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Date : 20151009


Dossier : A-506-14

Référence : 2015 CAF 216

CORAM :

LE JUGE NADON

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

BURIN PENINSULA MARINE SERVICE CENTRE

appelant

et

MAXWELL FORSEY

intimé

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 9 octobre 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20151009


Dossier : A-506-14

Référence : 2015 CAF 216

CORAM :

LE JUGE NADON

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

BURIN PENINSULA MARINE SERVICE CENTRE

appelant

et

MAXWELL FORSEY

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]               Il s'agit d'un appel interjeté contre la décision de la juge Heneghan de la Cour fédérale du 20 octobre 2014 (2014 CF 974), par laquelle la juge a fait droit, avec dépens, à l'action en dommages‑intérêts introduite par l'intimé contre l'appelant. Plus précisément, la juge a accordé des dommages‑intérêts généraux de 269 206,38 $ à l'intimé pour un accident qui s'est produit le 10 juillet 2011. Le navire de l'intimé, le navire de pêche « Eastern Gambler » (le navire), est tombé du berceau sur lequel il reposait, pendant qu'il était entreposé sur le terrain de l'appelant situé à Fortune (Terre‑Neuve).

[2]               Le 18 novembre 2014, l'appelant a déposé un avis d'appel dans lequel il contestait la décision de la juge pour divers motifs. Cependant, dans son mémoire des faits et du droit, l'appelant soutient que deux questions seulement doivent être tranchées dans le présent appel, soit celle de savoir si la juge a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable à l'appelant du fait que celui‑ci se serait débarrassé intentionnellement d'éléments de preuve pertinents et celle de savoir si la juge a commis une erreur en concluant que les clauses d'exonération qui se trouvent dans le contrat conclu par les parties ne protégeaient pas l'appelant de sa propre négligence.

[3]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que nous devrions rejeter l'appel.

I.                   Les faits

[4]               L'entreprise de l'appelant s'occupe de l'entreposage et de l'entretien de navires à son centre de services maritimes situé à Fortune (Terre‑Neuve).

[5]               L'intimé est le propriétaire du navire en question.

[6]               À la fin du mois de juin 2011, l'appelant a accepté de retirer de l'eau le navire de l'intimé et de le mettre sur terre pour, notamment, effectuer des réparations à la coque du navire.

[7]               Cependant, avant de sortir le navire de l'eau, l'appelant a demandé à l'intimé de signer un document intitulé [TRADUCTION] « Déclaration d'acceptation de responsabilité » (la déclaration), que l'intimé a signé le 27 juin 2011. La déclaration est au cœur du présent appel et je vais donc la reproduire intégralement :

[TRADUCTION]

Je soussigné, Max Forsey, résidant à Hillveiw [sic], déclare assumer la responsabilité de tout dommage à mon navire, le ____________________ (nom du navire), _____________________ (numéro d'enregistrement BPC), susceptible de se produire pendant le levage ou la mise à l'eau de mon navire au moyen du portique de levage du Centre de services maritimes, à condition que le dommage n'ait pas été causé par la négligence de l'opérateur dudit portique.

En outre, je comprends et j'accepte que j'assume tous les risques de perte, de dommage ou de préjudice, causé par un incendie ou autrement, que je subirais ou que subiraient mes biens, ou une autre personne ou les biens d'une autre personne, du fait de ma négligence ou des actes d'un de mes employés, préposés ou mandataires. De plus, j'accepte d'indemniser ledit Centre de services maritimes et ses mandataires, préposés ou employés de toute réclamation relativement à une perte, un dommage ou un préjudice subi par moi‑même ou par toute autre personne du fait de ma négligence ou des actes d'un de mes préposés, mandataires ou employés.

Je comprends et j'accepte que je suis responsable de l'immobilisation et du blocage de mon navire, et non ledit Centre de services maritimes, ou ses mandataires, préposés, employés ou autres. De plus, j'accepte d'indemniser ledit Centre de services maritimes et ses dirigeants, mandataires, employés, préposés ou autres de toute réclamation de ma part à cet égard.

Je comprends et j'accepte également que ledit Centre de services maritimes n'assume aucune responsabilité relativement à tout dommage pouvant être causé à mon navire du fait d'un acte de la nature, d'un vol, d'un acte de vandalisme, d'un incendie ou d'un autre péril s'étant propagé du terrain ou du bâtiment d'une autre personne avoisinant ledit Centre de services maritimes, ou du fait d'un acte illégal ou de la négligence d'une tierce partie (quelle qu'en soit la cause). De plus, j'accepte d'indemniser ledit Centre de services maritimes et ses dirigeants, mandataires, employés, préposés ou autres de toute réclamation de ma part à cet égard.

De plus, j'assume l'entière responsabilité relativement à tout dommage à un bien ou à une personne dudit Centre de services maritimes ou à ses dirigeants, mandataires, employés, préposés ou autres, ou à une tierce partie, du fait du calage inapproprié ou inadéquat de mon navire ou de tout autre acte de négligence (quelle qu'en soit la cause) de ma part ou de la part d'un de mes mandataires, préposés ou employés; j'accepte d'indemniser ledit Centre de services maritimes et ses dirigeants, mandataires, employés, préposés ou autres de toute réclamation d'une tierce partie résultant d'un tel calage inapproprié ou inadéquat ou de tout acte de négligence de ma part ou de la part d'un de mes préposés, mandataires ou employés.

Je reconnais avoir lu l'« Avis et avertissement » affiché au Centre de services maritimes et aux alentours dudit Centre et l'avoir bien compris.

Je reconnais également que si, un mois après avoir été avisé par écrit par le Centre de services maritimes de l'existence de frais relativement à mon navire, ces frais demeurent impayés, ledit Centre de services maritimes peut, à son gré, enlever ou vendre le navire ou s'en débarrasser autrement; j'accepte également que je n'aurai aucune réclamation que ce soit contre ledit Centre de services maritimes découlant de cet enlèvement, vente ou autre disposition du navire ou en lien avec cet enlèvement, vente ou autre disposition.

SIGNÉ, SCELLÉ ET DÉLIVRÉ par les parties aux présentes, audit Centre de services maritimes, le 27 juin 2011.

SIGNÉ, SCELLÉ ET DÉLIVRÉ

par (propriétaire ou capitaine du navire)

en présence de :

__________________________                     _____________________________

(propriétaire ou capitaine

du navire)                             (sceau)

SIGNÉ, SCELLÉ ET DÉLIVRÉ

pour le compte du Centre de

services maritimes

en présence de :

__________________________        Par:      ______________________________

(Centre de services maritimes)

Gérant/Opérateur     (sceau)

[8]               Comme l'indique la déclaration, elle incorpore par renvoi l'avis et avertissement affiché à deux endroits sur le terrain de l'appelant. L'avis et avertissement énonce ce qui suit :

[TRADUCTION]

AVIS ET AVERTISSEMENT

TOUS LES NAVIRES ENTREPOSÉS SUR LES LIEUX DOIVENT ÊTRE ACCEPTÉS PAR LE CENTRE DE SERVICES MARITIMES ET SONT ENTREPOSÉS AUX RISQUES DU PROPRIÉTAIRE/EXPLOITANT DU NAVIRE. LE CENTRE DE SERVICES MARITIMES N'ACCEPTERA UN NAVIRE QUE SI SON PROPRIÉTAIRE/EXPLOITANT LUI REMET UNE « DÉCLARATION D'ACCEPTATION DE RESPONSABILITÉ » DÛMENT SIGNÉE.

TOUS LES NAVIRES ENTREPOSÉS SUR LES LIEUX PAR LE PROPRIÉTAIRE/EXPLOITANT ET NON RÉCLAMÉS DANS LES 30 JOURS SUIVANT LA RÉCEPTION DE L'AVIS DONNÉ PAR LE CENTRE DE SERVICES MARITIMES SERONT RETIRÉS AUX FRAIS DU PROPRIÉTAIRE/EXPLOITANT.

CENTRE DE SERVICES MARITIMES DE FORTUNE

[9]               L'intimé ayant signé la déclaration, le navire a été retiré de l'eau par les employés de l'appelant. Il a alors été entreposé à terre et supporté par un berceau composé de tins, qui sont des pièces de bois rectangulaires, placés sous le navire perpendiculairement à la quille avec deux éléments de « calage » ou de « support » de chaque côté. Les supports placés de chaque côté étaient reliés par des croix de saint André. Un support est une pièce triangulaire faite en bois et elle est fixée sur le flanc du navire. Les supports étaient ajustés contre la coque du navire au moyen de « coins » insérés entre le support et la coque du navire (cette description du berceau utilisé pour le navire reprend le paragraphe 6 de l'exposé conjoint des faits du 6 décembre 2013 déposé par les parties).

[10]           Du 27 juin 2011 au 10 juillet 2011, le navire est demeuré entreposé sur le terrain de l'appelant et, pendant cette période, les employés de l'appelant ont effectué des travaux de réparation et d'entretien général du navire. Plus précisément, l'appelant a installé de nouvelles anodes de zinc, démonté et inspecté l'hélice et retiré le gouvernail de direction. Les employés de l'appelant ont en outre démonté l'arbre porte‑hélice qui a été envoyé à St. John's (Terre‑Neuve) pour être réparé et remonté ensuite sur le navire, une fois renvoyé à Fortune.

[11]           Tôt le matin du 10 juillet 2011, des vents forts ont balayé la péninsule de Burin. Heber Lethbridge, un conducteur de camion qui se trouvait sur les lieux, a alors entendu un grand bruit et a vu peu après le navire gisant sur le sol sur son côté tribord.

[12]           Après la chute du navire, les employés de l'appelant ont fait ce qu'ils ont pu pour réduire les dommages causés à celui‑ci, en bouchant les fuites d'huile provenant des moteurs, en le redressant avec un système de relevage hydraulique et en le réinstallant sur un berceau; le navire avait toutefois déjà subi de graves dommages structurels.

[13]           L'intimé a introduit une action le 7 février 2012 dans laquelle il alléguait que l'appelant était un dépositaire rémunéré et donc responsable de la sécurité de l'entreposage du navire qui avait été placé sous les soins, la garde et le contrôle de l'appelant et que l'appelant avait omis de s'acquitter de son obligation de soin.

[14]           Plus précisément, l'intimé alléguait que l'appelant n'avait pas installé des supports capables d'assurer la sécurité du navire, qu'il avait omis d'installer des supports de berceau supplémentaires le 9 juillet 2011 alors qu'il aurait dû avoir connaissance des prévisions météorologiques et qu'il avait omis de fournir des matériaux de calage adéquats et appropriés.

[15]           Dans sa défense, l'appelant soutenait qu'il incombait à l'intimé de construire le berceau destiné à immobiliser le navire pendant sa période d'entreposage, ajoutant que l'intimé avait décidé d'utiliser les matériaux entreposés au terrain de l'appelant et que c'était à lui qu'il appartenait de déterminer si les matériaux étaient de bonne qualité et capables d'immobiliser de façon appropriée le navire pendant son entreposage. L'appelant alléguait également que ce n'est qu'après que les employés de l'intimé s'étaient déclarés satisfaits de l'installation du berceau qu'il avait retiré les sangles qui soutenaient le navire pour qu'il repose sur le berceau.

[16]           Selon l'appelant, la chute du navire découle donc de la faute et de la négligence de l'intimé qui n'avait pas immobilisé le navire de façon appropriée sur le berceau construit par ses employés le 27 juin 2011.

[17]           En outre, l'appelant alléguait que, de toute façon, il n'était pas responsable du dommage subi par l'intimé en raison des clauses d'exonération contenues dans la déclaration, et plus particulièrement de la clause suivante :

[TRADUCTION]

Je comprends et j'accepte que je suis responsable de l'immobilisation et du blocage de mon navire, et non ledit Centre de services maritimes, ou ses mandataires, préposés, employés ou autres. De plus, j'accepte d'indemniser ledit Centre de services maritimes et ses dirigeants, mandataires, employés, préposés ou autres de toute réclamation de ma part à cet égard.

[Non souligné dans l'original.]

[18]           L'appelant invoque également l'avis et avertissement affiché sur son terrain qui précisait qu'il n'était pas responsable des navires qui lui étaient confiés pour entreposage.

[19]           L'affaire a été entendue les 27, 28 et 29 janvier 2014. Le 20 octobre 2014, la juge a rendu son jugement et a conclu que le dommage résultait de la négligence des employés de l'appelant. La juge concluait également que Robert Ayres, employé et gérant de l'appelant, s'était intentionnellement débarrassé d'éléments de preuve pertinents pour entraver l'enquête qu'effectuait l'intimé au sujet de la perte subie. La juge a également conclu que les clauses d'exonération invoquées par l'appelant ne la protégeaient pas de sa propre négligence.

[20]           Je vais maintenant examiner de façon plus détaillée la décision de la juge, étant donné que ses conclusions de fait et de droit sont, cela va sans dire, d'une grande importance pour l'issue du présent appel.

II.                La décision de la Cour fédérale

[21]           La première décision factuelle que la juge était appelée à rendre portait sur la question de savoir qui avait choisi les matériaux de calage et qui avait construit le berceau. Après avoir examiné la preuve et remarqué qu'elle contenait des contradictions, la juge a déclaré que le bois utilisé pour construire le berceau et le contreplaqué utilisé pour construire les croix de saint André appartenaient à l'appelant. Elle a aussi estimé que les coins utilisés appartenaient également à l'appelant et que les matériaux de calage, les coins et les croix de saint André étaient, à tout moment, sous le contrôle physique et administratif de l'appelant. Elle a également jugé que c'étaient les employés de l'appelant qui avaient choisi les matériaux utilisés pour construire le berceau.

[22]           Pour ce qui est de la construction du berceau, la juge a examiné la preuve et a fait remarquer qu'encore une fois, elle était contradictoire. Elle a déclaré que le berceau avait été construit par les employés de l'appelant et que les employés de l'intimé n'avaient pas directement participé à cette construction.

[23]           La question factuelle suivante que la juge a dû trancher concernait le caractère approprié des matériaux de calage utilisés pour la construction du berceau. Sur ce point, la juge a noté que cette question touchait également celle du retrait des matériaux. Encore une fois, elle a examiné la preuve présentée sur ce point, en faisant remarquer que l'appelant avait changé sa politique à l'égard du calage; avant juin 2011, il facturait le calage, alors qu'après juin 2011, il ne facturait plus ce service, mais l'offrait gratuitement à ses clients.

[24]           Au paragraphe 54 de ses motifs, la juge a fait remarquer que l'appelant ne facturait plus l'utilisation des matériaux de calage, mais que cela ne lui permettait pas de se soustraire à l'obligation de fournir des matériaux adéquats. Étant donné que, selon la juge, l'appelant était responsable de la sécurité du navire pendant qu'il se trouvait sur son terrain, peu importait qu'il n'ait pas facturé l'utilisation de ces matériaux, étant donné qu'il lui incombait de veiller à ce que les matériaux conviennent au travail à effectuer.

[25]           La juge a également conclu que les matériaux de calage endommagés n'étaient pas disponibles lorsque l'évaluateur de l'intimé s'était rendu au terrain de l'appelant le 12 juillet 2011 pour procéder à une inspection. À son avis, les matériaux de calage endommagés avaient été enlevés avant l'arrivée de l'expert et l'avaient été dans l'intention de les soustraire à cette inspection.

[26]           Elle a également conclu que les matériaux de calage utilisés par l'appelant pour construire le berceau avaient été entreposés à l'extérieur et exposés au vent, à la pluie, à la neige et au soleil.

[27]           En se fondant sur ces conclusions de fait, la juge a alors examiné les questions de droit et a tiré un certain nombre de conclusions juridiques.

[28]           Premièrement, après avoir exposé les arguments des parties concernant la nature du contrat et les conséquences juridiques découlant des événements du 10 juillet 2011, la juge a abordé la question du dépôt.

[29]           À son avis, il existait entre les parties un dépôt portant sur la remise du navire en la possession de l'appelant sur son terrain afin d'effectuer des réparations et ce, malgré l'existence d'un contrat concernant le fait de retirer le navire de l'eau et l'entreposer. Le fait que les employés de l'intimé aient effectué des travaux sur le navire, notamment la peinture, n'a pas eu pour effet de remettre à l'intimé la possession du navire pendant que celui‑ci se trouvait sur le terrain de l'appelant.

[30]           Vu l'existence d'un dépôt, la juge a alors abordé la question du fardeau de la preuve. Plus précisément, elle a déclaré que le fardeau de la preuve s'était déplacé à l'appelant et que celui‑ci était tenu de démontrer que la perte n'avait pas été causée par sa négligence. Elle a ensuite posé la question suivante : « [L'appelant] s'est‑il acquitté du fardeau de prouver qu'il n'a pas été négligent? » (paragraphe 105 de ses motifs).

[31]           Elle a commencé l'analyse de cette question en déclarant que la question de la négligence touchait à la fois le caractère adéquat des matériaux et la façon dont le berceau avait été construit, et elle a ajouté qu'elle avait conclu que les matériaux de calage avaient été retirés avant leur inspection par l'évaluateur de l'intimé et qu'il n'avait pas été possible de déterminer le caractère adéquat des matériaux.

[32]           Cela a amené la juge à se demander si la destruction des matériaux de calage endommagés dans des circonstances où l'appelant aurait dû envisager la possibilité d'un litige permettait de tirer une conclusion défavorable à l'appelant.

[33]           À son avis, les matériaux de calage endommagés dont l'appelant s'était débarrassé avant l'inspection constituaient des éléments de preuve qui touchaient directement la question de la négligence et elle a ajouté qu'elle était convaincue que l'appelant savait ou aurait dû savoir que le fait de se débarrasser de ces matériaux aurait des répercussions sur la demande de l'intimé.

[34]           La juge a donc estimé qu'elle pouvait tirer une conclusion défavorable à l'appelant, à savoir que les éléments de preuve avaient été retirés intentionnellement pour entraver le déroulement du litige. Au paragraphe 118 de ses motifs, la juge a fait la déclaration suivante :

Cette conclusion entraîne la présomption réfutable que l'élément de preuve était défavorable à la cause [de l'appelant], autrement dit que les matériaux de calage ayant servi à construire le berceau étaient défectueux et inadéquats. Il incombe [à l'appelant] de réfuter cette présomption en démontrant qu'il n'avait pas l'intention de détruire la preuve se rapportant au litige en cours ou envisagé.

[35]           La juge a ensuite déclaré que l'appelant n'avait pas, dans les circonstances, réfuté la présomption selon laquelle il avait intentionnellement détruit les matériaux en question.

[36]           Elle a ensuite jugé que l'appelant avait fait preuve de négligence dans le choix et l'utilisation des matériaux de calage pour la construction du berceau et qu'il ne s'était pas acquitté de son fardeau d'établir que la perte s'était produite sans négligence de sa part.

[37]           Enfin, elle a conclu qu'il existait des éléments de preuve solides démontrant que les matériaux de calage avaient été entreposés à l'air libre et ainsi exposés au vent, à la pluie, à la neige et au soleil. Cela a indiqué à la juge que les matériaux de calage n'avaient pas été correctement entretenus par l'appelant.

[38]           La juge a alors examiné la clause d'exonération que l'appelant invoquait pour soutenir qu'il ne devait pas être déclaré responsable de la perte de l'intimé même s'il était jugé qu'il avait fait preuve de négligence sur ce point. Plus précisément, au paragraphe 127 de ses motifs, elle expose dans les termes suivants la question qu'elle était appelée à trancher :

Ayant conclu que [l'appelant] a fait preuve de négligence dans la construction du berceau, la dernière question qui reste à trancher est celle à savoir si [l'appelant] peut se fonder sur la déclaration [d'acceptation de responsabilité] et les deux avis [et avertissements], qui sont intégrés par renvoi à la déclaration, afin d'exclure sa responsabilité en raison de sa négligence.

[39]           Elle a commencé l'analyse de cette question en déclarant que ni la déclaration ni les avis affichés excluaient expressément, ou par implication nécessaire, la négligence de l'appelant. Elle a alors fait remarquer qu'il y avait une certaine ambiguïté découlant du terme [TRADUCTION] « immobilisation » qui se trouve au paragraphe 3 de la déclaration et elle s'est demandé si ce mot voulait dire que l'intimé était responsable des sangles de levage et des bouées de saisie, comme le soutenait l'intimé, ou si ce mot indiquait que l'intimé était responsable de son navire pendant qu'il se trouvait installé sur le berceau situé sur le terrain de l'appelant, comme le soutenait ce dernier.

[40]           Étant donné qu'elle a estimé que le contrat était ambigu, elle a appliqué la règle d'interprétation contra proferentem contre l'appelant, la partie qui avait rédigé le document. Ceci l'a amenée à écarter l'argument de l'appelant selon lequel les mots [TRADUCTION] « immobilisation » et « blocage », que l'on trouve au paragraphe 3 de la déclaration, devaient signifier que l'intimé était responsable de la sécurité de son navire pendant qu'il se trouvait sur le berceau. Le fondement de cette conclusion se trouve au paragraphe 134 de ses motifs, dans lequel elle déclare :

Dans son témoignage, M. Ayres a invariablement affirmé qu'il avait la responsabilité ultime des activités au centre de services maritimes, et j'ai déjà conclu que [l'appelant] dirigeait la construction du berceau. Compte tenu du contrôle exercé par [l'appelant] durant tout le processus du levage et [de l'immobilisation] du navire, les parties ne peuvent avoir eu l'intention que le mot [« immobilisation »] ait la signification proposée par [l'appelant], à savoir, que [l'intimé] avait la responsabilité [de l'immobilisation] du navire durant la période des réparations.

[41]           Elle a ensuite jugé qu'elle ne pouvait retenir l'argument de l'appelant selon lequel, même si les clauses d'exonération ne visaient pas expressément la négligence de l'appelant, cette négligence était exclue par implication nécessaire si l'on se basait sur l'ensemble de la déclaration. Au paragraphe 136 de ses motifs, elle examine cet argument de la façon suivante :

À mon avis, eu égard aux principes d'interprétation du contrat concernant les clauses d'exonération, la déclaration et les avis n'excluent pas la responsabilité pour négligence, et [l'appelant] ne peut se fonder sur ceux‑ci pour exclure sa responsabilité pour négligence dans la construction du berceau.

[42]           La juge a donc conclu que l'appelant était responsable de la perte subie par l'intimé.

III.             Les questions en litige

[43]           Les parties s'entendent sur le fait qu'il y a lieu de trancher deux questions dans le présent appel. La première touche la présomption défavorable tirée par la juge au sujet des matériaux de calage dont les employés de l'appelant se sont débarrassés, et la seconde concerne la conclusion de la juge selon laquelle les clauses d'exonération de la déclaration n'excluaient pas la négligence de l'appelant pour la perte survenue le 10 juillet 2011.

IV.             Analyse

[44]           À l'audience, l'avocat de l'appelant a fait, à juste titre à mon avis, un certain nombre de concessions. Il n'a pas contesté la conclusion de la juge selon laquelle il existait un dépôt visant le navire de l'intimé ni, dans l'ensemble, les conclusions de fait tirées par la juge. Il ne souscrivait pas à ces conclusions, mais il a clairement précisé que, d'après la preuve, il n'était pas en mesure de soutenir que la juge avait commis des erreurs manifestes et dominantes, ce qui explique pourquoi, pour ce qui est de la première question que je vais aborder maintenant, il a principalement exposé des arguments fondés sur l'iniquité procédurale.

[45]           Pour ce qui est de la première question en litige, l'appelant avance un certain nombre d'arguments. Premièrement, il affirme qu'il n'existe aucune preuve susceptible d'étayer la conclusion de la juge selon laquelle M. Ayres s'était intentionnellement débarrassé d'éléments de preuve pertinents. Il affirme ensuite, après avoir fait référence aux paragraphes 74, 117 et 120 des motifs de la juge, qu'il n'a jamais eu la possibilité de réfuter la présomption selon laquelle il avait détruit des éléments de preuve pertinents. À son avis, rien dans les actes de procédure n'autorisait la juge à tirer cette conclusion et l'intimé ne l'a pas non plus invitée à tirer une telle conclusion.

[46]           L'appelant soutient donc que la juge a commis une erreur de droit lorsqu'elle a conclu que M. Ayres s'était débarrassé des matériaux de calage pour empêcher l'évaluateur de l'intimé de les inspecter, et il ajoute que la conclusion de la juge constitue [TRADUCTION] « une violation fondamentale de l'équité procédurale qui a entaché gravement et de façon injustifiée la réputation de l'appelant et de ses employés » (paragraphe 41 du mémoire des faits et du droit de l'appelant).

[47]           L'appelant soutient également que la juge avait soulevé elle‑même la question de l'intention de M. Ayres et que les parties ne l'ont appris que lorsqu'elles ont lu ses motifs. Il y a donc eu, dans les circonstances, violation de l'équité procédurale, étant donné que l'appelant n'a pas eu la possibilité de s'opposer à la thèse de la juge.

[48]           L'appelant conclut sur ce point en invitant la Cour à [TRADUCTION] « expurger du jugement toute référence à la destruction intentionnelle des éléments de preuve par M. Ayres ou à accorder la réparation qu'elle estime appropriée » (paragraphe 47 du mémoire des faits et du droit de l'appelant).

[49]           Par conséquent, étant donné que la question porte sur l'équité procédurale, l'appelant soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

[50]           L'intimé rejette complètement l'argument mis de l'avant par l'appelant et soutient que les droits procéduraux de l'appelant n'ont pas été violés. À l'appui de cette affirmation, l'intimé déclare que l'argument de l'appelant va à l'encontre des faits, notamment de ceux qui suivent :

1.      À la conférence préparatoire du 30 octobre 2012, les parties ont admis qu'une question se posait quant à savoir si l'intimé pouvait bénéficier de la présomption selon laquelle les matériaux de calage endommagés détruits par l'appelant n'étaient pas adaptés à l'utilisation prévue.

2.      Le recueil conjoint de jurisprudence et de doctrine contenait trois décisions portant sur la question de la destruction d'éléments de preuve, qui ont toutes été soulevées au cours des plaidoiries faites à l'audience.

3.      La question de la destruction d'éléments de preuve et celle de savoir si l'intention est un élément nécessaire de la notion de destruction d'éléments de preuve ont été débattues par l'avocat de l'intimé au procès.

4.      L'avocat de l'appelant a également abordé la question de la destruction d'éléments de preuve au procès et a demandé à la juge de conclure que M. Ayres n'avait pas eu l'intention de détruire des éléments de preuve pertinents.

5.      Le paragraphe 11 de la déclaration soulevait clairement le fait que l'appelant s'était débarrassé des matériaux de calage sans en avertir l'intimé.

[51]           L'intimé soutient donc qu'il est incontestable que les droits procéduraux de l'appelant n'ont pas été violés. Il affirme également que l'essentiel de la plainte de l'appelant vise les conclusions de fait de la juge et que, par conséquent, étant donné que la norme applicable aux conclusions de fait est celle de l'erreur manifeste et dominante, la juge n'a pas commis une erreur de droit qui autoriserait la Cour à intervenir.

[52]           Je conviens avec l'intimé qu'il n'y a pas eu d'iniquité procédurale si l'on prend en compte les actes de procédure et la preuve présentée par les parties. Je conviens également avec l'intimé que la véritable question est celle de savoir si la juge a commis une erreur manifeste et dominante lorsqu'elle a conclu qu'on s'était délibérément débarrassé des matériaux de calage avant l'arrivée de l'évaluateur pour ainsi l'empêcher de les examiner, que les matériaux avaient été détruits intentionnellement pour entraver le déroulement du litige et, enfin, que l'appelant n'avait pas offert d'éléments de preuve susceptibles de réfuter la présomption de la juge.

[53]           À mon avis, il suffit pour les besoins du présent appel de dire que rien ne permet de conclure que la juge ait commis une erreur manifeste et dominante lorsqu'elle a conclu que l'appelant n'avait pas réfuté la présomption relative à la négligence qu'elle avait tirée. J'estime donc qu'il n'existe aucun motif qui nous permettrait d'intervenir sur cette question.

[54]           Quant à la question de l'intention à l'égard de la destruction des matériaux de calage, j'estime qu'il y a lieu de formuler quelques remarques supplémentaires. Premièrement, étant donné que la juge a conclu que l'appelant était le dépositaire du navire de l'intimé, il n'était pas nécessaire, à mon avis, de conclure, pour trancher l'affaire, que l'enlèvement et la destruction des matériaux de calage étaient délibérés. Autrement dit, étant donné que le fardeau d'établir que le navire avait été endommagé sans qu'il y ait eu négligence de la part de l'appelant incombait à ce dernier, il était nécessaire que celui‑ci produise les matériaux endommagés pour démontrer qu'ils convenaient au travail prévu. Ainsi, pour que l'appelant obtienne gain de cause sur la question de la négligence, il devait convaincre la juge que les matériaux fournis étaient de bonne qualité. Étant donné qu'il n'a pas été en mesure de présenter ces matériaux, il n'a pas pu s'acquitter de son fardeau de la preuve.

[55]           Par conséquent, en omettant de présenter les matériaux endommagés, l'appelant n'a pu réfuter la présomption de négligence qui pesait contre lui. La destruction des matériaux endommagés était donc, dans les circonstances de l'affaire, gravement préjudiciable pour la thèse de l'appelant. Que l'enlèvement et la destruction des matériaux aient été intentionnels ou non n'a aucun effet sur le fardeau dont l'appelant devait s'acquitter pour réfuter la conclusion de la juge.

[56]           Étant donné la conclusion à laquelle je suis arrivé pour ce qui est de la deuxième question en litige et étant donné que la question de l'intention n'était pas, à mon avis, pertinente au règlement de la première question, je ne pense pas qu'il nous soit nécessaire de décider si la juge a commis une erreur manifeste et dominante lorsqu'elle a tiré sa conclusion au sujet de l'intention de M. Ayres. Je dirais toutefois qu'après avoir examiné soigneusement la preuve, j'aurais beaucoup hésité à conclure que M. Ayres et les autres employés de l'appelant avaient intentionnellement enlevé et détruit les éléments de preuve.

[57]           J'en arrive maintenant à la deuxième question en litige, que l'appelant a formulée de la façon suivante au paragraphe 20 de son mémoire des faits et du droit :

[TRADUCTION]

La juge de première instance a‑t‑elle commis une erreur de droit lorsqu'elle a conclu que les dispositions d'exonération étaient inapplicables et ne visaient pas la négligence de l'appelant?

[58]           Au sujet de cette question, l'appelant soutient que la juge a commis une erreur de droit parce qu'elle n'a pas pris en compte et appliqué le critère juridique approprié. Plus précisément, il affirme que la juge aurait dû donner effet au libellé clair des dispositions d'exonération contenues dans la déclaration et dans les avis et avertissements affichés sur les lieux. Selon l'argument de l'appelant, ces dispositions d'exonération et les avis suffisaient à le soustraire à toute responsabilité à l'égard des navires entreposés et immobilisés sur son terrain.

[59]           Pour ce qui est de la question de la négligence, l'appelant affirme que la juge n'a pas pris en compte un certain nombre d'arrêts de la Cour suprême du Canada, c'est‑à‑dire Tercon Contractors Ltd. c. Colombie‑Britannique (Transports et Voirie), 2010 CSC 4, [2010] 1 R.C.S. 69, et ITO‑International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., [1986] 1 R.C.S. 752, dans lesquels la Cour a exposé la grille d'analyse appropriée pour déterminer l'applicabilité et la portée des clauses d'exonération et trancher la question de savoir si ces clauses visent la négligence.

[60]           L'appelant affirme que si la juge avait appliqué le critère approprié, elle aurait conclu en sa faveur.

[61]           L'appelant examine ensuite la teneur des clauses d'exonération contenues dans la déclaration. Plus précisément, il affirme que l'application du critère exposé par le Conseil privé dans Canada Steamship Lines v. The King, [1952] A.C. 192, amène inévitablement à la conclusion que sa négligence était exclue.

[62]           Je ne peux retenir les arguments de l'appelant. Il ne m'a pas été démontré que la juge avait commis une erreur susceptible d'être révisée lorsqu'elle a conclu que les clauses d'exonération ne protégeaient pas l'appelant de sa propre négligence.

[63]           Avant d'aller plus loin, il est important de revenir sur le contrat qu'ont conclu les parties. La juge a déclaré, au paragraphe 100 de ses motifs, que l'intimé avait remis le navire à l'appelant à des fins de réparation et d'entretien. Autrement dit, c'était le travail que l'appelant s'était engagé à exécuter. Il va sans dire qu'avant de commencer ce travail, il fallait sortir le navire de l'eau et le placer sur le terrain de l'appelant.

[64]           J'examine maintenant la déclaration à laquelle l'appelant a accordé une grande importance dans ses arguments. Ce document est le seul élément de preuve écrit dont nous disposons au sujet du contrat conclu par les parties. Comme je l'ai mentionné plus haut, l'appelant a exigé que l'intimé signe le document avant de retirer son navire de l'eau.

[65]           Le premier paragraphe de la déclaration traite de l'opération consistant à sortir le navire de l'eau, ce qu'a fait l'appelant. Il énonce que l'intimé accepte d'être tenu responsable des dommages susceptibles d'être causés à son navire pendant l'opération à moins que l'origine en soit [TRADUCTION] « la négligence de l'opérateur dudit portique » de levage. À mon avis, la compréhension de ce paragraphe ne soulève aucune difficulté. Il est clair qu'il ne concerne aucunement la perte subie le 10 juillet 2011.

[66]           Le deuxième paragraphe de la déclaration traite des incendies et autres sinistres susceptibles de causer des dommages aux biens de l'intimé ou à ceux d'autrui. Dans un tel cas, l'intimé accepte d'en assumer la responsabilité si ces sinistres découlent de sa négligence ou de celle de ses employés, préposés ou mandataires; il accepte en outre d'indemniser l'appelant, ses préposés, mandataires et employés. Cette clause ne concerne pas non plus le dommage survenu le 10 juillet 2011.

[67]           Je vais maintenant sauter le troisième paragraphe auquel je reviendrai bientôt.

[68]           Le quatrième paragraphe énonce clairement que l'appelant ne peut être tenu responsable des dommages causés au navire de l'intimé du fait d'un acte de la nature, de vols, d'actes de vandalisme, d'incendies ou d'autres périls s'étant propagés d'un terrain ou d'un bâtiment avoisinant appartenant à d'autres personnes au terrain de l'appelant ou du fait d'un acte illégal ou de la négligence d'une tierce partie, quelle qu'en soit la cause. Dans le cas où ces événements se produiraient, l'intimé accepte d'indemniser l'appelant, ses dirigeants, mandataires, employés et préposés [TRADUCTION] « de toute réclamation de ma part [l'intimé] à cet égard ». Il va également sans dire que, compte tenu des circonstances de l'affaire, ce paragraphe de la déclaration ne concerne aucunement la question qui nous occupe.

[69]           Le cinquième paragraphe énonce que l'intimé accepte d'assumer la responsabilité à l'égard de tout dommage pouvant être causé à un bien de l'appelant ou à un bien d'un tiers du fait du calage inapproprié ou inadéquat de son navire ou de tout autre acte de négligence, quelle qu'en soit la cause, de sa part ou de celle de ses mandataires, préposés ou employés. Dans un tel cas, l'intimé s'engage à indemniser l'appelant, ses dirigeants, mandataires, employés et préposés de toute réclamation susceptible d'être présentée par des tiers. Personne n'a soutenu ou déclaré que le dommage causé en l'espèce découle du calage inapproprié ou inadéquat du navire, de sorte que cette clause ne concerne pas les fins du présent appel.

[70]           Quant au sixième paragraphe de la déclaration, il énonce que l'intimé reconnaît avoir lu les avis affichés sur le terrain de l'appelant et qu'il en comprend le sens.

[71]           Le dernier paragraphe de la déclaration traite des frais associés à l'entreposage du navire de l'intimé sur le terrain de l'appelant dont l'intimé pourrait être redevable et des conséquences possibles de l'omission de s'acquitter de ces frais. Cette disposition n'intéresse aucunement le présent appel.

[72]           Je reviens maintenant au troisième paragraphe de la déclaration qui est au cœur des arguments présentés par l'appelant sur la deuxième question en litige. Pour plus de commodité, je reproduis ici à nouveau le troisième paragraphe de la déclaration :

[TRADUCTION]

Je comprends et j'accepte que je suis responsable de l'immobilisation et du blocage de mon navire, et non ledit Centre de services maritimes, ou ses mandataires, préposés, employés ou autres. De plus, j'accepte d'indemniser ledit Centre de services maritimes et ses dirigeants, mandataires, employés, préposés ou autres de toute réclamation de ma part à cet égard.

[Non souligné dans l'original.]

[73]           Les parties ont débattu devant la juge et devant nous, en appel, du sens des mots [TRADUCTION] « immobilisation » et « blocage » qui figurent dans le troisième paragraphe. L'intimé soutient que ces mots concernent l'immobilisation des câbles, des bouées et de l'équipement ainsi que la fermeture des écoutilles, des fenêtres et des portes du navire avant son levage et pendant que celui‑ci se trouvait sur le terrain de l'appelant.

[74]           Par contre, l'appelant soutient que les mots [TRADUCTION] « immobilisation » et « blocage » visent manifestement le fait de placer le navire de l'intimé sur le berceau. À l'appui de cette affirmation, l'appelant cite la décision du juge Barry dans Howell c. Newfoundland (Attorney General) (1987), 65 Nfld. & P.E.I.R. 139, [1987] N.J. no 247 (QL), dans laquelle le juge examinait une déclaration dont le libellé était semblable à celui que l'on retrouve au troisième paragraphe de la déclaration en question ici et avait déclaré au paragraphe 35 de ses motifs que le mot [TRADUCTION] « immobilisation » voulait dire [TRADUCTION] « la mise en place d'une structure de soutien adéquate pour le [navire] et pour sa sécurité, c.‑à‑d. le maintien d'une telle structure pendant que le navire est entreposé dans la cour [de l'appelant] [le terminal maritime] ».

[75]           La juge a examiné cette question aux paragraphes 131 à 134 de ses motifs. Appliquant la règle d'interprétation contra proferentem, elle a rejeté les observations de l'appelant concernant le sens des termes [TRADUCTION] « immobilisation » et « blocage ». À son avis, étant donné que les faits indiquaient clairement que l'appelant était responsable de la construction du berceau, l'interprétation des mots [TRADUCTION] « immobilisation » et « blocage » proposée par l'appelant était illogique, puisque c'était ce dernier qui avait exercé un contrôle total sur le navire à partir du moment où celui‑ci avait été retiré de l'eau et placé sur un berceau situé sur son terrain. La juge a estimé, comme cela est mentionné au paragraphe 134 de ses motifs, que « les parties ne peuvent avoir eu l'intention que le mot [“immobilisation”] ait la signification proposée par [l'appelant], à savoir, que [l'intimé] avait la responsabilité [de l'immobilisation] du navire durant la période des réparations ».

[76]           À mon avis, il n'existe aucun motif de modifier l'interprétation qu'a donnée la juge du mot [TRADUCTION] « immobilisation » qui figure au paragraphe 3 de la déclaration. La juge a soigneusement examiné la preuve pour déterminer l'intention des parties, ce qui l'a amenée à conclure que le mot [TRADUCTION] « immobilisation » ne pouvait avoir le sens que l'appelant proposait. Dans l'arrêt Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633, la Cour suprême est revenue sur les principes d'interprétation des contrats et sur la norme applicable à l'examen d'interprétations contractuelles. Aux paragraphes 47 et 48, le juge Rothstein, qui a rédigé le jugement de la Cour, a réaffirmé que le principal objet de l'interprétation des contrats consistait à discerner l'intention des parties et la portée de leur entente et que, pour ce faire, le juge était tenu d'examiner le contrat dans son ensemble, en donnant aux mots y figurant leur sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec les circonstances qui existaient au moment de la conclusion du contrat. Le juge Rothstein a nuancé cette affirmation en disant que le sens des mots se trouvant dans un contrat se déterminait par un certain nombre de facteurs contextuels, comme l'objet de l'entente et la nature des rapports créés par celle‑ci.

[77]           La Cour suprême a alors déclaré que l'interprétation des contrats « ne cadre pas bien avec la définition de la pure question de droit formulée dans les arrêts Housen et Southam » (paragraphe 49 de Sattva). À son avis, puisque le but de l'interprétation des contrats est de déterminer l'intention objective des parties, qu'elle qualifie de but axé sur les faits, par l'application des principes juridiques d'interprétation, il semble que cela ne constitue pas une question de droit pur, mais plutôt une question hybride, c'est‑à‑dire une question mixte de fait et de droit, que l'arrêt Housen définissait comme « l'application d'une norme juridique à un ensemble de faits » (paragraphe 49 de Sattva).

[78]           Après avoir mentionné qu'un certain nombre de tribunaux canadiens avaient mis en doute l'application aux questions touchant l'interprétation des contrats de la définition donnée dans Housen des questions mixtes de fait et de droit, étant donné que l'interprétation des contrats est d'abord et avant tout une question de droit, le juge Rothstein a alors formulé les observations suivantes aux paragraphes 50 et 51 :

[50]      Avec tout le respect que je dois aux tenants de l'opinion contraire, à mon avis, il faut rompre avec l'approche historique. L'interprétation contractuelle soulève des questions mixtes de fait et de droit, car il s'agit d'en appliquer les principes aux termes figurant dans le contrat écrit, à la lumière du fondement factuel.

[51]      Cette conclusion est étayée par les raisons qui sous‑tendent la distinction établie entre la question de droit et la question mixte de fait et de droit. En distinguant ces deux catégories, on visait principalement à restreindre l'intervention de la juridiction d'appel aux affaires qui entraîneraient probablement des répercussions qui ne seraient pas limitées aux parties au litige. Ainsi, le rôle des cours d'appel, qui consiste à assurer la cohérence du droit, et non à offrir aux parties une nouvelle tribune leur permettant de poursuivre leur litige privé, est préservé. [...]

[79]           L'interprétation que la juge a donnée du sens du mot [TRADUCTION] « immobilisation » ne pourrait donc justifier une intervention que si elle avait commis une erreur manifeste et dominante. Si je me fonde sur la relation contractuelle qu'ont établie d'après moi les parties, je ne vois aucun motif me permettant de conclure que la juge a commis une erreur manifeste et dominante.

[80]           Je tiens à souligner que le contrat en question n'est pas un contrat d'entreposage. L'entreposage fait partie de l'entente, mais l'intention première des parties lorsqu'elles ont retiré le navire de l'eau et l'ont placé sur le terrain de l'appelant était de permettre à ce dernier de procéder à des réparations et à l'entretien général du navire de l'intimé. Il convient d'apprécier dans ce contexte l'interprétation du contrat, et plus précisément celle du terme [TRADUCTION] « immobilisation » qu'a donnée la juge. Par conséquent, l'argument de l'appelant selon lequel l'intimé avait convenu d'assumer la responsabilité de l'immobilisation du navire sur un berceau pendant qu'il se trouvait sur le terrain de l'appelant ne peut être retenu.

[81]           De toute façon, même si j'avais été disposé à conclure que la juge avait commis une erreur sur le sens du mot [TRADUCTION] « immobilisation », j'aurais quand même conclu qu'il n'était pas possible de faire droit à l'appel interjeté par l'appelant. Voici le raisonnement qui m'amène à cette conclusion.

[82]           Dans les paragraphes suivants, j'aborderai donc le troisième paragraphe de la déclaration en tenant pour acquis que le mot [TRADUCTION] « immobilisation » veut dire que l'intimé a convenu, lorsqu'il a signé la déclaration, d'assumer la responsabilité, qui n'incombait donc pas à l'appelant, d'immobiliser le navire sur son berceau pendant qu'il se trouvait sur le terrain de l'appelant. Autrement dit, je tiens pour acquis aux fins de l'analyse qui suit que l'intimé admet qu'il lui incombait de prendre les mesures nécessaires pour que son navire soit correctement immobilisé, c'est‑à‑dire pour construire un berceau capable de soutenir son navire pendant qu'il se trouvait sur le terrain de l'appelant.

[83]           Par conséquent, à partir de cette prémisse, une fois le navire retiré de l'eau et placé sur des tins, l'appelant n'était plus tenu de faire quoi que ce soit. C'était désormais à l'intimé d'agir. L'appelant soutient en fait qu'étant donné que l'intimé avait reconnu qu'il assumait la responsabilité d'immobiliser son navire, il en résultait nécessairement que la négligence qu'il avait commise pour ce qui est de l'immobilisation du navire ne saurait être une source de responsabilité. Autrement dit, même si l'appelant et ses employés s'étaient occupés de l'immobilisation du navire, celui‑ci ne pouvait être tenu responsable de sa négligence.

[84]           À mon humble avis, la clause en question n'est pas une clause d'exonération et ne peut être utilisée par l'appelant pour se soustraire à sa négligence dans les circonstances de l'affaire. Il s'agit d'une disposition contractuelle selon laquelle l'intimé convenait de s'occuper de l'immobilisation de son navire pendant que celui-ci se trouvait sur le terrain de l'appelant.

[85]           Pour ce qui est d'apprécier cette clause et ses effets, il est important de rappeler les conclusions auxquelles en est arrivée la juge :

     (i)            Elle a conclu que le bois et le contreplaqué utilisés pour construire le berceau et les croix de saint André appartenaient à l'appelant et que ces matériaux étaient, à toutes les époques en cause, sous son contrôle et sa surveillance.

   (ii)            Elle a également conclu que c'étaient les employés de l'appelant qui avaient choisi les matériaux utilisés pour construire le berceau.

 (iii)            Elle a en outre conclu que les employés de l'appelant avaient construit le berceau et que ceux de l'intimé n'avaient pas directement participé à cette opération.

[86]           Étant donné qu'elle a également conclu que les matériaux endommagés utilisés pour construire le berceau n'avaient pu faire l'objet d'une inspection, parce qu'on s'en était débarrassé avant cet examen, la juge a déclaré qu'elle était justifiée de tirer une présomption défavorable à l'appelant.

[87]           D'après les conclusions de la juge, il n'est guère douteux que l'appelant et ses employés ont assumé, au lieu de l'intimé, l'obligation d'immobiliser le navire pendant qu'il se trouvait sur son terrain. Il ne nous appartient pas d'émettre des hypothèses sur les motifs de cette décision. Je note simplement qu'au procès, les témoins de l'appelant et ceux de l'intimé ont présenté des témoignages contradictoires pour ce qui est de la personne responsable de l'immobilisation du navire. Pour simplifier le plus possible, l'appelant a témoigné que ses employés avaient uniquement aidé l'intimé à immobiliser le navire, alors que les témoignages fournis pour le compte de l'intimé mentionnaient que l'opération avait été intégralement exécutée par l'appelant et ses employés. Comme je l'ai précisé, la juge a conclu que la preuve présentée par l'intimé était plus crédible, et que l'opération d'immobilisation avait été effectuée entièrement par l'appelant et ses employés.

[88]           Je ne peux donc que conclure que, malgré la disposition contractuelle qui se trouve au paragraphe 3 de la déclaration, l'appelant et ses employés ont pris en charge l'immobilisation du navire pendant qu'il se trouvait sur son terrain. En outre, il n'existe aucun élément établissant que, lorsque l'appelant a agi ainsi, il entendait agir pour le compte de l'intimé. J'en conclus qu'étant donné que l'appelant a décidé d'assumer l'obligation d'immobiliser le navire pendant qu'il se trouvait sur son terrain, il était tenu de le faire de façon appropriée.

[89]           Je ne vois par conséquent aucun motif, en me fondant sur le sens que l'appelant souhaite donner au mot [TRADUCTION] « immobilisation », qui permettrait à l'appelant de se soustraire à sa responsabilité à l'égard du dommage causé au navire de l'intimé.

[90]           Comme j'ai tenté de l'expliquer, à l'exception du troisième paragraphe de la déclaration, aucun des paragraphes de ce document ne s'applique à la perte qui s'est produite le 10 juillet 2011. Restent alors uniquement les avis et avertissements affichés sur le terrain de l'appelant et à l'égard desquels la juge a conclu qu'ils n'avaient pas pour effet d'exclure la négligence de l'appelant.

[91]           Tout en respectant les tenants de l'opinion contraire, j'estime que les avis et avertissements ne sont d'aucun secours pour l'appelant. Ils visent manifestement le cas où un navire a été confié à l'appelant pour qu'il l'entrepose sur son terrain. Je répète encore une fois que le but dans lequel le navire avait été placé sur le terrain de l'appelant n'était pas de l'entreposer, mais de procéder à des réparations et à de l'entretien général. Les avis utilisent les termes [TRADUCTION] « tous les navires entreposés sur les lieux », ce qui semble indiquer qu'ils ne s'appliquent pas à la présente affaire, compte tenu de la nature du contrat conclu par les parties. Autrement dit, l'affaire qui nous est soumise ne concerne pas le cas où un navire a été « entreposé sur les lieux » par l'intimé. Le navire avait été confié à l'appelant pour qu'il procède à des réparations et à son entretien général. À mon avis, ce scénario n'est pas visé par les avis.

[92]           Je ne suis donc pas convaincu, malgré les solides arguments de Me Bilodeau à l'effet contraire, qu'il existe un motif nous autorisant à modifier la décision de la juge.

V.                Conclusion

[93]           Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter l'appel avec dépens.

« M. Nadon »

juge

« Je suis d'accord.

Johanne Trudel, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-506-14

APPEL D'UN JUGEMENT DE LA JUGE HENEGHAN DU 20 OCTOBRE 2014, DOSSIER No T‑298‑12

INTITULÉ :

BURIN PENINSULA MARINE SERVICE CENTRE c. MAXWELL FORSEY

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

LE 8 SEPTEMBRE 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE TRUDEL ET LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 OCTOBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Jean-François Bilodeau

 

POUR L'APPELANT

 

Eric Machum

 

POUR L'INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robinson Sheppard Shapiro

Montréal (Québec)

 

POUR L'APPELANT

Metcalf & Company

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

POUR L'INTIMÉ

 

 

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