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Date : 20160302


Dossier : A-570-14

Référence : 2016 CAF 69

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE STRATAS

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

FIDUCIE SADHU SINGH HAMDARD

appelante

et

NAVSUN HOLDINGS LTD., MASTER WEB INC. et 6178235 CANADA INC.

intimées

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 12 janvier 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 2 mars 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20160302


Dossier : A-570-14

Référence : 2016 CAF 69

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE STRATAS

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

FIDUCIE SADHU SINGH HAMDARD

appelante

et

NAVSUN HOLDINGS LTD., MASTER WEB INC. et 6178235 CANADA INC.

intimées

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GLEASON

[1]               Dans le présent appel, l'appelante, la fiducie Sadhu Singh Hamdard (la fiducie Hamdard), tente de faire annuler en partie un jugement rendu le 26 novembre 2014 par la Cour fédérale lors d'un procès sommaire. Dans le jugement, dont la référence est 2014 CF 1139, la Cour fédérale a rejeté les demandes de la fiducie Hamdard en violation de droit d'auteur et en commercialisation trompeuse contre les intimées, Navsun Holdings Ltd. et 6178235 Canada Inc. (les intimées Bains) et Master Web Inc. (Master Web). La Cour fédérale a également rejeté la demande reconventionnelle des intimées Bains.

[2]               Dans le présent appel, la fiducie Hamdard tente de faire annuler la partie du jugement de la Cour fédérale rejetant ses demandes à l'égard des intimées Bains. Elle soutient qu'en rejetant ses demandes, la Cour fédérale a commis plusieurs erreurs de droit et de fait susceptibles de contrôle qui, individuellement ou cumulativement, devraient justifier l'accueil du présent appel.

[3]               Il n'est pas nécessaire d'examiner chacun des arguments soulevés par la fiducie Hamdard dans le présent appel, car j'estime que la Cour fédérale a commis des erreurs de droit et de fait susceptibles de révision, abordées ci‑après, qui sont au cœur de sa décision de rejeter les demandes de la fiducie Hamdard à l'égard des intimées Bains. Par conséquent, je suis d'avis d'accueillir le présent appel avec dépens, de modifier le jugement de la Cour fédérale afin que seules la demande de la fiducie Hamdard à l'égard de Master Web et la demande reconventionnelle des intimées Bains soient rejetées avec dépens, et de renvoyer les demandes de la fiducie Hamdard à l'égard des intimées Bains à la Cour fédérale pour nouvel examen.

I.                   Le contexte

[4]               La fiducie Hamdard possède et publie en Inde un journal quotidien en pendjabi appelé Ajit Daily. Ce journal est publié en Inde depuis 1955 et est bien connu parmi la population pendjabi du pays. Une version en ligne est disponible depuis 2002. Seuls quelques abonnements ont été vendus au Canada, mais plusieurs des souscripteurs d'affidavits déposés à la Cour fédérale lors de la requête en procès sommaire habitaient au Canada et avaient affirmé, dans leur affidavit ou lors de leur contre‑interrogatoire, qu'ils connaissaient le Ajit Daily et sa réputation en Inde à titre de journal important en pendjabi.

[5]               Les intimées Bains possèdent et publient au Canada un journal en pendjabi appelé Ajit Weekly, journal gratuit publié depuis 1993 et distribué à l'entrée de supermarchés et d'autres magasins. Une version en ligne est disponible depuis 1998. Le journal Ajit Weekly comprend des publicités que la fiducie Hamdard juge offensantes pour certains lecteurs du journal Ajit Daily.

[6]               Il y a eu plusieurs poursuites entre la fiducie Hamdard et les intimées Bains concernant l'utilisation du nom « Ajit » et le logo stylisé du nom figurant comme titre du journal Ajit Weekly, qui, selon la fiducie Hamdard, est une copie non autorisée de la marque de commerce du journal Ajit Daily. L'une des actions entre les parties a fait l'objet d'un accord de règlement partiel, qui a été intégré à une ordonnance rendue le 1er octobre 2009 par la Cour de district des États‑Unis pour le district Est de New York.

[7]               Selon l'accord de règlement partiel, les intimées Bains ont obtenu une licence restreinte leur permettant d'utiliser le logo du journal Ajit Daily pour le reste de l'année 2009, après quoi elles obtenaient une licence leur permettant d'utiliser une variante approuvée du logo conformément aux modalités énoncées dans l'accord. La disposition de l'accord de règlement partiel accordant la licence stipule que celle‑ci [TRADUCTION] « ne doit en aucun cas avoir d'incidence sur la marque de commerce revendiquée par chaque partie et sur tout autre droit dans tout ressort » (paragraphe C(5)). L'accord de règlement partiel n'exonère pas les intimées Bains quant aux violations du droit d'auteur ayant pu être commises avant la conclusion de l'accord, mais il stipule qu'il constitue un moyen de défense absolu contre toute demande fondée sur la violation du droit d'auteur en lien avec les licences restreintes accordées par l'accord. Il précise également qu'il est régi par le droit de New York et que les tribunaux de New York sont compétents quant à l'interprétation et la mise en œuvre de l'accord.

II.                La norme de contrôle applicable

[8]               Comme la Cour l'a conclu dans la décision Collins c. La Reine, 2015 CAF 281, au paragraphe 38, la norme de contrôle en appel décrite dans l'arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33 (Housen), régit l'examen des décisions rendues lors d'une requête en procès sommaire. Ainsi, les conclusions de droit de la Cour fédérale sont contrôlées selon la norme de la décision correcte, alors que les conclusions de fait, et les conclusions mixtes de fait et de droit à l'égard desquelles il n'y a pas de question de droit isolable, ne seront infirmées que si la Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante. Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, et par erreur « dominante », une erreur qui touche directement à l'issue de l'affaire : R. c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, au paragraphe 46.

[9]               Dans l'arrêt Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., [2014] 2 R.C.S. 633, 2014 CSC 53 (Sattva), aux paragraphes 50 à 52, la Cour suprême du Canada a indiqué que l'interprétation des contrats soulève des questions mixtes de fait et de droit et que, par conséquent, l'examen de l'interprétation d'un contrat d'un tribunal de première instance devrait normalement être effectué d'après la norme de l'erreur manifeste et dominante en appel. Cependant, la Cour a reconnu que le fait de négliger une clause précise et pertinente d'un contrat constitue une question de droit isolable qui, par conséquent, pourrait être examinée selon la norme de la décision correcte (Sattva, au paragraphe 64).

III.             La demande fondée sur le droit d'auteur

[10]           Dans sa déclaration déposée à la Cour fédérale le 15 juillet 2010, la fiducie Hamdard a prétendu que les intimées Bains violaient son droit d'auteur concernant le logo du journal Ajit Daily depuis 1995. Conformément à l'article 41 (maintenant l'article 43.1) de la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C‑42, qui prévoit un délai de prescription de trois ans, la fiducie Hamdard pouvait seulement présenter une demande visant les violations de son droit d'auteur depuis le 15 juillet 2007. On peut prétendre que chaque publication du journal Ajit Weekly constitue un cas distinct de violation du droit d'auteur, étant donné que le logo a été reproduit chaque semaine. Dans ce cas, la demande visant les violations du droit d'auteur n'est pas frappée de prescription.

[11]           La Cour fédérale a rejeté la demande fondée sur le droit d'auteur aux paragraphes 78 et 79 de ses motifs et a déclaré ce qui suit :

Je rejette la demande fondée sur le droit d'auteur présentée contre les défenderesses Bains. Je ne dispose pas d'une preuve suffisante quant à l'interprétation appropriée de l'accord américain, et d'aucune preuve d'expert quant au droit américain applicable à cet accord de règlement partiel approuvé par une cour new-yorkaise.

Même sans preuve d'expert, il est toutefois clair que l'accord de règlement partiel autorisait l'emploi par les défenderesses de la cartouche de titre dans sa forme actuelle. La cartouche de titre actuellement utilisée est parfaitement conforme à celle figurant à la pièce C jointe à l'accord partiel de règlement, comme en atteste l'échange de courriels traitant de la couleur du logo. Tout différend entre les parties au sujet du droit d'auteur devrait être porté devant la cour américaine puisque les parties ont convenu qu'elle conserverait compétence à l'égard de tout différend lié au droit d'auteur sur la marque.

[12]           Le passage qui précède n'explique pas clairement pourquoi la Cour fédérale a rejeté la réclamation fondée sur le droit d'auteur. Trois possibilités émergent du passage cité :

                     Sans preuve d'expert quant au droit américain, la Cour fédérale ne pouvait pas se prononcer sur la demande fondée sur le droit d'auteur.

                    La demande a été réglée au moyen de l'accord de règlement partiel, qui permettait aux intimées Bains d'utiliser le logo du titre actuel.

                     La question en litige devrait être réglée par un tribunal américain.

[13]           Aucune de ces possibilités ne constitue un motif valable pour rejeter la demande de la fiducie Hamdard fondée sur le droit d'auteur.

[14]           Le manque d'éléments de preuve au sujet du droit américain n'empêche pas la Cour fédérale d'interpréter l'accord de règlement partiel, s'il était nécessaire de le faire pour évaluer la demande fondée sur le droit d'auteur. Les règles canadiennes en matière de conflits de lois, que la Cour fédérale était tenue d'appliquer, disposent qu'un tribunal appelé à interpréter un contrat comprenant une disposition prévoyant l'application d'un droit étranger doit appliquer le droit canadien s'il n'a aucun élément de preuve quant au droit étranger : JPMorgan Chase Bank c. Lanner (Le), [2009] 4 R.C.F. 109, 2008 CAF 399, aux paragraphes 15 à 18; J. Walker, Castel & Walker: Canadian Conflict of Laws, 6e édition (Markham, LexisNexis/Butterworths, 2005), édition à feuilles mobiles mise à jour en octobre 2015, vol. 1, aux paragraphes 7‑1 et 7‑4.1 à 7‑5. Par conséquent, la Cour fédérale a commis une erreur de droit en se fondant sur le manque d'éléments de preuve quant au droit américain pour rejeter la demande de la fiducie Hamdard fondée sur le droit d'auteur.

[15]           En outre, le fait que le logo du titre des intimées Bains respectait l'accord de règlement partiel au moment du procès sommaire ne permet pas de rejeter la demande fondée sur le droit d'auteur de la fiducie Hamdard dans son intégralité. Comme je l'ai souligné, l'accord de règlement partiel n'accorde qu'une licence aux intimées Bains leur permettant d'utiliser le logo du journal Ajit Daily, ou une variante de celui‑ci, à partir du 1er octobre 2009. Cet accord n'exonère pas les intimées Bains des violations de droit d'auteur antérieures au mois d'octobre 2009. La demande fondée sur le droit d'auteur remonte à juillet 2007. Par conséquent, la Cour fédérale a commis une erreur en se fondant sur le respect actuel de l'accord de règlement partiel pour rejeter la demande fondée sur le droit d'auteur de la fiducie Hamdard, étant donné que ce fait n'est pas pertinent quant à la demande pour les violations du droit d'auteur antérieures au 1er octobre 2009.

[16]           Enfin, la clause attributive de compétence dans l'accord de règlement partiel ne permet pas de rejeter la demande fondée sur le droit d'auteur de la fiducie Hamdard, car les parties en l'espèce ont accepté la compétence de la Cour fédérale pour trancher cette demande dans leurs actes de procédure, et aucune partie ne s'est opposée à la compétence de la Cour fédérale au titre de cette clause. Même si aucune partie n'avait invoqué la clause attributive de compétence dans l'accord de règlement partiel, la Cour fédérale a soulevé le renvoi de l'affaire aux tribunaux new‑yorkais de sa propre initiative. Elle a ainsi commis une erreur de droit, car un tribunal ne peut pas, de sa propre initiative, refuser d'entendre un litige qui relève de sa compétence sous prétexte qu'un autre tribunal est plus approprié. Comme la Cour suprême du Canada l'a indiqué dans l'arrêt Club Resorts Ltd. c. Van Breda, [2012] 1 R.C.S. 572, 2012 CSC 17, au paragraphe 102 :

Une fois la compétence établie, l'instance suit son cours devant le tribunal si le défendeur ne soulève pas d'autres objections. Le tribunal ne peut décliner compétence, à moins que le défendeur n'invoque le forum non conveniens. Il appartient aux parties, et non au tribunal saisi du recours, d'invoquer cette doctrine.

[17]           En l'espèce, la Cour fédérale avait la compétence d'entendre la demande fondée sur le droit d'auteur de la fiducie Hamdard, conformément au paragraphe 20(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, à l'article 41.24 de la Loi sur le droit d'auteur et aux allégations dans la déclaration de la fiducie Hamdard selon lesquelles les violations ont eu lieu au Canada. Par conséquent, la Cour fédérale ne pouvait pas refuser d'entendre la demande fondée sur le droit d'auteur de sa propre initiative.

[18]           Compte tenu des erreurs précitées, la décision de la Cour fédérale de rejeter la demande de la fiducie Hamdard contre les intimées Bains fondée sur la violation du droit d'auteur doit être annulée.

IV.             La demande fondée sur la commercialisation trompeuse

[19]           La fiducie Hamdard prétend qu'en s'appropriant injustement le logo du journal Ajit Daily, les intimées Bains ont eu recours à une pratique de commercialisation trompeuse, contrevenant ainsi à l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T‑13, et contrevenant aux droits en common law de la fiducie Hamdard.

[20]           Dans une demande fondée sur la commercialisation trompeuse, en common law ou en vertu de l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, un demandeur doit établir trois éléments, soit 1) l'existence d'un achalandage rattaché à la marque de commerce, 2) le fait que le défendeur a induit le public en erreur par une fausse déclaration, 3) le préjudice réel ou éventuel du demandeur découlant des actes du défendeur : Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., [2005] 3 R.C.S. 302, 2005 CSC 65, au paragraphe 66 (Kirkbi); Ciba‑Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120, à la page 132 (Ciba-Geigy).

[21]           Le deuxième élément, qui porte sur une fausse déclaration, sera établi si le demandeur démontre que le défendeur a utilisé une marque de commerce qui sera probablement confondue avec la sienne, qui doit être distinctive : Ciba‑Geigy, aux pages 136, 137 et 140. Le paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce prévoit une liste non exclusive de facteurs à évaluer pour déterminer s'il existe de la confusion :

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de produits, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

(c) the nature of the goods, services or business;

(d) the nature of the trade; and

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

[22]           En rejetant la demande de la fiducie Hamdard fondée sur la marque de commerce, la Cour fédérale a conclu que la fiducie n'avait pas réussi à démontrer l'un ou l'autre des trois éléments requis lors d'une demande fondée sur la commercialisation trompeuse.

[23]           Pour ce qui est de l'achalandage, la Cour fédérale s'est fondée sur le nombre d'abonnés au journal Ajit Daily au Canada. Au paragraphe 81 de ses motifs, la Cour fédérale déclare ce qui suit :

On évalue s'il existe un achalandage commercial en examinant si la partie concernée a établi que ses marchandises étaient connues sur le marché en raison d'un élément distinctif. L'achalandage doit avoir été créé grâce à l'emploi exclusif du nom ou de la marque en lien avec l'entreprise, les marchandises ou les services. Le marché pertinent à l'égard duquel le demandeur doit prouver sa réputation est celui du défendeur [renvoi omis]. Je dois donc me demander s'il est probable que les abonnés (au nombre de sept) du Ajit Daily au Canada soient trompés par des présentations erronées en raison de la réputation du Ajit Weekly sur le même marché.

[24]           Au paragraphe 84 de ses motifs, la Cour fédérale poursuit son analyse et déclare ce qui suit :

La preuve de la demanderesse ne parvient pas à établir la réputation dans la région géographique des défenderesses. On ne m'a présenté aucune preuve par sondage ni aucune autre preuve fiable indépendante me permettant de conclure que le Ajit Daily disposait d'un achalandage commercial au Canada ou y était célèbre — le seul élément de preuve produit fait état de sept abonnés au Canada en 2010.

[25]           En analysant l'existence d'un achalandage uniquement en tenant compte du nombre de lecteurs du journal Ajit Daily au Canada, la Cour fédérale a commis une erreur de droit, car l'utilisation d'une marque de commerce au Canada n'est pas une condition préalable à l'existence d'un achalandage en droit canadien. L'existence de l'achalandage requis dans le marché du défendeur peut être démontrée par la réputation de la marque de commerce du demandeur dans le marché du défendeur, même si le demandeur n'utilise pas la marque de commerce dans le marché en question : Orkin Exterminating Co. Inc. v. Pestco Co. of Canada Ltd., [1985] O.J. No. 2536 (QL), 50 O.R. (2d) 726; Enterprise Rent‑A‑Car Co. c. Singer, [1996] 2 R.C.F. 694, au paragraphe 52, conf. par [1998] A.C.F. 182 (QL), 1998 CanLII 7405 (C.A.F.).

[26]           Comme la Cour d'appel de l'Ontario l'a fait remarquer dans Orkin, au paragraphe 37 :

[TRADUCTION]

[...] un demandeur n'est pas tenu d'être en concurrence directe avec le défendeur pour subir un préjudice en raison de l'utilisation de son nom commercial par le défendeur. Si le nom commercial du demandeur jouit d'une réputation dans le ressort du défendeur, de sorte que le public l'associe aux services fournis par le demandeur, l'utilisation de ce nom par le défendeur signifie que le demandeur n'a plus le contrôle sur la renommée de son nom commercial dans le ressort du défendeur.

[27]           En l'espèce, des éléments de preuve présentés à la Cour fédérale indiquent qu'aux yeux de plusieurs souscripteurs d'affidavits au Canada, le journal Ajit Daily jouissait d'une réputation à titre de journal bien connu en pendjabi publié en Inde. Il a également été démontré qu'un certain nombre de Canadiens ont accédé à la version en ligne du journal Ajit Daily sur son site Web. La Cour fédérale devait évaluer ces éléments de preuve afin de déterminer s'ils permettaient d'établir que le journal Ajit Daily s'était bâti une réputation au sein d'un groupe plus important au Canada que les quelques abonnés ayant acheté le journal. Le cas échéant, cela aurait permis d'établir l'existence de l'achalandage requis pour répondre au premier des trois critères permettant d'établir la commercialisation trompeuse. Toutefois, la Cour fédérale n'a pas effectué cette analyse, car elle a commis une erreur en abordant la question de l'achalandage en tenant compte du nombre restreint d'abonnés canadiens au journal Ajit Daily. Par conséquent, la Cour fédérale a commis une erreur de droit en omettant d'appliquer le bon critère pour évaluer l'achalandage.

[28]           En ce qui concerne le deuxième élément essentiel permettant d'établir la commercialisation trompeuse, soit la démonstration que la marque de commerce du défendeur peut être confondue avec celle du demandeur, la Cour fédérale a conclu qu'il n'existait aucune confusion entre la marque de commerce de la fiducie Hamdard et celle des intimées Bains. Chacune des marques de commerce est une version stylisée du mot « Ajit », qui est un nom fréquemment utilisé dans la population pendjabi. Les marques de commerce en l'espèce ne se résument donc pas simplement au mot « Ajit », mais plutôt au mot et à l'écriture stylisée de celui‑ci, que les deux journaux utilisent comme logo.

[29]           La Cour fédérale a conclu que bien qu'un client occasionnel quelque peu pressé ne puisse faire la distinction entre les deux marques, elles ne portaient pas à confusion, notamment parce que le logo stylisé du mot « Ajit » utilisé par la fiducie Hamdard comme titre du journal Ajit Daily depuis plusieurs années n'était pas distinctif. Lors de l'évaluation du caractère distinctif, la Cour fédérale a indiqué ce qui suit, au paragraphe 90 de ses motifs :

La marque est un mot pendjabi courant et un prénom pendjabi usuel. Le mot « ajit » est utilisé dans diverses dénominations sociales au Pendjab, et dans le reste du monde par la collectivité pendjabi. La marque n'a pas un caractère original puisqu'il s'agit simplement d'un mot écrit avec une police pendjabi. Il s'agirait selon un élément de preuve d'une police « Nanak heavy ».

[30]           Toutefois, les éléments de preuve présentés à la Cour fédérale indiquent que la version stylisée du mot « Ajit » utilisée comme titre du journal Ajit Daily a été conçue par un employé de la fiducie Hamdard et que le droit d'auteur pour la police « Nanak heavy » n'a été acquis qu'en 1995, soit deux ans après que le journal Ajit Weekly eut commencé à utiliser le logo du journal Ajit Daily au Canada. Ces faits appuient le caractère original de la marque de commerce stylisée du journal Ajit Daily. S'il s'agit d'une marque de commerce originale, il est plus probable que son utilisation par les intimées Bains découle d'une tentative délibérée de la copier, ce qui aurait bien pu entraîner de la confusion. De plus, lors de l'évaluation du caractère distinctif, la Cour fédérale n'a pas examiné la preuve relative à la réputation dont jouissait le journal Ajit Daily, ce qui aurait pu contribuer à l'établissement du caractère distinctif de la marque. La Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante en omettant d'examiner ces facteurs, qui sont au cœur de la question du caractère distinctif. En bref, la question n'est pas aussi simple que la Cour fédérale l'a conclu, et de nombreux autres faits devaient être pesés et pris en considération avant de déterminer si la marque de la fiducie Hamdard était distinctive. Comme l'absence de caractère distinctif était un élément clé dans la décision de la Cour fédérale concernant l'absence de confusion, il en résulte que sa conclusion sur ce point ne peut être maintenue.

[31]           Enfin, la Cour fédérale a conclu que la fiducie Hamdard n'avait pas démontré qu'elle avait subi des préjudices donnant droit à un redressement en raison de l'utilisation de la marque de commerce « Ajit » au Canada par les intimées Bains. En rendant sa décision, la Cour fédérale n'a pas examiné si cette utilisation avait nui à l'achalandage de la fiducie Hamdard, étant donné que la Cour fédérale a conclu qu'il n'existait aucun achalandage. Cependant, la présence du préjudice requis pour présenter une demande fondée sur la commercialisation trompeuse peut être établie au moyen d'une preuve de la perte de contrôle sur la réputation, l'image ou l'achalandage : Cheung c. Target Event Production Ltd., 2010 CAF 255, aux paragraphes 24, 27 et 28; Orkin, aux paragraphes 48, 49 et 75. Le fondement des conclusions de la Cour fédérale quant au préjudice est donc erroné, du moins pour ce qui est de la détermination de l'existence d'un achalandage. Par conséquent, ces conclusions ne peuvent être maintenues.

[32]           Ainsi, le rejet par la Cour fédérale de la demande de la fiducie Hamdard fondée sur la commercialisation trompeuse doit être annulé, car la Cour a commis une erreur quant à des conclusions principales relatives à chacun des trois éléments applicables à une telle demande.

V.                Dispositif

[33]           La fiducie Hamdard demande que son action contre les intimées Bains soit renvoyée à la Cour fédérale pour nouvel examen. Elle souhaite également pouvoir fournir des éléments de preuve supplémentaires lors de ce nouvel examen. Je conviens que l'affaire devrait être renvoyée à la Cour fédérale, étant donné que le règlement de l'action contre les intimées Bains nécessitera un nouvel examen des faits pertinents, ce qui ne peut pas être fait par notre Cour lors du présent appel. Cependant, je crois qu'il serait inapproprié de déterminer la façon dont la Cour fédérale devrait faire le nouvel examen; cette Cour est mieux placée pour en décider.

[34]           Par conséquent, je suis d'avis d'accueillir le présent appel avec dépens, de modifier le jugement de la Cour fédérale afin que seules la demande de la fiducie Hamdard à l'égard de Master Web et la demande reconventionnelle des intimées Bains soient rejetées avec dépens, et de renvoyer les demandes de la fiducie Hamdard à l'égard des intimées Bains à la Cour fédérale pour nouvel examen. Je ne fournirais aucune directive quant à la façon dont le nouvel examen devrait être effectué.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

J.D. Denis Pelletier j.c.a. »

« Je suis d'accord.

David Stratas j.c.a. »


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-570-14

INTITULÉ :

FIDUCIE SADHU SINGH HAMDARD c. NAVSUN HOLDINGS LTD., MASTER WEB INC. ET 6178235 CANADA INC.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 12 janvier 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 2 mars 2016

 

COMPARUTIONS :

David Allsebrook

 

Pour l'appelante

 

Tamara Ramsey

Ted Brook

 

POUR LES INTIMÉES

NAVSUN HOLDINGS LTD. ET 6178235 CANADA INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LudlowLaw LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour l'appelante

 

Chitiz Pathak LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les intimées

NAVSUN HOLDINGS LTD. ET 6178235 CANADA INC.

 

 

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