Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160226


Dossier : A-166-15

Référence : 2016 CAF 65

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE RENNIE

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

DAVID BUTLER

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 23 février 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 26 février 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE RENNIE

 


Date : 20160226


Dossier : A-166-15

Référence : 2016 CAF 65

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE RENNIE

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

DAVID BUTLER

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GLEASON

[1]               M. Butler interjette appel de la décision, rendue le 9 janvier 2015 par la juge Valerie Miller de la Cour canadienne de l’impôt, dans laquelle la Cour canadienne de l’impôt a rejeté l’appel de M. Butler et a confirmé qu’il était tenu de rembourser la pension de la Sécurité de la vieillesse [PSV] qu’il avait touchée en 2012, d’un montant de 3 269 $.

[2]               Le remboursement de la PSV découle du fait qu’en 2012, M. Butler a reçu un paiement forfaitaire en vertu de la Workers’ Compensation Act de la Nouvelle-Écosse, S.N.S. 1994-95, ch. 10 [la WCA]. La Commission d’indemnisation des accidents du travail [CIAT] de la Nouvelle-Écosse avait transmis à M. Butler un feuillet T5007 indiquant le montant du paiement forfaitaire, mais M. Butler n’avait pas ajouté ce montant à son revenu. Il estime que le paiement forfaitaire ne constitue pas un revenu, car il affirme qu’il s’agissait d’un paiement pour préjudice moral en raison de la douleur et de la souffrance occasionnées par sa blessure. Il soutient que le paiement s’apparente aux dommages-intérêts délictuels liés à la douleur et à la souffrance, lesquels ne sont pas considérés comme un revenu et que, par conséquent, le paiement forfaitaire qu’il avait reçu de la CIAT ne devrait pas être ajouté à son revenu. Pour appuyer cette affirmation, il fait entre autres référence à un article figurant sur le site Web de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail [CSPAAT] de l’Ontario, indiquant que la CSPAAT ne transmet pas de feuillets T5007 aux travailleurs de l’Ontario concernant les versements d’indemnisation liés à un préjudice moral.

[3]               La Cour canadienne de l’impôt a conclu que le paiement forfaitaire avait été ajouté au revenu de M. Butler comme il se devait, aux termes de l’alinéa 56(1)v) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) [la LIR]. Cet alinéa est libellé comme suit :

56. (1) Sans préjudice de la portée générale de l’article 3, sont à inclure dans le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition :

56. (1) Without restricting the generality of section 3, there shall be included in computing the income of a taxpayer for a taxation year,

[...]

[...]

v) une indemnité reçue en vertu d’une loi sur les accidents du travail du Canada ou d’une province à l’égard d’une blessure, d’une invalidité ou d’un décès;

(v) compensation received under an employees’ or workers’ compensation law of Canada or a province in respect of an injury, a disability or death;

[4]               La Cour canadienne de l’impôt a statué que les termes « à l’égard d’une blessure » doivent être interprétés au sens large comme signifiant tous les montants payés en lien avec un préjudice indemnisable, s’appuyant sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, 1983 CanLII 18 (CSC) [Nowegijick]. Contrairement à ce qu’affirme M. Butler, la date de publication de cet arrêt ayant force obligatoire ne signifie pas qu’il n’est pas pertinent et, compte tenu des questions soulevées dans l’arrêt Nowegijick, il peut être invoqué dans l’interprétation de l’alinéa 56(1)v) de la LIR.

[5]               M. Butler soutient que la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur en déterminant que son paiement forfaitaire constituait un revenu, car elle n’a pas tenu compte du fait qu’il avait reçu ce paiement en raison de la douleur et de la souffrance occasionnées par sa blessure, et qu’elle a commis une erreur en concluant que tous les montants reçus en lien avec une blessure doivent être ajoutés au revenu en vertu de l’alinéa 56(1)v) de la LIR. Il note que, dans une publication de l’Agence du revenu du Canada (ARC), le Guide T5007 – Déclaration des prestations, l’ARC indique qu’il n’est pas nécessaire d’ajouter au revenu plusieurs types de paiements versés par la CIAT, notamment les sommes versées ou accordées par la CIAT se rapportant :

  • aux frais médicaux engagés par un employé ou en son nom;
  • aux frais funéraires pour un employé;
  • aux frais juridiques pour un employé;
  • à la formation ou à l’orientation professionnelle d’un employé, si cette somme ne fait pas partie d’une somme provenant de l’assurance-salaire ou n’est pas payée en remplacement d’une telle somme;
  • au décès d’un employé, autre que les paiements périodiques versés après son décès.

[6]               M. Butler soutient que le paiement forfaitaire qu’il a reçu est semblable aux exceptions précitées, comme il ne visait pas à remplacer son salaire, et qu’il ne devrait donc pas être ajouté à son revenu de 2012.

[7]               Il affirme également qu’une partie du paiement qu’il a reçu devait viser les intérêts et que, selon le Guide T5007 – Déclaration des prestations de l’ARC, cette partie n’aurait pas dû être ajoutée à son revenu de 2012. Toutefois, cet argument n’a pas été présenté lors de son appel devant la Cour canadienne de l’impôt et ne peut donc pas être soulevé devant la Cour.

[8]               M. Butler allègue également que la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur en n’accordant aucun poids à la lettre qu’il a reçue de la Direction des décisions en impôt qui semblait indiquer qu’il n’était pas tenu d’ajouter à son revenu de 2012 le montant forfaitaire qu’il avait reçu. Cependant, cette lettre ne constituait pas une décision anticipée, et la Cour canadienne de l’impôt n’était pas convaincue qu’elle s’appliquait aux faits en l’espèce. Nous sommes d’avis que la Cour canadienne de l’impôt n’a pas commis d’erreur en décidant que la lettre de la Direction des décisions en impôt n’était pas déterminante. En effet, la question de l’application de l’alinéa 56(1)v) de la LIR au paiement forfaitaire reçu par M. Butler est une question de droit qui appartient à la Cour de déterminer et cette question ne peut pas être tranchée par lettre comme ce fut le cas ici.

[9]               Pour ce qui est de déterminer si le montant du paiement forfaitaire doit être ajouté au revenu de 2012 de M. Butler, il n’est pas nécessaire de décider si la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur en ne caractérisant pas le paiement forfaitaire reçu par M. Butler comme un paiement pour préjudice moral, car même s’il s’agissait d’un tel paiement, celui-ci constituerait un revenu au sens de l’alinéa 56(1)v) de la LIR.

[10]           À cet égard, les politiques de la CSPAAT ou des CIAT provinciales ne déterminent pas si un paiement pour préjudice moral en raison de la douleur et de la souffrance occasionnées par une blessure constitue un revenu au sens de la LIR. De même, la manière de remplir un feuillet T5007 n’est pas déterminante. Cette question est plutôt régie par l’alinéa 56(1)v) de la LIR. Cette disposition est assez large pour englober les paiements pour préjudice moral en raison de la douleur et de la souffrance occasionnées par une blessure reçus par les accidentés du travail en vertu des lois provinciales sur l’indemnisation des accidentés. Ces paiements constituent clairement une « indemnité » et sont également reçus « à l’égard d’une blessure » ou « d’une invalidité » au sens de l’alinéa 56(1)v) de la LIR. Comme le juge Dickson (tel était alors son titre) l’a conclu dans l’arrêt Nowegijick, à la page 39 :

À mon avis, les mots [« à l’égard de »] ont la portée la plus large possible. Ils signifient, entre autres, « concernant », « relativement à » ou « par rapport à ». Parmi toutes les expressions qui servent à exprimer un lien quelconque entre deux sujets connexes, c’est probablement l’expression [« à l’égard de »] qui est la plus large.

[11]           Je note également que le résultat en l’espèce correspond au résultat obtenu par la Cour canadienne de l’impôt dans une instance précédente, visant des paiements pour préjudice moral versés à un travailleur aux termes de la loi sur l’indemnisation des accidentés de l’Ontario : Larouche c. Canada (Ressources humaines et développement social), 2007 CCI 743. Dans cette instance, la Cour canadienne de l’impôt a conclu ce qui suit au paragraphe 20 :

Dans la loi actuelle tout comme dans l’ancienne loi sur les accidents du travail, il y a des indemnités calculées en fonction des pertes de gain et en fonction des pertes non financières. Cependant, l’alinéa 56(1)v) de la [LIR], en ce qui concerne l’inclusion dans le calcul du revenu des indemnités reçues aux termes d’une loi sur les accidents du travail du Canada ou d’une province à l’égard d’une blessure, d’une invalidité ou d’un décès ne fait aucune distinction quant au caractère des éléments – pertes de gain ou pertes non financières – inclus dans le calcul de ces indemnités. Elles doivent donc être incluses dans leur totalité dans le calcul du revenu d’un contribuable.

[12]           Le paiement reçu en l’espèce est donc une indemnité et a été versé en lien avec une blessure ou une invalidité indemnisable. Le paiement n’est pas comme ceux mentionnés dans le Guide T5007 – Déclaration des prestations de l’ARC, car ces paiements ne sont pas compensatoires, mais s’apparentent davantage à un remboursement des dépenses engagées ou, dans le cas des intérêts, à une indemnisation relative à un retard de paiement plutôt qu’à une blessure ou qu’à une invalidité.

[13]           Par conséquent, malgré les solides arguments avancés par M. Butler, j’estime que l’appel doit être rejeté, car la Cour canadienne de l’impôt a eu raison de conclure que le paiement forfaitaire reçu par M. Butler constituait un revenu. Compte tenu des circonstances personnelles de M. Butler, aucuns dépens ne seront adjugés pour cet appel. J’ajouterais que le présent jugement porte seulement sur l’interprétation de la LIR et qu’il ne devrait en aucun cas être interprété comme diminuant la nature et la gravité des blessures subies par M. Butler.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Johanne Gauthier j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-166-15

 

INTITULÉ :

DAVID BUTLER c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 février 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE RENNIE

 

DATE :

Le 26 février 2016

 

COMPARUTIONS :

David Butler

 

Pour l’appelant

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Melanie Petrunia

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour l’intimée

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.