disjoncteur est ouvert.

3.         Un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse moyenne tension comme celui défini dans la revendication 2, dans lequel le sectionneur ne peut être ouvert que par l’entremise du moyen de verrouillage lorsque le disjoncteur a d’abord été déconnecté.

4.         Un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse moyenne tension comme celui défini dans l’une ou l’autre des revendications 1, 2 ou 3, comportant en outre des mécanismes d’entraînement pour les dispositifs de sectionnement qui sont situés entièrement dans un compartiment basse tension et qui peuvent être actionnés par un moteur ou par un entraînement manuel.

5.         Un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse moyenne tension comme celui défini dans l’une ou l’autre des revendications 1 à 4, comportant en outre des transformateurs de courant et/ou des capteurs de courants disposés dans le compartiment du disjoncteur.

6.         Un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse moyenne tension comme celui défini dans l’une ou l’autre des revendications 1 à 5, comportant en outre des connecteurs femelles permettant le raccordement externe de transformateurs de tension.

7.         Un ensemble d’appareillage à isolation gazeuse moyenne tension comme celui défini dans l’une ou l’autre des revendications 1 à 6, dans lequel un sectionneur dans la cellule de départ et un conducteur de terre dans la cellule de départ sont des sectionneurs à contact glissant.

[73]           La Cour fédérale a conclu (au paragraphe 72) que chacune des revendications dépendantes expose une caractéristique qui était bien connue dans l’art antérieur et que toutes les combinaisons exposées n’ajoutent rien d’inventif (au paragraphe 98). Par conséquent, la principale question que la Cour fédérale devait trancher était soulevée par l’interprétation de la portée de l’invention décrite dans la revendication 1.

[74]           Devant la Cour fédérale, ABB a avancé que la revendication 1 n’englobe pas la caractéristique essentielle, à savoir la présence d’un second sectionneur sous le transformateur capable de mettre à la terre les câbles de départ. Elle a affirmé que l’invention du brevet 772 cible le marché nord-américain qui exige une mise à la terre indépendante du disjoncteur du côté départ. Par conséquent, la revendication 1 ne devrait pas être interprétée comme si elle faisait de la mise à la terre des câbles une caractéristique essentielle, puisque cet avantage est optionnel.

[75]           Sur cette question, la Cour fédérale s’est bien instruite sur la règle de droit applicable. Au paragraphe 74 de ses motifs, elle a reproduit un extrait de l’arrêt Free World Trust, précité, où la Cour suprême définit, aux paragraphes 55 à 57, le critère permettant de distinguer les éléments essentiels de la revendication d’un brevet de ceux qui ne le sont pas. En rejetant encore une fois le témoignage de l’expert d’ABB, M. Leone, – en qualifiant même son témoignage d’« exagéré et [de] peu convaincant » – et en retenant le témoignage de M. Nilsson, l’expert de Hyundai, la Cour fédérale a conclu que la présence d’un second sectionneur sous le transformateur capable de mettre à la terre les câbles de départ était un élément essentiel (aux paragraphes 78 à 81). La conclusion de la Cour fédérale était formulée en ces termes (au paragraphe 81) :

En l’espèce, l’inventeur indique que la mise à la terre des câbles est nécessaire et inclut cet élément sans réserve à la revendication 1. Si la mise à la terre des câbles n’était pas une caractéristique essentielle de la revendication 1, il n’était pas nécessaire de la mentionner. Si on voulait en faire une réalisation optionnelle, on aurait pu la décrire de la sorte et l’inclure dans une revendication dépendante. Rien dans les revendications ou le mémoire descriptif ne pousse le lecteur versé dans l’art à penser que l’inclusion du sectionneur de mise à la terre du câble (conducteur de terre) dans le compartiment [de l’ensemble d’appareillage de connexion à isolation gazeuse) visait un objectif inventif d’importance subordonnée par rapport à celui du sectionneur du disjoncteur. La mise à la terre ayant été incluse comme caractéristique essentielle des revendications, il est trop tard pour qu’ABB se rétracte.

[76]           Là encore, ABB n’a pas réussi à établir que la Cour fédérale avait commis une erreur manifeste et dominante dans l’appéciation et l’application de la preuve dont elle disposait, d’après son interprétation de la portée de l’invention décrite dans la revendication 1.

[77]           Selon cette interprétation, la Cour fédérale a conclu que toutes les revendications liées au brevet 772 étaient invalides sur le fondement de l’évidence. Là encore, la décision de la Cour fédérale repose sur les preuves présentées. La Cour a examiné l’antériorité et a conclu (paragraphe 90) que le brevet 772 ne constituait pas un écart par rapport à l’antériorité ni aux pratiques de conception propres à ABB. La Cour fédérale disposait également de la demande de brevet américain 2002/0060204, demande qui démontrait que la combinaison d’un disjoncteur, d’un sectionneur et d’un sectionneur de mise à la terre dans un seul compartiment était bien connue dans l’art. L’expert d’ABB, M. Leone, a reconnu que ce brevet américain faisait état d’un compartiment à gaz comprenant les composants indiqués dans le brevet 772. M. Leone a tenté de définir ledit compartiment en tant que [traduction] « sectionneur à l’air » plutôt qu’appareillage de connexion à isolation gazeuse. Au paragraphe 88 de ses motifs, la Cour fédérale a jugé que cette explication n’était « pas […] convaincante ». Rien n’a été présenté à la Cour qui permettrait de juger la conclusion comme entachée d’une erreur manifeste et dominante.

[78]           En ce qui a trait à l’évidence, devant la Cour, ABB a évoqué la faiblesse du témoignage rendu par les experts de Hyundai. Elle affirme que les services de ces derniers ont été retenus une semaine avant la livraison de leurs volumineux rapports. Ceux‑ci sont presque identiques. Ils retiennent l’approche de la sagesse rétrospective. De plus, ils ne satisfont pas à l’exigence voulant que la preuve soit indépendante. ABB affirme que, pour tous ces motifs, la Cour fédérale aurait dû rejeter les rapports des experts de Hyundai.

[79]           Or, ces observations concernent principalement l’importance que la Cour fédérale aurait dû accorder aux rapports. Il s’agit d’une question qu’il revient à la Cour fédérale de trancher. Dans le cadre d’un appel où elle doit appliquer la norme de l’erreur manifeste et dominante, notre Cour ne peut entreprendre de soupeser la preuve de nouveau. De plus, Hyundai nous informe qu’ABB ne s’est pas opposée avant le procès, ni pendant celui‑ci, à l’admission des rapports. Comme elle ne s’y est pas opposée au procès, il est maintenant trop tard pour le faire.

[80]           Enfin, en ce qui concerne la conclusion de la Cour fédérale quant à l’évidence, ABB soutient qu’elle a fait erreur en ne tenant pas compte de la [traduction] « démarche d’invention complexe et considérablement exigeante en temps ». Or, devant la Cour fédérale, les preuves tendant à établir que la [traduction] « démarche d’invention » n’avait été ni complexe ni exigeante en temps étaient abondantes : voir le paragraphe 93 de ses motifs. ABB nous prie avec insistance d’infirmer la conclusion de la Cour fédérale sur ce point parce qu’il existait de la preuve démontrant le contraire, laquelle [traduction] « aurait dû être retenue » : mémoire, paragraphe 46. Mais, sans autres aspects à considérer, il n’appartient pas à notre Cour, dans le cadre d’un appel où elle doit appliquer la norme de l’erreur manifeste et dominante, de soupeser de nouveau les preuves présentées devant la Cour fédérale et de modifier les conclusions de cette dernière.

[81]           Pour ce qui est de la question de la contrefaçon, la Cour fédérale a conclu (au paragraphe 99) que Hyundai n’avait pas contrefait le brevet 772. Les ensembles d’appareillage de connexion à isolation gazeuse vendus par Hyundai qui contreferaient le brevet 772 ne comportent pas de caractéristique de mise à la terre des câbles. Comme il s’agissait d’une composante essentielle de la revendication 1 du brevet 772, la Cour fédérale a conclu qu’il n’y avait pas contrefaçon : voir l’arrêt Free World Trust, précité, au paragraphe 32.

[82]           Devant notre Cour, ABB admet à juste titre que, si nous confirmons l’interprétation qu’a faite la Cour fédérale de la revendication 1 du brevet 772, la conclusion selon laquelle il n’y a pas eu contrefaçon doit être maintenue. Comme j’ai confirmé l’interprétation de la Cour fédérale quant à la revendication 1 du brevet 772, je dois également confirmer sa conclusion selon laquelle il n’y a pas eu contrefaçon.

(4)        L’appel relatif aux dépens

[83]           ABB forme également appel contre le jugement adjugeant des dépens de 350 000 $ à Hyundai.

[84]           Il est bien connu que les dépens relatifs aux instances qui se déroulent devant la Cour fédérale sont régis par l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. L’article 400 prévoit expressément que la Cour fédérale a « le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir ». Cette disposition énumère ensuite une série de facteurs dont elle peut tenir compte, sans y être contrainte de le faire. Il s’ensuit que l’adjudication des dépens par la Cour fédérale est une mesure discrétionnaire.

[85]           Notre Cour a récemment clarifié la norme de contrôle applicable aux mesures discrétionnaires prononcées par la Cour fédérale : Imperial Manufacturing Group Inc. c. Decor Grates Incorporated, 2015 CAF 100.

[86]           Pendant des décennies, la Cour a appliqué la règle de droit voulant que les mesures discrétionnaires de la Cour fédérale puissent être annulées seulement si elle a appliqué « un principe erroné, n’a pas donné suffisamment d’importance à des facteurs pertinents, a mal apprécié les faits ou encore si une injustice évidente serait autrement causée » : David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588, à la page 594, 58 C.P.R. (3d) 209, à la page 213 (C.A.). Parfois, il est dit que, selon cette norme, la question est de savoir si la conclusion de la Cour fédérale était « manifestement erronée » : Bell Helicopter Textron Canada Limitée c. Eurocopter, société par actions simplifiée, 2013 CAF 220, aux paragraphes 7 et 8.

[87]           A l’occasion de l’affaire Imperial Manufacturing, la Cour a relevé que les mesures discrétionnaires ne sont rien de plus que l’application de normes juridiques à un ensemble de faits – en d’autres termes, une question mélangée de fait et de droit. En 2002, la Cour suprême a conclu que la norme de contrôle applicable aux questions mélangées de fait et de droit était la norme de l’erreur manifeste et dominante, sauf en présence d’une erreur de principe juridique isolable : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. Et, en 2014, la Cour suprême a appliqué la norme dégagée dans l’arrêt Housen à une mesure discrétionnaire : Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87, au paragraphe 83; et voir la discussion à ce propos dans l’arrêt Imperial Manufacturing, précité, au paragraphe 23. On aurait pu croire que c’était la fin de la jurisprudence issue de la jurisprudence David Bull. Mais ce n’était pas le cas jusqu’à l’arrêt Imperial Manufacturing.

[88]           Par l’arrêt Imperial Manufacturing, la Cour a décidé que la jurisprudence issue de l’arrêt David Bull ne devait plus être suivie. La Cour a notamment conclu que maintenir une formulation différente de la norme de contrôle applicable à l’égard de ce qui constitue fondamentalement des décisions fondées sur des questions mélangées de fait et de droit ne contribuait pas à l’atteinte des objectifs de grande simplicité et clarté de notre droit. Lorsqu’il s’agit d’énoncer des règles juridiques, particulièrement pour des questions élémentaires comme la norme de contrôle, la simplicité et la clarté sont des objectifs souhaités : Hryniak, précité; Steel c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 153, [2011] 1 R.C.F. 143, au paragraphe 71.

[89]           Par conséquent, la norme de contrôle applicable aux ordonnances discrétionnaires de la Cour fédérale est la même que celle qui s’applique aux décisions portant sur des questions mélangées de fait et de droit. « [À] défaut d’erreur sur une question de droit ou un principe juridique isolable, notre intervention n’est justifiée que dans les cas d’erreurs manifestes et dominantes » : Imperial Manufacturing, précité, au paragraphe 29. Je le répète encore, l’erreur manifeste et dominante est une norme rigoureuse.

[90]           Devant la Cour fédérale, la principale controverse entre les parties portait sur la question de savoir si la Cour fédérale devait déroger au tarif applicable dans le calcul des dépens à accorder à Hyundai. La Cour fédérale a jugé qu’elle devait le faire. À son avis, nombre de facteurs qui contribuaient à accroître la complexité de l’affaire caractérisaient le litige (aux paragraphes 5 et 6). Elle a également relevé (au paragraphe 7) que Hyundai avait fait signifier une offre de règlement environ un mois avant le procès, qui « constituait une issue plus avantageuse que le jugement qui a finalement été rendu ». À son avis, cette offre méritait d’être prise « sérieusement en considération », mais ABB ne l’a pas fait.

[91]           À mon avis, ces éléments sont suffisants pour justifier l’adjudication de dépens faite par la Cour fédérale. Bon nombre d’entre elles intéressent les facteurs énumérés à l’article 400 dont la Cour peut tenir compte sans être tenue de le faire.

[92]           Dans une autre affaire, la Cour fédérale aurait pu évaluer ces éléments différemment, mais cela ne fait pas partie du critère de l’erreur manifeste et dominante. ABB n’a pas réussi à démontrer que la Cour fédérale avait commis une erreur évidente permettant de remettre en cause le fondement de l’adjudication de dépens qui lui est défavorable.

[93]           ABB conteste nombre d’articles réclamés par Hyundai dans son argumentation sur les dépens. Encore ici, sans erreur dans l’application d’un principe juridique, la Cour ne peut intervenir que si une erreur manifeste et dominante est démontrée. Il n’y en a aucune. Quoi qu’il en soit, je relève que la Cour fédérale a diminué à 350 000 $ les dépens demandés par Hyundai, qui se chiffraient initialement à 1 404 581 $ ; il en ressort une réduction considérable.

[94]           Par conséquent, je suis d’avis de rejeter l’appel interjeté par ABB contre le jugement de la Cour fédérale sur les dépens.

C.        Dispositif proposé

[95]           Par conséquent, pour les motifs exposés précédemment, je suis d’avis de rejeter les appels d’ABB contre les jugements de la Cour fédérale datés du 11 septembre et du 17 octobre 2013 dans le dossier no T-735-11. Je suis d’avis d’adjuger les dépens à Hyundai pour les deux appels.

« David Stratas »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

D.G. Near, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIER :

A-346-13

APPEL D’UN JUGEMENT DE MONSIEUR LE JUGE BARNES DATÉ DU 11 SEPTEMBRE 2013, DOSSIER NO T-735-11

INTITULÉ :

ABB TECHNOLOGY AG, ABB INC. et ABB AG c. HYUNDAI HEAVY INDUSTRIES CO., LTD.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 MAI 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 AOÛT 2015

COMPARUTIONS :

Christopher C. Van Barr

Michael Crichton

Kiernan A. Murphy

 

pour les appelantes

 

J. Alan Aucoin

Anthony Prenol

Sarah O’Grady

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowlings Lafleur Henderson LLP

Ottawa (Ontario)

 

pour les appelantes

 

Blake, Cassels & Graydon LLP

Toronto (Ontario)

 

pour l’intimée

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DoSSIER :

A-379-13

APPEL D’UN JUGEMENT DE MONSIEUR LE JUGE BARNES DATÉ DU 11 SEPTEMBRE 2013, DOSSIER NO T-735-11

INTITULÉ :

ABB TECHNOLOGY AG, ABB INC. et ABB AG c. HYUNDAI HEAVY INDUSTRIES CO., LTD.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 MAI 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 AOÛT 2015

COMPARUTIONS :

Christopher C. Van Barr

Michael Crichton

Kiernan A. Murphy

 

pour les appelantes

 

J. Alan Aucoin

Anthony Prenol

Sarah O’Grady

 

pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowlings Lafleur Henderson LLP

Ottawa (Ontario)

pour les appelantes

 

Blake, Cassels & Graydon LLP

Toronto (Ontario)

Pour l’intimée

 

 

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