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Date : 20160330


Dossier : A-571-14

Référence : 2016 CAF 99

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE RYER

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

MCGILLIVRAY RESTAURANT LTD.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 3 mars 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 30 mars 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RYER

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20160330


Dossier : A-571-14

Référence : 2016 CAF 99

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE RYER

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

MCGILLIVRAY RESTAURANT LTD.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RYER

[1]               Il s'agit d'un appel de la décision rendue par le juge Patrick Boyle de la Cour canadienne de l'impôt (le « juge ») le 28 novembre 2014 (2014 CCI 357). L'appel porte sur de nouvelles cotisations (les « nouvelles cotisations ») établies par le ministre du Revenu national (le « ministre ») conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la « Loi »), à l'égard de McGillivray Restaurant Ltd. (la « contribuable ») pour ses années d'imposition 2007, 2008 et 2009. Sauf indication contraire, tous les renvois à des dispositions légales dans les présents motifs visent les dispositions de la Loi qui s'appliquaient aux nouvelles cotisations.

[2]               Par chaque nouvelle cotisation, le ministre a refusé d'accorder à la contribuable la déduction prévue à l'alinéa 125(1)a) de la Loi (la « déduction accordée aux petites entreprises ») à l'égard de l'impôt payable par ailleurs en vertu de la partie I de la Loi. Le ministre a conclu que la contribuable était associée à une ou plusieurs sociétés, au sens du paragraphe 256(1), au cours de chaque année d'imposition et qu'elle n'avait pas déposé l'entente conclue avec les autres sociétés visée au paragraphe 125(3).

[3]               La question en litige dans le présent appel est de savoir si, durant les années visées par les nouvelles cotisations, la contribuable était associée à G.R.R. Holdings Ltd. (« GRR ») et à MorCourt Properties Ltd. (« MorCourt ») parce que Gordon R. Howard, qui exerçait un contrôle de droit et un contrôle de fait sur GRR et sur MorCourt, exerçait aussi un contrôle de fait sur la contribuable au sens du paragraphe 256(5.1).

[4]               Le juge a conclu que MorCourt, GRR et la contribuable étaient des sociétés associées au sens du paragraphe 256(1) et a confirmé le bien‑fondé des nouvelles cotisations.

[5]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, je rejetterais l'appel.

I.                   LE CONTEXTE

[6]               L'appel dont le juge était saisi faisait l'objet d'un exposé conjoint partiel des faits. En outre, le juge a fait un résumé détaillé des éléments de preuve qui lui ont été présentés, soit des extraits de l'interrogatoire préalable de M. Howard produits par la Couronne et un recueil conjoint de documents. Les faits essentiels pour traiter des questions soulevées dans le présent appel sont résumés ci‑dessous.

[7]               Pendant toute la période pertinente, M. Howard et Mme Ruth Howard étaient mariés. M. Howard détenait l'intégralité des actions émises de GRR et de MorCourt. GRR a été constituée au début des années 1980 et MorCourt a été constituée à peu près en même temps que la contribuable. Comme la contribuable, GRR et MorCourt sont des sociétés privées sous contrôle canadien au sens du paragraphe 125(7).

[8]               En 1997, GRR a conclu des contrats de franchise avec Keg Restaurants Ltd. (le « franchiseur ») et a acquis des droits d'exclusivité territoriale relativement à l'exploitation en franchise de restaurants Keg à Winnipeg. Grâce à ces contrats, GRR a exploité avec succès trois restaurants Keg à Winnipeg, jusqu'à la fin de l'année 2005. Les droits d'exclusivité n'étaient accordés que si GRR exploitait au moins trois restaurants Keg à Winnipeg.

[9]               À un moment quelconque avant la constitution en société de la contribuable, M. Howard a décidé que le restaurant de la route Pembina devrait être réinstallé ailleurs. À cette fin, des ententes ont été conclues pour acquérir un terrain avenue McGillivray et pour obtenir le consentement du franchiseur quant à la réinstallation.

[10]           De concert avec la réinstallation, M. Howard a sollicité des conseils de professionnels et, en conséquence, il a déterminé qu'il serait prudent de [TRADUCTION] « commencer à séparer certaines choses », étant donné le succès connu depuis l'acquisition des trois restaurants franchisés Keg.

[11]           À cette fin, MorCourt a été constituée en société dans le but d'acquérir les nouveaux bâtiments du restaurant et le terrain sur lequel ils étaient situés. Fait plus pertinent à l'espèce, la contribuable a été constituée en société dans le but d'acquérir et d'exploiter le nouveau restaurant avenue McGillivray, y compris les droits de franchise qui permettraient d'exploiter ce restaurant.

[12]           Conformément aux conseils de professionnels reçus par M. Howard, la contribuable a été constituée en société en août 2005. Lors de la constitution, Mme Howard s'est vu émettre 760 actions ordinaires avec droit de vote au prix de 76 $ et M. Howard s'est vu émettre 240 actions ordinaires avec droit de vote au prix de 24 $. De plus, M. Howard a été élu comme unique administrateur de la contribuable et a été nommé unique dirigeant. Aucune convention écrite des actionnaires n'a été mise en place. Le capital de la contribuable était symbolique.

[13]           Le dossier contient peu d'éléments expliquant la façon dont la contribuable a acquis le terrain situé avenue McGillivray dont elle s'est servie à partir de décembre 2005, peu après la fermeture du restaurant situé route Pembina, ou la façon dont elle a financé l'achat de ce terrain. Cependant, le dossier comprend des documents qui prévoyaient la cession de l'entente de franchise pour le restaurant de la route Pembina de GRR à la contribuable et le consentement du franchiseur à la cession.

[14]           Monsieur Howard comprenait très bien l'importance de se conformer aux modalités des contrats de franchise des trois restaurants ainsi qu'aux exigences liées au consentement du franchiseur pour la réinstallation du restaurant de la route Pembina et la cession du droit de franchise à la contribuable. Lors de son interrogatoire préalable, il a dit qu'il avait assuré au franchiseur qu'en dépit de ces changements, les activités seraient menées de la même façon que par le passé. Il a également indiqué lors de l'interrogatoire préalable qu'il avait donné des assurances semblables aux anciens employés du restaurant de la route Pembina dont les emplois ont été transférés à la contribuable. Mme Howard a peu participé aux activités de la contribuable. Elle et son mari ont garanti à titre personnel les obligations de la contribuable et de GRR envers le franchiseur.

[15]           La participation de 76 % de Mme Howard dans la contribuable était fondée sur les conseils de professionnels qui ont été donnés à M. Howard. Néanmoins, la contribuable était organisée de sorte que M. Howard n'ait pas besoin de l'accord de son épouse pour prendre des décisions au nom de la contribuable. À ce sujet, M. Howard a assuré à son épouse qu'en dépit du fait qu'elle était propriétaire de 76 % de la contribuable, les restaurants continueraient d'être exploités comme ils l'ont toujours été, et la preuve indique que c'est ainsi que les choses se sont déroulées.

II.                LA DÉCISION DU JUGE

[16]           Le juge a déterminé qu'il existait deux interprétations différentes du paragraphe 256(5.1). Il a conclu que la décision de la Cour dans l'arrêt Silicon Graphics Ltd. c. Canada, 2002 CAF 260, [2003] 1 C.F. 447 (Silicon Graphics), offrait une interprétation restrictive en vertu de laquelle une personne ne serait considérée comme exerçant un contrôle de fait que si elle avait le droit et la capacité manifestes de procéder à une modification importante du conseil d'administration ou des pouvoirs du conseil ou d'influencer d'une façon très directe les actionnaires qui auraient la capacité de choisir le conseil d'administration.

[17]           En revanche, il a conclu que les décisions de la Cour dans les arrêts Mimetix Pharmaceuticals Inc. c. La Reine, 2003 CAF 106 (Mimetix Pharmaceuticals), et Plomberie J.C. Langlois inc. c. La Reine, 2006 CAF 113 (Plomberie J.C. Langlois), ont élargi le critère énoncé dans l'arrêt Silicon Graphics. Il a ainsi conclu que le critère l'amenait à ne pas tenir compte uniquement du droit et de la possibilité d'influencer la composition ou les pouvoirs du conseil d'administration et à prendre en considération des sources d'influence plus générales pour déterminer qui, en réalité, exerce un contrôle réel sur les activités et les destinées de la société en question.

[18]           En appliquant ce critère plus large, le juge a conclu que M. Howard n'aurait pas pu exercer un contrôle de fait plus réel sur la gestion et l'exploitation de la contribuable et de son entreprise.

[19]           En outre, au paragraphe 59 de ses motifs, le juge a conclu que M. et Mme Howard avaient convenu que le contrat de franchise du restaurant avenue McGillivray ne serait transféré à la contribuable et que Mme Howard ne ferait l'acquisition d'une participation de 76 % dans la contribuable pour une somme symbolique que si elle acceptait de faire en sorte que M. Howard soit l'unique administrateur et dirigeant de la contribuable et que, comme il l'avait assuré au franchiseur, les activités continueraient à être menées comme elles l'ont toujours été.

[20]           Enfin, le juge a conclu que même si Mme Howard aurait pu remplacer son époux comme unique administrateur de la contribuable (répudiant ainsi leur entente orale), elle ne l'a pas fait, et il a fait observer que si elle avait choisi de le faire, il aurait fallu qu'elle se soucie des conséquences qui auraient pu découler de cette décision.

III.             LES DISPOSITIONS LÉGALES PERTINENTES

[21]           Les dispositions de la Loi pertinentes en l'espèce sont l'alinéa 256(1)b) et le paragraphe 256(5.1), qui se lisent comme suit :

Sociétés associées

Associated corporations

256 (1) Pour l'application de la présente loi, deux sociétés sont associées l'une à l'autre au cours d'une année d'imposition si, à un moment donné de l'année :

256 (1) For the purposes of this Act, one corporation is associated with another in a taxation year if, at any time in the year,

[...]

. . .

b) la même personne ou le même groupe de personnes contrôle les deux sociétés, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit;

(b) both of the corporations were controlled, directly or indirectly in any manner whatever, by the same person or group of persons;

[...]

. . .

Contrôle de fait

Control in fact

(5.1) Pour l'application de la présente loi, lorsque l'expression « contrôlée, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, » est utilisée, une société est considérée comme ainsi contrôlée par une autre société, une personne ou un groupe de personnes — appelé « entité dominante » au présent paragraphe — à un moment donné si, à ce moment, l'entité dominante a une influence directe ou indirecte dont l'exercice entraînerait le contrôle de fait de la société. [...]

(5.1) For the purposes of this Act, where the expression “controlled, directly or indirectly in any manner whatever,” is used, a corporation shall be considered to be so controlled by another corporation, person or group of persons (in this subsection referred to as the “controller”) at any time where, at that time, the controller has any direct or indirect influence that, if exercised, would result in control in fact of the corporation . . .

IV.             LES QUESTIONS EN LITIGE

[22]           Deux questions sont soulevées dans le présent appel :

a)      Le juge a‑t‑il commis une erreur dans son interprétation des exigences en matière de contrôle de fait au paragraphe 256(5.1)?

b)      Le juge a‑t‑il commis une erreur en concluant que la contribuable était associée à GRR et à MorCourt pour l'application de l'alinéa 256(1)b)?

V.                LA NORME DE CONTRÔLE

[23]           Dans un appel d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt, la Cour applique la norme de la décision correcte aux questions de droit et la norme de l'erreur manifeste et dominante aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit à l'égard desquelles il n'y a pas de question de droit facilement isolable (voir Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, aux paragraphes 8, 10 et 37).

VI.             ANALYSE

A.                Introduction

[24]           Les circonstances dans lesquelles la contribuable a été constituée en société, organisée, capitalisée et ensuite gérée montrent clairement que Mme Howard n'avait pas de participation importante dans la contribuable ou dans ses activités, sauf son placement de 76 $ dans ses actions ordinaires. De plus, l'ensemble des circonstances indique que le but principal de la constitution en société de la contribuable et de son acquisition du restaurant situé route Pembina ainsi que du droit de franchise connexe pouvait avoir été de contourner les règles sur les sociétés associées afin d'obtenir une déduction accordée aux petites entreprises supplémentaire.

[25]           Les règles sur les sociétés associées à l'article 256 visent notamment à assurer que le droit à la déduction accordée aux petites entreprises soit limité. Il n'est pas nécessaire de discuter du régime légal de ce stimulant fiscal dans les présents motifs.

[26]           Avant la constitution en société de la contribuable, GRR exploitait trois restaurants Keg et n'avait droit qu'à une seule déduction accordée aux petites entreprises. La constitution en société de la contribuable et son acquisition du restaurant de l'avenue McGillivray donnaient droit à une deuxième déduction accordée aux petites entreprises en ce qui concerne un des trois restaurants exploités par GRR.

[27]           Le ministre s'est opposé à la demande d'une deuxième déduction accordée aux petites entreprises et a établi les nouvelles cotisations en tenant compte du fait que GRR et MorCourt étaient associées à la contribuable, au sens de l'alinéa 256(1)b), car ces sociétés et la contribuable étaient toutes contrôlées par M. Howard. Que M. Howard exerçât un contrôle de droit et de fait sur GRR et sur MorCourt n'est pas en cause. Le ministre a affirmé que M. Howard exerçait aussi un contrôle de fait sur la contribuable, au sens du paragraphe 256(5.1).

[28]            Le ministre n'a pas affirmé que les parties aux transactions en vertu desquelles la contribuable a fait l'acquisition du restaurant situé avenue McGillivray et des droits de franchise connexes s'étaient livrées à une planification fiscale abusive. En d'autres termes, il ne s'agit pas ici d'un cas où la règle générale anti‑évitement du paragraphe 245(2) s'applique : l'objet de la création et de la mise en oeuvre de la contribuable n'est pas pertinent.

[29]           La question primordiale est de savoir si l'on peut dire que M. Howard ou GRR avaient une influence directe ou indirecte qui, si elle avait été exercée, se serait soldée par un contrôle de fait de l'un ou de l'autre sur la contribuable.

B.                 Le juge a‑t‑il commis une erreur dans son interprétation des exigences en matière de contrôle de fait au paragraphe 256(5.1)?

[30]           Le fait de déterminer la personne qui contrôle une société ou le moment où se produit l'acquisition du contrôle d'une société a une importance considérable en vertu de la Loi. Avant l'ajout du paragraphe 256(5.1), la Loi comprenait les expressions « contrôle » et « contrôlée, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit », mais dans les deux cas, le contrôle était considéré comme le contrôle de droit.

[31]           Dans Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 795 (Duha Printers), l'arrêt de principe de la Cour suprême du Canada sur le contrôle d'une société, le contrôle de droit a été décrit comme le pouvoir des détenteurs de la majorité des voix dans une société d'élire les administrateurs de la société et, par conséquent, d'exercer un contrôle réel sur la société. En langage courant, l'actionnaire majoritaire peut convaincre les administrateurs de faire ce qu'il souhaite pour ce qui est de l'exploitation de la société; sinon, l'actionnaire utilisera son droit de vote majoritaire pour remplacer ces administrateurs par d'autres administrateurs qui exécuteront ses ordres.

[32]           Il est utile de rappeler qu'au paragraphe 71 de l'arrêt Duha Printers, la Cour suprême a confirmé qu'une convention ordinaire des actionnaires, par opposition à une convention unanime des actionnaires, n'est pas pertinente pour déterminer le contrôle de droit. Ainsi, le droit de vote attribuable aux actions, déterminé au regard des actes constitutifs et du registre des actionnaires d'une société, est généralement le facteur déterminant dans l'analyse du contrôle de droit, sauf dans des circonstances précises qui ne sont pas pertinentes en l'espèce, où le contrôle de droit peut ne pas être exercé par la personne qui détient la majorité des voix dans une société.

[33]           Dans l'analyse du contrôle de fait, comme on pourrait s'y attendre, il existe un plus grand nombre de facteurs — en plus des droits de vote selon les actes constitutifs et le registre des actionnaires — qui doivent être pris en considération pour déterminer si les conditions du paragraphe 256(5.1) ont été remplies dans un cas donné. Par exemple, les droits d'une personne en vertu des dispositions d'une convention des actionnaires (qui n'est pas une convention unanime des actionnaires) qui stipule que la personne pourra choisir les administrateurs correspondraient à la définition du terme « influence » au sens du paragraphe 256(5.1). L'influence requise doit‑elle donc découler de conventions juridiquement contraignantes ou exécutoires, ou d'autres types d'influence peuvent-ils mener à conclure à un contrôle de fait? Par exemple, peut‑on dire qu'une personne exerce un contrôle de fait sur une société si elle a l'influence requise sur l'actionnaire qui exerce le contrôle de droit en raison de menaces ou d'autres moyens ignobles, ou, au contraire, en raison de l'amour et de l'affection conjugaux ou familiaux?

[34]           Heureusement, dans le présent appel, nous ne sommes pas obligés de nous livrer à une analyse fondée sur des principes de base, car la Cour a déjà examiné le sens du contrôle de fait pour l'application du paragraphe 256(5.1).

[35]           Dans l'arrêt Silicon Graphics, le juge Sexton a formulé le critère en ces termes :

[67]      Par conséquent, je suis d'avis que pour que l'on puisse conclure à un contrôle de fait, une personne ou un groupe de personnes doivent avoir le droit et la capacité manifestes de procéder à une modification importante du conseil d'administration ou des pouvoirs du conseil ou d'influencer d'une façon très directe les actionnaires qui auraient autrement la capacité de choisir le conseil d'administration.

[36]           Ce critère a été confirmé dans l'arrêt 9044‑2807 Québec inc. c. La Reine, 2004 CAF 23 (Transport Couture), où le juge Noël (tel était alors son titre) a affirmé ce qui suit :

[24]      Il n'est pas possible d'énumérer tous les facteurs qui peuvent être utiles afin de déterminer si une société est ou non assujettie à un contrôle de fait (Duha Printers, [1998] 1 R.C.S. 795, paragraphe [38]). Cependant, quels que soient les facteurs retenus, ils doivent démontrer qu'une personne ou un groupe de personnes possède la capacité manifeste de modifier le Conseil d'administration de la société visée ou d'influencer de façon très directe les actionnaires qui auraient autrement la capacité de choisir le Conseil d'administration (Silicon Graphics, 2002 CAF 260, paragraphe [67]). En d'autres mots, la preuve doit démontrer que le pouvoir décisionnel de la société visée réside dans les faits ailleurs qu'entre les mains de ceux qui possèdent le contrôle de jure. [Non souligné dans l'original.]

[37]           La description du juge Noël du critère juridique qui s'applique au contrôle de fait est essentiellement une reformulation du critère énoncé par le juge Sexton dans l'arrêt Silicon Graphics. Rien dans l'extrait des motifs du juge Noël ne suggère une intention de sa part de s'écarter de la formulation du critère du contrôle de fait énoncé dans l'arrêt Silicon Graphics.

[38]           Je n'interprète pas la dernière phrase du juge Noël dans le paragraphe cité ci‑dessus comme élargissant ou modifiant le critère de l'arrêt Silicon Graphics. Elle suit immédiatement une approbation claire et directe du critère de l'arrêt Silicon Graphics. De plus, je suis d'avis que le passage « En d'autres mots » au début de la phrase indique qu'elle résume le critère. Bien que cette phrase puisse, si elle est interprétée isolément, laisser entendre qu'on propose une approche plus vaste, son contexte exige qu'elle soit interprétée à la lumière d'une approbation claire du critère de l'arrêt Silicon Graphics.

[39]           Comme il a été mentionné précédemment, le juge a conclu que les arrêts Mimetix Pharmaceuticals et Plomberie J.C. Langlois l'obligeaient à prendre en considération des sources d'influence plus générales, notamment l'exercice du contrôle sur les activités quotidiennes, dans l'analyse du contrôle de fait. Bien qu'il soit vrai que dans ces deux décisions, un critère plus large semble avoir été pris en considération, le critère étroit énoncé au paragraphe 67 de l'arrêt Silicon Graphics, qui constituait à mon avis son ratio decidendi, n'a jamais été directement contesté devant la Cour dans l'une ou l'autre de ces décisions.

[40]           Il est bien établi que la Cour respectera ses décisions antérieures, à moins que « la décision en cause soit manifestement erronée, du fait que la Cour n'aurait pas tenu compte de la législation applicable ou d'un précédent qui aurait dû être respecté » (voir Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370, au paragraphe 10). La Cour ne s'est pas penchée sur la question de savoir si l'arrêt Silicon Graphics était manifestement erroné de sorte qu'on ne devrait pas le suivre dans les arrêts Mimetix Pharmaceuticals et Plomberie J.C. Langlois. De plus, dans ces deux arrêts, la Cour s'est principalement intéressée à l'appréciation par la Cour canadienne de l'impôt de la preuve dont elle disposait.

[41]           En clair, à mon avis, si ces décisions peuvent être interprétées comme ayant prescrit un critère du contrôle de fait incompatible avec le critère de l'arrêt Silicon Graphics, on ne devrait pas les suivre.

[42]           À l'audience, l'avocat de la Couronne a affirmé que la Cour avait [TRADUCTION] « ajouté des précisions » concernant l'arrêt Silicon Graphics dans Lyrtech RD inc. c. La Reine, 2014 CAF 267 (Lyrtech), une décision qui n'a apparemment pas été soumise au juge.

[43]           Dans l'arrêt Lyrtech, la Cour a affirmé que le critère qui s'applique au contrôle de fait est celui de l'arrêt Silicon Graphics, ajoutant que le paragraphe 24 de la décision Transport Couture ajoutait des précisions au critère de l'arrêt Silicon Graphics. Comme je l'ai mentionné, je suis d'avis que le paragraphe tiré de Transport Couture doit être considéré comme une approbation du critère de l'arrêt Silicon Graphics. De plus, l'arrêt Lyrtech est un autre exemple où la Cour a examiné des erreurs de fait alléguées dans le jugement porté en appel. L'arrêt Lyrtech ne peut pas, selon moi, être interprété comme ayant déterminé que le critère étroit de l'arrêt Silicon Graphics était manifestement erroné et qu'on ne devrait pas le suivre. Si l'arrêt Lyrtech peut être interprété comme ayant répudié le critère de l'arrêt Silicon Graphics, on ne devrait pas le suivre.

[44]           L'avocat de la Couronne a soutenu qu'un appui pour l'approche plus générale relative au contrôle de fait se trouve dans l'arrêt Silicon Graphics lui‑même. Aux paragraphes 63 à 65 de cette décision, la Cour a abordé un certain nombre d'observations qui lui ont été présentées quant à l'applicabilité de facteurs plus généraux. Puisque le juge Sexton a rejeté ces arguments au motif qu'ils n'étaient pas étayés par le dossier, je suis d'avis qu'on ne peut pas considérer qu'il ait miné le critère qu'il a clairement énoncé au paragraphe 67 de ses motifs.

[45]           Par conséquent, je confirme que le critère étroit énoncé au paragraphe 67 de l'arrêt Silicon Graphics est correct et qu'il n'a pas été infirmé par la Cour.

[46]           Je rejette toute affirmation selon laquelle le critère du contrôle est, en réalité, fondé sur le « contrôle de l'exploitation ». Le contrôle de fait, comme le contrôle de droit, porte sur le contrôle exercé sur le conseil d'administration et non sur le contrôle exercé sur les activités quotidiennes de la société. L'alinéa 256(1)b) et le paragraphe 256(5.1) font expressément référence au contrôle exercé sur une société et non au contrôle exercé sur les activités ou l'exploitation d'une société. En fait, ce point de vue correspond à la conclusion du président Jackett énoncée dans Buckerfield's Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1965] 1 R.C.É. 299, aux pages 302 et 303 :

[TRADUCTION]

Il est concevable qu'il puisse exister plusieurs façons de comprendre le mot « contrôle » dans une loi telle que la Loi de l'impôt sur le revenu, quand on applique ce mot à une société. Il peut par exemple se rapporter au contrôle par les dirigeants, lorsque les dirigeants et le conseil d'administration sont distincts, ou il peut se rapporter au contrôle par le conseil d'administration. Le genre de contrôle qu'exercent les dirigeants ou le conseil d'administration n'est évidemment pas, toutefois, celui que vise l'article 39 en parlant du contrôle d'une société par une autre de même que du contrôle d'une société par des particuliers (voir le paragraphe (6) de l'article 39). On conçoit très bien que le mot « contrôle » puisse se rapporter au contrôle de fait par un actionnaire ou par plusieurs actionnaires détenant ou non une majorité des actions. Je crois cependant qu'à l'article 39 de la Loi de l'impôt sur le revenu, le mot « contrôlée » vise le droit de contrôle qui découle de la propriété d'un nombre d'actions suffisant pour donner la majorité des voix à l'élection du conseil d'administration. [...]

[47]           Tandis que le contrôle de droit porte généralement uniquement sur la propriété des actions dans le sens limité énoncé dans l'arrêt Duha Printers pour déterminer qui exerce un contrôle sur l'élection du conseil d'administration, et donc sur la société, rien ne laisse penser que le contrôle de fait soit autre chose qu'un contrôle exercé par un moyen quelconque insuffisant pour satisfaire au critère du contrôle de droit. À mon avis, le contrôle d'une société pour l'application des dispositions sur les sociétés associées de la Loi n'a jamais signifié ce que le président Jackett a désigné comme étant un contrôle par les dirigeants ou ce qui pourrait être qualifié de contrôle « de l'exploitation ».

[48]           La différence entre un contrôle de fait et un contrôle de droit se limite donc à l'étendue des facteurs qui peuvent être pris en considération pour décider si une personne ou un groupe de personnes exerce un contrôle réel au moyen de la capacité d'élire le conseil d'administration d'une société. Cela dit, il n'en demeure pas moins que la liste des facteurs qui peuvent être pris en considération au moment d'appliquer le critère de l'arrêt Silicon Graphics est non limitative. Cependant, à mon avis, un facteur qui ne comprend pas un droit et une capacité ayant force exécutoire de procéder à une modification du conseil d'administration ou de ses pouvoirs, ou d'influencer les actionnaires qui ont ce droit et cette capacité, ne devrait pas être considéré comme étant susceptible d'établir un contrôle de fait.

[49]           Je suis d'avis qu'une interprétation du contrôle de fait au sens du paragraphe 256(5.1) qui ne comporte aucune exigence selon laquelle l'influence en question doit être fondée sur un droit ou une capacité ayant force exécutoire est contraire au ferme avertissement lancé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, [2005] 2 R.C.S. 601, 2005 CSC 54, au paragraphe 12, dans lequel la juge en chef et le juge Major déclarent catégoriquement :

Les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu doivent être interprétées de manière à assurer l'uniformité, la prévisibilité et l'équité requises pour que les contribuables puissent organiser intelligemment leurs affaires. [...]

[50]           Une interprétation du paragraphe 256(5.1) qui englobe le contrôle « de l'exploitation » supposerait un degré de subjectivité dans l'analyse du contrôle de fait qui, à mon avis, nuirait à la prévisibilité au lieu de la maintenir, tel que le prévoit l'approche interprétative de l'arrêt Hypothèques Trustco.

[51]           Après avoir précisé que le critère de l'arrêt Silicon Graphics demeure le critère à appliquer pour le contrôle de fait, et puisqu'il semble que le juge ait appliqué un critère différent, j'aborderai maintenant les faits du présent appel.

C.                Le juge a‑t‑il commis une erreur en concluant que la contribuable était associée à GRR et à MorCourt pour l'application de l'alinéa 256(1)b)?

[52]           Après avoir décidé que le juge avait appliqué le mauvais critère pour le contrôle de fait, je dois appliquer le bon critère aux faits de l'espèce.

[53]           Le juge a conclu que M. et Mme Howard étaient parvenus à une entente selon laquelle le droit de franchise relatif au restaurant de la route Pembina ne serait transféré de GRR à la contribuable que si Mme Howard acceptait d'exercer les droits de vote dont elle disposait grâce à ses 760 actions ordinaires de la contribuable afin de voir à ce que M. Howard soit élu unique administrateur de la contribuable et qu'il conserve ce poste. Essentiellement, le juge a conclu que M. et Mme Howard avaient conclu une entente en vertu de laquelle la composition du conseil d'administration de la contribuable relèverait de M. Howard.

[54]           À l'audience, l'avocat de la contribuable a affirmé que le juge avait commis une erreur manifeste et dominante en concluant que M. et Mme Howard avaient conclu une telle entente orale. L'avocat a noté avec raison que le dossier ne contient aucun élément de preuve direct d'une telle entente. Il a cependant convenu que s'il existait une entente écrite en ce sens, la thèse du ministre selon laquelle les sociétés sont des sociétés associées serait inattaquable. L'avocat a affirmé, à juste raison, que le contrat de franchise auquel la contribuable était une partie n'exigeait pas que M. Howard soit l'unique administrateur de la contribuable. Ainsi, la contribuable demande à la Cour de déduire qu'il n'y a eu aucune entente orale en ce sens et que le juge a commis une erreur en concluant à l'existence d'une telle entente.

[55]           Un examen fondé sur la norme de l'erreur manifeste et dominante oblige la cour d'appel à faire preuve de grande retenue à l'égard des conclusions de fait d'un juge de première instance. Compte tenu des circonstances, j'estime que le juge pouvait conclure, au vu de la preuve dont il disposait, qu'il existait une entente orale entre M. et Mme Howard et, par conséquent, qu'il n'a commis aucune erreur manifeste et dominante.

[56]           L'absence d'une entente écrite ne suffit pas à prouver qu'il n'existe aucune entente orale. Le juge connaissait la longue et fructueuse relation entre M. Howard et le franchiseur, soulignant la confiance qui s'était installée entre les deux au fil des années. Cette relation permet de conclure que le franchiseur aurait bien pu estimer suffisantes les assurances orales de M. Howard que rien n'allait changer dans les trois restaurants.

[57]           Même si les parties ont indiqué dans l'exposé conjoint partiel des faits que Mme Howard pouvait mettre fin au poste d'administrateur de M. Howard en tout temps, elle ne l'a pas fait. Aussi longtemps que l'entente orale était valide, M. Howard avait le droit de choisir tous les administrateurs de la contribuable, c'est‑à‑dire qu'il serait l'unique administrateur. Il est clair que les droits que possédait M. Howard en vertu de l'entente orale avec son épouse ne lui conféraient pas un contrôle de droit sur la contribuable, puisqu'il ne détenait pas la majorité des actions avec droit de vote et que l'entente ne constituait pas une convention unanime des actionnaires aux termes de la loi régissant les sociétés par actions. Néanmoins, aussi longtemps que l'entente n'était pas répudiée par Mme Howard, le droit de M. Howard de choisir les administrateurs de la contribuable constituait le genre d'influence visé par le paragraphe 256(5.1), tel que l'a interprété la Cour dans l'arrêt Silicon Graphics.

VII.          CONCLUSION

[58]           Pour les motifs qui précèdent, je suis d'avis de rejeter l'appel avec dépens.

« C. Michael Ryer »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-571-14

APPEL D'UNE DÉCISION DU 28 NOVEMBRE 2014 DU JUGE PATRICK BOYLE DE LA COUR CANADIENNE DE L'IMPÔT, DOSSIER NO 2012‑2500(IT)G

INTITULÉ :

MCGILLIVRAY RESTAURANT LTD. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 3 mars 2016

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RYER

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE DE MONTIGNY

DATE DES MOTIFS :

Le 30 mars 2016

COMPARUTIONS :

Thor J. Hansell

POUR L'APPELANTE

Julien Bédard

Neil Goodridge

POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aikins MacAulay & Thorvaldson LLP

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

Pour l'appelantE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour l'intimée

 

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