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Date : 20151124


Dossier : A-316-15

Référence : 2015 CAF 263

En présence de monsieur le juge Stratas

ENTRE :

ELIZABETH BERNARD

demanderesse

et

L'AGENCE DU REVENU DU CANADA, LE CONSEIL DU TRÉSOR ET L'INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défendeurs

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 24 novembre 2015.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20151124


Dossier : A-316-15

Référence : 2015 CAF 263

En présence de monsieur le juge Stratas

ENTRE :

ELIZABETH BERNARD

demanderesse

et

L'AGENCE DU REVENU DU CANADA, LE CONSEIL DU TRÉSOR ET L'INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE STRATAS

[1]               La demanderesse a déposé un affidavit à l'appui de sa demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique. Le défendeur l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada demande une ordonnance en radiation d'un certain nombre de paragraphes et de pièces de l'affidavit. Les paragraphes et les pièces en question sont indiqués dans la conclusion des présents motifs. Une autre défenderesse, l'Agence du revenu du Canada, appuie la requête de l'Institut dans des observations d'une seule page.

[2]               Pour les motifs qui suivent, j'accueille la requête avec dépens à l'Institut.

A.                Le contexte factuel : les procédures devant la Commission et la présente demande de contrôle judiciaire

[3]               Devant la Commission, la demanderesse a sollicité un réexamen d'une décision de la Commission du 21 février 2008. Elle a allégué qu'un membre de la formation saisie de cette affaire était partial. Le 29 juin 2015, la Commission a rejeté la demande de réexamen de la décision de 2008.

[4]               Cette décision de 2015 de la Commission — et non sa décision de 2008 — constitue l'objet de la demande de contrôle judiciaire dont est maintenant saisie la Cour.

B.                 L'opposition de l'Institut à l'affidavit de la demanderesse

[5]               Comme nous l'avons mentionné, l'Institut s'oppose à un certain nombre de paragraphes et de pièces de l'affidavit produit par la demanderesse à l'appui de sa demande.

[6]               L'Institut souligne qu'il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire et fait observer que, en règle générale, la Cour ne peut examiner dans ce cas que la preuve présentée au décideur administratif lorsqu'il a pris sa décision. Il signale que les paragraphes et les pièces contestés n'avaient pas été présentés au décideur administratif dans cette affaire, à savoir la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique. Ils doivent donc être radiés.

C.                La réponse de la demanderesse

[7]               En réponse à la requête de l'Institut, la demanderesse a déposé un affidavit. En cas de requête écrite, la partie qui y répond doit déposer un affidavit et des observations écrites. L'affidavit de la demanderesse mêle exposé des faits et argumentation. Il n'est conforme ni aux Règles en matière de requête écrite ni en particulier au paragraphe 81(1) des Règles. Il reste que, par générosité envers la demanderesse, j'ai pris son affidavit en considération comme étant, pour l'essentiel, un affidavit et des observations écrites en combinaison.

[8]               La demanderesse fait valoir que les paragraphes et les pièces concernent bien la partialité alléguée d'un des membres de la Commission et une atteinte à la justice naturelle dans l'ensemble. Toutefois, l'allégation de partialité et d'atteinte à la justice naturelle vise la décision de 2008, et non celle de 2015.

D.                Analyse

(1)               La requête devrait-elle être entendue maintenant?

[9]               Il y a d'abord la question de savoir si la requête de l'Institut en radiation des paragraphes et des pièces contestés devrait être instruite maintenant ou laissée à la formation qui entendra la demande. Il est préférable que certaines questions soient tranchées par la formation qui entend la demande et non par un juge des requêtes de façon interlocutoire.

[10]           La question de savoir si la Cour devrait rendre préalablement une décision sur une question de preuve ou, en fait, sur toute autre question lors d'une demande de contrôle judiciaire relève d'un pouvoir discrétionnaire à exercer en fonction de facteurs reconnus. Voir à ce sujet Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au paragraphe 11, et Collins c. Canada, 2014 CAF 240, au paragraphe 6.

[11]           Entre autres facteurs à considérer, il y a la question de savoir si une telle décision par anticipation ferait que l'audition serait plus rapide et plus ordonnée. Voir à ce sujet Collins, précité, au paragraphe 6, et McConnell c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 2004 CF 817, conf. par 2005 CAF 389. Un autre facteur est la question de savoir si la décision à rendre est relativement claire ou évidente. Voir à ce sujet Collins, au paragraphe 6, et Canadian Tire Corp. Ltd. c. P.S. Partsource Inc., 2001 CAF 8. Si des personnes raisonnables peuvent différer d'avis sur la façon de trancher la requête, la décision devrait être laissée à la formation saisie de l'appel : voir McKesson Canada Corporation c. Canada, 2014 CAF 290, au paragraphe 9, et Nation Gitxaala c. Canada, 2015 CAF 27, au paragraphe 7.

[12]           Dans les circonstances de la présente affaire, je trancherai la requête de l'Institut. Comme on le verra, la décision à rendre est claire et évidente. Si la question est tranchée maintenant, l'audition de la demande sera plus rapide et plus ordonnée. De plus, la Cour a demandé à l'Institut dans une directive antérieure de soulever la question par voie de requête interlocutoire plutôt que d'en faire une question préalable lors de l'audition de la demande.

(2)               Le bien-fondé de la requête

(a)               Les principes régissant la recevabilité de nouveaux éléments de preuve dans une demande de contrôle judiciaire

[13]           La règle générale est que la preuve qui aurait pu être présentée au décideur administratif, la Commission en l'occurrence, est irrecevable devant la cour de révision. Voir à ce sujet Connolly c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 294, au paragraphe 7, et Access Copyright, précité.

[14]           Il existe des exceptions à cette règle générale. Nous en parlerons bientôt. Toutefois, il est préférable de considérer les exceptions comme des circonstances qui ne contreviennent pas à la logique de la règle générale. Il est donc essentiel d'examiner la logique sous-tendant la règle et de l'exprimer en toute précision.

[15]           En s'appuyant sur une décision antérieure de plusieurs années aux décisions déjà mentionnées, l'Institut fait valoir que la logique sous-tendant la règle générale est un principe d'« efficacité judiciaire », soit le besoin pour les tribunaux de ne pas avoir à se constituer en nouvelle instance de recherche des faits là où le décideur administratif peut faire une telle recherche. Voir à ce sujet Laboratoires Abbott Limitée c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 354, [2009] 3 R.C.F. 547, au paragraphe 37.

[16]           En fait, et ainsi qu'il est expliqué dans les décisions plus récentes invoquées, la règle générale n'existe pas simplement par souci d'efficacité. Elle fait appel à quelque chose de plus fondamental.

[17]           Les demandes de contrôle judiciaire sont des instances où une cour de révision est invitée à annuler les décisions confiées par le législateur à un décideur administratif. Dans ce contexte, le décideur administratif et la cour de révision jouent des rôles différents à ne pas confondre :

Pour se prononcer sur l'admissibilité de l'affidavit [...], il faut constamment garder à l'esprit le rôle différent joué par notre Cour et par [le décideur administratif]. Le législateur a conféré [au décideur administratif] — et non à notre Cour — la compétence pour trancher certaines questions sur le fond, telles que celles de l'opportunité d'homologuer un tarif provisoire, d'en définir la teneur et de préciser les modalités dont ils peuvent être assortis. Dans le cadre de cette mission, c'est [au décideur administratif] et non à notre Cour qu'il appartient de tirer des conclusions de fait, de déterminer les règles de droit applicables, d'examiner la question de savoir s'il existe des questions d'orientations générales dont on devrait tenir compte, d'appliquer les règles de droit et toute orientation générales aux faits qu'elle constate, de tirer des conclusions et, le cas échéant, d'examiner l'opportunité d'accorder une réparation. En l'espèce, [le décideur administratif] s'est déjà [acquitté] de ce rôle en prenant une décision sur le fond, celle d'établir un tarif provisoire, et en refusant de le modifier.

 La Cour est saisie en l'espèce d'une demande de contrôle judiciaire de la décision sur le fond qui a ainsi été rendue. Dans le cas d'une telle demande, notre Cour ne dispose que de pouvoirs limités en vertu de la Loi sur les Cours fédérales en ce qui concerne le contrôle de la décision [du décideur administratif]. Notre Cour ne peut examiner que la légalité générale de ce que [le décideur administratif] a fait et elle ne peut se pencher sur le bien-fondé de la décision [du décideur administratif] ou rendre une nouvelle décision sur le fond.

 En raison des rôles bien distincts que jouent respectivement notre Cour et [le décideur administratif], notre Cour ne saurait se permettre de tirer des conclusions de fait sur le fond. Par conséquent, en principe, le dossier de la preuve qui est soumis à notre Cour lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de preuve dont disposait [le décideur administratif]. En d'autres termes, les éléments de preuve qui n'ont pas été portés à la connaissance [du décideur administratif] et qui ont trait au fond de l'affaire soumise à la Commission ne sont pas admissibles dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire présentée à notre Cour. Ainsi que notre Cour l'a déclaré dans l'arrêt Gitxan Treaty Society c. Hospital Employees' Union, [2000] 1 C.F. 135, aux pages 144 et 145 (C.A.F.), « [l]e but premier du contrôle judiciaire est de contrôler des décisions, et non pas de trancher, par un procès de novo, des questions qui n'ont pas été examinées de façon adéquate sur le plan de la preuve devant le tribunal ou la cour de première instance » (voir également les arrêts Kallies c. Canada, 2001 CAF 376, au paragraphe 3, et Bekker c. Canada, 2004 CAF 186, au paragraphe 11).

(Access Copyright, précité, aux paragraphes 17 à 19, adopté dans Connolly, précité, au paragraphe 7; voir également Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, aux paragraphes 41 et 42.)

[18]           Cette logique — la nécessité de reconnaître les rôles distincts des décideurs administratifs et des cours de révision — est ancrée dans des valeurs plus larges qui ressortent constamment dans les affaires relevant du droit administratif. Les valeurs de la primauté du droit, de la bonne administration, de la démocratie et de la séparation des pouvoirs animent tout le droit administratif. Voir, en général, Paul Daly, « Administrative Law: A Values‑Based Approach », dans John Bell, Mark Elliott, Jason Varuhas et Philip Murray, réd., Public Law Adjudication in Common Law Systems: Process and Substance (Hart, Oxford, 2015).

[19]           Comme il a été mentionné, la jurisprudence indique que la règle générale admet un certain nombre d'exceptions. Trois exceptions sont reconnues et la liste n'est pas close. Ces exceptions sont reconnues parce qu'elles s'accordent avec la logique sous-tendant la règle générale et, plus globalement, avec les valeurs du droit administratif.

[20]           La première exception reconnue est celle des renseignements généraux. Dans une affaire de contrôle judiciaire, les parties déposent parfois un affidavit avec des résumés et des indications de contexte visant à aider la cour de révision à comprendre le dossier qui lui est présenté. Devant un dossier volumineux comptant des milliers de documents, il est admissible, par exemple, qu'une partie dépose un affidavit qui relève, récapitule et met en lumière, sans argumenter, les documents essentiels à la compréhension du dossier que doit acquérir la cour de révision.

[21]           Dans Delios, précité, je l'exprime ainsi (au paragraphe 45) :

L'exception des « renseignements généraux » vise les observations pures et simples propres à diriger la réflexion du juge réformateur afin qu'il puisse comprendre l'historique et la nature de l'affaire dont le décideur administratif était saisi. Dans les procédures de contrôle judiciaire visant les décisions administratives complexes se rapportant à des procédures et des faits compliqués, étayées par des centaines ou des milliers de documents, le juge réformateur trouve utile de recevoir un affidavit qui passe brièvement en revue, d'une manière neutre et non controversée, les procédures qui se sont déroulées devant le décideur administratif, et les catégories de preuves que les parties ont présentées à l'administrateur. Dans la mesure où l'affidavit ne s'engage pas dans une interprétation tendancieuse ou une prise de position — rôle de l'exposé des faits et du droit —, il est recevable à titre d'exception à la règle générale.

[22]           Il reste qu'« [o]n doit s'assurer que l'affidavit ne va pas plus loin en fournissant des éléments de preuve [nouveaux] se rapportant au fond de la question déjà tranchée par le tribunal administratif, au risque de s'immiscer dans le rôle que joue le tribunal administratif en tant que juge des faits et juge du fond » : Access Copyright, précité, au paragraphe 20, et Delios, précité, au paragraphe 46.

[23]           L'exception des renseignements généraux existe parce qu'elle s'accorde entièrement avec la logique de la règle générale et les valeurs du droit administratif plus globalement. Elle respecte les rôles propres au décideur administratif et à la cour de révision, les rôles du juge du fond et du juge de révision et, de ce fait, la séparation des pouvoirs. Les renseignements généraux exposés dans l'affidavit ne représentent pas de nouveaux renseignements sur le fond. Ils se bornent à résumer la preuve dont était saisi le juge du fond, c'est‑à‑dire le décideur administratif. Rien n'incite le juge de révision à s'immiscer dans le rôle du décideur administratif en tant que juge du fond, rôle assigné à celui‑ci par le législateur. Ajoutons que l'exception des renseignements généraux facilite à la Cour la tâche consistant à contrôler une décision administrative (soit la tâche de voir à la primauté du droit) en relevant, récapitulant et mettant en évidence les éléments de preuve les plus utiles dans cette tâche.

[24]           La deuxième exception reconnue n'est en réalité qu'une forme particulière de la première. Quelquefois, une partie déposera un affidavit faisant état de l'absence totale de preuve sur une certaine question. En d'autres termes, l'affidavit dit au juge de révision non pas ce qui figure au dossier — objet de la première exception —, mais plutôt ce qui n'y figure pas. Voir à ce sujet Keeprite Workers' Independent Union v. Keeprite Products Ltd. (1980), 29 O.R. (2d) 513 (C.A. Ont.), et Access Copyright, précité, au paragraphe 20. Cela peut être utile quand une partie allègue qu'une décision administrative est déraisonnable parce que reposant sur une conclusion de fait essentielle en toute absence de preuve. Là encore, cela s'accorde entièrement avec la logique de la règle générale et les valeurs du droit administratif plus globalement, pour les motifs énoncés au paragraphe précédent.

[25]           La troisième exception reconnue porte sur la preuve sur une question de justice naturelle, d'équité procédurale, de but illégitime ou de fraude dont le décideur administratif n'aurait pas pu être saisi et qui n'intervient pas dans le rôle du décideur administratif comme juge du fond; voir Keeprite et Access Copyright, précités, ainsi que Mr. Shredding Waste Management Ltd. c. Nouveau‑Brunswick (Ministre de l'Environnement et des Gouvernements locaux), 2004 NBCA 69, 274 N.B.R. (2nd) 340 (but illégitime), et St. John's Transportation Commission v. Amalgamated Transit Union, Local 1662, 1998 CanLII 18670, 161 Nfld. & P.E.I.R. 199 (fraude). En guise d'illustration, supposons que, après qu'une décision administrative a été prise et que le décideur a été dessaisi, une partie découvre que la décision a été amenée par un pot‑de‑vin. Supposons également que l'avis de demande de cette partie invoque une atteinte à la justice naturelle à cause de ce pot‑de‑vin. La preuve du pot‑de‑vin est recevable par voie d'affidavit déposé auprès du juge de révision.

[26]           Notons en passant que, si un élément de preuve était disponible au moment de l'instance administrative en ce qui concerne la justice naturelle, l'équité procédurale, le but illégitime ou la fraude, la partie lésée devait s'opposer et présenter cet élément de preuve devant le décideur administratif. Lorsqu'une partie peut raisonnablement être considérée comme ayant eu la capacité de s'opposer devant le décideur administratif sans l'avoir fait, l'opposition ne peut être faite par la suite lors d'un contrôle judiciaire : voir Zündel c. Canada (Commission des droits de la personne), 2000 CanLII 16575, ainsi que In re Tribunal des droits de la personne et Énergie atomique du Canada limitée, [1986] 1 C.F. 103 (C.A.F.).

[27]           La troisième exception reconnue s'accorde entièrement avec la logique de la règle générale et les valeurs du droit administratif plus globalement. La preuve en question n'aurait pu être présentée au juge du fond et, ainsi, l'exception n'intervient en rien dans le rôle du décideur administratif à titre de juge du fond. Elle se trouve aussi à faciliter à la Cour la tâche de contrôler le décideur administratif à l'égard d'un motif admissible (tâche d'application de la primauté du droit).

[28]           La liste des exceptions n'est pas close. Dans certaines affaires, les juges de révision ont reçu en preuve un affidavit qui facilite leur tâche de contrôle et n'empiète pas sur le rôle du décideur administratif comme juge des faits et juge du fond. Voir à ce sujet Hartwig v. Saskatchewan (Commission of Inquiry), 2007 SKCA 74, 284 D.L.R. (4th) 268, au paragraphe 24. Par exemple, dans une affaire, le demandeur alléguait que la décision du décideur administratif était déraisonnable parce que celui‑ci avait interprété à tort certaines observations faites par l'avocat comme étant des aveux. Toutefois, les observations de l'avocat au décideur administratif ne figuraient pas dans le dossier présenté au juge de révision. La cour de révision a admis des éléments de preuve sur ces observations pour pouvoir évaluer si la décision était déraisonnable : voir Ontario Shores Centre for Mental Health v. O.P.S.E.U., 2011 ONSC 358. Dans une autre affaire, la cour de révision a admis en preuve la transcription partielle d'une instance devant un décideur administratif. La transcription avait été préparée par une des parties, et non par le décideur. Dans les circonstances, la cour de révision a jugé que la transcription partielle était fiable et qu'elle n'était ni inéquitable ni préjudiciable et était nécessaire à son contrôle de la décision administrative : voir SELI Canada Inc. v. Construction and Specialized Workers' Union, Local 1611, 2011 BCCA 353, 336 D.L.R. (4th) 577.

(b)               Application des principes à l'espèce

[29]           En l'espèce, la question dont la Commission était saisie était celle de savoir si elle devait réexaminer sa décision de 2008 à cause de partialité ou d'une atteinte à la justice naturelle de la part de la formation ayant pris la décision. Bref, s'agissait-il sur le fond du genre de partialité ou d'atteinte à la justice naturelle qui justifiait un réexamen de la décision de 2008?

[30]           En cela, la Commission était le juge du fond et, à ce titre, l'instance à laquelle il fallait présenter la preuve sur le fond. Toute preuve de partialité ou d'atteinte à la justice naturelle concernant la décision de 2008 devait être présentée à la Commission.

[31]           La Cour est la cour de révision, et non le juge du fond. Étant chargée de ce contrôle judiciaire — plus particulièrement lorsqu'il s'agit du contrôle du caractère raisonnable de la décision —, la Cour examine si la décision de la Commission était acceptable et défendable sur le fond, notamment quant aux conclusions de fait. Ainsi, la Cour n'accepte pas normalement de nouveaux éléments de preuve sur le fond. La règle générale est que la Cour n'est pas le juge du fond.

[32]           Dans la présente affaire, les paragraphes et les pièces contestés que la demanderesse présente à la Cour dans une demande de contrôle judiciaire vont à l'encontre de la règle générale. Ce sont des éléments de preuve qui touchent au fond de l'affaire devant la Commission, c'est‑à‑dire à la question de savoir si la partialité ou une atteinte à la justice naturelle justifiait le réexamen de la décision de 2008. Cette preuve était disponible au moment de l'instance devant la Commission. La demanderesse ne l'a pas présentée à celle‑ci.

[33]           La Commission a jugé du bien-fondé de la cause en considérant la preuve dont elle était saisie. Aujourd'hui, la Cour contrôle la décision de la Commission sans avoir à trancher à nouveau sur le fond. La preuve que renferment les paragraphes et les pièces contestés — éléments de preuve sur le fond — sont irrecevables ici.

[34]           Dans la présente affaire, les exceptions reconnues à la règle générale sont inapplicables. D'une certaine manière, on ne s'en étonnera pas, puisque la logique de la règle générale confirme l'irrecevabilité de l'affidavit de la demanderesse.

[35]           La preuve que la demanderesse cherche à introduire par les paragraphes et les pièces contestés était effectivement ou raisonnablement à sa disposition en faisant preuve d'une certaine diligence au moment de la décision de la Commission. Elle concernait l'examen sur le fond de la Commission, c'est‑à‑dire la question de savoir si la décision de 2008 était entachée de partialité ou d'une atteinte à la justice naturelle. La preuve dont font état les paragraphes et les pièces contestés aurait dû être présentée à la Commission qui était le juge du fond, et non à la Cour comme cour de révision.

[36]           Il s'ensuit que les paragraphes et les pièces contestés ne devraient pas se retrouver devant la Cour. Dans la présente demande de contrôle judiciaire, ils sont irrecevables.

E.                 La lettre de la Commission à la Cour

[37]           La Commission a récemment eu connaissance de la requête de l'Institut. Elle se préoccupait de l'affidavit déposé par la demanderesse dans la présente requête et voulait s'y opposer, mais sans savoir au juste comment elle devait produire son opposition. Ainsi, un des avocats internes de la Commission a envoyé à la Cour une lettre en vue d'obtenir [TRADUCTION] « des directives sur la procédure à suivre » et d'apprendre [TRADUCTION] « quelles étapes la Cour préférerait que la Commission suive pour ce qui est de son opposition à [...] l'affidavit ».

[38]           J'ai choisi de caractériser la lettre de la Commission comme une demande officieuse de directives en vertu de l'article 54 des Règles. Il n'y a aucune autre façon de la caractériser.

[39]           En vertu de l'article 54, il n'appartient pas à la Cour de donner des conseils juridiques, tactiques ou pratiques à quelque partie que ce soit. Rien ne saurait remplacer la lecture des Règles et le jugement à porter soi‑même sur la façon de les appliquer.

[40]           À titre gracieux et officieux, un employé secourable du greffe pourrait tenter d'apporter son aide lorsqu'une demande de renseignements est faite au sujet des Règles, plus particulièrement lorsque quelqu'un agit en justice sans avocat, mais il incombe toujours à toutes les parties, plus particulièrement aux parties représentées par un avocat, de résoudre elles‑mêmes les questions procédurales.

[41]           Les Règles répondent à peu près à toutes les questions pratiques que posent les instances devant les Cours fédérales. En fait, si certaines questions ne sont pas directement abordées par les Règles, l'article « bouche‑trou », à savoir l'article 4, peut aider. L'article 55 permet même au tribunal sur requête de modifier une règle ou d'exempter quelqu'un de son application. Vu ces articles et bien d'autres, rares sont les cas où une partie doit recourir à l'article 54 plutôt que de déposer une requête en application d'un ou de plusieurs autres articles des Règles.

[42]           L'article 54 permet à une partie de présenter une requête « en vue d'obtenir des directives sur la procédure à suivre dans le cadre des présentes règles ». Ce libellé, l'existence des autres articles et la jurisprudence procédurale, ainsi que le rôle de la Cour comme décideur indépendant, impartial et neutre, nous éclairent sur les situations dans lesquelles des directives peuvent être sollicitées et données en application de l'article 54.

[43]           Une partie devrait utiliser l'article 54 en dernier recours. En demandant des directives en vertu de cet article, elle devrait préciser l'ambiguïté ou l'incertitude que créent les Règles et les circonstances de l'affaire, la conséquence pratique et l'importance de cette ambiguïté ou de cette incertitude et la raison pour laquelle l'aide de la Cour est nécessaire par voie de requête en vertu de l'article 54 plutôt que de présenter une requête en vertu d'un autre article des Règles ou de trouver soi‑même la solution.

[44]           Dans le cas de documents déposés — domaine où les parties recherchent fréquemment des directives —, le recours à l'article 54 est toujours inutile. En cas d'ambiguïté ou d'incertitude à propos d'un document à déposer, une partie devrait tenter de le déposer et, si le greffe refuse de l'accepter, elle pourrait demander à celui‑ci en application de l'article 72 de soumettre la question à un juge.

[45]           Ici, la Commission ne pouvait pas recourir à l'article 54. Elle aurait pu résoudre le problème elle‑même. Elle n'avait qu'à examiner les Règles et à décider des dispositions qu'elle devait prendre. Pour produire son opposition à l'affidavit de la demanderesse, par exemple, elle aurait pu solliciter l'autorisation d'être jointe à la requête comme partie nécessaire ou encore d'être intervenante. Les deux possibilités existent dans les Règles. Le choix d'exploiter ces possibilités relevait d'une décision pratique ou tactique de sa part.

[46]           Un décideur administratif qui écrit une lettre comme celle que la Commission a écrite, dans des circonstances où il n'est ni partie ni intervenant et où sa décision fait l'objet d'un contrôle judiciaire, devrait faire preuve de prudence pour d'autres raisons. Voir à ce sujet Ontario (Commission de l'énergie) c. Ontario Power Generation Inc., 2015 CSC 44.

[47]           C'est pourquoi j'ai refusé en l'espèce de donner à la Commission les directives qu'elle recherchait et que j'ai écarté sa lettre. Comme je l'ai mentionné, je n'ai tenu compte que de l'affidavit de la demanderesse.

F.                 Décision quant à la requête de l'Institut

[48]           Pour les motifs énoncés, j'accueille la requête de l'Institut avec dépens. Les paragraphes et les pièces contestés sont radiés. Les paragraphes en cause sont les paragraphes 14 à 21 de l'affidavit de la demanderesse du 7 août 2015. Les pièces contestées sont les pièces K à R en annexe à cet affidavit.

[49]           La demanderesse doit inclure son affidavit dans le dossier de demande, mais après avoir biffé les paragraphes 14 à 21 et avoir retiré les pièces K à R. Le greffe n'acceptera pas le dossier de demande pour dépôt tant que la demanderesse n'aura pas respecté cette exigence et toutes les autres exigences usuelles en matière de dépôt.

[50]           La demanderesse doit déposer son dossier de demande et son mémoire des faits et du droit dans les 45 jours suivant l'ordonnance de la Cour.

[51]           Une ordonnance sera rendue en ce sens.

« David Stratas »

j.c.a.

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-316-15

 

INTITULÉ :

ELIZABETH BERNARD c. L'AGENCE DU REVENU DU CANADA, LE CONSEIL DU TRÉSOR ET L'INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 NOVEMBRE 2015

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Elizabeth Bernard

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Caroline Engmann

POUR LA DÉFENDERESSE L'AGENCE DU REVENU DU CANADA

Peter Englemann

Colleen Buaman

 

POUR LE DÉFENDEUR l'INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LA DÉFENDERESSE l'AGENCE DU REVENU DU CANADA

Goldblatt Partners LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR l'INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

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