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Date : 20150416


Dossier : A-106-14

Référence : 2015 CAF 96

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE WEBB

LE JUGE BOIVIN

 

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

RAPISCAN SYSTEMS, INC.

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 29 janvier 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 16 avril 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE WEBB

 


Date : 20150416

Dossier : A-106-14

Référence : 2015 CAF 96

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE WEBB

LE JUGE BOIVIN

 

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

RAPISCAN SYSTEMS, INC.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE BOIVIN

[1]               La Cour est saisie de l’appel de la décision que le juge Annis de la Cour fédérale (le juge) a rendue le 21 janvier 2014. Le juge a accueilli la demande de contrôle judiciaire présentée par l’intimée, Rapiscan Systems Inc. (Rapiscan), à l’encontre de la décision par laquelle l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien (ACSTA) a attribué un contrat d’acquisition à Smiths Detection Montreal Inc. (Smiths), une des concurrentes commerciales de Rapiscan dans le domaine de l’équipement de contrôle de sûreté.

[2]               Le procureur général du Canada (l’appelant) interjette maintenant appel de la décision du juge et fait essentiellement valoir que le juge a commis une erreur en concluant que la décision du conseil d’administration de l’ACSTA (conseil d’administration de l’ACSTA) était viciée. En réponse, Rapiscan soutient que le processus d’acquisition en cause était injuste et anti-concurrentiel et sollicite un jugement déclaratoire à cet effet.

[3]               Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel.

I.                   Contexte factuel

[4]               L’ACSTA a été créée à titre de société d’État en 2002 par l’édiction de la Loi sur l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien, L.C. 2002, ch. 9, art. 2 [Loi sur l’ACSTA]. L’ACSTA a pour mission de voir au contrôle des passagers ainsi que de leurs bagages dans les aéroports partout au Canada afin d’assurer la sécurité. À cette fin, l’ACSTA achète l’équipement nécessaire pour effectuer ces contrôles, y compris des appareils de remplacement. L’ACSTA achète l’équipement de contrôle de sûreté dans le cadre de processus d’acquisition.

[5]               En septembre 2009, l’ACSTA a annoncé qu’elle avait attribué à Smiths un contrat à fournisseur unique et non concurrentiel pour la fourniture d’un appareil de radioscopie à angles de vue multiples utilisé aux points de contrôle des aéroports canadiens pour le contrôle des bagages. La direction de l’ACSTA a rassuré le conseil d’administration en lui disant que cette approche non concurrentielle était une exception et que les futurs achats seraient effectués dans le cadre d’un processus d’acquisition ouvert (note d’information au conseil d’administration datée du 18 juin 2009, dossier d’appel, volume 4, onglet 16-S, à la page 1046).

[6]               Environ un an plus tard, soit le 16 août 2010, l’ACSTA a lancé un autre processus d’acquisition sous la forme d’une « demande de soumissions » (DS) dans le but d’acheter un appareil de radioscopie à angles de vue multiples. La DS a été affichée sur MERX, un service électronique d’appel d’offres, invitant les fournisseurs potentiels à communiquer l’information relative à leurs produits respectifs, dont les prix.

[7]               La DS en cause devait se dérouler en plusieurs étapes, la première étant une demande d’information (DI), laquelle pouvait mener à (i) à une convention d’offre à commandes (COC) avec un ou plusieurs fournisseurs, ou (ii) une autre étape à laquelle les fournisseurs pourront présenter l’équipement proposé, ou (iii) l’annulation de la DS.

[8]               Rapiscan ne figurait pas sur la liste des fournisseurs qui avaient initialement répondu à l’annonce sur MERX, mais elle a par la suite été invitée par l’ACSTA à participer à la DS. Au total, l’ACSTA a reçu des soumissions de quatre (4) fournisseurs à la suite de la DS, y compris les soumissions de Smiths et Rapiscan.

[9]               Le 4 octobre 2010, le conseil d’administration de l’ACSTA a attribué la COC exclusivement à Smiths. Il l’a fait sur recommandation de la direction de l’ACSTA, laquelle avait déterminé que Smiths était le seul fournisseur capable d’exécuter le contrat relatif à l’équipement de radioscopie à angles de vue multiples.

[10]           Insatisfaite de la façon dont l’ACSTA a géré le processus d’acquisition, Rapiscan a déposé une demande, le 5 novembre 2010, dans laquelle elle demandait à la Cour fédérale de procéder au contrôle judiciaire de la décision du conseil d’administration de l’ACSTA d’attribuer la COC à Smiths. À la suite de longs échanges concernant la production de documents, l’audience a eu lieu les 12 et 13 juin 2013 et le 26 juillet 2013.  

II.                La décision du juge

[11]           Dans sa décision, le juge a fait un examen approfondi des faits, notamment de la description du mandat de l’ACSTA, de la politique et des procédures en matière d’attribution de marchés, du contexte dans lequel a été tenu le processus d’acquisition de 2010 et de la décision du conseil d’administration. Le juge a aussi souligné l’historique des achats de l’équipement de Smiths, le principal concurrent de Rapiscan, effectués par l’ACSTA. En ce qui concerne la norme de contrôle applicable aux affaires de passation de marchés comme celle en l’espèce, le juge a conclu que la norme applicable était celle de la décision raisonnable (motifs du juge, aux paragraphes 47 et 127).

[12]           La première question examinée par le juge était celle de savoir si la présente affaire relevait du droit public. Selon le juge, la Cour doit « déterminer si les questions soulevées au sujet de la bonne gouvernance de l’ACSTA sont suffisamment importantes pour permettre un recours de droit public, alors que la présente affaire repose sur un contrat d’acquisition commercial » (motifs du juge, au paragraphe 4).

[13]           À cet égard, le juge s’est reporté à la décision rendue par notre Cour dans l’arrêt Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 116, [2010] 2 R.C.F. 488, au paragraphe 1 [Irving Shipbuilding], et a fait observer que « [l]es marchés publics se situent à la frontière entre le droit public et le droit privé ». Dans cet arrêt, notre Cour a, en principe, refusé que les décisions en matière d’acquisition relèvent du droit public. En l’espèce, le juge a établi une distinction du fait que la question dans l’arrêt Irving Shipbuilding concernait la possibilité pour les sous-traitants de présenter une demande de contrôle judiciaire dans le cadre d’un processus de passation de marchés publics alors que la présente affaire concerne les fournisseurs directs (soumissionnaires). Sur le fondement de cette distinction, le juge a conclu que le processus d’acquisition en l’espèce pouvait relever du droit public.

[14]           Le juge a ensuite porté son attention aux facteurs permettant d’établir une distinction entre les « domaines public et privé » énoncés par la Cour dans l’arrêt Air Canada c. Administration portuaire de Toronto et Al, 2011 CAF 347, [2013] 3 R.C.F. 605, et a conclu que ces facteurs s’appliquent et « confèrent à la présente affaire un élément public ». Par conséquent, l’affaire relève du droit public et « un recours de droit public serait utile » (motifs du juge, au paragraphe 52). Le juge a également invoqué l’arrêt Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 R.C.S. 585, et a ajouté le facteur qui consiste à « établir pour l’avenir les conditions d’un processus équitable » pour déterminer si les recours de droit public s’appliquent dans la présente affaire (motifs du juge, au paragraphe 121).

[15]           En fin de compte, le juge a accepté l’argument de Rapiscan selon lequel la direction de l’ACSTA a nettement induit en erreur le conseil d’administration et que cela a nui à l’intégrité du processus d’acquisition gouvernemental. Selon lui, cela suffit en soi à justifier le recours de droit public. Il a aussi ajouté que la DS écartait expressément les recours contractuels habituels prévus dans le « contrat A », ouvrant ainsi la porte à une plainte sur l’équité du processus d’acquisition de l’ACSTA en droit public (motifs du juge, aux paragraphes 124 à 126).

[16]           Plus précisément, le juge a conclu que le conseil d’administration de l’ACSTA a omis d’examiner certains facteurs pertinents lorsqu’il a pris sa décision en matière d’acquisition, à savoir : la DS n’était pas un processus ouvert; la DS n’était pas non plus autorisée en vertu de la politique et des procédures de passation de marchés de l’ACSTA; la DS n’exigeait pas que l’appareil ait au moins trois angles de vue, et; les coûts du modèle de Rapiscan étaient nettement inférieurs à ceux de Smiths. Pour ce motif, le juge a conclu que la DS constituait un processus d’acquisition injuste. Étant donné qu’il a conclu que la direction de l’ACSTA avait délibérément induit le conseil d’administration en erreur relativement à ces facteurs, le juge a aussi conclu que l’ACSTA a agi de mauvaise foi.

[17]           Par conséquent, le juge a accueilli la demande de contrôle judiciaire dans les motifs publics rendus le 6 février 2014, dans la mesure où les parties présentent des observations sur la réparation appropriée afin de ne pas compromettre les besoins opérationnels de l’ACSTA. Le 4 avril 2014, le juge a rendu son ordonnance et a déclaré que la décision par laquelle le conseil d’administration de l’ACSTA a attribué, le 4 octobre 2010, la COC à Smiths était « illégale et injuste ».  

A.                Questions en litige

[18]           La Cour est saisie de trois questions de fond, ainsi que d’une question de procédure préliminaire en ce qui concerne l’admissibilité d’un affidavit. Les questions en litige sont les suivantes :

  1. L’affidavit de M. Peter Kant est-il admissible?
  2. L’ACSTA a-t-elle omis de suivre ses propres procédures en matière d’attribution de marchés?
  3. L’ACSTA a-t-elle manqué à l’obligation d’équité procédurale?
  4. L’ACSTA a-t-elle agi de mauvaise foi?

B.                 Norme de contrôle

[19]           Dans le cadre d’un appel d’une décision relative à une demande de contrôle judiciaire, la Cour doit d’abord déterminer si le juge a employé la norme de contrôle approprié et s’il l’a appliquée correctement (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Agence du revenu du Canada c. Telfer, 2009 CAF 23).

[20]           En l’espèce, le juge a bien employé la norme de contrôle quand il a conclu que « [d]ans les affaires de passation de marchés, il convient de faire preuve de déférence à l’égard du décideur, sauf en ce qui concerne les questions de compétence; la norme de contrôle appropriée est donc celle de la décision raisonnable » (motifs du juge, au paragraphe 47).

[21]           Cependant, dans sa décision, le juge a aussi tiré un grand nombre de conclusions de fait, ce qui est inhabituel dans une demande de contrôle judiciaire. Les conclusions de fait et les conclusions mixtes de fait et de droit du juge sont susceptibles de contrôle selon la norme de l’erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 [Housen]).

III.             Analyse

(1)        Question préliminaire : L’affidavit de M. Peter Kant est-il admissible?

[22]           À l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, Rapiscan a signifié à l’appelant, le 23 mai 2012, l’affidavit de M. Peter Kant, un dirigeant de Rapiscan (l’affidavit de M. Kant), et a ensuite déposé cet affidavit auprès de la Cour dans le cadre de son dossier de demande le 31 août 2012. Le même jour, le dossier de demande contenant l’affidavit de M. Kant a aussi été signifié à l’appelant.

[23]           Devant le juge, l’admissibilité de l’affidavit de M. Kant a été contestée. Il s’en est suivi un échange entre les avocats en ce qui concerne la question de savoir si la procédure appropriée consistait à présenter une requête distincte avant l’audience, ce qui aurait nécessité un ajournement, ou s’il était préférable de soulever la question de la radiation de l’affidavit à l’audience. L’avocat de l’appelant a affirmé ce qui suit : [traduction] « Nous nous contenterons du fait que vous [le juge] l’examiniez [affidavit de M. Kant] et que vous y accordiez peu d’importance, voire aucune. » (dossier d’appel, volume 6, onglet 28, à la page 1678).

[24]           La suggestion de l’avocat de l’appelant a été acceptée par le juge (ibid, aux pages 1681 et 1690), lequel, avec les avocats des parties, a ensuite examiné l’affidavit, plus particulièrement les passages qui étaient contestés. Vers la fin de l’audience, l’appelant a demandé au juge de rendre une décision à cet égard, ce qu’il a accepté (dossier d’appel, volume 8, onglet 31, aux pages 2135 et 2136). À ce stade, l’affidavit pouvait donc être considéré comme faisant partie du dossier.  

[25]           Cependant, la décision demandée par l’appelant n’a jamais été officiellement rendue par le juge. Nulle part dans les motifs du juge n’est-il question de cette décision ou du poids accordé à l’affidavit de M. Kant. En fait, l’affidavit de M. Kant n’est pas du tout mentionné dans la décision du juge. L’appelant soutient que le juge a commis une erreur en ne tirant aucune conclusion au sujet de l’affidavit de M. Kant et que l’affidavit devrait donc être jugé inadmissible.

[26]           Je ne peux pas souscrire à l’allégation de l’appelant en ce qui concerne l’affidavit de M. Kant. L’appelant conteste son admissibilité au motif que le juge aurait omis de le mentionner; or, entre le moment où l’affidavit de M. Kant a été signifié et déposé en 2012 et l’audience devant le juge en 2013, près d’un an s’est écoulé. Pendant ce temps, l’appelant a choisi de ne pas contre-interroger M. Kant sur le contenu de son affidavit et n’a pas non plus déposé un affidavit en réponse. S’il avait voulu contester l’affidavit de M. Kant, il a amplement eu le temps de déposer une requête à cet effet, conformément aux Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, en vue d’obtenir la radiation de certaines parties de l’affidavit de M. Kant avant l’audience. Puisque l’appelant a omis de présenter une telle requête, j’estime qu’il ne lui est pas loisible d’affirmer que l’affidavit devrait maintenant être considéré comme inadmissible simplement parce que le juge n’en a pas fait mention.

[27]           En résumé, bien qu’il eût été préférable que le juge traite expressément de l’affidavit de M. Kant dans sa décision, je suis convaincu que, dans le contexte de l’affaire, le juge n’a pas commis d’erreur à cet égard.

[28]           J’examinerai maintenant la première question de fond, qui, selon moi, est au cœur du présent appel.

(2)        L’ACSTA a-t-elle omis de suivre ses propres procédures en matière d’attribution de marchés?

a)         Aperçu des procédures d’attribution de marchés de l’ACSTA

[29]           Essentiellement, le mandat de l’ACSTA consiste à procéder au contrôle des passagers et des bagages dans les aéroports afin d’assurer la sécurité et à acheter l’équipement nécessaire pour y arriver. Le présent appel porte sur les responsabilités d’acquisition qui s’inscrivent dans le mandat de l’ACSTA.

[30]           Lorsqu’elle s’acquitte de ses responsabilités d’acquisition, l’ACSTA est régie par le paragraphe 8(5) de la Loi sur l’ACSTA, lequel est libellé comme suit :

L’Administration établit les règles et méthodes à suivre concernant les contrats de fourniture de biens et de services qui garantissent l’importance primordiale de ses besoins opérationnels et qui favorisent la transparence, l’ouverture, l’équité et l’achat au meilleur prix.

The Authority must establish policies and procedures for contracts for services and for procurement that ensure that the Authority’s operational requirements are always met and that promote transparency, openness, fairness and value for money in purchasing.

[31]           Cette disposition impose donc expressément à l’ACSTA l’obligation d’établir des règles et des méthodes applicables à son processus d’acquisition. Ces règles et méthodes doivent notamment « favoris[er] la transparence, l’ouverture, l’équité et l’achat au meilleur prix ».

[32]           Aux termes du paragraphe 8(5) de la Loi sur l’ACSTA, la politique de l’ACSTA en matière d’attribution de marchés a été adoptée le 1er juillet 2009 et les procédures ont été adoptées le 22 décembre 2009. La question qui se situe au cœur du présent appel porte sur les procédures.

[33]           Aux fins du présent appel, les extraits pertinents de la politique et des procédures de l’ACSTA en matière d’attribution de marchés sont reproduits ci-dessous :

[traduction]

Politique de l’ACSTA en matière d’attribution de marchés (1er juillet 2009)

6.6 Concurrence dans les marchés d’acquisition. Un processus ouvert adapté à la nature du marché d’acquisition sera utilisé à moins que :

[...]

(ii) Marché prescrit. Après avoir évalué le marché, l’ACSTA a déterminé qu’une seule personne ou entreprise est capable d’exécuter le contrat :

[...]

Malgré les exclusions susmentionnées, tous les marchés favoriseront la transparence, l’équité et l’achat au meilleur prix.

Procédures de l’ACSTA en matière d’attribution de marchés (22 décembre 2009)

1.1              Ces procédures s’appliquent à l’ensemble des activités de passation de marchés exercées par l’ACSTA, y compris aux contrats qui en découlent. Elles sont établies afin de mener à bien la politique en matière d’attribution de marchés de l’ACSTA, qui a été approuvée par le conseil d’administration.

[...]

2.1       Définitions

[...]

« Critères d’évaluation » Spécifications et autres paramètres qui ont été établis par l’ACSTA préalablement à un processus d’acquisition ouvert et qui servent à évaluer les prix proposés, les soumissions et les propositions présentées par des entrepreneurs potentiels à la suite d’un processus d’acquisition ouvert.

[...]

« Contrat attribué sans processus concurrentiel » Contrat qui est ou qui sera établi en vertu de l’une des exceptions de l’article 5.6 (Exceptions à être approuvées par d’autres autorités responsables) et qui ne sera pas ou n’a pas été précédé d’un processus d’acquisition ouvert.

[...]

« Demande d’information » et « DI » Processus d’acquisition ouvert dans le cadre duquel l’ACSTA demande de l’information sur le marché, conformément aux procédures.

[...]

5.1       Transparence dans le processus de passation de marchés

L’ACSTA a recours aux processus d’acquisition ouverts afin de promouvoir la transparence et l’équité, de favoriser l’optimisation des ressources et de démontrer qu’elle optimise ses ressources dans le cadre de ses marchés d’acquisition. Les processus d’acquisition ouverts doivent être utilisés, sauf exception, conformément aux présentes procédures.

[...]

5.3 Critères d’évaluation dans les processus d’acquisition ouverts

Les critères d’évaluation applicables dans tout processus de passation de marchés doivent être établis avant de demander l’autorisation requise de procéder à un achat, et les résultats de cette évaluation doivent être mis à la disposition de l’autorité d’approbation concernée dans le cadre d’une demande d’approbation. Les critères d’évaluation ne peuvent avoir pour effet voulu d’accorder, d’une manière déraisonnable, une préférence à de potentiels soumissionnaires. Les critères d’évaluation ne doivent pas de façon générale être limités uniquement au prix, mais doivent être établis de sorte qu’il soit possible d’apprécier l’optimisation générale des ressources et la capacité de l’ACSTA à atteindre ses objectifs opérationnels.

[...]

5.6       Exceptions approuvées par d’autres autorités compétentes  

[...]

5.6.1    Intérêt public. La nature du travail ou les circonstances liées à l’exigence sont telles qu’il peut être contraire à l’intérêt public ou à la sécurité nationale de lancer des invitations ouvertes à soumissionner. Cette exception s’applique surtout aux cas qui touchent la sécurité ou d’autres facteurs pouvant nuire aux passagers.

[...]

5.7       Transparence, équité et achat au meilleur prix ne font pas l’objet d’exceptions

Sous réserve de l’article 5.6.1, les exceptions à un processus d’acquisition ouvert ne doivent pas restreindre les obligations légales et stratégiques de l’ACSTA en matière de transparence, d’équité ou d’achat au meilleur prix.

b)         L’ACSTA a-t-elle omis de suivre ses propres procédures en matière d’attribution de marchés?

[34]           Lorsqu’elle a présenté sa demande de contrôle judiciaire, Rapiscan a soutenu, comme elle le fait en appel, que l’ACSTA n’avait pas respecté ses procédures en matière d’attribution de marchés. Il est bon de rappeler que la décision en matière d’acquisition en cause est le résultat d’une DS, laquelle a entraîné l’attribution du marché à Smiths.

[35]           Rapiscan souligne que les procédures de l’ACSTA en matière d’attribution de marché prévoient divers mécanismes d’acquisition autorisés. Par exemple, le [traduction] « processus d’acquisition ouvert » s’entend d’un « processus de passation de marchés comportant une demande d’information, une demande de prix, une demande de propositions, une demande d’offre à commandes, une soumission, une offre à commandes d’un tiers ou un processus de passation de marchés dans lequel un préavis d’adjudication de contrat (PAC) a été utilisé et n’a pas été contesté de façon valable ».

[36]           Cependant, comme l’a fait remarquer Rapiscan, la DS utilisée par l’ACSTA est remarquablement absente de la liste des processus d’acquisition figurant dans les procédures de l’ACSTA en matière d’attribution de marchés. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le juge a conclu comme suit : « [L]a DS n’était pas conforme, dès le début, aux processus d’acquisition autorisés en vertu des procédures de passation de marchés. La « DS » ne figurait pas parmi les différents processus d’acquisition sur la liste des processus d’acquisition ouverts. » (motifs du juge, au paragraphe 65).

[37]           Pour sa part, l’appelant soutient que la DS, bien qu’elle ne soit pas expressément mentionnée dans les procédures de l’ACSTA en matière d’attribution de marchés, était malgré tout un mécanisme d’acquisition approprié. Plus particulièrement, l’appelant soutient que la DS était, dans les faits, un processus d’acquisition combiné consistant d’abord en une DI puis en un marché prescrit ou une évaluation additionnelle des observations après la présentation ou la validation du principe (exposé des arguments de l’appelant, au paragraphe 40). L’appelant affirme que les termes employés dans la DS ne devraient donc pas se voir accorder de poids.

[38]           En toute déférence, j’estime que les observations de l’appelant sont peu convaincantes.

[39]           L’appelant n’a fourni aucune explication quant à la raison pour laquelle le mécanisme d’acquisition qu’est la DS – qui ne figure pas dans les procédures de l’ACSTA en matière d’attribution de marchés – a été choisi par la direction de l’ACSTA au lieu d’un autre mécanisme d’acquisition approuvé et prévu dans les procédures. Il n’a pas non plus expliqué pourquoi la procédure relative à la DS était nécessaire ni sur quelle base elle était autorisée. Le juge a souligné la confusion qui régnait quant à la façon que la DS avait été choisie comme mécanisme d’acquisition lorsqu’il a parlé du témoignage de M. Corrigan, directeur des Technologies de contrôle à l’ACSTA en 2009 et 2010. Lors du contre-interrogatoire, M. Corrigan a admis qu’« il ignorait de quelle façon le processus [d’acquisition] en est venu à porter l’étiquette de DS » (motifs du juge, au paragraphe 75). De plus, non seulement le choix de la direction de l’ACSTA de combiner les mécanismes d’acquisition de la DI et du marché prescrit reste inexpliqué, cette combinaison n’est pas prévue par les procédures en matière d’attribution de marchés.

[40]            Si la DS est issue de la fusion d’une DI et d’un marché prescrit, comme l’affirme l’appelant, il aurait fallu des critères d’évaluation, aux termes des procédures en matière d’attribution de marchés, pour veiller à ce que ladite DS soit considérée comme un mécanisme d’acquisition ouvert et valide. D’ailleurs, si on suppose que la première étape de la DS est une DI, la DI est, par définition, un [traduction] « processus d’acquisition ouvert » et requiert des critères d’évaluation. C’est ce qui ressort clairement de l’article 5.3 des procédures d’attribution de marchés, lequel prévoit que [traduction] « [l]es critères d’évaluation applicables dans tout processus de passation de marchés doivent être établis avant de demander l’autorisation requise de procéder à un achat, et les résultats de cette évaluation doivent être mis à la disposition de l’autorité d’approbation concernée dans le cadre d’une demande d’approbation ». [Non souligné dans l’original.]

[41]           Cependant, en l’espèce, la DS ne contient aucun critère d’évaluation. Sans ces critères, il serait difficile, voire impossible, pour les fournisseurs de connaître les besoins de l’ACSTA et d’y répondre. C’est davantage le cas pour Rapiscan, la seule partie soumissionnaire qui n’était pas déjà un fournisseur de l’ACSTA. Après avoir reçu les renseignements fournis par les fournisseurs, la direction de l’ACSTA était donc en mesure de choisir les fournisseurs qui répondaient à ses besoins et d’éliminer ceux qui n’avaient pas répondu aux besoins non divulgués connus seulement de ses dirigeants.

[42]           En résumé, les renseignements que la direction de l’ACSTA a communiqués – ou omis de communiquer – à son conseil d’administration ont raisonnablement pu l’amener à croire que la direction menait un processus d’acquisition ouvert alors que, dans les faits, ce n’était pas le cas et la direction a finalement attribué un marché prescrit. Le juge a fait les observations suivantes au paragraphe 76 de ses motifs :

Rien n’indique que le conseil d’administration savait que la direction avait mené un processus d’acquisition qui ne répondait pas à la définition de processus d’acquisition ouvert ou qui était loin de reproduire les procédures détaillées s’appliquant à un processus d’acquisition ouvert, transparent, concurrentiel et équitable, qui sont décrites dans les procédures de passation de marchés. De même, rien n’indique que le conseil était au courant que le processus n’avait donné lieu à aucun énoncé des besoins ou des critères d’appréciation des facteurs d’attribution du contrat; ou encore, que la DS contenait des dispositions exemptant l’ACSTA de toute obligation d’un traitement juste et équitable des fournisseurs et que celle-ci avait avisé les fournisseurs qu’elle n’était pas tenue de suivre un processus concurrentiel et que le contrat pouvait être attribué en fonction de tout critère, sans restriction quant à sa collecte de renseignements auprès de sources non divulguées.

[43]           J’aimerais ajouter que je ne suis toujours pas convaincu par l’argument de l’appelant selon lequel la simple mention de l’article 6.6 de la politique d’attribution de marchés dans la demande d’approbation présentée au conseil d’administration permettait à celui‑ci de raisonnablement comprendre comment le processus d’acquisition était défini avant qu’il ne donne son approbation et comment les valeurs en matière de transparence, d’équité et d’achat au meilleur prix étaient favorisées (dossier d’appel, volume 3, onglet D, à la page 712). La direction de l’ACSTA n’a pas non plus informé le conseil d’administration que l’équipement de Smiths était beaucoup plus coûteux que celui de Rapiscan. Par conséquent, je conviens avec le juge que le conseil d’administration n’avait pas reçu les renseignements lui permettant d’exercer « sa fonction de surveillance » (motifs du juge, au paragraphe 77). Somme toute, bien qu’on ne puisse lui en attribuer la faute, le conseil d’administration n’a pas été en mesure d’arriver à une conclusion raisonnable.

[44]           À l’appui de l’argument selon lequel l’ACSTA pouvait définir le processus d’acquisition comme elle l’a fait, l’appelant souligne que les procédures en matière d’attribution de marchés doivent être appliquées avec souplesse et que l’ACSTA a besoin d’une certaine [traduction] « marge de manœuvre ». Selon l’appelant, s’il en est ainsi, c’est parce que l’équipement de contrôle de l’ACSTA doit toujours composer avec des normes internationales en constante évolution. L’appelant soutient que l’approche adoptée par le juge à cet égard était trop rigide.

[45]           À mon avis, les observations que l’ACSTA a présentées à ce sujet vont directement à l’encontre de l’objectif qui consiste à mettre en œuvre les procédures en matière d’attribution de marchés. Quel serait l’objectif des procédures si l’ACSTA pouvait faire fi, arbitrairement et sans justification, des règles qui sont prescrites par la Loi sur l’ACSTA? Je ne peux qu’être en accord avec Rapiscan pour dire qu’un tel résultat est contraire au bon sens et ne concorde pas du tout avec l’obligation de l’ACSTA de favoriser la transparence, l’équité et l’achat au meilleur prix qui est prévue dans la Loi sur l’ACSTA et dans la politique et les procédures de l’ACSTA en matière d’attribution de marchés (paragraphe 8(5) de la Loi sur l’ACSTA; articles 5.6.1, 5.7 des procédures en matière d’attribution de marchés et article 6.6 de la politique en matière d’attribution de marchés).

c)         La question des trois générateurs d’angles de vue

[46]           Ce dernier point découle de l’argument de l’appelant selon lequel la DS ne contenait aucune exigence relative aux trois générateurs d’angles de vue quand elle a été publiée. L’appelant soutient que le juge a commis une erreur quand (i) il a conclu que la DS contenait une exigence non divulguée selon laquelle l’équipement de radioscopie que l’ACSTA cherchait à obtenir devait avoir trois générateurs d’angles de vue, et (ii) que cette exigence était connue de l’ACSTA au moment où la DS a été envoyée aux fournisseurs.

[47]           Il convient de rappeler que lorsque l’ACSTA a accepté que le contrat soit attribué à Smiths sans mise en concurrence pour l’achat de l’appareil de radioscopie à angles de vue multiples en 2009, le contrat exigeait « trois générateurs d’angles de vue ». Rapiscan a été éliminée au cours du processus de 2009 parce que son modèle (620 DV-AT) ne satisfaisait pas à cette exigence minimale (note d’information à l’intention du conseil d’administration datée du 18 juin 2009, dossier d’appel, volume 4, onglet S, à la page 1061).

[48]           Un an plus tard, quand la DS a été publiée en 2010, elle n’exigeait pas un nombre minimal d’angles de vue. Par conséquent, Rapiscan a soumissionné pour son modèle à deux angles de vue (620DV-AT). Cependant, à la fin, la soumission de Rapiscan a été éliminée au motif que l’ACSTA devait avoir au moins trois générateurs d’angles de vue (note d’information à l’intention du conseil d’administration datée du 4 octobre 2010, dossier d’appel, volume 4, onglet 16-S, à la page 1046).  

[49]           Selon le juge, comme trois générateurs d’angles de vue étaient exigés en 2009 quand le contrat a été attribué à Smiths, il s’agissait encore d’une exigence minimale dans le cadre du processus d’acquisition de 2010. En tirant sa conclusion au sujet de l’exigence relative aux trois générateurs d’angles de vue, le juge s’est appuyé sur deux documents : i) la note d’information à l’intention du conseil d’administration datée du 4 octobre 2010 (dossier d’appel, volume 4, onglet 16-S, à la page 1046); et ii) la note d’information à l’intention du conseil d’administration datée du 18 juin 2009 (dossier d’appel, volume 4, onglet 16-S, à la page 1062) (motifs du juge, aux paragraphes 84 à 87).

[50]           Bien que l’appelant admette que l’appareil à trois angles de vue était une exigence minimale du contrat attribué à Smiths à l’issue du processus d’acquisition de 2009, il soutient que le juge n’avait aucune raison de conclure que la même exigence minimale avait été adoptée pendant le processus d’acquisition de 2010.

[51]           Vu la déférence dont la Cour doit faire preuve envers les conclusions de fait des tribunaux d’instance inférieure suivant l’arrêt Housen, je ne suis pas d’accord avec l’appelant.

[52]           La note d’information de 2010 fait référence au processus d’acquisition de 2009 et indique que [traduction] « [p]our satisfaire à cette exigence [en 2009], les appareils de radioscopie à angles de vue multiples devaient capter trois angles de vue ou plus : il s’agit d’un autre facteur qui intervient dans l’évaluation de cette année » (motifs du juge, au paragraphe 39).

[53]           La note d’information peut être interprétée de manière à indiquer que la qualité d’un appareil capable de capter au moins trois angles de vue n’était que l’un des nombreux facteurs dont il faut tenir compte, mais elle peut aussi être interprétée de manière à dire que l’exigence relative aux trois angles de vue était, encore une fois, un facteur déterminant dans le processus d’acquisition de 2010, ce qui aurait pour effet d’exclure certains appareils. Le fait que le juge préfère la seconde interprétation n’équivaut pas, à mon avis, à une erreur manifeste et dominante.

[54]           Le juge a aussi conclu que les observations de la direction de l’ACSTA concernant les produits de Smiths et sa technologie plus performante n’étaient pas raisonnablement justifiées et que l’ACSTA avait aussi omis d’aviser le conseil d’administration que le coût du modèle de Rapiscan était nettement inférieur et, par conséquent, plus concurrentiel.

[55]           Compte tenu de la preuve dont il a été saisi, le juge est arrivé à la conclusion que le conseil d’administration ignorait que la direction avait mené le processus d’acquisition comme elle l’a fait. Le conseil n’a donc pas été en mesure d’exercer sa fonction de surveillance. À mon avis, le juge pouvait tirer cette conclusion et il n’a commis aucune erreur qui justifie l’intervention de notre Cour.

[56]           Pour les motifs qui précèdent, comme j’estime que l’ACSTA a rendu sa décision par suite d’un processus vicié, je ne peux que conclure que la décision est également viciée et déraisonnable. Cette conclusion suffit, en soi, pour rejeter le présent appel. Cependant, je crois qu’il est nécessaire de traiter brièvement des deux autres questions.

(3)        L’ACSTA a-t-elle manqué à l’obligation d’équité procédurale?

[57]           Un élément important du processus d’acquisition est le contrat établi et théorique appelé « contrat A », qui est créé quand un soumissionnaire répond à l’appel d’offres de l’acheteur et présente une offre (Ontario c. Ron Engineering & Construction (Eastern) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 111). Il est établi en droit que la formation du « contrat A » dans le cadre d’un processus d’acquisition crée des droits et des obligations implicites (p. ex. l’obligation d’équité), distincts des droits et obligations découlant du contrat attribué à la fin du processus d’appel d’offres (« contrat B »).

[58]           Suivant l’arrêt M.J.B. Enterprises Ltd. c. Construction de Défense (1951) Ltée, [1999] 1 R.C.S. 619 [M.J.B. Enterprises], la Cour suprême du Canada a établi qu’un « contrat A » n’est pas nécessairement formé dès la présentation d’une soumission. La formation du « contrat A » dépend de l’intention des parties – comme la formation de tout contrat  - et des conditions mentionnées dans les documents d’appel d’offres (M.J.B. Enterprises; Martel Building Ltd. c. Canada, 2000 CSC 60, [2000] 2 R.C.S. 860, et Naylor Group Inc. c. Ellis-Don Construction Ltd., 2001 CSC 58, [2001] 2 R.C.S. 943). Si aucun « contrat A » n’est formé, les parties sont, en principe, régies par le droit traditionnel des contrats et les droits et obligations qui figurent implicitement dans le « contrat A » n’entrent pas en jeu (Paul Emanuelli, Government Procurement, 3e éd. (Lexis, 2012), à la page 68).

[59]           Le juge était attentif à la notion du « contrat A » et aussi préoccupé par le fait que la présente affaire porte sur un aspect particulier puisque la DS excluait expressément le « contrat A ». Selon lui, cette exclusion a eu pour conséquence de nier « l’existence d’une obligation de traitement juste et équitable à l’égard des soumissionnaires » (motifs du juge, au paragraphe 122). Il était d’avis que, même si le droit des contrats offrait à Rapiscan une réparation satisfaisante, il se sentait toutefois tenu, vu les circonstances de l’affaire, de conclure que le manquement à l’équité procédurale relevait du droit public (motifs du juge, aux paragraphes 125 et 126). Il a donc conclu que l’ACSTA avait manqué à son obligation d’équité procédurale à l’égard de Rapiscan et qu’une réparation était, par conséquent, justifiée pour maintenir l’intégrité du processus d’acquisition du gouvernement.

[60]           Cependant, en concluant qu’il existait une obligation d’équité procédurale de droit public, le juge semble avoir confondu la question de savoir si la décision de l’ACSTA était raisonnable avec celle de savoir si l’ACSTA avait manqué à l’obligation d’équité procédurale. C’est ce qui ressort des propos du juge lorsqu’il affirme que « [l]e Conseil d’administration a autorisé l’attribution d’un contrat à l’issue d’une procédure de passation de marchés injuste et non concurrentielle » (motifs du juge, au paragraphe 4). [Non souligné dans l’original.] Les questions concernant l’équité et la raisonnabilité sont expressément liées du fait que le juge décrit la décision de l’ACSTA comme une décision « injuste, déraisonnable, arbitraire et entachée de mauvaise foi » (motifs du juge, au paragraphe 131; voir aussi les paragraphes 127 et 129).

[61]           Le raisonnement du juge repose sur l’affaire Corporation Développement GDC Gatineau c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2009 CF 1295, au paragraphe 24 [GDC Gatineau], qui vise à confirmer la jurisprudence antérieure de la Cour fédérale, laquelle étaye la thèse discutable selon laquelle une décision sur une procédure d’appel d’offres est déraisonnable quand « l’administration adjudicative a agi d’une manière injuste, déraisonnable et arbitraire, qu’elle a fondé sa décision sur des considérations non pertinentes, ou qu’elle a agi de mauvaise foi ». En proposant que la raisonnabilité soit notamment évaluée en fonction de l’équité, le critère énoncé dans l’affaire GDC Gatineau va clairement à l’encontre de la distinction bien établie entre l’examen au fond et l’équité procédurale et de la règle voulant que l’équité procédurale soit examinée séparément selon la norme de la décision correcte (Khela c. Établissement de Mission, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502, au paragraphe 79).

[62]           Il est aussi bon de rappeler que dans l’arrêt Irving Shipbuilding, notre Cour a restreint l’accès aux recours de droit public aux situations où il y a eu une inconduite grave comme la fraude, la subornation ou la corruption (au paragraphe 62). Le juge, au paragraphe 115 de ses motifs, a inféré que le niveau très élevé d’inconduite évoqué dans l’arrêt Irving Shipbuilding « devait viser le cas particulier des droits des sous-traitants » et non les soumissionnaires. A priori, je ne suis pas disposé à établir une distinction entre l’espèce et l’arrêt Irving Shipbuilding pour ce motif.

(4)        L’ACSTA a-t-elle agi de mauvaise foi?

[63]           Bien que la question de mauvaise foi ait été soulevée à l’audience devant le juge, Rapiscan n’a pas laissé entendre que le conseil d’administration avait agi de mauvaise foi (dossier d’appel, volume 6, onglet 28, à la page 1726). Devant notre Cour, Raspican a aussi confirmé qu’elle n’avait pas [traduction] « invoqué » l’argument de mauvaise foi devant le juge, ce qui n’a pas été contesté par l’appelant.

[64]           Malgré l’affirmation de Rapiscan, le juge a tout de même procédé à une analyse qui l’a amené à conclure que l’ACSTA a agi de mauvaise foi. S’il en a déduit que l’ACSTA avait agi de mauvaise foi, sa conclusion ne reposait toutefois pas sur la preuve. Non seulement le juge a‑t‑il conclu à la mauvaise foi sur la foi « d’inférences raisonnables », mais il a aussi mis en doute sa propre conclusion au paragraphe 94 de ses motifs :  

Dans les circonstances et en tenant compte des antécédents de l’ACSTA en matière d’appel d’offres, il apparaît raisonnable de conclure que l’exigence minimale a été adoptée pour empêcher le conseil d’administration de procéder à une évaluation équitable et adéquate en limitant son accès à l’information relative aux avantages financiers importants qu’offrait l’équipement de Rapiscan. Quelle qu’ait été l’intention, c’est le résultat qui comptait.

[Non souligné dans l’original.]

[65]           Compte tenu de ce qui précède, je peux seulement constater que la conclusion de mauvaise foi tirée par le juge était dénuée de fondement et inappropriée.

IV.             Conclusion

[66]           Pour les motifs qui précèdent, j’estime que la décision du conseil est déraisonnable et illégale. Je rejetterais donc l’appel avec dépens. Je déclarerais aussi que l’ACSTA n’a pas respecté ses procédures en matière d’attribution de marchés adoptées en vertu de la Loi sur l’ACSTA en ce qui concerne le processus d’acquisition de 2010, au terme duquel le contrat a été attribué à Smiths et je modifierais l’ordonnance du juge en conséquence.

« Richard Boivin »

j.c.a.

« Je suis d’accord

M. Nadon j.c.a. »

« Je suis d’accord

Wyman W. Webb j.c.a. »

Traduction


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-106-14

 

 

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. RAPISCAN SYSTEMS, INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 JANVIER 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE WEBB

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 AVRIL 2015

 

COMPARUTIONS :

Mandy E. Aylen

 

POUR L’APPELANT

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Riyaz Dattu

Patrick Welsh

Gerard Kennedy

 

POUR L’INTIMÉE

RAPISCAN SYSTEMS, INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANT

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Osler, Hoskin & Harcourt, S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉE

RAPISCAN SYSTEMS, INC.

 

 

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