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Date : 20160411


Dossier : A-450-15

Référence : 2016 CAF 111

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

ANNIE PUI KWAN LAM

appelante

et

CHANEL S. DE R.L., CHANEL LIMITED ET CHANEL INC.

intimées

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 4 avril 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 11 avril 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

 


Date : 20160411


Dossier : A-450-15

Référence : 2016 CAF 111

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

ANNIE PUI KWAN LAM

appelante

et

CHANEL S. DE R.L., CHANEL LIMITED ET CHANEL INC.

intimées

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GLEASON

[1]               Dans le présent appel, l'appelante cherche à faire annuler la décision rendue par le juge Martineau de la Cour fédérale le 18 septembre 2015 (2015 CF 1091). À la suite d'un procès sommaire, il a accueilli la demande des intimées, a prononcé des injonctions à l'encontre de trois défenderesses, dont l'appelante, et leur a ordonné de verser des dommages‑intérêts compensatoires de 64 000 $, des dommages‑intérêts punitifs de 250 000 $ et des dépens forfaitaires de 66 000 $, en raison de la vente et de l'offre de vente de produits Chanel contrefaits.

[2]               Pour les motifs qui suivent, j'accueillerais l'appel, sans dépens, et je renverrais l'affaire au juge de première instance pour qu'il rende une nouvelle décision conformément aux présents motifs.

I.                   Contexte

[3]               En 2006, deux actions ont été intentées contre l'appelante et une société défenderesse au motif qu'elles offraient de vendre des produits Chanel contrefaits. Ces actions ont été réglées, et les modalités du règlement ont été intégrées à deux ordonnances de la Cour fédérale interdisant à l'appelante et à la société défenderesse :

1.      d'offrir en vente, d'exposer, d'annoncer, de vendre, de fabriquer, de distribuer des marchandises portant l'une ou l'autre des marques de commerce Chanel ou d'en faire autrement le commerce;

2.      d'appeler l'attention du public sur leurs marchandises de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre ces marchandises et celles des demanderesses, en contravention de l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13.

[4]               Malgré ces ordonnances, l'appelante a continué de vendre de la marchandise Chanel contrefaite au moyen d'une entreprise dénommée Lam Chan Kee. Cette entreprise était située dans un local d'un immeuble condominial commercial détenu par l'appelante dans un centre commercial linéaire à Markham, en Ontario.

[5]               En l'espèce, la Cour fédérale était saisie d'éléments de preuve étayant qu'il y avait eu contravention lorsqu'on avait offert de vendre ou lorsqu'on avait vendu des marchandises contrefaites au commerce Lam Chan Kee les 23 octobre 2011, 9 décembre 2011, 26 avril 2012 et 2 juin 2013. C'est à cette dernière date que l'enquêteur des intimées a observé le plus grand nombre d'articles contrefaits en vente au magasin.

[6]               Avant septembre 2011, l'appelante exploitait l'entreprise Lam Chan Kee par l'intermédiaire de la société Lam Chan Kee Company Ltd. (LCK Company). Les ordonnances sur consentement de la Cour fédérale en 2006 ont été rendues à l'encontre de l'appelante et de LCK Company.

[7]               En l'espèce, l'appelante a soutenu devant la Cour fédérale qu'elle avait cessé de participer à l'entreprise en septembre 2011, peu avant que les intimées ne découvrent de nouveau des actes de contrefaçon. L'appelante fait valoir qu'en septembre 2011, elle a transféré l'entreprise Lam Chan Kee à une société à dénomination numérique constituée plusieurs années plus tôt. Elle a soutenu que cette société était exploitée par ses enfants. En mai 2013, on a déposé des déclarations des sociétés indiquant que les enfants de l'appelante étaient ses administrateurs et dirigeants. La dernière déclaration a été déposée le 28 mai 2013 et indique que la fille de l'appelante était la présidente de la société à dénomination numérique.

[8]               Le juge de première instance n'a pas ajouté foi aux affirmations de l'appelante. Il a conclu que celle‑ci avait continué à participer à l'entreprise Lam Chan Kee jusqu'en 2013, mais il n'a pas déterminé clairement la date à laquelle l'appelante a cessé d'y participer.

[9]               Au paragraphe 7 de ses motifs, le juge a écrit :

[...] La Cour estime, selon la prépondérance des probabilités, qu'en dépit de tout transfert d'actions [aux enfants de l'appelante], LCK Company et [l'appelante] ont continué d'exploiter et de contrôler l'entreprise Lam Chan Kee au moins jusqu'au 28 mai 2013.

[10]           Au paragraphe 16, il a affirmé :

La Cour conclut, selon la prépondérance des probabilités, que LCK Company a poursuivi l'exploitation de Lam Chan Kee au moins jusqu'au 28 mai 2013 et qu'après cette date, [la société à dénomination numérique] doit être tenue responsable des activités de contrefaçon exercées dans les locaux. Elle conclut également que [l'appelante] a continué d'utiliser le bien comme s'il lui appartenait après le transfert allégué. Le dossier contient des éléments de preuve clairs donnant à penser que [l'appelante] a continué d'exercer un contrôle sur l'entreprise. De plus, on ne sait pas très bien si le personnel a été avisé du changement de propriétaire, et [l'appelante] est restée propriétaire des locaux. C'est elle qui a eu recours aux services d'un avocat, et non pas [l'un de ses enfants], lorsque les demanderesses ont introduit la présente procédure. [L'appelante] n'a pas non plus informé ses enfants de la lettre du 9 décembre 2011 invitant l'exploitant de Lam Chan Kee à cesser ses activités illégales dans les locaux. La Cour conclut que [l'appelante] doit être tenue personnellement responsable, avec les deux entreprises défenderesses, des activités de contrefaçon exercées dans les locaux jusqu'au 28 mai 2013, mais il n'y a pas suffisamment d'éléments de preuve permettant de tirer une telle conclusion en ce qui concerne l'autre défendeur [...], car je ne suis pas convaincu que ce dernier était l'âme dirigeante des deux entreprises défenderesses ou qu'il a participé personnellement aux activités de contrefaçon.

[11]           Cependant, au paragraphe 19 de ses motifs, le juge a conclu que l'appelante et les deux sociétés défenderesses participaient aux « activités de contrefaçon [...] au moins jusqu'au 2 juin 2013 ». Au paragraphe 22 de ses motifs, le juge a fait une déclaration semblable en écrivant que l'appelante et les deux sociétés défenderesses « ont offert en vente ou vendu des marchandises Chanel contrefaites à au moins quatre (4) occasions (le 23 octobre 2011, le 9 décembre 2011, le 26 avril 2012 et le 2 juin 2013) ».

[12]           Le juge de première instance a adjugé des dommages‑intérêts compensatoires symboliques pour chaque acte de contrefaçon, dont celui du 2 juin 2013 (donc après la date mentionnée aux paragraphes 7 et 16 du jugement, soit le 28 mai 2013), et a conclu que chaque acte justifiait une compensation de 8 000 $. Puisqu'il y a eu atteinte aux droits tant du propriétaire de la marque de commerce que du titulaire de licence canadien, le juge a conclu que chaque acte constituait deux actes de contrefaçon. Il a donc évalué les dommages-intérêts à 64 000 $ (8 000 $ × 2 × 4). Il a tenu l'appelante et les deux sociétés défenderesses (qui n'ont pas présenté de défense) solidairement responsables.

[13]           Les dommages‑intérêts punitifs adjugés par le juge semblent avoir été fondés sur le fait que l'appelante et les sociétés défenderesses ont ensemble participé aux quatre actes de contrefaçon, puisqu'il les a condamnées solidairement à des dommages‑intérêts punitifs de 250 000 $. Ses motifs à l'appui des dommages‑intérêts punitifs sont cependant plutôt minces, rendant difficile de discerner avec précision le fondement de cette adjudication.

II.                La position de l'appelante

[14]           L'appelante soutient que le juge de première instance a commis une erreur en acceptant de disposer de l'affaire par procès sommaire, puisqu'il y avait des questions de crédibilité qui devaient être tranchées lors d'un procès. Elle fait également valoir que le juge de première instance a commis une erreur en accordant des dommages‑intérêts symboliques et en les fixant à 64 000 $, particulièrement puisqu'il avait conclu qu'elle n'avait pas participé à l'acte de contrefaçon du 2 juin 2013, qui était de loin le plus sérieux des quatre. Elle soutient aussi que le juge de première instance a commis une erreur de principe en adjugeant des dommages‑intérêts punitifs et en les fixant à 250 000 $, montant beaucoup plus élevé, lorsqu'on le compare aux dommages‑intérêts compensatoires, que ce que prévoit la jurisprudence. L'appelante conteste de plus l'adjudication des dépens, qu'elle décrit comme excessifs dans les circonstances. Enfin, l'appelante conteste dans son mémoire certaines conclusions du juge de première instance concernant sa participation et sa responsabilité dans la contrefaçon.

III.             Analyse

[15]           Je suis d'avis que les allégations de l'appelante selon lesquelles le juge de première instance a commis une erreur en décidant de procéder par procès sommaire ne sont pas fondées. Cette décision est de type discrétionnaire et, en l'absence d'une erreur de droit, une cour d'appel doit faire preuve de retenue : Sa Majesté la Reine du chef du Manitoba c. Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2015 CAF 57, au paragraphe 16; Turmel c. La Reine, 2016 CAF 9, [2016] 3 R.C.F. F‑5, au paragraphe 12.

[16]           En l'espèce, le juge de première instance n'a pas commis d'erreur susceptible de contrôle en déterminant qu'il n'était pas nécessaire de tenir un procès et d'entendre la preuve pour évaluer la crédibilité de l'appelante. La décision du juge de rejeter la version des faits de l'appelante et de conclure qu'il n'y avait pas lieu de tenir un procès complet en raison de la preuve de contrefaçon convaincante selon les affidavits des intimées et de la pauvreté de la preuve de l'appelante était amplement étayée. Ce n'est pas parce qu'un défendeur soulève une défense incroyable en réponse à une demande de procès sommaire que cette requête doit être rejetée. Un procès sommaire est d'ailleurs particulièrement pertinent dans des affaires comme la présente, lorsqu'un défendeur qui continue de vendre des produits contrefaits présente une défense spécieuse. La décision du juge de première instance de procéder de cette façon ne démontre donc pas d'erreur susceptible de contrôle.

[17]           Je rejette également les arguments de l'appelante selon lesquels le juge de première instance a commis une erreur en adjugeant des dommages‑intérêts symboliques, en fixant le montant des dommages‑intérêts pour chaque acte de contrefaçon à 8 000 $ ou en accordant des dommages-intérêts tant au propriétaire de la marque de commerce qu'au titulaire de licence canadien pour chaque contrefaçon. La jurisprudence reconnaît l'adjudication de dommages‑intérêts symboliques dans des cas comme celui‑ci, lorsque les défendeurs ne coopèrent pas, lorsqu'il est difficile d'établir un montant précis et lorsqu'il est difficile d'évaluer le préjudice réel à l'achalandage du propriétaire de la marque de commerce en raison de la vente de produits contrefaits de qualité inférieure : Ragdoll Productions (UK) Ltd. c. Personnes inconnues, 2002 CFPI 918, [2003] 2 C.F. 120, aux paragraphes 37 et 38; Louis Vuitton Malletier S.A. c. Yang, 2007 CF 1179, au paragraphe 43 (Yang); Louis Vuitton Malletier S.A. c. Singga Enterprises (Canada) Inc., 2011 CF 776, [2013] 1 R.C.F. 413, aux paragraphes 127 à 135 (Singga); Louis Vuitton Malletier S.A. v. 486353 B.C. Ltd., 2008 BCSC 799, aux paragraphes 54 à 67 (486353 B.C. Ltd.); Harley‑Davidson Motor Company Group, LLC c. Manoukian, 2013 CF 193, aux paragraphes 39 à 43 (Harley‑Davidson).

[18]           De même, la jurisprudence appuie l'adjudication de 8 000 $ (rajusté selon le taux d'inflation) par contrefaçon et l'adjudication de ce montant tant au propriétaire de la marque de commerce qu'au détenteur de licence canadien dans un cas comme l'espèce : Harley‑Davidson, aux paragraphes 41 et 43; Singga, aux paragraphes 130, 133 et 134; Yang, au paragraphe 43; Oakley Inc. c. Untel, 2000 CanLII 15963, [2000] 4 C.F. D‑60 (C.F.), aux paragraphes 12 et 13; 486353 B.C. Ltd., aux paragraphes 59, 60, 66 et 67.

[19]           Cependant, en raison de l'ambiguïté des motifs du juge de première instance, il est impossible de déterminer de quels actes de contrefaçon l'appelante a été trouvée responsable. Selon certains paragraphes des motifs, on pourrait penser que l'appelante a participé aux quatre actes de contrefaçon, alors que d'autres paragraphes semblent indiquer que le juge considérait qu'elle avait participé seulement jusqu'au 28 mai 2013 et qu'elle devrait donc être exonérée de l'acte le plus important, soit celui du 2 juin 2013, où plus de 100 produits contrefaits ont été trouvés dans les locaux de Lam Chan Kee. Ces motifs sont lacunaires, puisqu'ils ne permettent pas à notre Cour de discerner ce qui a été décidé.

[20]           Dans l'arrêt Canada c. Première nation de Long Plain, 2015 CAF 177, [2016] 1 R.C.F. F‑1, au paragraphe 143, le juge Stratas de notre Cour a récemment résumé ainsi les principes applicables à l'évaluation de la nature suffisante des motifs du juge de première instance :

Nous ne pouvons pas exiger des juges qu'ils discutent explicitement toutes les questions sans exception dont ils sont saisis et qu'ils fassent état des éléments évidents; il ne s'agit pas pour eux d'indiquer comment ils sont parvenus à leur conclusion, ni d'une invitation à suivre leur raisonnement : R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, [2008] 3 R.C.S. 3, aux paragraphes 17, 43 et 44; R. c. Dinardo, 2008 CSC 24, [2008] 1 R.C.S. 788, au paragraphe 25; R. c. Walker, 2008 CSC 34, [2008] 2 R.C.S. 245, au paragraphe 27. Nous préférons plutôt retenir une approche très pratique et fonctionnelle à l'égard de la suffisance des motifs : voir, par exemple, R. c. Sheppard, 2002 CSC 26, [2002] 1 R.C.S. 869, au paragraphe 55; R.E.M., précité, au paragraphe 35; Hill c. Commission des services policiers de la municipalité régionale de HamiltonWentworth, 2007 CSC 41, [2007] 3 R.C.S. 129, au paragraphe 101. Les motifs doivent être considérés dans leur ensemble et dans leur contexte global, y compris les éléments de preuve versés au dossier, les observations des parties, les questions en litige devant la juridiction et le fait que les juges sont censés connaître les principes fondamentaux du droit : R.E.M., précité, aux paragraphes 35 et 45. Ce qui importe, c'est que ces motifs, aussi brefs qu'ils puissent être, soient intelligibles ou aptes à être compris et se prêtent à un examen valable en appel : Sheppard, précité, au paragraphe 25; R. c. Gagnon, 2006 CSC 17, [2006] 1 R.C.S. 621; R.E.M., précité, au paragraphe 35.

[21]           En l'espèce, vu l'ambiguïté des conclusions relatives au degré de participation de l'appelante dans les actes de contrefaçon, on ne peut considérer que ces motifs sont intelligibles. Les dommages‑intérêts symboliques que l'appelante doit payer ne peuvent donc pas être maintenus, puisqu'il est impossible de déterminer si elle est responsable de trois ou de quatre actes de contrefaçon. De plus, puisque le juge est arrivé à sa décision sur la responsabilité en raison d'une décision défavorable sur la crédibilité de l'appelante, après avoir examiné le dossier assez volumineux, il ne serait pas approprié que notre Cour prenne sa place et résolve l'ambiguïté en établissant si l'appelante doit être tenue responsable de trois ou de quatre actes de contrefaçon. L'adjudication des dommages‑intérêts compensatoires doit donc être annulée et l'affaire doit être renvoyée au juge de première instance pour une nouvelle décision.

[22]           Les dommages‑intérêts punitifs et l'adjudication des dépens doivent également être annulés, puisqu'ils sont reliés à l'adjudication des dommages-intérêts compensatoires et dépendent du nombre, de la gravité et de la nature de chacun des actes de contrefaçon commis par l'appelante.

[23]           Je suis d'accord avec l'appelante que le montant des dommages‑intérêts punitifs adjugés par le juge de première instance est considérable et que, lorsqu'on le compare à celui des dommages‑intérêts compensatoires, il dépasse le montant adjugé dans de nombreuses décisions antérieures (voir, par exemple, Singga, aux paragraphes 161 et 180; Yang, aux paragraphes 50 à 53 et 61; Chanel S. de R.L. c. Jiang Chu, 2011 FC 1303 (ordonnance de la Cour); 486353 B.C. Ltd., aux paragraphes 72, 82, 90 et 91; Nintendo of America Inc. v. COMPC Canada Trading Inc., dossier Vancouver S082517, 22 septembre 2009 (C.S. C.‑B.), aux paragraphes 30 et 38). Cela ne rend cependant pas nécessairement une adjudication de cette importance susceptible d'annulation en appel, les conclusions et motifs donnés à son soutien ayant une incidence importante. Des dommages-intérêts punitifs de cette ampleur, dépassant ceux adjugés dans d'autres décisions, doivent être justifiés en fonction des critères juridiques applicables et des faits propres à l'espèce, et exigent une explication plus étoffée que celle donnée par le juge de première instance.

[24]           Dans l'arrêt Whiten c. Pilot Insurance Co., 2002 CSC 18, [2002] 1 R.C.S. 595, la Cour suprême du Canada a affirmé que la portée du contrôle en appel de l'adjudication de dommages‑intérêts punitifs est plus vaste que celle visant d'autres dommages‑intérêts et qu'il est justifié qu'une cour d'appel intervienne pour annuler ou réduire les dommages‑intérêts punitifs si elle conclut qu'ils sont plus élevés que ce qui est exigé par le critère de la rationalité. Les éléments pertinents à l'évaluation de la rationalité comprennent la proportionnalité entre le montant adjugé et le degré de faute du défendeur, la vulnérabilité relative du demandeur, la nature et le degré du préjudice subi par le demandeur et le besoin de dissuasion générale et spécifique. De plus, le montant adjugé devrait être considéré dans son contexte, ce qui inclut la portée et l'importance des autres réparations accordées ou qui seront probablement accordées à l'encontre du défendeur, afin de s'assurer que le montant adjugé ne soit pas plus élevé que ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs recherchés par la Cour en adjugeant des dommages‑intérêts punitifs.

[25]           Il est donc tout à fait possible, en fonction de ces facteurs, que des dommages‑intérêts punitifs de 250 000 $ se justifient dans un cas comme l'espèce, et ce, même si ceux‑ci sont plus élevés que ce que la jurisprudence a précédemment établi. La violation de droits relatifs à des marques de commerce perpétuée par la vente répétée de produits contrefaits est une inconduite grave méritant des sanctions et justifiant l'adjudication de dommages‑intérêts suffisamment élevés pour dissuader le défendeur et le public de s'engager dans une telle conduite répréhensible. Comme la Cour fédérale l'a déclaré dans la décision Sinnga, en citant et approuvant la décision R. v. Chui Lau, dossier Richmond 48082‑1‑48984‑2C, 16 novembre 2006 (Cour prov. C.‑B.) :

[TRADUCTION]

[...] ce genre de vol constitue une infraction très grave, plus grave que le vol d'autres objets ou biens, parce qu'il menace l'essence même de ce qui distingue une société avancée et créatrice [qui protège les droits de propriété intellectuelle] d'une société qui ne l'est pas [et ne le fait pas].

[26]           Le besoin de dissuasion est donc bien réel et peut exiger des dommages‑intérêts punitifs significatifs lorsque les dommages-intérêts compensatoires peuvent uniquement être symboliques en raison de la nature de la contrefaçon des défendeurs. De plus, la nature répétée des violations, le non‑respect des ordonnances de la Cour et les tentatives de l'appelante de cacher sa participation par la vente alléguée de son entreprise à la société à dénomination numérique sont tous des facteurs pouvant légitimement justifier des dommages‑intérêts punitifs importants.

[27]           Si ce n'était de l'ambiguïté des motifs du juge de première instance relativement à la participation de l'appelante à la contrefaçon du 2 juin 2013, il n'y aurait pas de raison d'annuler les autres conclusions du juge concernant la participation et la responsabilité de l'appelante en l'espèce. À cet égard, les conclusions du juge de première instance reposent sur l'appréciation des faits. L'appelante doit démontrer une erreur manifeste et dominante du juge pour être en mesure de faire annuler ses conclusions : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. Une telle erreur n'a pas été démontrée en l'espèce.

[28]           Pour ces motifs, je suis d'avis d'annuler la décision du juge de première instance et de lui renvoyer la requête en procès sommaire pour nouvelle décision conformément aux présents motifs, notamment pour éliminer l'ambiguïté et déterminer de nouveau, avec des motifs suffisants, le montant des dommages‑intérêts et des dépens. Considérant la conduite de l'appelante, je ne considère pas approprié de lui accorder les dépens de l'appel. Je suis donc d'avis d'accueillir l'appel, sans dépens.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

David Stratas j.c.a. »

« Je suis d'accord.

Wyman W. Webb j.c.a. »


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-450-15

 

 

INTITULÉ :

ANNIE PUI KWAN LAM c. CHANEL S. DE R.L., CHANEL LIMITED ET CHANEL INC.

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 4 avril 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

 

DATE DES MOTIFS :

Le 11 avril 2016

 

COMPARUTIONS :

Richard Parker

 

Pour l'appelante

 

Karen MacDonald

 

Pour les intimées

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Coutts Crane

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour l'appelante

 

Bull, Housser & Tupper LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour les intimées

 

 

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