Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20160205


Dossier : A­419­14

Référence : 2016 CAF 37

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

LOUIS BROWN

2202240 ONTARIO INC. faisant affaire sous le nom de NOR ENVIRONMENTAL INTERNATIONAL

appelants

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

et

HDT TACTICAL SYSTEMS, INC. faisant affaire sous le nom de HDT ENGINEERED TECHNOLOGIES

intimées

et

INSTITUT DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DU CANADA / INTELLECTUAL PROPERTY INSTITUTE OF CANADA

intervenant

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 10 décembre 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 5 février 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20160205


Dossier : A­419­14

Référence : 2016 CAF 37

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

LOUIS BROWN

2202240 ONTARIO INC. faisant affaire sous le nom de NOR ENVIRONMENTAL INTERNATIONAL

appelants

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

et

HDT TACTICAL SYSTEMS, INC. faisant affaire sous le nom de HDT ENGINEERED TECHNOLOGIES

intimées

et

INSTITUT DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DU CANADA / INTELLECTUAL PROPERTY INSTITUTE OF CANADA

intervenant

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE BOIVIN

[1]               La Cour est saisie d'un appel d'une décision d'une juge de la Cour fédérale (la juge) du 29 août 2014 (2014 CF 831) au sujet d'une requête en jugement sommaire présentée par la Couronne dans une action en nullité de brevet en vertu de l'article 53 de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4. La requête a été présentée dans l'action intentée par les appelants, M. Brown et NOR Environmental International (NOR), contre la Couronne et HDT Tactical Systems (HDT) pour contrefaçon du brevet canadien nº 2 285 748 (le brevet 748). La Couronne a répondu en cherchant à obtenir le rejet de la demande des appelants et en demandant un jugement sommaire en annulation du brevet 748 de M. Brown au motif qu'il était membre des Forces canadiennes au moment où il a déposé la demande de brevet et, par conséquent, qu'il a manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de l'article 4 de la Loi sur les inventions des fonctionnaires, L.R.C. (1985), ch. P‑32 (la LIF), en omettant de révéler sa qualité de fonctionnaire. Il en est résulté, aux dires de la Couronne, une allégation importante non conforme à la vérité, ce qui rendait le brevet 748 nul aux termes de l'article 53 de la Loi sur les brevets.

[2]               La juge a accueilli la requête de la Couronne en partie. Elle a conclu que M. Brown était un fonctionnaire au sens de la LIF quand il a déposé la demande de brevet en cause sans révéler sa qualité de fonctionnaire comme l'exigeait explicitement l'article 4 de la LIF. La juge a conclu que cette omission constituait une allégation non conforme à la vérité et que cette allégation non conforme à la vérité était importante au sens du paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets. Toutefois, la juge a conclu que la question de savoir si l'allégation importante non conforme à la vérité devait être faite délibérément pour induire en erreur et, le cas échéant, si M. Brown avait l'intention requise était une question qui devrait être tranchée lors du procès.

[3]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, je suis d'avis que l'appel devrait être accueilli.

I.                   Contexte factuel

[4]               Les parties ne contestent pas le contexte factuel.

[5]               Entre 1973 et 1993, M. Brown était enrôlé dans la Force régulière des Forces canadiennes.

[6]               En juin 1993, après avoir pris sa retraite, M. Brown a été placé dans la Force de réserve. La Force de réserve comprend la Première réserve et la Réserve supplémentaire.

[7]               Entre 1993 et 1995, M. Brown a été affecté à la Réserve supplémentaire. Pendant cette période, il a fondé NOR. M. Brown a ensuite été affecté à la Première réserve en octobre 1995, et, entre 1995 et juillet 1998, il a été rémunéré pour son travail à temps partiel à la Force aérienne, qui comprenait la rédaction de manuels de formation et de manuels d'utilisation du matériel.

[8]               En juin 1999, M. Brown a été libéré de la Première réserve et a été affecté à la Réserve supplémentaire d'attente, qui est un sous‑ensemble de la Réserve supplémentaire. À ce titre, M. Brown était inscrit comme personne qui n'était pas disponible pour effectuer des tâches, même en période d'urgence; il ne recevait aucun bénéfice ni aucune rémunération et il n'était pas assujetti au Code de discipline militaire des Forces canadiennes. Bien qu'il fût inscrit à la Réserve supplémentaire d'attente jusqu'en 2009, M. Brown n'a jamais été mis en service actif et n'a jamais reçu de bénéfice ni de rémunération.

[9]               Le 8 octobre 1999, environ 4 mois après sa libération de la Première réserve, M. Brown a déposé une demande pour le brevet 748 au Bureau canadien des brevets. Le brevet 748 est intitulé « Système de protection collectif transportable ». Il s'agit d'un système de décontamination servant aussi à contenir des dangers biologiques ou chimiques. NOR est titulaire d'une licence à l'égard du brevet 748.

[10]           En juin 2008, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (Travaux publics) a publié une ébauche de spécifications fonctionnelles pour les systèmes de protection collective transportable (ColPro). Un an plus tard, en juillet 2009, Travaux publics a publié une demande de propositions pour des systèmes de ColPro et a reçu des offres de NOR et de HDT, entre autres. Le contrat a été attribué à HDT en décembre 2009. Les parties conviennent que les systèmes de ColPro servent à la défense du Canada ou à la formation ou au maintien de l'efficacité des Forces canadiennes.

[11]           En avril 2012, M. Brown et NOR ont intenté une action devant la Cour fédérale en contrefaçon de brevet.

[12]           La Couronne et HDT ont réagi en déposant une requête en vue d'obtenir le rejet de l'action des appelants et un jugement sommaire annulant le brevet 748. La Couronne prétendait que le brevet 748 était nul parce que M. Brown ne s'était pas identifié comme fonctionnaire lorsqu'il a présenté sa demande. Cette omission, aux dires de la Couronne, constituait une allégation importante non conforme à la vérité qui entraîne l'invalidité du brevet 748 en vertu de l'article 53 de la Loi sur les brevets.

II.                Dispositions légales

[13]           Voici les principales dispositions légales qui s'appliquent à l'appel :

           Article 2 de la LIF :

2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

2. In this Act,

« fonctionnaire » Toute personne employée dans un ministère et tout membre du personnel des Forces canadiennes ou de la Gendarmerie royale du Canada.

“public servant” means any person employed in a department, and includes a member of the Canadian Forces or the Royal Canadian Mounted Police.

           Article 4 de la LIF :

4. (1) Le fonctionnaire auteur d'une invention a l'obligation :

4. (1) Every public servant who makes an invention

a) d'en informer le ministre compétent et de fournir à celui‑ci les renseignements et documents qu'il lui demande à ce sujet;

(a) shall inform the appropriate minister of the invention and shall provide the minister with such information and documents with respect thereto as the minister requires;

b) d'obtenir le consentement écrit du ministre compétent avant de déposer, hors du Canada, une demande de brevet concernant l'invention;

(b) shall not file outside Canada an application for a patent in respect of the invention without the written consent of the appropriate minister; and

c) de révéler sa qualité de fonctionnaire, dans toute demande de brevet déposée au Canada à l'égard de l'invention.

(c) shall, in any application in Canada for a patent in respect of the invention, disclose in his application that he is a public servant.

(2) S'il lui apparaît qu'une demande de brevet vise une invention dont l'auteur est un fonctionnaire, le commissaire aux brevets en informe le ministre compétent et fournit à ce dernier les renseignements qu'il sollicite à cet égard.

(2) If it appears to the Commissioner of Patents that an application for a patent relates to an invention made by a public servant, the Commissioner shall inform the appropriate minister of the application and give to the minister such information with respect thereto as the minister requires.

           Article 53 de la Loi sur les brevets :

53. (1) Le brevet est nul si la pétition du demandeur, relative à ce brevet, contient quelque allégation importante qui n'est pas conforme à la vérité, ou si le mémoire descriptif et les dessins contiennent plus ou moins qu'il n'est nécessaire pour démontrer ce qu'ils sont censés démontrer, et si l'omission ou l'addition est volontairement faite pour induire en erreur.

53. (1) A patent is void if any material allegation in the petition of the applicant in respect of the patent is untrue, or if the specification and drawings contain more or less than is necessary for obtaining the end for which they purport to be made, and the omission or addition is wilfully made for the purpose of misleading.

(2) S'il apparaît au tribunal que pareille omission ou addition est le résultat d'une erreur involontaire, et s'il est prouvé que le breveté a droit au reste de son brevet, le tribunal rend jugement selon les faits et statue sur les frais. Le brevet est réputé valide quant à la partie de l'invention décrite à laquelle le breveté est reconnu avoir droit.

(2) Where it appears to a court that the omission or addition referred to in subsection (1) was an involuntary error and it is proved that the patentee is entitled to the remainder of his patent, the court shall render a judgment in accordance with the facts, and shall determine the costs, and the patent shall be held valid for that part of the invention described to which the patentee is so found to be entitled.

(3) Le breveté transmet au Bureau des brevets deux copies authentiques de ce jugement. Une copie en est enregistrée et conservée dans les archives du Bureau, et l'autre est jointe au brevet et y est incorporée au moyen d'un renvoi.

(3) Two office copies of the judgment rendered under subsection (1) shall be furnished to the Patent Office by the patentee, one of which shall be registered and remain of record in the Office and the other attached to the patent and made a part of it by a reference thereto.

III.             Décision de la juge

[14]           La juge a accueilli la requête en partie. Ce faisant, elle a commencé son analyse par un survol du droit portant sur les jugements sommaires en renvoyant aux Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (Règles 214 à 219), et à la jurisprudence pertinente. Elle a signalé que le critère pour accorder un jugement sommaire exige que le juge soit convaincu qu'il n'existe pas de véritable question à trancher.

[15]           La juge a ensuite déterminé que M. Brown était un fonctionnaire au sens de l'article 2 de la LIF au moment où il a déposé la demande pour le brevet 748 le 8 octobre 1999. Elle a conclu que M. Brown était membre des Forces canadiennes et, à ce titre, n'avait pas à travailler pour être visé par la définition du terme « fonctionnaire » au sens de la LIF.

[16]           En concluant que M. Brown était un fonctionnaire au sens de la LIF, la juge a déterminé que l'omission de M. Brown de révéler sa qualité de fonctionnaire constituait une allégation importante non conforme à la vérité au sens du paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets. Pour en arriver à cette conclusion, la juge a noté que la LIF imposait expressément une obligation légale de divulgation et elle a conclu que l'omission de M. Brown avait empêché le commissaire aux brevets de remplir correctement son obligation en vertu du paragraphe 4(2) de la LIF, soit informer le ministre compétent de la demande de brevet.

[17]           En ce qui concerne la question de savoir si des allégations importantes qui ne sont pas conformes à la vérité doivent être faites délibérément pour induire en erreur, la juge était d'avis qu'il s'agissait d'une véritable question litigieuse qui devait être tranchée au procès, compte tenu du manque d'éléments de preuve devant la Cour. Elle a souligné que la présumée contravention à l'article 53 de la Loi sur les brevets était assimilable à la fraude. Elle a ajouté que, s'il était décidé au procès qu'une telle intention était requise, il faudrait aussi déterminer si M. Brown avait ou non l'intention requise.

[18]           Enfin, la juge a conclu que la question de savoir si la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C‑50 (LRCÉCA), a préséance ou non sur la Loi sur les brevets était une véritable question litigieuse. En particulier, dans l'éventualité où le brevet 748 n'était pas nul, la question de savoir si la Couronne était exonérée de toute responsabilité en vertu de la LRCÉCA parce que l'invention tombe sous le coup de l'exception à l'article 8 devra également être tranchée. Les parties n'ont pas présenté d'observations sur cette question en appel.

[19]           Le 17 juin 2015, l'Institut de la propriété intellectuelle du Canada (IPIC) a obtenu l'autorisation d'intervenir dans le présent appel, par ordonnance d'un juge de notre Cour. HDT n'a pas participé à l'appel.

IV.             Questions en litige

[20]           Les questions soumises à notre Cour sont les suivantes :

1.                  La juge a‑t‑elle commis une erreur en concluant que M. Brown était fonctionnaire au sens de l'article 2 de la LIF au moment où il a déposé sa demande pour le brevet 748?

2.                  La juge a‑t‑elle commis une erreur en concluant que l'omission de M. Brown de révéler sa qualité de fonctionnaire au moment où il a déposé sa demande pour le brevet 748 était une allégation importante non conforme à la vérité aux termes de l'article 53 de la Loi sur les brevets?

V.                Norme de contrôle

[21]           La norme de contrôle pour les questions de droit est la décision correcte. Les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit ne comportant pas de questions de droit isolable sont examinées selon la norme de l'erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, aux paragraphes 7 à 37).

VI.             Analyse

A.                La juge a‑t‑elle commis une erreur en concluant que M. Brown était fonctionnaire au sens de l'article 2 de la LIF au moment où il a déposé sa demande pour le brevet 748?

[22]           Monsieur Brown affirme que la juge a commis une erreur en concluant qu'il était fonctionnaire au sens de l'article 2 de la LIF au moment où il a déposé sa demande pour le brevet 748 le 8 octobre 1999. Essentiellement, M. Brown affirme que la définition du terme « fonctionnaire » donnée à l'article 2 de la LIF doit être interprétée dans un contexte plus large de manière à inclure uniquement les personnes qui effectuent des tâches ou rendent des services en contrepartie d'une rémunération. Par conséquent, soutient M. Brown, comme il était un membre non rémunéré de la Réserve supplémentaire des Forces canadiennes en 1999, il n'était pas un « employé » et ne pouvait donc pas être considéré comme un « membre du personnel des Forces canadiennes » au sens de l'article 2 de la LIF.

[23]           Je ne peux pas accepter la thèse de M. Brown. À mon avis, c'est à bon droit que la juge a conclu que M. Brown, en sa qualité de membre de la Réserve supplémentaire, était un « fonctionnaire » au sens de l'article 2 de la LIF au moment où il a déposé sa demande pour le brevet 748.

[24]           Je constate que, dans son interprétation légale, la juge a fait un examen bilingue approfondi du terme « fonctionnaire » tel qu'il est utilisé à l'article 2 de la LIF conformément au principe bien établi selon lequel les deux versions d'une loi bilingue font autorité [TRADUCTION] : « les deux doivent être lues attentivement et les deux doivent être prises en compte dans la résolution de questions d'interprétation » (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd. (Canada, LexisNexis, 2014) aux paragraphes 5.16 et 5.17 (Sullivan)).

[25]           Selon son libellé, l'article 2 de la LIF, et l'utilisation des expressions « membre du personnel des Forces canadiennes » et « member of the Canadian Forces » plutôt que « employée dans un ministère » et « employed in a department », établissent clairement l'intention du législateur d'étendre la définition du terme « fonctionnaire » au‑delà des membres des Forces canadiennes qui sont « des employés actifs ».

[26]           Je constate par ailleurs que les motifs de la juge sont bien étayés. Dans l'ensemble, en lisant l'article 2 de la LIF dans les deux langues officielles, je ne peux qu'être d'accord avec la juge lorsqu'elle affirme que le libellé est « suffisamment clair en anglais et il est on ne peut plus clair en français », et je suis donc d'accord avec son interprétation du terme « fonctionnaire » à l'article 2 de la LIF.

[27]           Il s'ensuit que, pour l'application de la LIF, tous les membres du personnel des Forces canadiennes sont des « fonctionnaires », qu'ils soient dans la Force régulière ou dans la Force de réserve. En effet, le libellé de l'article 2 de la LIF indique clairement que les membres des Forces canadiennes n'ont pas à être des employés ou à recevoir des bénéfices pour être visés par la définition du terme « fonctionnaire » dans la LIF.

[28]           En conséquence, je ne vois aucune raison de modifier la conclusion de la juge à cet égard.

B.                 La juge a‑t‑elle commis une erreur en concluant que l'omission de M. Brown de révéler sa qualité de fonctionnaire au moment où il a déposé sa demande pour le brevet 748 était une allégation importante non conforme à la vérité aux termes de l'article 53 de la Loi sur les brevets?

[29]           Ayant déterminé que M. Brown était un fonctionnaire au titre de la LIF, la juge a conclu que son omission de révéler sa qualité de fonctionnaire, comme le prévoit la LIF, au moment où il a déposé sa demande pour le brevet 748 était une allégation importante non conforme à la vérité aux termes de l'article 53 de la Loi sur les brevets.

[30]           Les appelants et l'intervenant soutiennent que cette conclusion constitue une erreur de droit, car il n'y a rien dans la Loi sur les brevets qui obligeait M. Brown à révéler sa qualité de fonctionnaire au moment où il a déposé sa demande pour le brevet 748. La Couronne n'est pas d'accord et soutient qu'une interprétation de la LIF et de la Loi sur les brevets mène inéluctablement à la conclusion que l'omission de M. Brown de divulguer sa qualité de fonctionnaire constituait une allégation importante non conforme à la vérité selon l'article 53 de la Loi sur les brevets. Dans l'appel incident, en se fondant sur une interprétation grammaticale, technique et très stricte de l'article 53 de la Loi sur les brevets, la Couronne soutient en outre que la conclusion factuelle de la juge selon laquelle M. Brown avait fait une allégation importante non conforme à la vérité suffit pour annuler le brevet 748 conformément à l'article 53 de la Loi sur les brevets et elle affirme qu'en conséquence, il n'y a aucune obligation supplémentaire de prouver l'intention délibérée. La Couronne soutient en outre que la juge a commis une erreur en omettant de déclarer la nullité du brevet 748 en vertu du paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets.

[31]           C'est avec raison que la juge a souligné au paragraphe 47 de ses motifs que l'affaire soulève la question nouvelle de l'interaction entre l'article 4 de la LIF et l'article 53 de la Loi sur les brevets et la question de savoir si l'annulation d'un brevet en vertu de l'article 53 de la Loi sur les brevets découle d'une contravention à l'article 4 de la LIF. J'ajouterais également que cette question est décisive dans la détermination des obligations qui incombaient à M. Brown en tant que fonctionnaire en vertu de la LIF et en vertu de la Loi sur les brevets au moment où il a déposé sa demande pour le brevet 748.

[32]           Ayant mis le doigt sur le nœud du problème, la juge a poursuivi son analyse afin de déterminer si l'omission de M. Brown de divulguer sa qualité de fonctionnaire constituait une allégation importante non conforme à la vérité aux termes du paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets. Toutefois, en effectuant son analyse, la juge a omis une étape décisive. Bien qu'elle ait reconnu que l'affaire soulevait la question de l'interaction entre l'article 4 de la LIF et l'article 53 de la Loi sur les brevets, la juge n'a pas mené correctement une analyse de la question. Une analyse plus attentive de l'interaction entre la LIF et la Loi sur les brevets est par conséquent pertinente à ce moment.

[33]           L'interaction entre la LIF et la Loi sur les brevets doit être examinée conformément aux principes généraux d'interprétation. Plus précisément, les lois adoptées par le législateur qui traitent du même sujet, en l'occurrence les brevets, sont présumées avoir été rédigées les unes en fonction des autres, de manière à assurer la cohérence et l'uniformité dans le traitement du sujet (Sullivan, aux paragraphes 15.25 et 15.37). En outre, il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur (Rizzo and Rizzo Shoes Ltd(Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21; voir aussi Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 10).

[34]           La Loi sur les brevets, contrairement à la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C‑42, au paragraphe 13(3), n'aborde pas la question de la propriété des droits de brevet afférents aux inventions faites dans l'exercice d'un emploi. Compte tenu du silence de la Loi sur les brevets sur cette question dans le cas d'une relation de travail privée, l'existence d'une relation employeur‑employé ne rendra pas forcément l'employé inadmissible à un brevet pour une invention découverte au cours de son emploi. L'employeur peut néanmoins chercher à obtenir les droits de propriété intellectuelle s'il peut démontrer soit (i) qu'un contrat exprès stipule que l'employeur conserve les droits de propriété intellectuelle afférents à l'invention, (ii) que l'employé a été embauché expressément pour qu'il fasse des inventions (Comstock Canada c. Electec Ltd., [1991] A.C.F. no 987 (QL) (C.F. 1re inst.)).

[35]           Cependant, dans le cas d'un travail pour l'État, comme en l'espèce, le législateur a adopté la LIF en 1954 pour régir les inventions créées par les fonctionnaires ainsi que les droits de propriété intellectuelle qui découlent de ces inventions. La LIF demeure en grande partie inchangée à ce jour.

[36]           Il va de soi que le but de la LIF est d'assurer que les inventions faites et réclamées par les fonctionnaires soient dévolues à Sa Majesté, avec tous les droits y afférents, dans certaines circonstances. L'article 3 de la LIF, intitulé « Inventions dévolues à la couronne », est explicite et dispose ce qui suit :

3. Sont dévolues à Sa Majesté du chef du Canada, avec tous les droits y afférents au Canada ou à l'étranger :

3. The following inventions, and all rights with respect thereto in Canada or elsewhere, are vested in Her Majesty in right of Canada, namely,

a) toute invention faite par un fonctionnaire soit dans l'exercice ou le cadre de ses attributions, soit grâce à des installations, du matériel ou une aide financière fournis par Sa Majesté ou pour le compte de celle‑ci;

(a) an invention made by a public servant while acting within the scope of his duties or employment, or made by a public servant with facilities, equipment or financial aid provided by or on behalf of Her Majesty; and

b) toute invention faite par un fonctionnaire et découlant de ses attributions, ou s'y rattachant.

(b) an invention made by a public servant that resulted from or is connected with his duties or employment.

[Je souligne]

[My emphasis]

[37]           En conséquence, le législateur a imposé aux fonctionnaires inventeurs l'obligation de divulguer leurs inventions au ministre compétent (article 4 de la LIF). Après la divulgation de l'invention par le fonctionnaire inventeur, et selon la nature de l'invention, le ministre compétent peut décider si une invention est effectivement dévolue à Sa Majesté conformément à la LIF. Par conséquent, le ministre compétent peut, selon le cas : (i) déposer une demande en vue de l'obtention d'un brevet pour une invention dévolue à Sa Majesté en application de la LIF, ou (ii) renoncer à tout ou partie des droits concernant cette invention ou abandonner ou transférer tout ou partie de ces droits (articles 5, 6 et 8 de la LIF). La divulgation de l'invention par le fonctionnaire est primordiale pour permettre au ministre compétent de décider de la meilleure façon de procéder et de remplir les obligations qui lui incombent en vertu de la LIF.

[38]           La Loi sur les brevets est un régime légal complet en ce qui concerne les brevets (Commissioner of Patents c. Fabwerks Hoechst Aktiengeselschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, [1964] R.C.S. 49, à la page 57; Apotex Inc. c. Sanofi‑Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265, au paragraphe 12; Sanofi‑Aventis c. Apotex Inc., 2013 CAF 186, [2015] 2 R.C.F. 644, au paragraphe 34). Le commissaire aux brevets n'a aucun pouvoir discrétionnaire de ne pas accorder un brevet si toutes les exigences établies en vertu de la Loi sur les brevets sont respectées. Le paragraphe 27(1) de la Loi sur les brevets est clair à cet égard :

27. (1) Le commissaire accorde un brevet d'invention à l'inventeur ou à son représentant légal si la demande de brevet est déposée conformément à la présente loi et si les autres conditions de celle‑ci sont remplies.

27. (1) The Commissioner shall grant a patent for an invention to the inventor or the inventor's legal representative if an application for the patent in Canada is filed in accordance with this Act and all other requirements for the issuance of a patent under this Act are met.

[39]           Le paragraphe 27(2) de la Loi sur les brevets détermine le contenu d'une demande de brevet, laquelle doit être accompagnée d'une pétition et du mémoire descriptif de l'invention :

27. (2) L'inventeur ou son représentant légal doit déposer, en la forme réglementaire, une demande accompagnée d'une pétition et du mémoire descriptif de l'invention et payer les taxes réglementaires.

27. (2) The prescribed application fee must be paid and the application must be filed in accordance with the regulations by the inventor or the inventor's legal representative and the application must contain a petition and a specification of the invention.

[40]           Les règlements visés au paragraphe 27(2) de la Loi sur les brevets se trouvent dans les Règles sur les brevets (DORS/96‑423).

[41]           En ce qui concerne la pétition exigée par le paragraphe 27(2) de la Loi sur les brevets, la Règle 77 des Règles sur les brevets dispose qu'elle « est établie selon la formule 3 de l'annexe I et les instructions connexes [...] ». La formule 3 est intitulée « Pétition pour l'octroi d'un brevet » et renvoie expressément au paragraphe 27(2) de la Loi sur les brevets. En l'espèce, l’appelant, M. Brown, avait, selon les conseils de son agent de brevets, utilisé cette formule lorsqu'il a déposé sa demande pour le brevet 748. Ni la formule 3 ni ses instructions n'indiquent qu'une personne qui dépose une demande de brevet a l'obligation de divulguer sa qualité de fonctionnaire. La formule 3 et ses instructions sont entièrement muettes à cet égard.

[42]           Cependant, le Règlement sur les inventions des fonctionnaires, C.R.C., ch. 1332, établit un nombre de formules qui doivent être utilisées par un fonctionnaire qui présente une demande de brevet, notamment les formules 4 à 7. En tant que fonctionnaire, M. Brown aurait dû utiliser ces formules pour remplir son obligation en vertu du paragraphe 4(1) de la LIF lorsqu'il a présenté sa demande pour le brevet 748, conformément à l'article 11 du Règlement sur les inventions des fonctionnaires.

[43]           Une comparaison des formules en vertu des Règles sur les brevets et des formules en vertu du Règlement sur les inventions des fonctionnaires révèle un manque de cohérence et, partant, un conflit concernant les formes prescrites. En fait, la Règle 77 et la formule 3 des Règles sur les brevets ne mentionnent aucune obligation de révéler la qualité de fonctionnaire, alors que les formules 4 à 7 du Règlement sur les inventions des fonctionnaires exigent expressément que la qualité de fonctionnaire du demandeur soit révélée.

[44]           Au regard de ce conflit apparent et du manque de cohérence entre les Règles sur les brevets et le Règlement sur les inventions des fonctionnaires, un examen minutieux de leur effet s'impose. Concrètement, une distinction doit être faite entre les Règles sur les brevets d'une part et le Règlement sur les inventions des fonctionnaires d'autre part. Aux termes du paragraphe 12(2) de la Loi sur les brevets, les Règles sur les brevets ont la même force et le même effet que si elles avaient été édictées dans la Loi sur les brevets elle‑même :

12. (2) Toute règle ou tout règlement pris par le gouverneur en conseil a la même force et le même effet que s'il avait été édicté aux présentes.

12. (2) Any rule or regulation made by the Governor in Council has the same force and effect as if it had been enacted herein.

[45]           La LIF ne contient aucune disposition semblable et son règlement doit donc être considéré comme un texte d'application. Il s'ensuit que malgré le conflit apparent et le manque de cohérence entre les Règles sur les brevets et le Règlement sur les inventions des fonctionnaires, le premier texte a plus de poids et, par conséquent, prévaut sur le second. Ceci appuie la conclusion selon laquelle l'omission de divulguer la qualité de fonctionnaire n'invalide pas un brevet, étant donné qu'une telle divulgation n'est pas requise en vertu de la Loi sur les brevets ou de ses Règles.

[46]           Il m'apparaît à l'examen des modifications antérieures à la Loi sur les brevets et à la LIF que celles‑ci appuient également la conclusion selon laquelle le législateur n'entendait pas qu'un brevet pourrait être déclaré nul pour défaut de divulgation de la qualité de fonctionnaire.

[47]           Par exemple, l'article 47 de la Loi sur les brevets dans les Statuts révisés du Canada de 1952, sous le titre « Inventions par des fonctionnaires publics », définissait les droits et les obligations des fonctionnaires inventeurs et de la Couronne. À ce moment‑là, aucune obligation n'incombait à un fonctionnaire déposant une demande de brevet de révéler sa qualité de fonctionnaire.

[48]           En 1954, l'article 47 de la Loi sur les brevets (1952) a été carrément aboli et la LIF est entrée en vigueur. Ce faisant, le législateur a aussi adopté des sanctions précises en vertu de la LIF en cas d'omission de révéler la qualité de fonctionnaire, notamment une amende ou une peine d'emprisonnement. Rien n'indique que de telles sanctions ont un effet quelconque sur la validité d'un brevet délivré si un fonctionnaire inventeur ne s'est pas conformé à la LIF. Il convient également de noter que la Loi sur les brevets n'impose pas non plus de sanction pour défaut de divulgation de la qualité de fonctionnaire.

[49]           En conséquence, l'examen de l'interaction entre la LIF et la Loi sur les brevets m'a amené à la conclusion suivante. M. Brown avait l'obligation de révéler sa qualité de fonctionnaire en vertu du paragraphe 4(2) de la LIF et, en omettant de le faire, il est devenu passible des peines prévues à l'article 11 de la LIF. Cependant, il n'avait pas une telle obligation en vertu de la Loi sur les brevets au moment où il a déposé sa demande pour le brevet 748. M. Brown a satisfait aux exigences prévues par la Loi sur les brevets et par les Règles sur les brevets et a divulgué une invention considérée par le Bureau des brevets comme étant nouvelle, non évidente et utile. La Loi sur les brevets, en tant que régime légal complet, n'oblige en aucune façon le demandeur à divulguer sa qualité de fonctionnaire et ne prévoit aucune sanction en cas de non‑divulgation. La LIF elle‑même ne renvoie pas à l'annulation d'un brevet pour non‑divulgation de la qualité de fonctionnaire.

[50]           La juge a donc commis une erreur lorsqu'elle a conclu que l'omission de M. Brown de révéler sa qualité de fonctionnaire au moment où il a déposé sa demande pour le brevet 748 était une allégation importante non conforme à la vérité aux termes du paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets; cette omission ne peut pas avoir d'effet sur la validité du brevet 748. Peu importe les obligations de divulgation en vertu de la LIF, étant donné que M. Brown s'est conformé à l'article 27 de la Loi sur les brevets, et plus précisément aux Règles sur les brevets et à leurs formules, l'article 53 ne pouvait pas être appliqué dans les circonstances. Toutefois, la question de savoir si l'invention et les droits de propriété intellectuelle afférents au brevet 748 sont dévolus à Sa Majesté conformément aux paragraphes 4(1) et 4(2) de la LIF reste à trancher.

[51]           J'accueillerais l'appel avec dépens devant notre Cour et devant la Cour fédérale et je rejetterais l'appel incident de la Couronne avec dépens. J'annulerais la décision de la juge et, en rendant le jugement que la juge aurait dû rendre, je rejetterais la requête de la Couronne en jugement sommaire dans son intégralité.

« Richard Boivin »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

Wyman W. Webb j.c.a. »

« Je suis d'accord.

Yves de Montigny j.c.a. »

Traduction


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A­419­14

APPEL D'UN JUGEMENT RENDU PAR L’HONORABLE JUGE KANE DE LA COUR FÉDÉRALE DU CANADA LE 29 AOÛT 2014, NO DE DOSSIER T­806­12.

INTITULÉ :

LOUIS BROWN, 2202240 ONTARIO INC. faisant affaire sous le nom de NOR ENVIRONMENTAL INTERNATIONAL c. SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA et HDT TACTICAL SYSTEMS, INC. faisant affaire sous le nom de  HDT ENGINEERED TECHNOLOGIES et INSTITUT DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DU CANADA / INTELLECTUAL PROPERTY INSTITUTE OF CANADA

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 10 décembre 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 FÉVRIER 2016

 

COMPARUTIONS :

Susan D. Beaubien

 

Pour les appelants

 

Jacqueline Dais­Visca

Abigail Browne

 

Pour les intiméEs

 

L.E. Trent Horne

Melissa M. Dimilta

 

Pour l'intervenant

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Macera & Jarzyna LLP

Ottawa (Ontario)

 

Pour les appelants

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

Pour les intiméEs

 

Bennett Jones LLP

Toronto (Ontario)

Pour l'intervenant

 

 

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