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Date : 20160420


Dossier : A­501­15

Référence : 2016 CAF 121

En présence de monsieur le juge Stratas

ENTRE :

AMGEN CANADA INC. ET AMGEN INC.

appelantes

et

APOTEX INC. ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 20 avril 2016.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20160420


Dossier : A­501­15

Référence : 2016 CAF 121

En présence de monsieur le juge Stratas

ENTRE :

AMGEN CANADA INC. ET AMGEN INC.

appelantes

et

APOTEX INC. ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE STRATAS

[1]               Apotex Inc. a déposé une requête en rejet de l'appel au motif qu'il est théorique. Les appelantes, Amgen Canada Inc. et Amgen Inc., ont répondu à la requête. Dans sa réponse, Amgen a soulevé une question qu'Apotex n'avait pas mentionnée. Si elle est étayée par la preuve, la question pourrait bien inciter la Cour à rejeter la requête en rejet en raison du caractère théorique. Cependant, Apotex déclare que, si elle est autorisée à présenter une preuve en réplique, la question sera réglée.

[2]               Comme nous le verrons, les articles des Règles qui régissent les requêtes écrites n'autorisent pas expressément le dépôt d'une preuve en réplique. Apotex a donc présenté une requête dans la requête en rejet en vue d'obtenir l'autorisation de déposer une preuve en réplique. Amgen s'oppose à la requête et soutient notamment qu'Apotex doit satisfaire au critère pour présenter une nouvelle preuve en appel. Il est notoire qu'il est très difficile de satisfaire au critère : Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759; Shire Canada Inc. c. Apotex Inc., 2011 CAF 10; Brace c. Canada, 2014 CAF 92.

[3]               Pour les raisons suivantes, j'accueille la requête d'Apotex et je rendrai une ordonnance assortie des conditions décrites ci‑dessous.

[4]               Les présents motifs en diront très peu au sujet des faits pertinents de l'appel, de la requête au sujet du caractère théorique et de la nature de la preuve en réplique d'Apotex. L'appel et la requête font l'objet d'une ordonnance de confidentialité très vaste. Quoi qu'il en soit, une description détaillée des faits et de la preuve est inutile.

A.                Les Règles des Cours fédérales

[5]               Une partie qui présente une requête écrite aux termes de l'article 369 des Règles dépose un dossier de requête conforme à l'article 364. Le dossier de requête contient un avis de requête, la preuve requise pour la requête et des prétentions écrites ou, dans le cas des requêtes relevant de l'article 366, un mémoire des faits et du droit.

[6]               L'intimé à la requête dépose un dossier de l'intimé conformément au paragraphe 365(2). Le dossier de l'intimé contient la preuve requise pour la requête et des prétentions écrites ou, dans le cas des requêtes relevant de l'article 366, un mémoire des faits et du droit.

[7]               Aux termes du paragraphe 369(3), le requérant peut répondre au dossier de l'intimée en déposant des prétentions écrites. Le paragraphe n'autorise pas le dépôt d'une preuve en réplique. Par conséquent, lors d'une requête présentée par écrit, une partie doit demander l'autorisation de la Cour pour présenter une preuve en réplique.

[8]               Même si le paragraphe 369(3) est muet sur la question, les Cours fédérales ont la compétence nécessaire pour autoriser le dépôt d'une preuve en réplique :

                     L'article 55 permet à la Cour de modifier une règle dans « des circonstances spéciales ». Dans certains cas, le besoin de présenter une preuve en réplique peut être « des circonstances spéciales ».

                     L'article 3 dispose que les Règles sont interprétées et appliquées « de façon à permettre d'apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible ». Parfois, on doit déposer une preuve en réplique pour satisfaire à l'équité procédurale et pour assurer que la Cour dispose de la preuve nécessaire pour trancher une question sur le fond.

                     L'article 4, souvent appelé l'« article sur les lacunes », dispose qu'en cas de silence des Règles, la Cour peut déterminer la procédure applicable par analogie avec les Règles. Pour ce qui est des analogies, l'article 312 dispose qu'une partie peut déposer des affidavits supplémentaires lors d'une demande et, en fait, on peut présenter une preuve en réplique lors du procès.

                     Les Cours fédérales ont une plénitude de compétence afin de réglementer les procédures : Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626, aux paragraphes 35 à 38; Philipos c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 79, au paragraphe 10; Canada (Revenu national) c. Compagnie d'assurance vie RBC, 2013 CAF 50, au paragraphe 36; Mazhero c. Fox, 2014 CAF 226, au paragraphe 9. L'équité procédurale et la nécessité que la Cour ait suffisamment de preuve pour trancher une question sur le fond peuvent mener à l'exercice de la plénitude de compétence.

B.                 Les principes à appliquer

[9]               Parfois, de nouvelles questions se présentent à la suite du dépôt du dossier de l'intimé lors d'une requête écrite. Aussi, parfois, le dossier de l'intimé fait en sorte que des questions sur lesquelles l'auteur de la requête n'a pas insisté pour des raisons compréhensibles deviennent soudainement plus importantes ou se transforment.

[10]           Dans de telles circonstances, l'équité procédurale et le besoin de prendre une décision appropriée peuvent inciter la Cour à autoriser le dépôt d'une preuve en réplique lors d'une requête écrite :

                     Équité procédurale : parfois, il faut donner à une partie l'occasion de déposer une preuve sur une question que la partie ne pouvait pas traiter plus tôt de façon pratique ou significative.

                     Besoin de prendre une décision appropriée : lorsqu'une question soulevée lors d'une requête pourrait déterminer son issue, la Cour doit parfois autoriser le dépôt d'éléments de preuve supplémentaires pour pouvoir trancher la question en tenant compte de tous les faits pertinents, et non de la version des faits d'une seule partie.

[11]           Le dépôt d'une preuve en réplique lors d'une requête n'est autorisé que dans des [TRADUCTION] « circonstances inhabituelles », lorsque des considérations de procédure ou de fond se présentent : Johnson & Johnson Inc. c. Boston scientifique ltée, 2009 CAF 155, au paragraphe 2. Cependant, la prudence s'impose.

[12]           Pendant les procès, une règle de preuve bien connue veut que le demandeur ne puisse pas scinder sa preuve en présentant en réplique une preuve visant simplement à confirmer la preuve principale : Allcock, Laight & Westwood Ltd. c. Patten, [1967] 1 O.R. 18. La preuve en réplique doit plutôt se rapporter aux questions soulevées par le défendeur qui n'ont pas été soulevées par le demandeur : voir Halford c. Seed Hawk Inc., 2003 CFPI 141, aux paragraphes 14 et 15. En outre, il existe de bonnes raisons de limiter la preuve en réplique. Selon l'auteur Wigmore, autoriser la présentation d'un large éventail de preuve en réplique pourrait être injuste pour l'intimé, qui supposait que la preuve principale était la totalité de la preuve à laquelle il devait répondre. L'autorisation peut également faire qu'il y ait une suite sans fin de fragments successifs de l'affaire : John Henry Wigmore, Evidence in Trials at Common Law, révisé par James H. Chadbourn (Toronto, Little, Brown and Co, 1976), vol. 6, à la page 672.

[13]           Plusieurs lignes directrices utiles ont été établies dans la jurisprudence portant sur l'article 312 au sujet de l'admissibilité des affidavits supplémentaires lors des demandes. Des affidavits supplémentaires ne seront autorisés que s'ils « vont dans le sens des intérêts de la justice » : Lapointe Rosenstein c. Atlantic Engraving Ltd., 2002 CAF 503, [2003] 3 C.F. D‑27, aux paragraphes 8 et 9. De ce fait, la Cour doit tenir compte des éléments suivants :

                     si l'élément de preuve aidera la Cour (plus particulièrement sa pertinence et sa valeur probante suffisante);

                     si l'admission de l'élément de preuve causera un préjudice grave à l'autre partie;

                     si l'élément de preuve était disponible lors du dépôt des affidavits ou s'il aurait pu être découvert en démontrant une diligence raisonnable.

(Holy Alpha and Omega Church of Toronto c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 101, au paragraphe 2; Forest Ethics Advocacy Association c. Office national de l'énergie, 2014 CAF 88, au paragraphe 6; Canada (Ministre des Pêches et des Océans) c. Gwasslaam, 2009 CAF 25, au paragraphe 4.) Je constate que la Cour s'est servie des mêmes facteurs pour décider si elle devrait permettre qu'un affidavit en réplique soit déposé lors d'une requête en autorisation d'interjeter appel aux termes de l'article 355, qui, comme le paragraphe 369(3), n'autorise pas explicitement les affidavits en réplique : Quarmby c. Office national de l'énergie, 2015 CAF 19.

C.                Imposition de conditions et formulation de directives

[14]           L'article 53 confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire d'assortir une ordonnance des conditions et des directives qu'elle juge équitables. Dans le cas d'une requête en autorisation de déposer une preuve en réplique, les parties devraient présenter des observations sur la question de savoir si, pour tenir compte des facteurs pertinents susmentionnés ou pour atténuer tout préjudice, la Cour devrait assortir l'ordonnance de conditions ou de directives. Par exemple, faut‑il prévoir le contre‑interrogatoire de l'auteur de l'affidavit qui est présenté en réplique? S'agit‑il d'une situation exceptionnelle où il faut une réplique à la réplique et des contre‑interrogatoires connexes? Quels seront les délais pour ces étapes?

[15]           Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire concernant les conditions et les directives, la Cour doit garder à l'esprit l'exigence selon laquelle les procédures, et surtout les requêtes, doivent être menées de façon efficace et équitable. L'article 3 est encore une fois pertinent : les procédures et les requêtes doivent être menées de façon à « apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible ».

[16]           Les procédures menant à une décision judiciaire doivent ressembler à des autoroutes sans heurts qui mènent directement à la destination. Lorsque la Cour doit rendre une ordonnance concernant la procédure, elle devrait ressembler à un léger virage et non à une série de nids‑de‑poule entraînant un embouteillage global ou, pire encore, un détour.

D.                Application de ces principes à l'espèce

[17]           La question est de savoir si Apotex doit être autorisée à déposer une preuve en réplique lors de la requête au sujet du caractère théorique et si l'ordonnance doit être assortie de conditions ou de directives.

[18]           La question n'est pas de savoir si Apotex doit être autorisée à déposer de nouveaux éléments de preuve dans l'appel. Par conséquent, les décisions citées par Amgen (voir le paragraphe 2 ci‑dessus) au sujet de l'admissibilité de nouveaux éléments de preuve lors d'un appel ne sont pas pertinentes.

[19]           À mon avis, les principes exposés ci‑dessus justifient une ordonnance permettant à Apotex de déposer une preuve en réplique dans la requête au sujet du caractère théorique.

[20]           En résumé, le dossier de requête de l'intimée au sujet du caractère théorique soulève une question que l'auteur de la requête, Apotex, n'a pas soulevée dans son dossier de requête initial. Pour cette raison, Apotex n'a pas encore déposé de preuve pertinente à cette question. Je suis persuadé que la preuve qu'Apotex souhaite déposer (soit un bref affidavit) est pertinente à la question.

[21]           Le fait que la Cour doive prendre une décision juste pèse lourd dans la présente affaire. La question soulevée par Amgen est pertinente et elle pourrait avoir une incidence sur l'issue de la requête au sujet du caractère théorique. Si Apotex n'est pas autorisée à déposer une preuve en réplique, la Cour pourrait trancher la requête sur la foi d'un fondement erroné et causer une injustice.

[22]           J'ai également réfléchi soigneusement à la question de savoir si Apotex aurait dû se pencher sur la question soulevée par Amgen et si elle aurait dû traiter la question dans le dossier de requête initial. Compte tenu des faits, il s'agit d'une décision difficile. Cependant, je suis persuadé que la question soulevée par Amgen dans son dossier est nouvelle ou a gagné une importance qu'Apotex ne pouvait pas raisonnablement prévoir lorsqu'elle a déposé le dossier de requête initial.

[23]           À mon avis, une ordonnance autorisant Apotex à présenter une preuve en réplique n'entraînera aucun préjudice et aucune iniquité procédurale pour Amgen, particulièrement compte tenu des conditions supplémentaires que j'entends imposer.

[24]           J'ai également réfléchi à la question de savoir si Apotex a adopté une tactique inacceptable que la Cour ne peut pas tolérer lorsqu'elle n'a pas traité la question dans son dossier de requête, compte tenu particulièrement du changement de culture au sujet des litiges prescrit par la Cour suprême du Canada dans la décision Hryniak c. Maudlin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87. Selon la décision Apotex Inc. c. Bristol‑Myers Squibb Company, 2011 CAF 34, au paragraphe 37 : « Ceux qui ne respectent pas les règles et leur objet [selon l'article 3] ne peuvent guère s'attendre à ce que les tribunaux leur fassent bon visage lorsqu'ils leur demandent d'exercer en leur faveur le pouvoir discrétionnaire que les règles leur confèrent. » Voir également la décision Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2014 CAF 54, au paragraphe 10. À la lumière du dossier, l'omission d'Apotex de bien traiter la question actuellement soulevée par Amgen dans le dossier de l'intimée ne découle pas d'un comportement tactique inacceptable.

[25]           Amgen demande le droit de contre‑interroger l'auteur de l'affidavit en réplique d'Apotex. Cette demande est légitime. Je vais le préciser dans mon ordonnance.

[26]           Amgen demande le droit de déposer une preuve dans la requête sur le caractère théorique en déposant une réplique à la réplique. Étant donné le caractère précis de la question traitée, le caractère précis de la preuve en réplique et le droit d'Amgen de présenter des documents à l'auteur de l'affidavit lors du contre‑interrogatoire, je ne suis pas convaincu à ce moment‑ci de la nécessité d'une preuve en réplique à la réplique.

[27]           Le caractère précis de la question soulevée dans la réponse et la brièveté de la preuve en réplique laissent entendre que le contre‑interrogatoire sera bref et sera bientôt terminé.

[28]           À la suite du contre‑interrogatoire ou lors de l'expiration du délai pour le contre‑interrogatoire, Apotex déposera un dossier de réplique présentant la preuve en réplique, la transcription du contre‑interrogatoire, les pièces déposées lors du contre‑interrogatoire et les réponses aux engagements.

[29]           Par souci de clarté et pour éviter tout malentendu subséquent, la preuve dans le dossier de réplique n'est admissible que lors de la requête au sujet du caractère théorique et non lors de l'appel.

[30]           Si elle le souhaite, l'administratrice judiciaire peut m'acheminer toute requête au sujet de questions auxquelles on a refusé de répondre lors du contre‑interrogatoire. Après le dépôt du dossier supplémentaire, elle peut m'envoyer la requête au sujet du caractère théorique pour que je la tranche.

E.                 Dispositif

[31]           La requête d'Apotex visant le dépôt d'une preuve en réplique est accueillie, sous réserve de conditions. Je rendrai une ordonnance conforme aux présents motifs. Les dépens ne sont pas adjugés.

« David Stratas »

j.c.a.

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A­501­15

 

INTITULÉ :

AMGEN CANADA INC. ET AMGEN INC. c. APOTEX INC. ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 20 avril 2016

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Andrew Shaughnessy

Andrew Bernstein

Yael Bienenstock

Nicole Mantini

 

Pour les appelantes

 

Nando De Luca

 

Pour l'intimée Apotex Inc.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Torys LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour les appelantes

 

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour l'intimée Apotex Inc.

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Pour l'intimé le ministre de la Santé

 

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