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Date : 20160125


Dossier : A‑456‑14

Référence : 2016 CAF 19

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE SCOTT

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

GERRY HEDGES

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 18 novembre 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE SCOTT

 


Date : 20160125


Dossier : A‑456‑14

Référence : 2016 CAF 19

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE SCOTT

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

GERRY HEDGES

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RENNIE

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie de l'appel d'une décision rendue le 9 septembre 2014 par le juge Miller de la Cour canadienne de l'impôt (2014 CCI 270), par laquelle celui‑ci a rejeté l'appel formé par l'appelant à l'encontre de nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E‑15 (la Loi), pour la période du 1er octobre 2007 au 31 décembre 2009.

[2]               Dans cette décision, le juge a conclu que la marihuana thérapeutique vendue par l'appelant n'était pas détaxée en vertu de la Loi. Je rejetterais l'appel.

II.                Le contexte

[3]               La question en litige dans le présent appel est celle de savoir si la marihuana vendue par l'appelant est une fourniture détaxée selon l'annexe VI, partie I, alinéa 2d) de la Loi, dont le libellé est le suivant :

Annexe VI – Fournitures détaxées

Schedule VI – Zero-Rated Supplies

2. La fourniture des drogues ou substances suivantes :

2. A supply of any of the following drugs or substances :

[…]

d) les drogues contenant un stupéfiant figurant à l'annexe du Règlement sur les stupéfiants, à l'exception d'une drogue et d'un mélange de drogues qui peuvent être vendus au consommateur sans ordonnance conformément à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances ou à ses règlements d'application;

(d) a drug that contains a substance included in the schedule to the Narcotic Control Regulations, other than a drug or mixture of drugs that may be sold to a consumer without a prescription pursuant to the Controlled Drugs and Substances Act or regulations made under that Act.

[4]               Pour les fournitures effectuées après le 26 février 2008, le libellé de cette disposition a été légèrement modifié de la façon suivante :

d) les drogues contenant un stupéfiant figurant à l'annexe du Règlement sur les stupéfiants, à l'exception des drogues et des mélanges de drogues qui peuvent être vendus au consommateur sans ordonnance ni exemption accordée par le ministre de la Santé relativement à la vente, conformément à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances ou à ses règlements d'application;

[Non souligné dans l'original]

(d) a drug that contains a substance included in the schedule to the Narcotic Control Regulations, other than a drug or mixture of drugs that may, pursuant to the Controlled Drugs and Substances Act or regulations made under that Act, be sold to a consumer with neither a prescription nor an exemption by the Minister of Health in respect of the sale,

[Emphasis added]

[5]               Depuis 1969, l'appelant cultive de la marihuana pour son propre usage afin d'atténuer la douleur. Depuis 1999, il a fourni de la marihuana séchée qu'il désigne comme du « Po‑Chi » à la British Columbia Compassion Club Society (BCCCS), un dispensaire dont les membres souffraient de diverses affections. Il n'a jamais perçu ni versé de taxe sur les produits et services (TPS) pour ces ventes. Il a fait l'objet d'une cotisation s'élevant à 14 968,43 $ (incluant les intérêts et pénalités) pour avoir omis de le faire.

[6]               Le Règlement sur l'accès à la marihuana à des fins médicales (DORS/2001‑227) (RAMFM) permet à une personne d'obtenir une autorisation de possession. L'autorisation de possession permet la possession de marihuana séchée, conformément à ses modalités, sous réserve de l'arrêt R. c. Smith, 2015 CSC 34, de la Cour suprême du Canada, examiné plus loin. Même si le RAMFM dispose qu'il faut avoir une déclaration médicale pour obtenir une autorisation de possession, le médecin d'un demandeur ne donne pas d'ordonnance (au sens traditionnel et non controversé du terme, du moins). Une autorisation de possession ne peut être délivrée que par le ministre de la Santé.

[7]               L'appelant n'était pas titulaire d'une licence de production au sens du RAMFM et les ventes de marihuana faites par le BCCCS à ses membres ne respectaient pas non plus les dispositions du RAMFM. L'appelant n'a jamais obtenu d'autorisation de possession. Sauf pour deux d'entre eux, aucun des membres du BCCCS n'avait d'autorisation de possession. Une déclaration médicale était cependant nécessaire pour devenir membre du BCCCS. De la même manière que le prévoit le processus approuvé d'autorisation de possession, cette déclaration n'est pas une ordonnance, mais confirme simplement le diagnostic et les symptômes.

III.             La décision de première instance

[8]               Le juge de première instance a affirmé qu'il y avait quatre questions à trancher. Seule la conclusion tirée au regard de la dernière question fait l'objet du présent appel, mais le raisonnement dans son ensemble demeure pertinent.

1)      Qu'est‑ce que le Po‑Chi?

2)      La marihuana séchée est‑elle une drogue au sens où ce mot est employé à l'annexe VI, partie I, alinéa 2d) de la Loi?

3)      Le Po‑chi contient‑il du cannabis ou du tétrahydrocannabinol (THC)?

4)      Est‑ce une drogue qui peut s'obtenir sans ordonnance ou sans exemption accordée par le ministre de la Santé?

[9]               Le juge a conclu que le produit nommé Po‑Chi vendu par l'appelant était de la marihuana séchée, que la marihuana séchée vendue aux fins d'un traitement thérapeutique était une drogue, qu'elle contenait du cannabis ou du THC et qu'elle pouvait être obtenue sans ordonnance ni exemption. Par conséquent, elle était exclue de la catégorie des médicaments détaxés.

[10]           Les réponses aux trois premières questions ont placé le Po‑Chi dans une catégorie de fournitures réputées détaxées. Il existe cependant une exception : les drogues de cette catégorie ne sont pas détaxées si elles peuvent être obtenues sans ordonnance ou exemption ministérielle. Cette catégorie comprend, par exemple, les médicaments en vente libre. Se pose alors l'importante quatrième question, soit celle de savoir si le Po‑Chi est une drogue de cette nature, exclue en vertu de l'exception, et, par conséquent, taxable. Le juge a conclu que c'était le cas.

[11]           Le juge a premièrement examiné la nature des exclusions. Il a constaté que ces exclusions visent des drogues qui peuvent être achetées sans faire l'objet de contrôle, de réglementation ou d'intervention de la part de l'État. Il a aussi remarqué que toutes les fournitures d'une drogue sont regroupées et classifiées en conséquence, en ce sens qu'elles sont soit toutes détaxées, soit toutes exclues de la catégorie des fournitures détaxées (ce dernier cas se produisant même si la vente d'une drogue n'est réglementée que dans certains cas seulement).

[12]           Le juge a décidé que la déclaration médicale requise pour l'obtention de l'autorisation de possession exigée par le RAMFM n'était pas une ordonnance, car il ne s'agissait ni d'un ordre donné à un pharmacien ni d'une autorisation en soi. Elle constituait plutôt un document produit à l'appui d'une demande d'autorisation de possession sur lequel est indiquée la quantité de marihuana que la personne peut posséder, mais non sa posologie. Le juge a ensuite décidé que les autorisations de possession n'étaient pas des « exemptions accordées par le ministre de la Santé ». À son avis, les autorisations de possession accordées en vertu du RAMFM sont des « autorisations » plutôt que des « exemptions ».

[13]           Puisque la façon d'acquérir de la marihuana, c'est‑à‑dire en vertu du RAMFM, n'était pas une ordonnance ou une exemption, le juge a conclu que la marihuana était exclue de la catégorie des drogues détaxées.

IV.             Les thèses des parties

[14]           L'appelant soutient que le RAMFM n'entraîne pas l'application de l'exclusion, puisque l'exclusion ne s'applique que lorsqu'un médicament est offert aux consommateurs en général (et non pas à un sous‑ensemble seulement, comme les détenteurs d'autorisation de possession) sans ordonnance ou exemption. Subsidiairement, il fait valoir que le RAMFM constitue une exemption, et qu'en conséquence les fournitures effectuées après le 27 février 2008 étaient détaxées. L'appelant ne soutient plus que le RAMFM constitue une ordonnance.

[15]           L'intimée ne conteste pas l'exactitude des réponses aux trois premières questions données par le juge de façon favorable à l'appelant. L'intimée se limite à dire que le juge a décidé à bon droit que la marihuana était exclue de la détaxation générale énoncée à l'annexe VI, partie I, alinéa 2d). L'intimée soutient que le RAMFM ne constitue ni une ordonnance ni une exemption.

V.                Analyse

A.                Observations préliminaires

[16]           Puisqu'il est question de l'interprétation d'une loi, le présent appel porte sur une question de droit à l'égard de laquelle il convient d'appliquer la norme de contrôle de la décision correcte.

[17]           Le juge a fait remarquer que la loi « a perdu sa forme » en raison des modifications. Comme le juge l'a souligné, le libellé est maladroit et biaisé. Il ne fait pas de doute que l'alinéa 2d) n'est pas un modèle de rédaction légale, puisque l'appelant et l'intimée citent tous deux, à l'appui de leurs thèses respectives, les notes explicatives du ministère des Finances accompagnant l'adjonction de l'exemption en avril 2008. Le juge a souligné que cette ambiguïté a créé de l'incertitude et de la confusion, et il a conclu que cette disposition légale « doit faire l'objet d'améliorations ». Je partage cet avis.

B.                 Une autorisation de possession constitue‑t‑elle une exemption?

[18]           En pareilles circonstances, il faut recourir aux principes d'interprétation de base pour saisir l'intention du législateur : Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601. La mission première du tribunal est de procéder à une analyse textuelle, contextuelle et téléologique de la disposition fiscale en cause pour en déterminer l'objet et l'esprit, et d'examiner si l'opération en cause est visée par l'intention du législateur.

[19]           L'analyse textuelle exige que les termes en cause soient lus dans leur contexte global et examinés à la lumière de l'esprit de la loi dans son ensemble. Comme l'a fait remarquer le juge, plusieurs des arguments avancés tant par l'appelant que par l'intimée dérogeaient à ce principe directeur, de sorte qu'il a conclu, là encore, très euphémiquement, qu'ils ont perdu de vue l'essentiel.

[20]           À mon avis, lorsqu'on applique ces principes à l'alinéa 2d), et plus précisément lorsqu'on lit les termes isolément et ensemble, on doit conclure que la règle de la fourniture détaxée devait s'appliquer à certaines drogues pouvant être légalement vendues à un consommateur. L'alinéa 2d) en entier porte sur le traitement fiscal des drogues qui peuvent s'obtenir de façon licite. Il doit s'agir de drogues qui « peuvent être vendues au consommateur ». Le fait que l'on renvoie, dans cet alinéa, au Règlement sur les stupéfiants (C.R.C., ch. 1041), à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (L.C. 1996, ch. 19) (LRCDAS), aux ordonnances de médecins et aux exemptions accordées par le ministre de la Santé vient éclairer le sens du mot « peuvent ». Chacune de ces mentions vise, par l'application d'une interdiction ou d'une exemption, un moyen de se procurer en toute légalité une drogue dont la possession serait par ailleurs illégale.

[21]           On peut tenir compte des intertitres dans la recherche de l'intention du législateur, plus particulièrement lorsque le texte est obscur, comme c'est le cas en l'espèce. Le titre qui apparaît avant l'article 2, « Médicaments sur ordonnance et substances biologiques », ne vise pas n'importe quelle drogue, mais plutôt celles qu'il est possible de se procurer par l'entremise d'un mécanisme établi, en l'occurrence une ordonnance.

[22]           De plus, l'article d'interprétation de l'annexe VI indique que le champ d'application et l'objet de l'article 2 concernaient le traitement fiscal applicable aux fournitures licites. Les termes « médecin », « ordonnance », « particulier autorisé » et « pharmacien » ont tous une définition précise tributaire de leur statut de praticiens autorisés ayant le droit légal de posséder et de distribuer de la marihuana. Si la légalité de la façon de se procurer ces drogues n'était pas pertinente, les mots « sans ordonnance » seraient superflus. Il suffirait que les drogues puissent être vendues.

[23]           Cette interprétation est également compatible avec l'alinéa 2a) de la Loi sur les aliments et drogues (L.R.C. (1985), ch. F‑27), lequel précise que les « drogues » dont il s'agit sont les drogues et mélanges de drogues qui « peuvent être vendus au consommateur sans ordonnance ». Le mot « peuvent » utilisé dans cet alinéa est permissif; il ne vise pas la « vente » de drogues illicites.

[24]           Il serait illogique d'imposer d'une part une taxe à une drogue dont la vente à un consommateur est licite (c'est‑à‑dire toutes les drogues visées par l'exclusion), mais d'exempter d'autre part de la taxation une drogue dont la vente est illicite. Or, c'est l'effet qui découlerait de la thèse de l'appelant. Il serait nécessaire que le libellé de l'alinéa 2d) soit plus limpide pour qu'un tribunal puisse conclure que c'était là l'intention du législateur.

[25]           J'examinerai maintenant la thèse de l'appelant selon laquelle une autorisation de possession est une exemption accordée par le ministre de la Santé. À mon avis, cette thèse ne saurait être retenue. Premièrement, rien dans le RAMFM n'indique que l'autorisation de possession constitue une exemption. L'autorisation de possession est une autorisation et, à la simple lecture de la disposition, on constate que l'autorisation ne constitue pas une exemption. Cela suffit pour rejeter cet argument.

[26]           Bien que je saisisse l'argument avancé par l'appelant selon lequel le RAMFM dispose que les détenteurs d'autorisations de possession sont « exemptés », en tant que groupe, des dispositions de la LRCDAS, l'autorisation de possession n'est pas une exemption au sens de l'alinéa 2d). À mon avis, l'« exemption accordée par le ministre de la Santé » énoncée à l'alinéa 2d) vise une mesure administrative qui prend la forme d'un permis, d'une licence ou d'une autorisation. En revanche, le RAMFM est une mesure législative subordonnée, édictée par le gouverneur en conseil, sur la recommandation du ministre de la Santé.

[27]           L'appelant invoque l'arrêt R. c. Smith, 2015 CSC 34, [2015] 2 R.C.S. 602, et plus précisément le fait que l'autorisation de possession y est décrite comme une exemption.

[28]           La question à trancher dans l'arrêt Smith était celle de savoir si le RAMFM portait atteinte à l'article 7 en restreignant la possession légale de la marihuana à sa forme séchée par opposition à d'autres dérivés ou à d'autres formes de la résine de cannabis, comme des gélules, des onguents ou des biscuits. La Cour suprême du Canada a conclu que c'était le cas, et elle a confirmé la conclusion du juge du procès selon laquelle il n'y avait pas de lien rationnel entre l'interdiction frappant les formes non séchées de la marihuana utilisées à des fins médicales et la protection de la santé et la sécurité des patients qui satisfont aux conditions prévues pour avoir accès à la marihuana à des fins médicales. La Cour suprême a conclu que l'exemption prévue par le RAMFM devrait viser les dérivés du cannabis.

[29]           Bien que la Cour suprême utilise le mot « exemption », elle le fait dans le sens d'une « exemption du droit pénal ». Même s'il est possible pour une personne visée par une autorisation de possession d'être exemptée de l'application à son égard du droit pénal, il ne s'agit pas là d'une « exemption » au sens de dispositions légales fiscales, comme celles prévues par la Loi. Ainsi que le juge l'a souligné, si le législateur avait voulu créer une exemption pour la marihuana séchée sous toutes ses formes, en s'appuyant sur les articles 55 et 56 de la LRCDAS, « un règlement comme le Règlement d'exemption de la marihuana en vertu de la Loi sur les aliments et drogues » aurait convenu. La décision dans l'arrêt Smith s'écarte considérablement de la question de savoir si la marihuana est imposable, et je ne l'interprète pas d'une manière qui signifie que le RAMFM constitue une exemption aux fins de la Loi.

[30]           Je rejetterais l'appel avec dépens.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

            M. Nadon j.c.a. »

« Je suis d'accord.

            A.F. Scott j.c.a. »

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D'UN JUGEMENT DE LA COUR CANADIENNE DE L'IMPÔT DU 9 SEPTEMBRE 2014, DOSSIER NUMÉRO 2011‑2703(GST)G

DOSSIER :

A‑456‑14

 

INTITULÉ :

GERRY HEDGES c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :

LE 18 NOVEMBRE 2015

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE SCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 25 JANVIER 2016

COMPARUTIONS :

David M. Sherman

Alistair G. Campbell

POUR L'APPELANT

Lynn M. Burch

Christa Akey

POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David M. Sherman

Toronto (Ontario)

Legacy Tax + Trust Lawyers

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR L'APPELANT

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR L'INTIMÉE

 

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