Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20151210


Dossiers : A-211-14

A-343-13

A-356-13

Référence : 2015 CAF 281

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE RYER

LE JUGE WEBB

 

 

ENTRE :

R. MAXINE COLLINS

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 17 novembre 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 10 décembre 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RYER

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE WEBB

 


Date : 20151210


Dossiers : A-211-14

A-343-13

A-356-13

Référence : 2015 CAF 281

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE RYER

LE JUGE WEBB

 

 

ENTRE :

R. MAXINE COLLINS

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RYER

I.                   INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie de trois appels (A‑211‑14, A-343-13 et A‑356‑13) de décisions de la juge Gleason (la juge), alors juge de la Cour fédérale, visant un certain nombre de requêtes relatives à une action en dommages-intérêts pour faute dans l’exercice d’une charge publique (l’action) qui a été intentée par madame R. Maxine Collins (madame Collins) contre Sa Majesté la Reine (la Couronne). Le 6 mai 2014, le juge Stratas a regroupé ces appels par ordonnance, l’affaire A‑211‑14 constituait l’appel principal.

[2]               L’affaire A‑211‑14 est l’appel d’une ordonnance de la juge, datée du 1er avril 2014, rejetant une requête en jugement sommaire qui a été présentée par madame Collins (la requête en jugement sommaire), accueillant une requête en procès sommaire qui a été présentée par la Couronne (la requête en procès sommaire) et rejetant l’action dans le procès sommaire que la juge instruisait. Il est fait état des motifs de cette ordonnance sous la référence 2014 CF 307.

[3]               L’affaire A-343-13 est l’appel d’une décision rendue de vive voix par la juge, le 26 septembre 2013, rejetant une requête que madame Collins a présentée verbalement en rejet de la requête en procès sommaire pour cause de prématurité (la requête relative à la prématurité). La transcription de cette décision rendue de vive voix est annexée aux motifs de la juge dont il est fait état sous la référence 2014 CF 307.

[4]               L’affaire A‑356‑13 est l’appel d’une ordonnance de la juge, datée du 11 octobre 2013, dans l’affaire T‑997‑09, ordonnance par laquelle elle a tiré plusieurs conclusions en ce qui concerne l’admissibilité de certaines parties de l’affidavit produit par la Couronne au sujet de la requête en jugement sommaire et de la requête en procès sommaire (ensemble, les requêtes en recours sommaire). Les motifs de cette ordonnance se trouvent à la page 50 du volume 1 du dossier d’appel.

[5]               Malgré la présentation fouillée de madame Collins à l’audience, je rejetterais ces appels pour les motifs exposés ci-après. La copie de ces motifs sera déposée dans le dossier de chacun des appels regroupés.

II.                FAITS ET PROCÉDURES

[6]               Madame Collins a été au service de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) de novembre 2005 à novembre 2007. Elle allègue qu’au début de 2006, elle a entendu son chef d’équipe, monsieur Rickaye Low, et plusieurs de ses collègues parler de faillite personnelle. Comme elle avait déjà subi une faillite personnelle, elle a pensé qu’il ressortait de ces commentaires que ses collègues avaient consulté ses renseignements fiscaux personnels de manière inappropriée en se servant du système informatique de l’ARC.

[7]               En raison de cette interprétation, madame Collins a demandé, en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P‑21, la liste de tous les employés de l’ARC qui avaient consulté ses renseignements fiscaux personnels entre le 1er janvier 2005 et juillet 2006. Le rapport transmis à madame Collins indiquait tous les accès à son dossier et ne signalait qu’une seule consultation non autorisée, effectuée par monsieur Perry Zanetti.

[8]               Madame Collins n’était pas satisfaite de cette réponse, parce que monsieur Zanetti ne faisait pas partie de son équipe à l’ARC et n’avait pas de contacts avec son équipe. Elle était toujours convaincue que des membres de son équipe aussi avaient consulté ses renseignements fiscaux personnels.

[9]               Le 31 juillet 2006, madame Collins a demandé que l’ARC effectue une enquête interne afin de vérifier si, conformément à ses craintes, des membres de son équipe avaient accédé à ses renseignements fiscaux personnels.

[10]           Le 2 août 2006, le directeur adjoint par intérim de l’audit au Bureau des services fiscaux de Toronto-Ouest, monsieur Jim Stathakos, a demandé à la Division des affaires internes et de la prévention de la fraude de l’ARC de lui transmettre un rapport sur l’accès au système informatique. Les rapports sur l’accès au système informatique sont des documents créés par le système national de pistes de vérification de l’ARC, qui enregistre tous les accès des employés de l’ARC aux dossiers des contribuables (la piste de vérification). L’examen des pistes de vérification effectué par monsieur Stathakos a révélé que personne dans l’équipe de madame Collins n’avait accédé à ses renseignements fiscaux personnels et que l’accès par monsieur Zanetti ne faisait pas partie de ses fonctions de vérificateur. Monsieur Zanetti a par la suite fait l’objet d’une enquête de l’ARC à propos de plusieurs consultations des renseignements personnels de certains contribuables qui ne faisaient pas partie de ses fonctions. Il a finalement été congédié par suite de ce comportement.

[11]           Madame Collins, qui n’était pas satisfaite de cette réponse, a porté plainte auprès du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada le 1er janvier 2007, du Commissariat à l’intégrité du secteur public du Canada (Intégrité du secteur public Canada − ISPC) le 17 juin 2007 et de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) le 21 septembre 2007. Aucune de ces plaintes n’a permis de découvrir d’autres accès non autorisés aux dossiers de l’ARC concernant madame Collins.

[12]           Madame Collins a allégué qu’à cause de ces enquêtes, elle a commencé à être harcelée au travail. Plus précisément, madame Collins a dit avoir été embarrassée en public par des commentaires sur ses finances personnelles, que des menaces physiques ont été proférées contre elle, et que les gestionnaires interféraient avec l’exécution de ses fonctions et ne reconnaissaient pas le travail qu’elle effectuait.

[13]           Elle a démissionné de son poste à l’ARC le 6 novembre 2007.

III.             HISTORIQUE DES PROCÉDURES

[14]           Le 7 juillet 2011, madame Collins a déposé une version amendée à nouveau de sa déclaration à l’égard de l’action contre la Couronne. Elle y alléguait que divers employés de l’ARC, un employé du ministère de la Justice (le MJ), des membres de la GRC et l’ancien sous-commissaire d’ISPC avaient commis une faute dans l’exercice d’une charge publique.

[15]           La Couronne a déposé sa défense le 31 octobre 2011. Elle niait que l’un quelconque des fonctionnaires puisse avoir commis une faute dans l’exercice d’une charge publique.

[16]           Madame Collins a déposé le 3 novembre 2011 une réponse par laquelle elle soutenait que la Couronne n’avait pas présenté de moyens de défense sur le fond.

[17]           Le 13 décembre 2011, madame Collins a présenté la requête en jugement sommaire. La Couronne a présenté la requête en procès sommaire le 20 décembre 2011.

[18]           Le juge Rennie, qui était alors juge de la Cour fédérale, a rendu le 23 janvier 2012 une ordonnance portant que la requête en jugement sommaire et la requête en procès sommaire devaient être entendues au même moment.

[19]           Conformément aux directives écrites du juge Mosley de la Cour fédérale, datées du 1er mars 2012, la Couronne a été autorisée à signifier et à déposer un seul dossier de requête pour les deux requêtes en recours sommaire. Les dossiers de requête de madame Collins et de la Couronne contenaient les affidavits suivants :

a)      R. Maxine Collins, affidavit du 13 décembre 2011;

b)      R. Maxine Collins, affidavit du 19 mars 2012;

c)      Pierre Léveillé, affidavit du 7 mars 2012 (l’affidavit Léveillé);

d)     Rob Coelho, affidavit du 6 mars 2012 (l’affidavit Coelho);

e)      Jim Stathakos, affidavit du 8 mars 2012 (l’affidavit Stathakos);

f)       Anuradha Marisetti, affidavit du 2 mars 2012 (l’affidavit Marisetti);

g)      Perry Zanetti, affidavit du 8 mars 2012 (l’affidavit Zanetti);

h)      Robert Vladescu, affidavit du 9 mars 2012 (l’affidavit Vladescu);

i)        Rickaye Low, affidavit du 29 février 2012 (l’affidavit Low);

j)        Susan Pattison, affidavit du 7 mars 2012 (l’affidavit Pattison);

k)      Kamlesh Kumar, affidavit du 5 mars 2012 (l’affidavit Kumar).

[20]           À l’audition des requêtes en recours sommaire, qui a commencé le 26 septembre 2013, madame Collins a présenté deux requêtes, dont une seulement fait l’objet du présent appel. Madame Collins a demandé que la requête en procès sommaire soit rejetée parce qu’elle était prématurée, la Couronne n’ayant pas encore déposé un affidavit de documents et les interrogatoires préalables n’ayant pas encore été effectués. La juge a rejeté de vive voix cette requête et a fait état de ses motifs en annexe des motifs du jugement relatif aux requêtes en recours sommaire.

[21]           Madame Collins a également contesté l’admissibilité de certaines parties de la preuve produite par la Couronne qui se trouvent dans l’affidavit Léveillé, l’affidavit Coelho, l’affidavit Stathakos, l’affidavit Pattison, l’affidavit Low et l’affidavit Marisetti. Elle n’a pas contesté l’admissibilité de l’affidavit Kumar, de l’affidavit Zanetti ou de l’affidavit Vladescu. La juge a ajourné l’audience pour se pencher sur la contestation de ces éléments de preuve par madame Collins.

[22]           Par une ordonnance rendue le 11 octobre 2013, la juge a conclu que certaines parties des affidavits contestés étaient inadmissibles et qu’elle n’en tiendrait pas compte dans les requêtes en recours sommaire.

[23]           Le 21 novembre 2013, la juge a entendu les requêtes en recours sommaire sur le fond. Elle a rendu son jugement et les motifs de son jugement le 1er avril 2014.

IV.             LES DÉCISIONS DE LA JUGE

[24]           Le 26 septembre 2013, la juge a rendu de vive voix une décision selon laquelle la requête en procès sommaire de la Couronne n’était pas prématurée. La juge a conclu que, selon l’article 213 des Règles des Cours fédérales, D.O.R.S./98‑106 (les Règles des Cours fédérales), une requête en procès sommaire peut être présentée en tout temps après qu’une défense a été déposée et avant que les date, heure et lieu du procès n’aient été fixés. Elle a toutefois conclu qu’il était loisible à madame Collins d’alléguer l’absence d’interrogatoires préalables comme moyen de défense contre la requête en procès sommaire lorsque la Cour instruirait cette requête sur le fond.

[25]           Le 11 octobre 2013, la juge a statué au moyen d’une ordonnance sur la contestation par madame Collins de certaines parties de la preuve de la Couronne. La juge a conclu que les paragraphes 4, 6, 9 et 13 de l’affidavit Léveillé, les paragraphes 5 et 6 ainsi que les mots [traduction] « de mon contact aux ressources humaines et » au paragraphe 13 de l’affidavit Coelho, le paragraphe 18 de l’affidavit Stathakos et le paragraphe 2 de l’affidavit Marisetti étaient inadmissibles parce qu’il s’agissait de ouï-dire. La juge a conclu que les autres éléments de preuve contestés étaient dûment admissibles pour l’instruction des requêtes en recours sommaire.

[26]           La juge a rejeté la contestation de l’admissibilité des pistes de vérification. Elle a conclu que les pistes de vérification de l’accès aux renseignements fiscaux personnels de madame Collins étaient admissibles, s’agissant de pièces établies dans le cours des affaires, une exception au paragraphe 30(1) de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C-5 (la Loi sur la preuve au Canada). Elle a rejeté la thèse de madame Collins portant que les pistes de vérification étaient une pièce établie au cours d’une investigation, au sens du paragraphe 30(10) de la Loi sur la preuve au Canada. Elle a conclu que les parties de la preuve par affidavits de la Couronne qui expliquaient les pistes de vérification étaient nécessaires et admissibles selon le paragraphe 30(4) de la Loi sur la preuve au Canada.

[27]           Par une ordonnance datée du 1er avril 2014, la juge a rejeté la requête en jugement sommaire, accueilli la requête en procès sommaire et rejeté l’action.

[28]           En ce qui a trait à la requête en jugement sommaire, la juge a conclu que madame Collins n’avait pas, comme il lui incombait de le faire, établi l’existence d’une véritable question litigieuse. Madame Collins a soutenu qu’il n’existait pas de véritable question litigieuse parce que la défense ne faisait état d’aucun véritable moyen de défense. La juge a estimé qu’il n’y avait rien d’inapproprié à ce qu’une défense soit composée de dénégations, dont l’effet a été d’obliger madame Collins à prouver son allégation.

[29]           La juge a conclu que le bref affidavit soumis par madame Collins (qui se trouve à la page 472 du volume 3 du dossier d’appel), qui devait être considéré comme « ses meilleurs arguments », n’était pas parvenu à établir un élément essentiel de sa requête, c’est‑à-dire qu’un fonctionnaire public s’était livré à un comportement délibéré et illégal en tant que fonctionnaire public. La juge a également conclu qu’il ressortait de la preuve de la Couronne que monsieur Zanetti était la seule personne ayant accédé sans autorisation au dossier de l’ARC sur madame Collins, qu’il ne l’avait pas fait en tant que fonctionnaire public et qu’il ne savait pas que ce comportement illégal serait vraisemblablement préjudiciable à madame Collins. La juge a par conséquent conclu que madame Collins n’avait pas établi l’existence d’une véritable question litigieuse et a rejeté la requête en jugement sommaire.

[30]           La juge a accueilli la requête en procès sommaire de la Couronne. Elle a conclu qu’un procès sommaire convenait en l’espèce parce que :

a)      la question n’était pas très complexe, puisque le droit relatif au type de faute en cause est bien établi et que les questions de fait ne comportent aucune ambiguïté;

b)      l’instance traînait depuis des années et l’intérêt de la justice serait bien servi si l’affaire était tranchée le plus rapidement possible;

c)      la crédibilité n’était pas un facteur central, puisque les questions des contre-interrogatoires écrits n’avaient soulevé aucun problème de crédibilité;

d)     la tenue d’un procès sommaire ne comporterait pas le risque de morceler le contentieux parce que la requête en procès sommaire a été instruite en même temps que la requête en jugement sommaire et que, donc, les éléments au dossier des requêtes en recours sommaire devraient être considérés comme les meilleurs arguments de deux parties.

[31]           La juge a rejeté la thèse de madame Collins portant qu’un processus d’interrogatoire complet était nécessaire parce que madame Collins avait présenté une requête en jugement sommaire et qu’elle était par conséquent présumée avoir déjà présenté ses meilleurs arguments. De plus, madame Collins avait tiré parti de l’occasion de procéder à un contre-interrogatoire écrit des souscripteurs d’affidavit de la Couronne et aurait pu demander de poursuivre le contre-interrogatoire si elle l’avait souhaité.

[32]           En ce qui concerne la tenue d’un procès sommaire, la juge a énoncé les éléments de la faute dans l’exercice d’une charge publique mis en évidence par la Cour suprême du Canada à l’occasion de l’affaire Succession Odhavji c. Woodhouse, 2003 CSC 69, [2003] 3 R.C.S. 263 [Succession Odhavji].

[33]           Selon la juge, il ressortait des pistes de vérification que le seul accès non autorisé aux renseignements personnels de madame Collins a été celui de monsieur Zanetti le 12 juin 2005, entre 13 h 35 et 13 h 41. La juge a retenu le témoignage de monsieur Zanetti selon lequel il a accédé aux dossiers de ses collègues et d’autres contribuables par curiosité, il ne se rappelait pas spécifiquement avoir consulté l’information relative à madame Collins ni quels renseignements il avait vus dans son dossier, il savait que cette consultation était contraire à la politique de l’ARC, il avait consulté ces dossiers en privé et n’avait communiqué à personne l’information qu’il avait vue. Le témoignage de monsieur Zanetti a été corroboré en partie par l’investigation de monsieur Stathakos.

[34]           La juge a conclu qu’il n’existait aucun élément prouvant que monsieur Zanetti savait que son comportement serait vraisemblablement préjudiciable à madame Collins ou qu’il tentait expressément de causer du tort à madame Collins. Elle a conclu en outre que rien n’indiquait que quiconque, sauf monsieur Zanetti, ait consulté sans autorisation les renseignements fiscaux personnels de madame Collins. Enfin, elle a aussi conclu qu’il n’existait pas non plus d’éléments de preuve relatifs aux allégations de madame Collins contre la GRC, le MJ, l’ISPC ou quiconque au service de ces organismes.

[35]           La juge a également rejeté – les considérant comme non établies – les affirmations de madame Collins selon lesquelles les pistes de vérification avaient été modifiées pour protéger l’ARC.

[36]           La juge a conclu que madame Collins n’avait pas établi les éléments de la faute dans l’exercice d’une charge publique et que le jugement devait être rendu en faveur de la Couronne.

V.                QUESTIONS EN LITIGE

[37]           La Cour doit se prononcer sur quatre questions :

a)      si la juge a commis une erreur lorsqu’elle a décidé que la requête en procès sommaire n’était pas prématurée;

b)      si la juge a commis une erreur en ce qui concerne l’admissibilité des éléments de preuve;

c)      si la juge a commis une erreur en rejetant la requête en jugement sommaire de madame Collins;

d)     si la juge a commis une erreur en accueillant la requête en procès sommaire de la Couronne.

VI.             NORME DE CONTRÔLE

[38]           À mon avis, les normes de contrôle des appels, consacrées par la jurisprudence Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] R.C.S. 235, encadrent l’examen par notre Cour des trois appels. La norme applicable aux questions de droit est celle de la décision correcte, alors que les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit qui ne comportent pas de questions de droit isolables sont examinées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante. Voir aussi Burns Bog Conservation Society c. Canada, 2014 CAF 170, 464 N.R. 187; Manitoba c. Canada, 2015 CAF 57, 470 N.R. 187.

VII.          ANALYSE

A.                Préface

[39]           Les observations écrites de madame Collins contiennent des attaques personnelles; elles remettent en cause l’impartialité et l’indépendance de la juge et, dans certains cas, énoncent, en substance, des allégations de parti pris.

[40]           Tout soupçon de partialité doit être examiné avec soin parce que « la confiance du public dans notre système juridique prend sa source dans la condition fondamentale selon laquelle ceux qui rendent jugement doivent toujours non seulement le faire sans partialité ni préjugé, mais doivent également être perçus comme agissant de la sorte » (Bande indienne Wewaykum c. Canada, 2003 CSC 45 au paragraphe 57, [2003] 2 R.C.S. 259). Comme madame Collins en a été informée :

[I]l y a une forte présomption que les juges administreront la justice de façon impartiale. Cette présomption n’est pas facilement repoussée et une « preuve concluante » doit être présentée pour prouver une allégation de crainte raisonnable de partialité.

[Citation omise]

Collins c. Canada, 2011 CAF 140, au paragraphe 7, 418 N.R. 23. Voir aussi Collins c. Canada, 2011 CAF 123, 418 N.R. 196; Collins c. Canada, 2011 CAF 171, 421 N.R. 201.

[41]           Nul élément de preuve dont la Cour est saisie ne tend à établir, même un tant soit peu, le parti pris ou la partialité de la juge. Les attaques personnelles contre l’intégrité de la juge n’ont pas leur place dans un mémoire des faits et du droit, dont l’objectif est de fournir à la Cour et à l’intimée un bref exposé du droit et des faits sur lesquels l’appelante s’appuie pour attaquer les décisions faisant l’objet de l’appel.

B.                 Ordonnance relative à la prématurité

[42]           La question de savoir si les Règles des Cours fédérales excluent la présentation d’une requête en procès sommaire avant les interrogatoires préalables est une pure question de droit; la norme de contrôle pertinente est celle de la décision correcte.

[43]           Le paragraphe 213(1) des Règles des Cours fédérales dispose :

213. (1) Une partie peut présenter une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire à l’égard de toutes ou d’une partie des questions que soulèvent les actes de procédure. Le cas échéant, elle la présente après le dépôt de la défense du défendeur et avant que les heure, date et lieu de l’instruction soient fixés.

213. (1) A party may bring a motion for summary judgment or summary trial on all or some of the issues raised in the pleadings at any time after the defendant has filed a defence but before the time and place for trial have been fixed.

[Je souligne].

[Emphasis added]

[44]           Le texte [anglais] de cette règle est clair : une partie peut présenter une requête en procès sommaire [traduction] « en tout temps » après le dépôt de la défense du défendeur, la seule restriction étant que cette requête doit être présentée avant que les heure, date et lieu de l’instruction n’aient été fixés.

[45]           La Couronne soutient que la lecture de madame Collins du paragraphe 213(1) des Règles des Cours fédérales est démentie par ses propres gestes, puisqu’elle a présenté une requête en jugement sommaire avant les interrogatoires préalables. La Couronne soutient, de manière plus convaincante à mon avis, que le pouvoir, conféré à la Cour par l’article 218 des Règles des Cours fédérales, de limiter les interrogatoires préalables qui ont lieu après qu’une requête en vertu des articles 215 ou 216 des Règles des Cours fédérales a été refusée, ou accordée en partie seulement, doit signifier qu’il n’est pas nécessaire que les interrogatoires préalables aient été effectués pour qu’une requête en procès sommaire soit présentée aux termes du paragraphe 213(1) des Règles des Cours fédérales.

[46]           Je ne suis pas convaincu que la Couronne ne pouvait présenter la requête en procès sommaire pour les raisons alléguées par madame Collins. De plus, je ne vois rien dans la jurisprudence de la Colombie-Britannique que madame Collins a citée dans son mémoire qui m’incite à penser que les interrogatoires préalables doivent avoir eu lieu avant qu’une requête en procès sommaire puisse suivre son cours.

[47]           Il faut relever qu’en rejetant la requête relative à la prématurité de madame Collins, la juge a, avec raison à mon avis, autorisé madame Collins à alléguer l’absence d’interrogatoires préalables comme défense contre la requête en procès sommaire de la Couronne sur le fond.

C.                Ordonnance sur la question de la preuve

[48]           Madame Collins affirme que les pistes de vérification ne sont pas admissibles en preuve parce qu’il s’agit de ouï-dire et que la juge a commis une erreur en concluant que c’étaient des « pièce[s] établie[s] dans le cours […] des affaires », une exception à la règle faisant l’objet du paragraphe 30(1) de la Loi sur la preuve au Canada qui interdit d’admettre en preuve le ouï-dire. Madame Collins affirme en particulier que la juge aurait dû conclure que les pistes de vérification étaient des pièces « établie[s] au cours d’une investigation ou d’une enquête » et qu’elles étaient par conséquent inadmissibles en vertu du paragraphe 30(10) de la Loi sur la preuve au Canada.

[49]           Dans R. c. Youvarajah, 2013 CSC 41, au paragraphe 31, [2013] 2 R.C.S. 720, [Youvarajah], la juge Karakatsanis a dit ceci :

[31] L’admissibilité d’une preuve par ouï-dire, en l’occurrence la déclaration antérieure incompatible, est une question de droit. Évidemment, les conclusions de fait ayant mené à la décision commandent la déférence et ne sont pas remises en question en l’espèce. De même, le juge du procès est bien placé pour apprécier les dangers associés au ouï-dire dans une affaire donnée et l’efficacité des garanties permettant de les écarter. Par conséquent, en l’absence d’une erreur de principe de la part du juge du procès, il faut faire preuve de retenue à l’égard de sa conclusion quant au seuil de fiabilité : R. c. Couture, 2007 CSC 28, [2007] 2 R.C.S. 517, par. 81.

[50]           Les parties pertinentes des dispositions de la Loi sur la preuve au Canada sont les suivantes :

30. (1) Lorsqu’une preuve orale concernant une chose serait admissible dans une procédure judiciaire, une pièce établie dans le cours ordinaire des affaires et qui contient des renseignements sur cette chose est, en vertu du présent article, admissible en preuve dans la procédure judiciaire sur production de la pièce.

30. (1) Where oral evidence in respect of a matter would be admissible in a legal proceeding, a record made in the usual and ordinary course of business that contains information in respect of that matter is admissible in evidence under this section in the legal proceeding on production of the record

[…]

[…]

(10) Le présent article n’a pas pour effet de rendre admissibles en preuve dans une procédure judiciaire :

(10) Nothing in this section renders admissible in evidence in any legal proceeding

a) un fragment de pièce, lorsqu’il a été prouvé que le fragment est, selon le cas :

(a) such part of any record as is proved to be

(i) une pièce établie au cours d’une investigation ou d’une enquête,

(i) a record made in the course of an investigation or inquiry,

[Je souligne.]

[Emphasis added]

[51]           La question de savoir si les pistes de vérification constituent des « pièce[s] établie[s] dans le cours […] des affaires », au sens du paragraphe 30(1) de la Loi sur la preuve au Canada, ou des « pièce[s] établie[s] au cours d’une investigation » au sens du paragraphe 30(10) de la Loi sur la preuve au Canada est en grande partie une question de fait. Comme l’enseigne l’arrêt Youvarajah, les conclusions de fait tirées par un juge et sur lesquelles repose une décision relative à l’admissibilité de la preuve par ouï-dire commandent la déférence.

[52]           La juge a fait référence à l’affidavit Vladescu (que madame Collins n’a pas contesté) et a conclu que le système national des pistes de vérification crée automatiquement un enregistrement chaque fois que des employés de l’ARC accèdent aux dossiers des contribuables. Elle a ajouté que l’enregistrement des accès aux dossiers de l’ARC sur madame Collins a eu lieu indépendamment de toute enquête ayant découlé de l’affirmation de celle-ci selon laquelle des membres de son équipe de vérification avaient consulté illégalement ses dossiers de l’ARC. De plus, la juge a conclu que les pistes de vérification examinées par monsieur Stathakos ont simplement été réunies pour son examen. Ce qui l’a amenée à conclure que les pistes de vérification étaient des « pièce[s] établie[s] dans le cours […] des affaires », conformément au paragraphe 30(1) de la Loi sur la preuve au Canada et ne constituaient pas des « pièce[s] établie[s] au cours d’une investigation » au sens du paragraphe 30(10) de la Loi sur la preuve au Canada. Ce sont en bonne partie, à mon avis, des conclusions de fait qu’il était loisible à la juge de tirer et qui commandent la déférence.

[53]           La juge a conclu que, parce que les pistes de vérification étaient des « pièce[s] établie[s] dans le cours […] des affaires », elles étaient admissibles aux termes du paragraphe 30(1) de la Loi sur la preuve au Canada. Ce faisant, la juge n’a commis, selon moi, aucune erreur de droit.

[54]           Madame Collins affirme aussi que la juge a fait une lecture erronée des paragraphes 30(1) et (10) de la Loi sur la preuve au Canada parce qu’elle s’est appuyée sur une jurisprudence que les parties ne lui ont pas fournie. A l’occasion de l’affaire Heron Bay Investments Ltd. c. Canada, 2010 CAF 203, 2010 D.T.C. 5126, [Heron Bay], la Cour a conclu que, lorsque le juge examine une question soulevée par les parties, rien ne l’empêche de se reporter à une jurisprudence qui n’a pas été citée par les parties. La juge n’a par conséquent pas fait d’erreur en s’appuyant sur une jurisprudence supplémentaire pour se prononcer sur l’admissibilité des pistes de vérification conformément aux paragraphes 30(1) et (10) de la Loi sur la preuve au Canada.

[55]           Madame Collins soutient que la juge a commis une erreur en admettant des portions de l’affidavit Pattison (le paragraphe 16), de l’affidavit Coelho (les paragraphes 7 à 12 et la plus grande partie du paragraphe 13) et de l’affidavit Stathakos (les paragraphes 13, 15, 17, 21 et 23) parce que ces portions expliquent les pistes de vérification conformément au paragraphe 30(4) de la Loi sur la preuve au Canada. Cette disposition se lit comme suit :

30(4) Lorsque la production d’une pièce ou d’une copie d’une pièce décrite au paragraphe (1) ou (2) ne révélerait pas au tribunal les renseignements contenus dans la pièce, du fait qu’ils ont été consignés sous une forme qui nécessite des explications, une transcription des explications de la pièce ou copie, préparée par une personne qualifiée pour donner les explications, accompagnée d’un document de cette personne indiquant ses qualités pour les donner et attestant l’exactitude des explications est admissible en preuve, en vertu du présent article, de la même manière que s’il s’agissait de l’original de cette pièce. Le document prend la forme soit d’un affidavit reçu par une personne autorisée, soit d’un certificat ou d’une déclaration comportant une attestation selon laquelle ce certificat ou cette déclaration a été établi en conformité avec les lois d’un État étranger, que le certificat ou l’attestation prenne ou non la forme d’un affidavit reçu par un fonctionnaire de l’État étranger.

30(4) Where production of any record or of a copy of any record described in subsection (1) or (2) would not convey to the court the information contained in the record by reason of its having been kept in a form that requires explanation, a transcript of the explanation of the record or copy prepared by a person qualified to make the explanation is admissible in evidence under this section in the same manner as if it were the original of the record if it is accompanied by a document that sets out the person’s qualifications to make the explanation, attests to the accuracy of the explanation, and is

(a) an affidavit of that person sworn before a commissioner or other person authorized to take affidavits; or

(b) a certificate or other statement pertaining to the record in which the person attests that the certificate or statement is made in conformity with the laws of a foreign state, whether or not the certificate or statement is in the form of an affidavit attested to before an official of the foreign state.

[Je souligne.]

[Emphasis added]

[56]           Madame Collins soutient que la juge a commis une erreur en s’appuyant sur le paragraphe 30(4) de la Loi sur la preuve au Canada pour tirer sa conclusion parce que la Couronne n’avait pas invoqué cette disposition. Selon moi, cette allégation est sans fondement.

[57]           La juge a fait référence au paragraphe 30(4) de la Loi sur la preuve au Canada lorsqu’elle a recherché si les paragraphes (1) et (10) de l’article 30 de cette loi étaient applicables aux moyens qu’invoquaient devant elle les parties. Madame Collins n’a pas cité d’autorités enseignant que le juge ne peut faire référence à un autre paragraphe d’une disposition qui a été mise en cause par les parties. La juge n’a donc, à mon avis, commis aucune erreur de droit en fondant ses décisions quant à l’admissibilité des portions contestées de l’affidavit Pattison, de l’affidavit Coelho et de l’affidavit Stathakos, précités, sur le paragraphe 30(4) de la Loi sur la preuve au Canada.

[58]           En ce qui concerne les faits sur lesquels reposent les décisions relatives à l’admissibilité, il est évident d’après l’ordonnance de la juge que la signification des pistes de vérification n’était pas claire pour elle et qu’elle avait besoin d’une explication. Par conséquent, à mon avis, la juge n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en retenant comme éléments de preuve admissibles les portions explicatives de l’affidavit Pattison, de l’affidavit Coelho et de l’affidavit Stathakos conformément au paragraphe 30(4) de la Loi sur la preuve au Canada.

[59]           Comme je l’ai déjà signalé, la juge a conclu qu’un certain nombre de paragraphes de l’affidavit Léveillé, de l’affidavit Coelho, de l’affidavit Stathakos et de l’affidavit Marisetti étaient inadmissibles. Devant notre Cour, madame Collins allègue que la juge a commis une erreur en ne concluant pas que plusieurs autres paragraphes des affidavits produits en preuve étaient inadmissibles aussi.

[60]           Avant d’examiner ces allégations, il est utile de se pencher sur la pertinence des affidavits dont la juge était saisie. Ces éléments de preuve ont été produits aux fins des requêtes en recours sommaire. Le point central de chacune de ces requêtes était l’allégation de madame Collins selon laquelle elle avait été victime d’une faute dans l’exercice d’une charge publique.

[61]           Les éléments de ce délit sont recensés clairement au paragraphe 32 de l’arrêt Succession Odhavji, le juge Iacobucci observé :

[32][J’]estime que la faute commise dans l’exercice d’une charge publique constitue un délit intentionnel comportant les deux éléments distinctifs suivants : (i) une conduite illégitime et délibérée dans l’exercice de fonctions publiques; et (ii) la connaissance du caractère illégitime de la conduite et de la probabilité de préjudice à l’égard du demandeur. À cela s’ajoute l’exigence pour le demandeur d’établir l’existence des autres conditions communes à tous les délits. Plus précisément, le demandeur doit démontrer que les préjudices qu’il a subis ont pour cause juridique la conduite délictuelle, et que ces préjudices sont indemnisables suivant les règles de droit en matière délictuelle.

[62]           La question de l’admissibilité des paragraphes controversés des affidavits de la Couronne doit donc être examinée au regard des éléments de la faute qui, d’après madame Collins, a été commise. Si la juge a commis une erreur lorsqu’elle a conclu à l’admissibilité d’une portion en particulier de ces affidavits en vertu des règles applicables au ouï-dire, mais qu’il n’existe pas de lien entre cette portion et un élément de la faute alléguée, cette erreur est sans importance parce qu’elle n’a pas d’incidence sur la décision des requêtes en recours sommaire.

[63]           Revenant aux affidavits contestés, madame Collins affirme que la juge a commis une erreur en admettant les paragraphes 8, 9 et 10 de l’affidavit Low. Ces paragraphes contiennent des attestations sur la relation de monsieur Low avec madame Collins, à titre de membre de son équipe de vérification, certains [traduction] « rapports provisoires d’évaluation de la compétence » et les réactions de madame Collins à ces rapports. À mon avis, ces paragraphes n’ont aucune incidence sur les questions dont la juge était saisie dans les requêtes en recours sommaire et auraient par conséquent dû être considérés comme inadmissibles. Cela étant dit, je suis d’avis que la décision de la juge à propos de leur admissibilité n’a pas eu de conséquences sur les décisions qu’elle a rendues au sujet de ces requêtes.

[64]           Le paragraphe 16 de l’affidavit Pattison et les paragraphes 7 à 13 de l’affidavit Coelho font état des explications des souscripteurs d’affidavit sur les pistes de vérification. Pour les motifs précités, je suis d’avis que la juge n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a conclu que ces paragraphes étaient admissibles conformément au paragraphe 30(4) de la Loi sur la preuve au Canada.

[65]           Les paragraphes 13 et 15 de l’affidavit Stathakos contiennent l’explication du souscripteur de l’affidavit à propos des pistes de vérification et, pour les motifs précités, je suis d’avis que la juge n’a pas commis d’erreur en concluant qu’ils sont admissibles conformément au paragraphe 30(4) de la Loi sur la preuve au Canada. Les paragraphes 17, 21 et 23 de cet affidavit contiennent des attestations sur les enquêtes visant à établir si madame Collins était une [traduction] « dénonciatrice » et si elle avait demandé, ou s’était vu offrir, un autre emploi. Ces questions sont sans rapport avec les questions des requêtes en recours sommaire. À mon avis, la conclusion de la juge quant à leur admissibilité n’a donc pas eu d’incidence sur sa décision.

[66]           En conclusion, je ne suis pas convaincu que la juge a commis des erreurs importantes en tirant ses conclusions sur l’admissibilité.

D.                Requête en jugement sommaire

[67]           La question de savoir si la juge a erré lorsqu’elle a rejeté la requête en jugement sommaire est une question mixte de fait et de droit; la norme de contrôle est celle de l’erreur manifeste et dominante.

[68]           Madame Collins soutient que la juge aurait dû accueillir la requête parce que la Couronne ne s’y est pas opposée. Il est évident que cette thèse doit être rejetée. La Couronne s’est bel et bien opposée à la requête en jugement sommaire.

[69]           Madame Collins allègue que la juge n’a pas correctement formulé les principes juridiques applicables aux requêtes en jugement sommaire. Madame Collins sait qu’il incombe à la partie requérante d’établir qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse; elle soutient que la partie intimée doit aussi établir l’existence d’une véritable question litigieuse. Elle allègue de plus que la juge a commis une erreur en ne procédant pas à l’analyse de la preuve dont elle était saisie pour cette requête.

[70]           À l’audience, madame Collins a produit d’autres autorités. L’une d’elle, qui explique les critères pertinents en manière de jugement sommaire, est particulièrement utile. À l’occasion de l’affaire Pioneer Exploration Inc. (Trustee of) c. Euro-Am Pacific Enterprises Ltd., 2003 ABCA 298, 339 A.R. 165 [Pioneer Exploration], le juge Wittmann s’est penché sur les exigences énoncées à l’article 159 des anciennes règles de procédure de l’Alberta (Alberta Rules of Court, A.R. 390/1968) qui, comme l’article 215 des Règles des Cours fédérales, autorise les juridictions albertaines à rendre un jugement sommaire s’il n’y a pas de véritable question litigieuse. Aux paragraphes 15 à 19, le juge Wittmann a observé :

[traduction]
LE CRITÈRE EN MANIÈRE DE JUGEMENT SOMMAIRE

[15] Selon l’article 159, le demandeur peut se voir accorder un jugement sommaire si le tribunal « est convaincu qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse ». Lorsqu’un demandeur présente une requête en jugement sommaire, c’est à lui qu’il incombe en fin de compte de montrer que sa demande satisfait aux exigences de l’article 159. Il faut distinguer ce fardeau ultime du fardeau de la preuve, qui passe du demandeur au défendeur lorsque le critère de la règle 159 est appliqué.

[16] Dans les transcriptions des procédures en cabinet ci‑après, le conseil et le juge en cabinet discutent une preuve prima facie à établir hors de tout doute raisonnable, des observations qui découlent de certaines décisions de la Cour du Banc de la Reine : Gerling Global General Insurance Co. c. Canadian Occidental Petroleum Ltd., (1998) 64 Alta. L.R. (3d) 174 (Q.B.). Ces observations sont malheureuses. Ni « prima facie » ni [traduction] « hors de tout doute raisonnable » ne conviennent dans le contexte de la norme de preuve pour un jugement sommaire en vertu de la règle 159.

[17] Le critère est énoncé brièvement dans l’arrêt Royal Bank of Canada c. McLean (1997), 211 A.R. 297 (Q.B.), aux paragraphes 27 à 34, dans lesquels le juge Hutchinson expose un processus en deux étapes.

[18] Premièrement, il incombe au demandeur de prouver sa thèse selon la prépondérance des probabilités. Chacun des faits nécessaires pour appuyer l’allégation doit être prouvé : Bank of Montreal c. Kalin (1992), 131 A.R. 397 (C.A.).

[19] Après que le demandeur a prouvé sa thèse selon la prépondérance des probabilités, le fardeau de la preuve passe au défendeur, mais le demandeur doit, comme toujours, se décharger du fardeau ultime. Le défendeur peut éviter un jugement sommaire en faveur du demandeur en prouvant qu’il existe une véritable question litigieuse. Si le défendeur se décharge du fardeau de la preuve, le demandeur ne se décharge pas du fardeau ultime. Il ne doit faire aucun doute qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse.

[Je souligne.]

[71]           L’arrêt Dawson c. Rexcraft Storage & Warehouse Inc. (1998), 111 O.A.C. 201, 164 D.L.R. (4th) 257 de la Cour d’appel de l’Ontario [Dawson] jette plus de lumière sur ce critère. Cette décision a été rendue à un moment où les dispositions relatives aux jugements sommaires des Règles des procédures civiles de l’Ontario, R.R.O. 1990, Règl. 194 étaient essentiellement les mêmes que l’article des Règles des Cours fédérales, et fournit donc des indications utiles. Aux paragraphes 17 et 18, le juge Borins a observé :

[traduction]
[17] À l’étape du jugement sommaire, la cour désire voir les preuves que les parties ont à présenter au juge du procès, ou au jury, si un procès est tenu. Bien qu’il incombe à la partie requérante d’établir l’absence d’une véritable question litigieuse, comme l’exige le paragraphe 20.04(1), la partie intimée doit se décharger d’un fardeau de la preuve qui ne repose peut-être pas sur les allégations ou les dénégations de sa plaidoirie, mais doit présenter, au moyen d’affidavits ou d’autres éléments de preuve, des faits précis montrant qu’il existe une véritable question litigieuse. Le juge de la requête peut à bon droit tenir pour acquis que le dossier renferme toute la preuve que les parties produiront s’il y a un procès. Voir Rogers Cable T.V. Ltd. c. 373041 Ontario Ltd. (1994), 22 O.R. (3d) 25 (Div. gén.), et les affaires qui y sont citées.

[18] La jurisprudence et l’expérience de notre Cour semblent indiquer que les juges des requêtes ont souvent de la difficulté à procéder au processus analytique consistant à rechercher si l’affaire montre qu’il n’y a pas de véritable question litigieuse en ce qui concerne un fait important devant être résolu par un juge ou un jury lors d’un procès. À cet égard, il est utile de souligner que le différend doit porter sur un fait important, et qu’il doit être véritable : Irving Ungerman Ltd. c. Galanis (1991), 4 O.R. (3d) 545 (C.A.); Rogers Cable T.V. Ltd., précité; Royal Bank of Canada c. Feldman (1995), 23 O.R (3d) 798 (Div. gén.), appel annulé (1995), 27 O.R. (3d) 322 (C.A.); Blackburn c. Lapkin (1996), 28 O.R. (3d) 292 (Div. gén.).

[Je souligne.]

[72]           À mon avis, le cadre analytique que la juge a retenu était conforme à celui qui a été consacré par les arrêts Pioneer Exploration et Dawson. La juge a poursuivi en concluant que la preuve de madame Collins ne l’avait pas convaincue que quiconque avait eu un comportement illégal dans l’exercice d’une charge publique, un élément essentiel du délit que madame Collins était tenue d’établir. Selon moi, il était loisible à la juge de tirer cette conclusion et, ce faisant, elle n’a commis aucune erreur manifeste et dominante.

[73]           J’estime aussi que cette conclusion à elle seule aurait été un motif suffisant pour que la juge rejette la requête en jugement sommaire. Cependant, elle a examiné les preuves produites par la Couronne et a conclu qu’il ressortait de ces preuves que seul monsieur Zanetti avait consulté sans autorisation le dossier de l’ARC sur madame Collins, ce que monsieur Zanetti n’avait pas fait en tant que fonctionnaire public, et que monsieur Zanetti ne savait pas que son comportement serait vraisemblablement préjudiciable à madame Collins.

[74]           En examinant la preuve produite par la Couronne, la juge s’est assurée que, à supposer que le fardeau de la preuve soit à ce stade passé à la Couronne, celle‑ci s’en était déchargée, puisque, selon les faits ainsi établis, les éléments factuels des éléments de la faute dans l’exercice d’une charge publique demeuraient véritablement litigieux.

[75]           En conclusion, je suis d’avis que la juge n’a commis aucune erreur en rejetant la requête en jugement sommaire.

E.                 Requête en procès sommaire

[76]           La question de savoir si la juge a commis une erreur en accueillant la requête en procès sommaire est une question mixte de fait et de droit; la norme de contrôle est l’erreur manifeste et dominante.

[77]           Madame Collins allègue que la juge a commis une erreur en accueillant cette requête parce que des questions importantes de crédibilité étaient soulevées.

[78]           La juge a conclu que la crédibilité n’était pas cruciale dans ce procès sommaire. Elle a fait observer que madame Collins avait procédé à des contre-interrogatoires écrits et qu’aucun problème de crédibilité ne se dégageait des réponses qu’elle a obtenues.

[79]           Selon moi, il était loisible à la juge de tirer ces conclusions et madame Collins n’a pas établi qu’elles reposaient sur une erreur manifeste et dominante.

[80]           Il ressort des affidavits contradictoires qu’il y a désaccord entre les souscripteurs. Il n’en ressort pas nécessairement que l’un ou l’autre des souscripteurs n’est pas crédible. À l’audience, madame Collins ne m’a pas convaincu que les conclusions tirées par la juge, sur lesquelles reposent ses décisions d’accueillir la requête en procès sommaire et de rejeter l’action, étaient basées sur l’absence de crédibilité de l’un ou l’autre des souscripteurs d’affidavit.

[81]           Madame Collins allègue également que la juge a erré en ne tirant pas de conclusion défavorable de la décision de la Couronne de ne pas la contre-interroger sur son affidavit. Il est évident que le paragraphe 216(4) des Règles des Cours fédérales l’y autorise. Madame Collins n’a pas établi que la juge avait fait erreur en refusant d’exercer son pouvoir discrétionnaire et de tirer la conclusion sollicitée.

[82]           En conclusion, je ne suis pas convaincu que la juge a fait erreur en accueillant la requête en procès sommaire.

F.                 Le procès sommaire

[83]           Se penchant sur le fond de l’action, la juge a recensé les éléments de la faute dans l’exercice d’une charge publique que madame Collins était tenue d’établir.

[84]           La juge a examiné les éléments que contient l’affidavit Zanetti, les annexes A et C de l’affidavit Pattison, le paragraphe 9 de l’affidavit Coelho, les paragraphes 13 et 15 de l’affidavit Stathakos et les paragraphes 8, 11, 12, 14 et 15 de l’affidavit Low. Elle a conclu qu’il n’y a eu qu’un seul bref accès non autorisé aux dossiers de l’ARC sur madame Collins, par monsieur Zanetti, qui ne se souvenait pas de ce qu’il avait vu, et ne l’a pas non plus communiqué à quiconque. Elle a également conclu que monsieur Zanetti ne savait pas que son comportement serait vraisemblablement préjudiciable à madame Collins. Elle n’a pas retenu l’affirmation de madame Collins selon laquelle monsieur Low, ainsi que d’autres membres de son équipe de vérification, avait consulté sans autorisation les dossiers de l’ARC la concernant. La juge n’a pas non plus découvert d’éléments selon lesquels les pistes de vérification avaient été modifiées pour protéger l’ARC.

[85]           S’appuyant sur ces conclusions, elle a conclu que madame Collins n’avait pas établi qu’il y a eu faute dans l’exercice d’une charge publique, comme l’allègue la version modifiée de nouveau de sa déclaration.

[86]           Aux pages 28 à 30 de son mémoire, madame Collins attaque les conclusions de la juge ainsi que l’inférence à laquelle elles l’ont menée, à savoir que madame Collins n’avait pas établi l’existence de la faute qu’elle avait plaidée. À mon avis, ces affirmations sont, dans une grande mesure, des redites des thèses que madame Collins a défendues sans succès devant la juge. Aucune de ces affirmations ne m’a convaincu que la juge a commis une erreur manifeste et dominante en tirant ces conclusions et en inférant que les éléments nécessaires de la faute dans l’exercice d’une charge publique n’avaient pas été établis.

[87]           Madame Collins a fait valoir que l’absence d’interrogatoires préalables était une question toujours en litige. Rejetant cette affirmation, la juge a estimé qu’en présentant une requête en jugement sommaire, madame Collins était censée avoir mis « ses meilleurs arguments » de l’avant, en d’autres mots, avoir produit une preuve qu’elle considérait comme suffisante pour se décharger du fardeau de prouver les éléments de la faute qu’elle avait plaidée. À mon avis, cette décision est une réponse suffisante à l’assertion de madame Collins selon laquelle les interrogatoires préalables étaient nécessaires.

[88]           En conclusion, je ne suis pas convaincu qu’en rejetant l’action, la juge a commis une erreur qui justifie notre intervention.

VIII.       DÉCISION

[89]           Pour les motifs précités, je rejetterais les appels avec un seul ensemble de dépens.

« C. Michael Ryer »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

Traduction


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

A-211-14, A-343-13, A-356-13

POUR A-211-14 :

APPEL D’UNE ORDONNANCE DE LA JUGE GLEASON DE LA COUR FÉDÉRALE, DATÉE DU 1ER AVRIL 2014, DANS LE DOSSIER No T‑997‑09.

POUR A-343-13 :

APPEL D’UNE ORDONNANCE DE LA JUGE GLEASON DE LA COUR FÉDÉRALE, DATÉE DU 26 SEPTEMBRE 2013, DANS LE DOSSIER No T‑997‑09.

POUR A-356-13 :

APPEL D’UNE ORDONNANCE DE LA JUGE GLEASON DE LA COUR FÉDÉRALE, DATÉE DU 11 OCTOBRE 2013, DANS LE DOSSIER No T‑997‑09.

INTITULÉ :

R. MAXINE COLLINS c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 NOVEMBRE 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RYER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE WEBB

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 DÉCEMBRE 2015

COMPARUTIONS :

R. Maxine Collins

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

P. Tamara Sugunasiri

Angela Shen

POUR L’INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

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